• il y a 21 heures
L'exploratrice Sarah Marquis, qui a déjà parcouru, toujours seule et à pied, l'équivalent du tour de la Terre, s'est confiée en vidéo sur les notions de limites.

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Transcription
00:00Toute mon adolescence, j'ai vraiment pesté parce que je n'aimais pas marcher.
00:09Si on prend toutes mes expéditions, avec tous mes entraînements, j'ai fait la distance
00:14du tour de la thérapie.
00:15J'ai passé tellement de nuit le dos couché sur la terre qu'en fait, cette terre, je
00:24l'entends respirer.
00:26J'ai cette sensation au fond de moi qu'on est tous des superwoman et des superman.
00:38Je viens d'un petit village dans le Jura.
00:41J'ai été élevée un petit peu aux bordures de la forêt et puis vers les 6 ans, je suis
00:46partie tout naturellement avec un sac à dos et un chien dans une grotte à un kilomètre
00:51de là.
00:52Je n'ai pas annoncé la couleur à mes parents et cette sensation-là a nourri ce qui venait
00:59après.
01:00J'ai vraiment suivi cet appel quelque part du sauvage.
01:03Il y a quelque chose dans mon départ de vie qui a été vraiment crucial pour moi, ça
01:11a été les livres.
01:12Pour moi, le livre est un objet magique et indispensable.
01:17J'ai rencontré un personnage qui m'a filé un bouquin et ce livre, c'était « La traversée
01:22des Etats-Unis du Mexique au Canada » avec le Pacific Crest Trail.
01:27Il m'a dit « ça, je pense que ça va t'intéresser ». Il m'a remis le bouquin et ça a déclenché.
01:34Quelques mois après, je partais aux Etats-Unis toute seule.
01:37J'étais complètement inconsciente.
01:40Ça ne se faisait pas avant.
01:42Là, on n'avait pas Internet en ce moment-là.
01:43Donc, on ne pouvait pas aller googler Pacific Crest Trail avec 1 500 blogs, des millions
01:51de vidéos sur le sujet.
01:52Avant ça, il y avait les traversées de parcs nationaux et entre deux, il fallait naviguer
01:58à la boussole et à la carte.
01:59J'étais complètement inconsciente de ce que j'allais faire.
02:03C'est ça qui est magique, c'est que dans la vie de chacun et de chacune, on a toujours
02:07une première fois qu'on ne peut pas renouveler.
02:09Toutes les sensations étaient les premières.
02:11Donc, de commencer à dormir dans une forêt quand il n'y a pas un bruit et que tout d'un
02:16coup, on entend un bruit au fond de la forêt et que tout prend une dimension démesurée.
02:21Première fois confrontée à des grizzlies, première fois bloquée sur un sommet six
02:25jours, première fois à être bloquée parce que j'ai traversé des terres qu'il ne fallait
02:31pas traverser et puis qu'on m'a arrêtée, première fois d'avoir aidé quelqu'un.
02:36On s'est retrouvés avec un homme à moitié mort au milieu d'une rivière.
02:40On a organisé une rescue.
02:42Il y a la peur, il y a la faim, il y a la douleur physique, il y a le manque d'équipement,
02:50il n'y a pas le bon équipement.
02:52J'ai traversé l'Oregon où il n'y a plus pendant 30 jours, ça ne s'est jamais arrêté.
02:56Comment on fait dans ces cas-là quand on ne sait pas ce qu'on fait ?
02:58Ben, ça va tout seul.
03:02Quand je parle, moi, toujours de notre feu intérieur, c'est cette petite flamme qui
03:07nous titille à l'intérieur et qui nous guide sur le bon chemin.
03:11C'est ça, c'est-à-dire que mon feu, il était à fond.
03:15Toutes ces premières fois nourrissaient ce feu et peu importe ce qui m'arrivait, j'étais invincible.
03:22Les expéditions où j'ai poussé mes limites, c'est à chaque fois la dernière expédition.
03:26Chaque expédition laisse un petit trauma au passage.
03:28L'important, c'est d'utiliser ces traumas comme une espèce de marche pour aller plus loin.
03:34Une expédition qui a été compliquée pour moi, c'est la Tasmanie, par exemple,
03:38où il n'y a plus, il n'y a plus, il n'y a plus, ça n'a jamais arrêté de pleuvoir pendant trois mois quasiment.
03:42Et puis, tout d'un coup, la chute.
03:44Une chute dans une gorge tellement étroite et profonde que, perte de connaissance,
03:49je reprends connaissance, je suis au fond de la gorge
03:52et je remarque que le sommet de la gorge, il y a un petit triangle de lumière
03:57et que mon téléphone satellite et mon tracker ne vont pas sortir de là.
04:01Et il s'est avéré, après coup, que j'ai eu l'humérus du bras gauche qui était cassé net,
04:07donc l'épaule cassée et je suis sortie avec un sac de 35 kilos sur le dos
04:12en rampant pendant trois jours de cette gorge.
04:14Une fois que j'ai réussi à sortir de là, à avertir ma chef d'expédition en Suisse
04:19pour faire une évacuation avec un hélicoptère,
04:21il fallait trouver un endroit où l'hélicoptère pouvait atterrir.
04:24J'avais encore du trajet à faire.
04:26La douleur était telle que je n'avançais pas.
04:28La densité des buissons horizontaux, il y a plusieurs couches de végétation très denses,
04:35c'est un peu des murs végétaux.
04:37Donc, en fait, je me suis retrouvée bloquée, debout, hors de ma gorge,
04:41avec un sac de 35 kilos et une épaule cassée.
04:44Et là, je me suis dit, non mais Sarah, tu ne vas pas mourir debout dans une forêt en Tasmanie,
04:48ça s'exclut avec une épaule cassée.
04:50Ce n'est pas la fin, ce n'est pas maintenant.
04:51Et donc, c'est là où j'ai hurlé « I will never give up ».
04:58Et j'ai poussé comme un taureau en furie,
05:02et je suis tombée dans une clairière.
05:05Et c'est là où on ne connaît jamais le pas suivant,
05:10on ne sait pas ce qui arrive après, on ne peut pas savoir.
05:13Même l'esprit va faire ça en fait, il ne va pas vous pousser à faire ce pas.
05:17Il va vous dire, tu vois là-bas, il y a un mur, etc.
05:19Tu ne vas pas pouvoir passer, c'est clair, il ne faut pas le faire.
05:22Et nous, on va rester là, on va se dire, c'est vrai, je peux le voir, le mur, la calculation.
05:26En fait, je ne vais pas y aller.
05:27Alors qu'en faisant un pas après l'autre,
05:29on ne sait pas quel est le pas suivant et on ne sait pas où on va.
05:41La fin, c'est comme un démon vert à l'intérieur.
05:45Par exemple, si on prend une expédition qui m'a beaucoup marquée,
05:50c'est l'expédition de survie en Australie,
05:52où j'ai traversé les Kimberley, qui est une zone très, très difficile.
05:58J'ai eu faim, c'était...
06:00Au bout de trois semaines, j'ai perdu 12 kilos.
06:02Je pensais que j'avais atteint ma tolérance à la fin,
06:06alors qu'il me restait plus de deux mois derrière moi.
06:09Ça me rongeait l'intérieur, les tripes, la tête, le cœur.
06:14C'était intenable.
06:16Et un jour, j'ai eu soif.
06:19Donc, j'ai changé de direction complètement.
06:22J'ai passé une vallée, il n'y avait pas d'eau.
06:25Deux vallées, il n'y avait pas d'eau.
06:26Et au bout de trois jours,
06:29je n'avais vraiment pas encore bu d'eau.
06:31Donc, j'étais dans une zone rouge et je me suis dit,
06:34maintenant, je ne peux plus dormir tant que je n'ai pas bu d'eau.
06:38Je dois continuer jusqu'à ce que j'ai trouvé de l'eau.
06:41Et tout d'un coup, je me suis rendu compte que je n'avais plus faim.
06:43Cette faim avait disparu parce qu'il y avait une priorité supérieure,
06:46et c'était l'eau.
06:47Le soir, avant de m'endormir, je décide de faire un plan
06:51jusqu'au prochain point d'eau, que je sais où est l'eau.
06:53Il faut marcher en cours de douze heures.
06:55Je prévois chaque minute presque.
06:58Tout est prévu.
06:59Je me réveille le matin, je me dis,
07:00je sais exactement, j'ai dans ma tête le plan et tout.
07:03Et tout d'un coup, je fais 400 mètres
07:06et je vire à droite au lieu d'aller tout droit.
07:09Et là, à un moment donné,
07:12il y a quelque chose qui se passe et je n'arrive pas à le quantifier.
07:16Je suis cet appel à droite.
07:20Je descends ce rocher.
07:23Je fais à peine quelques kilomètres et j'arrive au fond du rocher.
07:28Dans une plaine d'herbe assez haute,
07:31il y a une espèce de petite ouverture au sol.
07:36Et c'est une petite réserve d'eau, magnifique, pas polluée,
07:41claire comme de l'eau de roche.
07:44Et là, je sais que j'ai été guidée par quelque chose.
07:47En vivant des expéditions comme celle-là,
07:50proches de la nature, avec des manques comme l'eau
07:53et les choses qu'on a besoin de basiques.
07:55Eh bien, à un moment donné, j'arrive dans une zone
07:59où je dois croire à autre chose.
08:02Mais ce n'est pas intellectuel.
08:04C'est vraiment une espèce de sensation d'amour complet
08:09qui se dégage de la nature et qui, cette fois-là, m'a sauvée la vie.
08:27On n'utilise qu'une petite partie de nos capacités
08:30et chaque expédition repousse mes limites,
08:33quelque part, si on peut appeler ça des limites,
08:35repousse à chaque fois ma démarche un peu plus loin,
08:40dans une zone différente.
08:41Donc, j'ai fait des expéditions sur de très longs termes.
08:43J'ai fait des expéditions de survie.
08:44J'ai fait des expéditions avec une logistique incroyable,
08:47mais pour pouvoir traverser des zones
08:49qui ne sont pas traversées d'habitude.
08:52Chaque expédition, pour moi, je veux découvrir quelque chose d'autre.
08:56À chaque fois, il y a toujours un but
08:57d'avoir une réponse à une question de départ.
09:01Par exemple, dans les Kimberley,
09:04j'ai été déposée avec un hélicoptère au bord de la mer
09:08et j'ai marché jusqu'à la civilisation pendant trois mois en mode survie.
09:12Et je voulais savoir si, en tant que blanche sur cette planète,
09:15si j'allais avoir cette capacité de survivre,
09:19après 20 ans, bien sûr, d'apprentissage de la pharmacopée et des plantes, etc.
09:25Mais à un moment donné, il faut y aller.
09:27À un moment donné, il faut sauter dans le vide.
09:28Et ce saut dans le vide, il n'est pas négociable.
09:32Cette zone d'inconnu, là,
09:34cette zone où on arrive, on ne sait pas où on met le pied,
09:37ça, c'est indispensable à l'évolution de notre humanité.
09:41Donc cet inconnu, il est tout le temps là, jour, nuit.
09:45Il ne dort pas.
09:46Vous, vous dormez, l'inconnu ne dort pas.
09:48Donc il peut frapper à tout moment.
09:50Donc toute cette connaissance et tout ce qu'on peut avoir comme sécurité,
09:54entre guillemets, au niveau mental, il faut le lâcher
09:57et devenir animal et retrouver son animalité à l'intérieur.
10:02À la fin de la journée, je me disais toujours,
10:04je suis vivante, tout va bien aujourd'hui.
10:09À chaque fois que je suis arrivée devant ce qu'on peut appeler une limite,
10:13c'est-à-dire un gros mur où on se dit, on ne peut pas aller plus loin,
10:17eh bien, en arrivant devant le mur,
10:19il y a une petite porte qui amène au niveau supérieur.
10:23Et là, pendant quelque temps, c'est facile.
10:25La fois, par exemple, où je suis en face des narcotrafiquants
10:30dans la jungle de nuit au Laos, pendant mon expédition de trois ans,
10:34je vois bien qu'ils ont les yeux qui sortent de la tête.
10:37Ils sont sous narcotiques.
10:40Ils sont beaucoup.
10:41Et donc là, je choisis une technique.
10:44Je choisis une technique que les Chinois m'ont un peu enseignée.
10:49Donc je prends le petit guidebook de la région et je prends la langue.
10:53Il y avait quatre, cinq phrases à dire.
10:55Et je dis, je viens de Suisse, je suis une touriste.
10:58Je répète cette phrase inlassablement pendant trois heures sur le même ton,
11:04parce que les mots ont une puissance et le son de la voix aussi.
11:07Ils me prennent tout ce qu'il y a et donc ils compriment mes papiers d'identité.
11:11Et puis, je continue inlassablement à répéter la même chose.
11:15Des gens comme ça, sous narcotiques, eh bien, ils n'ont aucune patience.
11:19Je les ai bien énervés. Ils ne savaient pas quoi faire de moi.
11:21Ils ont piqué ce qu'ils avaient à voler.
11:23Puis, ils sont partis.
11:25Je ne me dis pas à ce moment-là, je vais faire ça.
11:26Non, c'est instinctif.
11:29Je me suis dit, moi, j'en ai marre de moi-même, de m'entendre répéter ça.
11:34Je n'ai pas lâché, je n'ai pas lâché.
11:36J'ai utilisé le même rythme et j'ai insisté, j'ai insisté, j'ai insisté.
11:40En fait, il ne faut jamais lâcher.
11:42Peu importe la situation dans laquelle vous êtes,
11:46aussi dramatique qu'elle puisse être,
11:49la solution viendra de l'intérieur, toujours.
11:52Et de votre foi, de votre foi en vous-même.
11:58Moi, tous les matins, je me réveille.
12:00Je remercie la planète d'être encore vivante aujourd'hui.
12:02Si on commence à s'arrêter et à pleurer
12:06au moment où il faut être le plus présent et sauver sa peau,
12:09c'est la fin du monde.
12:10C'est ça qui tue.
12:15Dernière expédition en traversant le désert du Great Victoria et du Gibson.
12:22Avec 60 kg au bout des bras et 22 kg dans le dos.
12:25En fin de journée, on a l'impression que c'est la dernière.
12:30C'est toujours la dernière.
12:32Et le lendemain matin, je me réveille et ça recommence.
12:35En fait, quand les choses paraissent impossibles,
12:38il y a une technique que j'utilise et qui est connue de plein de monde.
12:42En l'occurrence dans les forces spéciales, en l'occurrence des grands sportifs.
12:46C'est la technique du salami.
12:47Quand on est dans une zone limitante et on se dit qu'on ne va pas y arriver,
12:52on coupe la journée en deux.
12:54Si durant cette demi-journée, on n'arrive pas à arriver à notre objectif,
12:58on coupe encore en deux.
12:59Je me mets toujours un petit sucre au bout.
13:01C'est-à-dire que moi, ce qui me régénère, c'est le thé.
13:03Je me dis, Sarah, dans 20 minutes, tu te fais un thé.
13:06Tu vis ces 20 minutes, tu arrives à 20 minutes.
13:10Et 20 minutes plus tard, j'ai ma montre.
13:1220 minutes plus tard, chrono, je m'arrête, je fais un thé.
13:15Et le fait de faire un thé, de sortir mes affaires,
13:18de manipuler ma petite théière, monter ma tasse, chercher mes affaires,
13:21ce sont des gestes qui font diversion dans l'esprit
13:25et qui recèdent l'esprit.
13:29Et si tout va mal, je monte ma tente et je dors.
13:3120 minutes s'il faut.
13:33Et je déconstruis comme ça ma journée jusqu'au moment où j'arrive à la fin.
13:38Mais je ne lâche jamais rien.
13:41Moi, je ne m'arrête pas au milieu.
13:43Moi, j'ai commencé, je vais aller au bout.
13:45En fait, le doute n'existe pas parce que le doute est une démarche mentale.
13:49Arrêter une expédition pour une raison Y,
13:52de renoncer à quelque chose quand j'ai commencé, c'est exclu.
13:55Peut-être que je vais devoir faire des détours.
13:57Ce n'est pas le renoncement, c'est comment je vais y arriver.
14:01Si la solution n'apparaît pas, c'est que l'esprit n'est pas ouvert.
14:07Il a fallu attendre avant que les gens m'annoncent que j'étais aventurière.
14:11Mais moi, j'étais toujours cette petite gamine
14:13qui voulait aller voir les chauves-souris dans la grotte à un kilomètre de la maison.
14:17Cette curiosité, elle est toujours là et ce feu intérieur qui m'anime,
14:21c'est le mien et c'est ma mission qui est très claire,
14:25d'être le petit pont entre les humains et la nature.
14:31On met beaucoup de valeur sur l'intellect,
14:33alors que moi, j'ai envie de vous dire,
14:35oubliez un peu l'intellect et vivez avec votre animalité.
14:39Déjà, vous allez avoir une vie surprenante.
14:42Et puis l'aventure est au quotidien, l'aventure est un état d'esprit.

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