Notre correspondant aux Etats-Unis, Maurin Picard, analyse la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine.
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00:00Donald Trump sera le 47e président des Etats-Unis, le compte des grands électeurs est suffisant,
00:05et ce, même si tous les Etats n'ont pas encore rendu leur verdict.
00:08On annonçait un scrutin serré, le résultat ne l'est pas, on annonçait des recours,
00:15on annonçait des jours et des jours pour tout dépouiller, finalement tout a été
00:19plus vite que prévu, alors comment expliquer cette victoire entre guillemets facile du
00:23candidat républicain, c'est ce qu'on va voir dans un instant.
00:31Et on va voir ça avec notre correspondant aux Etats-Unis, Maurin Picard, bonjour Maurin.
00:37Bonjour.
00:38Pour le contexte, on précise que vous avez veillé tard dans la nuit, et là chez vous
00:42c'est le tout petit matin, et entre le moment où vous vous êtes couché et celui où vous
00:46vous êtes réveillé, la victoire de Donald Trump est devenue officielle ?
00:50Oui, elle était perceptible, probablement dès 22h, 22h30, les premiers résultats
00:57partiels qui parvenaient sur les chaînes de télévision semblaient indiquer des marges
01:04inattendues pour Donald Trump et des faiblesses de marge pour Kamala Harris dans des comtés
01:09où elle était censée rouler, marcher sur la mécanique républicaine, donc il commençait
01:16à y avoir des indicateurs d'une, sinon une victoire de Trump, du moins une victoire compliquée
01:21de Kamala Harris, ça c'était dès 22h, et évidemment à mesure que la nuit avançait,
01:27ces tendances se sont confirmées, Kamala Harris a sous-performé pour utiliser un anglicisme,
01:33elle n'a pas atteint les objectifs, et encore moins dépassé les objectifs qui étaient fixés
01:37par sa campagne, c'est-à-dire de faire le plein de voix, de ces réservoirs de voix
01:41qui auraient pu lui permettre de passer au-dessus de son rival, et puis il faut peut-être quand
01:47même prendre la chose dans l'autre sens, c'est une victoire stupéfiante de Donald Trump qui
01:52a vraiment, lui, très largement dépassé tous ses objectifs.
01:56Oui, c'est ça, parce qu'avant le scrutin, on parlait à la fois d'un duel serré au niveau des résultats,
02:00on parlait aussi de recours potentiels, de recontages interminables, au final, le résultat
02:06semble limpide, aussi bien dans les chiffres que dans l'organisation du scrutin, et l'organisation
02:12de la proclamation des résultats, en tout cas.
02:15Oui, on peut dire que d'un côté, toutes ces menaces de dépôt de plaintes dans les comtés
02:21bascules, dans les États-clés, n'auront pas lieu, puisque c'était essentiellement lié à des
02:27activistes ultra-conservateurs soutenant le candidat républicain Donald Trump, tout ça va
02:35disparaître d'un coup de baguette magique, il n'y aura probablement aucune contestation du vote
02:39en Pennsylvanie, en Arizona ou ailleurs. Par ailleurs, ce n'est pas du tout une victoire
02:46serrée pour Donald Trump. En l'état actuel des choses, Trump a 5 millions de voix de plus que
02:52Kamala Harris à l'échelle nationale, c'est énorme, c'est prodigieusement énorme, c'est-à-dire qu'il
02:58remporte le vote populaire et le vote décisif dans les États-clés, c'est donc une victoire
03:04très nette, sans appel, qui sera peut-être un tout petit peu réduite par le dépouillement
03:09ultime d'ici à la fin de la semaine des bulletins arrivés par voie postale ou alors par voie en
03:15vote anticipé mais non encore comptabilisé, puisqu'on sait que certains États ont plus de
03:19mal à avancer rapidement dans le dépouillement de millions de voix, mais la défaite de Kamala
03:25Harris ne fait absolument aucun doute et c'est pour ça qu'Associated Press, l'agence qui fait
03:29autorité en matière de comptage rigoureux, a déclaré Donald Trump vainqueur, je crois,
03:35aux alentours de 5 heures du matin à l'heure de la coteste. Comment est-ce qu'on peut expliquer
03:40ce raz-de-marée ? C'est juste les sondeurs, les observateurs qui se sont trompés ou Donald Trump
03:45a juste surperformé, au contraire de ce que vous disiez sur Kamala Harris ?
03:50Oui, alors c'est évidemment un grand débat qui va probablement durer pendant un long moment. Est-ce
04:00que les sondeurs se sont trompés ? Ils ne se sont pas trompés dans la mesure où ils avaient annoncé
04:05en tout état de choses une élection extrêmement serrée. On disait que l'Amérique était partagée
04:11entre deux camps qui étaient tous les deux autour de 48%. Alors ça, c'est une mesure théorique qui
04:19consiste à dire que si les deux camps font le plein, on est à 48% partout. Maintenant,
04:23on prend cette base des 48%, on voit que Donald Trump est passé au-dessus, il a gratté à l'échelle
04:29nationale 51% des voix et Kamala Harris qui aurait dû ou pu essayer de faire 48% est autour de 47%
04:38en l'état actuel du score national, de la statistique qui englobe les 50 États fédérés
04:43que comptent les États-Unis. Elle a donc sous-performé, il a surperformé, sa performance
04:48est absolument exceptionnelle puisqu'il arrive à dépasser ses objectifs dans tous les pans de la
04:54société, de la population active, des électeurs. Il arrive à glaner des voix de manière encore plus
05:00remarquable qu'en 2016 face à Hillary Clinton chez les électeurs latinos, chez les noirs,
05:05chez les femmes, dans tous ces secteurs de population où Kamala Harris devait évidemment
05:11faire mieux que Joe Biden en 2020 pour pouvoir espérer l'emporter. Est-ce qu'il faut s'attendre
05:17à un Donald Trump différent de celui de son premier mandat parce qu'on a suffisamment répété
05:22qu'au moment de son premier mandat, il ne s'y attendait absolument pas et donc il n'était pas du tout
05:25préparé. Cette fois-ci, il est préparé, il est entouré, il est bien entouré et puis il a une
05:31espèce de revanche à prendre sur le système depuis les événements de 2020 notamment.
05:36Oui, c'est exactement ça. Il y a deux points. Premièrement, comme tu viens de le dire,
05:41Donald Trump est préparé. Son cercle de collaborateurs, de stratèges a anticipé cette
05:47victoire avec une confiance, il faut le dire, assez remarquable, très en amont et a mobilisé deux
05:53instituts stratégiques conservateurs, de réflexion conservateur, pour commencer à poser les jalons
05:59d'une future administration Trump 2.0. Ces gens-là travaillent depuis plusieurs années à la
06:04constitution de cette administration et c'est en contrepoint, en réaction on pourrait dire,
06:09au chaos qui avait succédé à la victoire surprise de Donald Trump en novembre 2016 et qui avait
06:14entraîné une période de transition totalement désordonnée, chaotique, pour rester poli et qui
06:22avait forcé Donald Trump finalement à choisir des membres de son administration un petit peu au
06:27gré de ses intuitions. Il voulait des généraux à l'époque, ça s'est avéré extrêmement
06:30contre-productif puisque ces généraux sont devenus des garants de la démocratie face à un président
06:35qui était totalement incontrôlable. Il ne refera plus cette erreur. Les gens qui l'ont aidé à
06:40constituer sa future administration, puisque des noms vont bientôt sortir, ont travaillé en amont
06:44et ont dit qu'ils auraient eu plus de 10 000 noms pour remplir tous les postes de décision au sein
06:50de cette future administration qui verra le jour le 20 janvier 2025. Et en plus c'est un président
06:56qui aura les coups des franges parce qu'au niveau politique, on l'a dit, il va reprendre le contrôle
07:03de la Maison-Blanche mais les Républicains vont reprendre le contrôle du Sénat. C'est toujours
07:08en balance pour la Chambre des représentants. Il y a la Cour suprême qui, on le sait, est composée
07:12de juges principalement nommés par Donald Trump. Ça veut dire que toutes les institutions qui sont
07:18censées faire office de contre-pouvoir, elles sont avec lui ? Oui, c'est une vague rouge. Une vague
07:25rouge comme les Républicains pensaient voir déferler en novembre 2022 pendant l'exécution
07:32parlementaire de mi-mandat. A l'époque, cette vague rouge avait été enrayée par l'abrogation
07:37du droit constitutionnel à l'avortement par une Cour suprême ultra conservatrice. Par ricochet,
07:43l'effet lutte pour la protection des droits à l'avortement n'a pas fonctionné dans le
07:48camp démocrate. Donald Trump a les coups des franges. La Chambre des représentants était
07:52déjà très marginalement majoritaire républicaine. Il est possible et très probable même que les
07:58Républicains conservent le contrôle de la Chambre et donc le Sénat bascule côté républicain. Ce n'est
08:04pas une victoire absolue dans la mesure où pour avoir véritablement les coups des franges et par
08:10exemple imposer de nouveaux amendements à la Constitution, on peut imaginer Donald Trump
08:14décidant que l'amendement adopté en 1945 pour limiter à deux mandats une présidence américaine
08:22pourrait être retoqué par son bon vouloir. Là, il faut une majorité qualifiée absolue de 60
08:30sénateurs sur 100. On n'en est pas là. Visiblement, les Républicains n'atteindront pas ce score,
08:37mais ils reprennent le contrôle du Sénat, ce qui veut dire que le Congrès entier,
08:40les deux Chambres passent effectivement ce contrôle républicain, ce qui rendra toute
08:45législation beaucoup plus commode pour les Républicains. Et donc, la future administration
08:51Trump va pouvoir appliquer un programme très conservateur. On parle de l'annulation probablement
08:57du ministère de l'Éducation, ce qui serait absolument sidérant, c'est-à-dire renvoyer
09:02aux États fédérés la politique des programmes scolaires, puisqu'évidemment, les Républicains
09:08sont vent debout contre toutes les réformes récentes visant à imposer des programmes sur
09:14l'enseignement de l'esclavage et sur la question multiraciale, etc. Mais il y a aussi beaucoup
09:20d'autres points qui posent problème. Est-ce que Donald Trump et ses alliés ultraconservateurs
09:24vont se sentir tellement le vent en poupe qu'ils vont tenter d'imposer un moratoire,
09:29une abrogation nationale du droit à l'avortement par une loi fédérale ? C'est ce que veut,
09:33on le sait, son vice-président, le nouveau vice-président J.D. Pence. Donald Trump,
09:37lui, le voyait sur le sujet parce qu'il avait peur que l'avortement pose problème. Mais
09:42évidemment, maintenant, tout est possible. Si on se place de l'autre côté, parce que là,
09:46on a beaucoup parlé des vainqueurs. Un petit mot pour le camp des perdants aussi. C'est une
09:51défaite pour qui ? Pour Kamala Harris ? Pour Joe Biden ? Pour tout le camp démocrate ?
09:55Il y a un effet mécanique dans la victoire des Républicains et donc la défaite corollaire des
10:02démocrates. C'est la sanction d'une administration qui n'a pas su enrayer une inflation aiguë,
10:08notamment autour de l'année 2022, qui est bien évidemment une conséquence de la pandémie de
10:13Covid-19 en 2020-2021. L'inflation a atteint de tels niveaux aux États-Unis en 2022, le doublement
10:20du prix de l'essence à la pompe, que les Américains sont toujours, on va dire, scarifiés
10:25par ces problèmes-là. Le coût de la vie a augmenté, le prix des denrées de base a tellement
10:29augmenté. C'est principalement l'explication de ce qui s'est passé cette nuit aux États-Unis.
10:34L'inflation a pris le dessus sur toutes les autres considérations, les flux frontaliers qui sont
10:40aussi un handicap pour l'administration Biden, mais bien évidemment la protection de l'IVG,
10:46de l'interruption volontaire de grossesse. C'est aussi évidemment une sanction de Joe Biden,
10:50qui était le président pendant les quatre dernières années, et pour Kamala Harris,
10:54non pas pour la campagne qu'elle vient de mener. Elle a reconnu elle-même qu'elle n'était pas
10:58parfaite, qu'elle avait fait des erreurs, mais parce qu'elle était la vice-présidente dans
11:01cette administration Biden. Donc, elle espérait incarner le changement. Elle n'a pas réussi,
11:06elle a été sanctionnée comme la colistière d'un président démocrate qui n'a pas su satisfaire
11:12les attentes, les grands espoirs de rétablissement économique des foyers américains. Sa campagne
11:17restera tout à fait honorable, trois mois pour mener une mission quasi impossible, puisqu'on se
11:24rappelle qu'elle a remplacé Joe Biden seulement le 21 juillet. Ça n'était jamais arrivé dans
11:30l'histoire des États-Unis, puisque même en 1968, Lyndon Johnson avait jeté l'éponge en mars pour
11:35être remplacé par un autre démocrate. Donc, c'était une première, c'était un pari très risqué,
11:41et elle l'a perdu. Merci beaucoup, en tout cas, Morin, pour cette analyse de qualité. Une de
11:48plus, toutes les autres, comme celle de Morin, comme celle des journalistes du Pôle international,
11:53sont évidemment à retrouver sur notre site et dans notre application.