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Une enquête parue ce mercredi 13 novembre note un "paradoxe contemporain de la sexualité" en France avec notamment des Français qui ont plus de partenaires, plus de pratiques diverses et une sexualité numérique grandissante mais, dans le même temps, cette étude observe une baisse de certains indicateurs d'activité sexuelle. Cette enquête, réalisée par l'Inserm, l'ANRS et Santé publique France, est l'aboutissement d'un travail de cinq années de collecte de données après de 32.000 participants. La sexologue Thérèse Hargot était l'invitée de Première édition pour en parler.

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Transcription
00:00Merci d'être avec nous, sexologues, pour commenter ensemble l'évolution de la vie intime des Français.
00:05Voilà, on choisit les mots à l'heure du petit-déjeuner, évidemment, il y a du monde devant la télé.
00:08Sur l'asexualité en France en 2023.
00:11Oui, grande enquête de l'INSERM publiée hier.
00:14Ça fait longtemps qu'on n'avait pas eu une étude de l'INSERM sur ce sujet et elle est vraiment très intéressante.
00:18L'asexualité des Français en 2023, c'est ainsi que s'intitule cette enquête.
00:23Avant de vous entendre, Thérèse Argaud, on a voulu donner la parole aux Français sur ce qui se passe dans leur lit, ou ailleurs que dans le lit d'ailleurs.
00:31Regardez.
00:33J'ai des amis autour de moi qui, effectivement, font beaucoup de rencontres et oui, ils multiplient, ou non, les expériences sexuelles.
00:42Moi, je suis plutôt vieille prince, bon, nous on est fidèles avec mon époux, c'est vrai que c'est une longue histoire.
00:49Moi, ma vision des choses, ce n'est pas les coups d'un soir ou quoi.
00:54Le polyamour, c'est ça ? Oui, moi, je le comprends.
00:57Tu le pratiques ?
00:58Non, je le pratique aussi, je pourrais le pratiquer.
01:01J'ai un partenaire que j'ai depuis 45 ans et nous pratiquons ensemble.
01:07C'est assez intéressant parce que la parole, d'abord, elle est très libérée, quel que soit l'âge.
01:11C'est déjà assez nouveau, ça, non ?
01:13Tout à fait. Vraiment, on peut parler des choses intimes aujourd'hui et ça, c'est un grand changement déjà.
01:17Qu'est-ce qui vous a surpris dans cette étude ?
01:19Pas grand-chose, en fait, pour être très honnête, parce que depuis mon poste d'observation,
01:22depuis mon cabinet où je reçois des hommes, des femmes, des personnes en couple ou célibataires,
01:26et puis aussi, j'interviens beaucoup dans les lycées.
01:28Moi, en France, chaque semaine, j'interviens auprès des lycéens, des collégiens pour leur parler d'amour et de sexualité.
01:32Donc, quand on est sur le terrain, on a déjà pu faire ces observations qui sont aujourd'hui montrées, chiffrées au travers de cette enquête.
01:39Plus de partenaires, moins de tabous, ce n'est pas ça qui ressort aussi ?
01:42Alors, c'est sûr, moins de tabous, plus de partenaires aussi. Pourquoi ?
01:45Parce qu'on nous a dit qu'il fallait aujourd'hui multiplier les expériences pour apprendre à se connaître.
01:49Et on voit bien, ça commence dès l'adolescence, où il faudrait vivre pas mal de choses pour savoir ce qu'on veut.
01:54Ça, c'est une nouvelle injonction. À l'époque, c'était le contraire.
01:56Il ne fallait surtout pas avoir de partenaire sexuel avant de se marier.
01:59Et aujourd'hui, eh bien, c'est ça, le devoir.
02:01Vous dites injonction ?
02:02Oui, c'est une injonction, c'est-à-dire que j'ai même des jeunes qui viennent me voir en me disant
02:06« Madame, mais moi, je n'ai pas vraiment eu des expériences sexuelles. Est-ce que c'est grave ? »
02:10Ils se sentent presque parfois coupables de ne pas être dans cette proposition qu'il y avait aujourd'hui,
02:15c'est-à-dire d'avoir beaucoup d'expériences.
02:17Que vous direz ? Pardon, vas-y.
02:19La norme a changé, c'est ça que je veux dire.
02:20On dit plus de partenaires, mais j'ai l'impression qu'il y a aussi la parole qui se libère pour dire qu'on fait moins l'amour, en fait, tout simplement.
02:26Alors, ça, c'est très, très nouveau. On va dire juste après le confinement.
02:29Aujourd'hui, il y a de plus en plus de couples ou de personnes qui vont dire
02:32« J'ai pas de rapport sexuel » ou « de moins en moins ».
02:34Vous savez que c'est quand même la première raison pour laquelle les gens viennent nous consulter.
02:37C'est qu'ils n'ont plus de relation sexuelle, ou presque plus, et ils se disent « Qu'est-ce que ça vient dire de notre relation ? »
02:42Donc voilà, c'est vrai que c'est un vrai phénomène de société aussi.
02:44Est-ce qu'on ne fait pas moins l'amour ? Parce que faire l'amour aujourd'hui peut faire peur,
02:47c'est-à-dire qu'on est dans un système complètement débridé, décomplexé, multiplication des partenaires.
02:52C'est ce qu'on voit un peu sur les réseaux, les sites de rencontres.
02:58Ça fait peur, et donc du coup, on se met en retrait, non ?
03:00C'est ce qu'on appelle aussi des « angoisses de performance » qu'on connaît bien, nous, les sexologues.
03:03C'est-à-dire qu'on a peur de ne pas réussir à être à la hauteur, de ne pas réussir à performer comme on nous dit qu'il faudrait performer.
03:09Et dans la sexualité, il y a beaucoup cette injonction-là qui nous vient, on le sait aussi, de l'industrie pornographique,
03:14qui s'est introduite dans nos vies depuis à peu près les années 2000.
03:18On dit que ça a toujours existé, mais avec Internet, ça a explosé.
03:21Et donc, c'est vrai que parfois, par peur, on peut avoir des stratégies d'évitement.
03:24Ça veut dire qu'on va éviter la rencontre.
03:26On va préférer une petite série Netflix plutôt que se retrouver.
03:29On va préférer discuter par message plutôt qu'une rencontre en présentiel.
03:33Et c'est vrai que, moi, je l'observe et je le dis depuis de nombreuses années,
03:36aujourd'hui, il y a beaucoup de peurs qui sont liées à l'intimité sexuelle.
03:40Question de téléspectateurs. Antoine.
03:44Oui, on a une question de Geoffrey. Geoffrey qui nous vient de Nice et qui a vu dans cette étude
03:48qu'il y avait une baisse de la fréquence des rapports sexuels.
03:51Et il voulait savoir, en fait, qu'est-ce qui expliquait cette baisse de fréquence ?
03:54Oui. Il y a plusieurs raisons. Donc, il n'y en a pas qu'une. C'est multifactoriel.
03:58Par exemple, une des raisons que je pense que tout le monde peut comprendre,
04:01c'est qu'il y a un petit objet qui s'est introduit dans nos chambres à coucher,
04:04le portable, qui est arrivé. Et donc, c'est vrai que ce portable qu'on va consulter
04:08depuis son lit, on va regarder des séries, on va regarder des émissions,
04:12on va regarder des différentes applications, les réseaux sociaux, etc.
04:17Et donc, on voit aussi que ce petit objet... Alors, on connaissait la télévision
04:20qui était déjà dans la chambre à coucher, mais alors le portable, c'est pire
04:23parce que c'est individualisé. Et donc, là, déjà, c'est une première explication.
04:26L'autre explication, c'est que sur cet objet, il y a aussi plein de propositions
04:30qui sont faites pour satisfaire nos envies sexuelles. Et donc, je reparle
04:34de la pornographie parce qu'il faut en parler un quart des Français en consomment
04:37une à plusieurs fois par semaine. C'est un gros tabou, pour le coup,
04:39dans notre société. Très peu de personnes parlent des conséquences
04:42de cette consommation-là. Moi, je suis une des premières à le faire,
04:44mais je tiens à insister sur l'importance que ça a dans notre façon d'envisager
04:48la sexualité, notre façon de la vivre aussi très concrètement.
04:51Et ça nous mène à la sexualité numérique. Une femme sur trois et près d'un homme
04:54sur deux a vécu une expérience sexuelle en ligne.
04:57Ah oui, beaucoup. Oui, en ligne.
04:59Mais de quoi on parle quand on dit un rapport sexuel en ligne ?
05:02Ça veut dire simplement qu'on va parler de sexualité, on va essayer d'atteindre
05:05une forme de jouissance, mais en utilisant son portable pour communiquer
05:10ou en regardant avec tout ce qu'on appelle les webcams, etc., les FaceTime.
05:14Vous connaissez toutes ces façons aussi de rester en contact.
05:16Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il y a ces dimensions vraiment plus virtuelles
05:21plutôt que de le vivre et de sentir la sexualité au départ.
05:24C'était justement cette rencontre un peu unique des corps avec tout ce que ça comporte,
05:30ce côté très incarné. Et on voit qu'on sort faire quelque chose qui l'est moins.
05:33Bon, est-ce que la France au lit est quand même une France heureuse ?
05:36Alors, pas très heureuse, justement. C'est pour ça que c'est bien en parler.
05:39Les gens ne sont pas très satisfaits, finalement, de leur intimité sexuelle.
05:42Et c'est dommage parce que c'est peut-être, à mon sens,
05:44une des plus belles choses à vivre sur Terre.
05:45Et donc, il y a vraiment cette insatisfaction qui reste.
05:47Donc, nous devons ensemble créer peut-être une autre façon d'envisager la sexualité.
05:51Peut-être qui est moins dans un objectif de performance pour atteindre du plaisir,
05:54mais peut-être plus relationnel.
05:56C'est-à-dire que c'est une façon, nous, les êtres humains,
05:58de créer de la connexion, de créer de l'amour.
06:00Et là, du coup, ça devient passionnant de vivre cette intimité-là.
06:04Je crois qu'il n'y a rien à rajouter.
06:06Sinon, donnez le titre de votre dernier ouvrage.
06:08« Tout le monde en regarde aux presses, comment le porno a détruit l'amour ».
06:12Voilà, c'était l'édition Alba Michel.
06:13Merci infiniment d'être venu nous voir ce matin.
06:15Merci d'en parler.
06:15Merci, au revoir.

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