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00:00– De retour dans votre émission Angle de vue, en compagnie de Victor Laszlo,
00:08une artiste définitivement plurielle, vous avez d'ailleurs choisi votre nom de scène
00:14en référence à Victor Laszlo, personnage culte du film Casablanca,
00:18symbole de la résistance anti-nazie dans le film.
00:22Pourquoi ce choix de patronyme ? J'imagine qu'il n'est pas anodin
00:26et est-ce que vous-même vous considérez comme une résistante ?
00:29– À terme, oui. Oui, à l'époque où je l'ai choisi, sans doute pas,
00:33mais je pense que je serais tombée sur n'importe quel patronyme non-masculin,
00:40je l'aurais choisi parce que mon idée c'était surtout de ne pas rester enfermée
00:45dans l'assignation que je me disais en tant que femme,
00:51portant un nom de femme, je risquais de rencontrer.
00:56J'ai toujours eu l'impression, j'ai vécu avec un père martiniquais,
00:59donc je pense que toutes les femmes du pays savent ce que c'est,
01:04qui m'a donné l'impression qu'en fait le pouvoir n'appartenait qu'aux hommes.
01:08Alors c'était pas très faux, surtout à l'époque, ça a pas mal changé,
01:13regardez-nous ici, mais je pensais qu'en prenant un nom d'homme,
01:20j'arriverais à atteindre un but, j'arriverais à atteindre des rêves
01:25qui me seraient interdits en tant que femme.
01:27Ça vous a porté chance, aujourd'hui, avec un peu de recul ?
01:30Ça m'a porté chance, je ne sais pas si ça m'a porté chance,
01:34mais en tout cas ça a permis à des journalistes de me poser une première question.
01:37Sur votre nom de scène.
01:40Alors on l'a dit, vous avez foulé les planches pour la première fois à l'âge de 11 ans
01:44dans une comédie musicale et ça a été le début d'une grande histoire d'amour
01:47avec la scène et les projecteurs.
01:49Vous entamez plus tard une carrière de mannequin pour les grands noms de la mode
01:53comme Thierry Mugler et Chantal Thomas.
01:55D'ailleurs je vois que vous regardez la photo que nous avons choisie,
02:00est-ce que vous pouvez nous la décrire, nous dire à quel défilé ça fait référence ?
02:04Je ne sais plus, vous en avez fait tellement en 18 mois, j'ai resté 18 mois mannequin.
02:09Donc finalement ça a été assez intense.
02:11Ça a été très très très intense, ça s'est terminé à Paris,
02:14dans la Cour Carrée du Louvre pour le défilé de Chantal Thomas.
02:17Ça c'était l'acmé de ma période mannequin, j'ai tellement détesté ce moment.
02:21C'est vrai ?
02:22Oh là là, c'était horrible, j'ai été victime de racisme en fait,
02:27pas pour la première fois en tant que mannequin, mais dans les cabines d'essayage.
02:31À cette époque-là, il n'y avait pas encore beaucoup de mannequins noirs ?
02:34Non, on était deux en Belgique, n'oubliez pas que j'ai démarré en Belgique.
02:37On était deux, il y avait une fille noire qui était plus grande que moi, très fine,
02:44qui était congolaise, et puis moi, qui étais cette espèce de machin avec un corps,
02:50pas du tout, pas un corps de mannequin comme on les conçoit aujourd'hui.
02:53Vous voyez, j'ai des bonnes cuisses, je suis plutôt, on dirait une nageuse.
02:57Après, les standards n'étaient pas non plus tout à fait les mêmes dans ces années-là.
02:59Non, c'est vrai que les standards n'étaient pas tout à fait les mêmes.
03:02Et d'ailleurs, c'est pour ça que Chantal Thomas m'a choisie.
03:04Elle est venue me chercher en Belgique et puis voilà, une fois arrivée à Paris,
03:08je me suis rendue compte que je n'avais rien à faire dans ce métier, rien du tout.
03:12Qu'est-ce que vous avez détesté d'ailleurs dans ce métier ?
03:15Oh, vraiment, l'absence de culture, de curiosité, une forme de, enfin à l'époque, une forme de bêtise.
03:26Il y avait très, très peu de filles qui avaient une vision de leur existence
03:32au-delà du métier de mannequin et de l'apparence.
03:36Moi, j'avais l'impression d'être un cintre.
03:38Quand je défilais, je me disais, voilà, on me met des vêtements dessus, je marche,
03:42je change, je touche de l'argent, je gagnais beaucoup d'argent et puis voilà.
03:45Mais j'ai toujours eu besoin d'une nourriture intellectuelle.
03:49Et cette nourriture intellectuelle, je ne l'ai jamais trouvée dans ce milieu-là.
03:53J'ai rencontré une figure intéressante, c'était Inès Delafressange.
03:58Formidable personne, intelligente, fine, drôle, avec qui j'ai défilé dans la cour carrée du Louvre.
04:06Mais sinon, c'était un petit peu insuffisant pour moi.
04:10Vous êtes, Victor Laszlo, une très belle femme, j'imagine qu'on vous le fait souvent remarquer.
04:15Est-ce que cette beauté a été pour vous un atout ?
04:19Est-ce que vous en avez joué ou est-ce qu'au contraire,
04:22ça vous a parfois enfermé, freiné quand vous avez voulu, par exemple,
04:26vous consacrer à d'autres activités ou même dans les rapports
04:28que vous avez pu avoir avec les gens à cette époque ?
04:32Oui, ça m'a plutôt freiné parce que je me souviens,
04:35le premier contrat que j'ai signé chez, à l'époque, CBS, ça n'existe plus.
04:42J'ai dit dans une interview, je pense que c'est la première interview que je fais,
04:48après qu'on m'ait demandé de poser pour des maillots,
04:51je leur ai dit, mon rêve c'est de pouvoir mettre une toge et qu'on n'écoute que ma voix.
04:58Ou éventuellement, ce que j'ai à dire, si ça intéresse les gens,
05:01mais qu'on écoute ma voix et qu'on ne regarde pas mon physique.
05:05Et puis, en grandissant dans ce milieu, je me suis dit, bon après tout, c'est un atout,
05:10donc autant s'en servir et c'est ainsi que je suis devenue un peu
05:16l'égérie de Mugler et de Dior à l'époque aussi.
05:20Et ce besoin de vous faire entendre à l'époque,
05:22c'est justement ce qui vous a fait basculer dans l'univers de la chanson ?
05:26Non, parce que la chanson, en fait, ça n'est pas moi qui suis allée spontanément.
05:34Je pense que c'est le regard des autres,
05:37c'est le regard, ce que je voyais dans les yeux des gens quand je chantais,
05:42qui m'a permis de me dire que ça procurait du plaisir à ceux qui m'écoutaient
05:49et que donc je devais peut-être avoir un petit talent quelque part.
05:53Et c'est comme ça vraiment que je suis entrée dans la chanson.
05:56Un producteur est venu me voir, il m'a dit, il paraît que tu sais chanter.
05:59Je dis, ah bon, qui c'est qui vous a dit ça ?
06:00Je n'ai jamais chanté en public, je n'ai jamais enregistré quoi que ce soit.
06:03Non, non, mais il avait le nez.
06:04Vous chantiez sous la douche, à minima ?
06:06Même pas, je jouais du violon, vous savez, j'étais violoniste,
06:09donc je continuais à jouer.
06:11Et c'est vrai que le violon, et ça, je remercie vraiment mes parents,
06:14mais jusqu'à la fin de mes jours, c'est que le violon vous donne une oreille,
06:18une oreille absolue.
06:20C'est tellement difficile à jouer, la justesse est tellement difficile
06:23à atteindre sur des cordes de violon que vous chantez juste,
06:26vous entendez juste, donc vous chantez juste.
06:29Mais non, c'est surtout, voilà, toujours faire plaisir aux autres.
06:34Ça a été un petit peu mon problème dans la première partie de mon existence.
06:37Alors justement, vous avez chanté du jazz, de la soul, du funk,
06:41en français, en anglais, vous avez chanté en créole.
06:43En allemand, en italien.
06:46Et vous avez aussi semblé, à travers votre carrière musicale,
06:50chercher aussi à réunir un peu toutes les pièces qui composent votre identité,
06:54c'est multiculturel.
06:56Pardon, j'ai surtout, pendant la première partie de ma carrière,
07:00suivi ce qu'on me proposait de faire, en disant ça j'aime, ça j'aime pas.
07:03Mais quand même, il y avait des maisons de disques derrière.
07:06Et puis tout à coup, il y a eu cette espèce de fin du milieu,
07:13enfin de l'industrie du disque,
07:15cette espèce d'explosion de l'industrie du disque
07:17avec l'arrivée d'Internet et du streaming, etc.
07:21Et à partir de là, je me suis dit, mais en fait, on n'en a rien à secouer,
07:24je vais faire exactement ce que je veux.
07:26Et depuis, je fais les albums que je veux.
07:28Le dernier et l'avant-dernier sont des albums.
07:31Un jour, je me suis réveillée, je me suis dit, tiens,
07:32j'ai envie de faire un songbook avec des chansons très presque folk.
07:37Et le dernier, je me suis dit, tiens, j'ai envie de faire un truc très jazz caribéen
07:42ou jazz sud-américain, en français, avec une chanson en créole, etc.
07:47Donc, voilà.
07:47Ça vous agace du coup qu'on vous reparle quand même assez souvent de Canoe et Rose ?
07:51Ça m'agace pas du tout.
07:52Merci, Canoe et Rose.
07:53Merci, Pleurée des rivières.
07:54Si je ne les avais pas chantées, je ne serais pas devant vous, sans doute.
07:59À partir des années 90, on vous retrouve également derrière le petit écran
08:03et le grand écran, à l'affiche de près de 48 films,
08:06une carrière dans laquelle vous vous êtes retrouvée.
08:08Est-ce que vous vous êtes trouvée à la hauteur ?
08:10Non, jamais.
08:11Et pourquoi, justement ?
08:14Parce que d'abord, je suis très traqueuse.
08:17J'ai un trac fou et je tremble.
08:22J'ai ce qu'on appelle les tremblements essentiels.
08:24Et il arrive que mon cou se mette à trembler.
08:26Et souvent, dans les castings qu'on me faisait faire,
08:29je me souviens d'un casting devant Bernard Giraudeau.
08:32Mais j'étais comme ça, je n'arrivais pas à maîtriser mon trac.
08:36Et donc, j'avais très peur de mal jouer.
08:39Le trac vous enlève un certain pourcentage de vos capacités.
08:44J'avais peur de mal jouer.
08:46Et puis, je trouvais que tout le monde était toujours meilleur que moi.
08:48Voilà, c'est juste le syndrome de l'imposteur.
08:51Mais ça, c'est un peu ce qui m'a habité du début jusqu'à aujourd'hui.
08:57Ça, c'est une constante.
08:59C'est intéressant que vous disiez ça, parce qu'effectivement,
09:00j'ai relevé que dans plusieurs interviews que vous avez données,
09:03où vous parlez de vos projets, que ce soit votre dernier ouvrage écrit,
09:07votre dernier album, vous avez cette répétition de langage
09:10qui n'est peut-être pas consciente, mais souvent vous dites,
09:13pour une fois, je suis fière de ce que j'ai fait.
09:16Ce qui est une phrase ô combien paradoxale quand on voit la carrière que vous avez.
09:21Est-ce à dire que vous êtes une perfectionniste ou une éternelle insatisfaite ?
09:25Je suppose que je suis menée par cette phrase de mon père,
09:28l'excellence toujours, et l'impression de ne jamais atteindre cette excellence.
09:34Je ne suis pas insatisfaite.
09:36J'ai toujours peur de mal faire, de ne pas appartenir.
09:40Ça, c'est un problème complètement géné...
09:42Enfin, c'est de la transgénéalogie.
09:45Quand on vient d'où nous venons tous ici,
09:48il y a un problème de légitimité parfois.
09:50Et moi, je crois que je suis un petit peu là-dedans.
09:53Qu'est-ce qu'il vous faudrait pour qu'un jour vous sentiez légitime ?
09:55Enfin, est-ce que c'est possible ?
09:56Je ne sais pas si ça arrivera.
09:58En tout cas, ce qui est important, c'est de rencontrer son public.
10:02Alors, pour les livres, c'est une autre histoire.
10:05Ça a été beaucoup plus difficile.
10:07Pour la musique, je pense que j'ai eu beaucoup...
10:11J'ai eu des très, très belles salles, des très beaux publics
10:13et toujours des fans qui me suivent aujourd'hui.
10:15Donc, je suis heureuse.
10:16Aucun ressentiment, aucun regret, jamais.
10:19On l'a dit, vous avez fait carrière à la télévision,
10:22quelques films de cinéma aussi.
10:24On a vu toute cette vague qui a émergé ces dernières années d'actrices
10:27qui ont pris la parole pour dénoncer certains comportements dans le cinéma.
10:32La vague Me Too, plus récemment aussi les actrices françaises.
10:35C'est quelque chose que vous avez connu,
10:37que vous avez vécu dans vos années d'actrice ?
10:41Alors, c'est une très bonne question
10:42parce que je me la suis posée quand ce mouvement est sorti.
10:46Je me suis rendue compte que, non, jamais...
10:50Alors, qu'est-ce que vous vous dites à ce moment-là ?
10:53Est-ce que c'est moi qui...
10:55Je faisais peur aux hommes, à ces producteurs ?
10:58Ils se disaient, non, celle-là, c'est écrit problème
11:00ou celle-là, c'est écrit pas tout.
11:02Je ne sais pas, je n'ai jamais été confrontée, jamais.
11:07Sauf, il y a 20 ans, sur un tournage de Navarro,
11:13j'ai un réalisateur qui, tous les matins,
11:17me faisait des réflexions grivoises.
11:19Genre, tu sens l'amour, tu dois pas faire ça.
11:21Donc, ça vous est arrivé, finalement ?
11:23La seule fois.
11:24Mais alors, comment je m'en suis démerdée ?
11:26C'est qu'en fait, quand j'ai réalisé que c'était du harcèlement,
11:30c'était encore pendant le tournage.
11:32J'ai dit ça à mon compagnon,
11:34qui a menacé d'aller casser la figure à tout le monde.
11:36Et je lui ai dit, non, on va faire autrement.
11:37Je vais aller sur le tournage demain matin.
11:39Je vais appeler le producteur exécutif et le producteur de...
11:43Et je vais leur dire ce qui se passe.
11:46Et que si le réalisateur ne s'excuse pas,
11:48ne reconnaît pas l'effet et ne s'excuse pas,
11:50j'abandonne la série.
11:51Et ça, c'est de l'argent et un procès.
11:55Et le type s'est excusé.
11:56Il m'a dit, je dois me faire soigner.
11:58Je te prie de m'excuser.
12:00Donc, il a reconnu l'effet tout de suite.
12:02Donc, si vous voulez, moi, être reconnue dans sa souffrance
12:06est déjà un grand pas.
12:07Mais c'était la seule expérience.
12:10C'est d'ailleurs un peu ce que cherchaient aussi
12:13C'est ce qu'elles cherchent, bien sûr.
12:15Elles ont bien raison.
12:16Faire comme vous, affronter directement le problème.
12:19Non, et ça encore, je pense que c'est vraiment dû à mon éducation.
12:25Et vous, vous validez leur démarche.
12:28Vous trouvez que ces mouvements ont été utiles
12:32pour changer les pratiques dans ce milieu du cinéma,
12:36de la télévision, des arts ?
12:38Je ne sais pas si... Oui, c'est utile.
12:41Evidemment, c'est utile.
12:42Et je pense que ça fait du bien,
12:44mais surtout dans les jeunes générations.
12:46Je pense que les vieux loups de l'ancienne garde,
12:50ils ne changeront jamais maintenant.
12:54Le problème avec tous ces mouvements, ce sont les excès.
12:57On va jusqu'à un certain stade de nécessité,
13:02même pas d'utilité, mais de nécessité.
13:04C'était extrêmement nécessaire.
13:06Et puis, il y a des excès, malheureusement,
13:09comme dans toutes les prises de position.
13:12Quand vous dites des excès...
13:13Des excès de...
13:16Voilà, quand tout le monde se jette sur une proie comme ça,
13:22simplement parce qu'un baiser dans le cou a été fait à l'insu de la personne.
13:30Je pense que ce n'est pas nécessaire.
13:32Je pense que ça fait du tort au mouvement.
13:34Je pense que ça fait du tort au mouvement,
13:35parce qu'il y a eu vraiment des dégâts, des dégâts psychologiques graves.
13:39Donc, il faut mesurer, quoi, mesurer en tout.
13:43Alors, en parallèle des plateaux de tournage et du micro,
13:47vous prenez aussi la plume.
13:49On va remarquer une dernière très courte pause avant,
13:53bien sûr, d'évoquer vos ouvrages, mais aussi et surtout le Festival
13:58en Pays Rêvé dont vous êtes la fondatrice, Victor Laszlo.
14:00À tout de suite.

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