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00:00Un enfant prématuré, c'est un enfant que vous ne prenez pas dans les bras,
00:02c'est un enfant qui vit dans une couveuse, c'est un enfant qui est intubé,
00:05c'est un enfant qui a des tuyaux partout.
00:07C'est un enfant, c'est une naissance médicalisée.
00:11Lorsque j'ai donné naissance à mon premier enfant,
00:13elle est née grande prématurée, trois mois avant terme.
00:16Une nuit, juste après Noël, je me réveille avec énormément de maux de ventre,
00:22du sang aussi, donc je commence un peu à paniquer.
00:25J'appelle l'hôpital le plus proche,
00:26donc un hôpital à une heure de route, une route de montagne,
00:30et l'infirmière me dit de me reposer.
00:32Les coups baissent pendant un très court moment et reprennent à plus vive allure.
00:37Et donc là, je me tourne vers ma maman, qui est mère de trois enfants,
00:42et je lui demande ce qui se passe.
00:44Et très vite, elle me dit « en fait, tu es en train d'accoucher ».
00:46Cette aventure, en effet, arrive au bout de six mois de grossesse.
00:49Donc en fait, mon cerveau n'est absolument pas prêt à me dire que je vais accoucher.
00:53Pour moi, il me reste un trimestre entier.
00:55Il y a énormément de sang à ce moment-là, donc ma plus grande peur, c'est de perdre le bébé.
01:00Et plus les minutes, les heures avancent, plus j'en suis convaincue.
01:05Ce bébé va naître, mais je ne vais pas le voir,
01:07puisque très vite, il va être transféré dans un hôpital qui est spécialisé,
01:10qui peut l'accueillir.
01:11Je me demande même si mon cerveau joue des tours,
01:13je me demande même si ce bébé est vivant, donc j'ai assez peu d'espoir.
01:16Et surtout, je n'ai aucune notion de la prématurité.
01:18C'est un monde dont j'ignore absolument tout,
01:20donc je n'ai aucune capacité à me projeter sur ce qui m'attend.
01:24Donc quand je vais arriver dans cet autre hôpital, le soir,
01:27la première chose, c'est que je vais descendre en rien et je vais comprendre.
01:32Le choc, il est énorme, parce qu'elle ne ressemble pas du tout au bébé dont j'avais rêvé.
01:36Elle est rachitique, elle ne va pas bien, elle est branchée à un scope,
01:40les machines bipent tout le temps, c'est extrêmement angoissant.
01:43Moi, j'ai touché ma fille au bout de sept jours, donc c'est très long quand même.
01:46Sept jours sans embrasser, sans tirer, avoir son enfant contre soi, c'est un supplice.
01:51Vous avez même peur de la toucher, parce qu'elle est tellement petite, tellement fragile,
01:55que vous avez l'impression qu'en la touchant, vous pourriez la tuer.
01:59Vous avez l'impression que le moins de microbes peut être fatal.
02:01Le pot-à-pot, c'est quand on sort le bébé de sa couveuse,
02:03alors évidemment, il est toujours branché, et qu'on va le poser contre votre torse dénudée.
02:08Grâce au pot-à-pot, le bébé va s'apaiser et se développer.
02:11Il va reconnaître le bruit du cœur qu'il a connu pendant les mois dans votre ventre,
02:15il va reconnaître votre voix, il va reconnaître aussi une certaine chaleur.
02:19Et donc le pot-à-pot, ce n'est pas juste un câlin.
02:21Le pot-à-pot, c'est un soin.
02:22Il y a des jours, en effet, où ma fille progressait énormément,
02:26puis il y a des jours où elle reculait,
02:27il y a des jours où c'était des arrêts cardiaques,
02:30il y a des jours où c'était des arrêts respiratoires.
02:32Et c'est en fait cette difficulté, c'est de pouvoir appréhender un quotidien
02:35qui est fait de haut et de très bas, alors qu'on aimerait qu'une chose, c'est avancer.
02:40Ma fille, elle est née fin décembre, et on est sortis d'hôpital quasiment fin février.
02:45Mais ce n'est pas parce qu'on rentre chez soi que l'expérience de la prématurité s'arrête.
02:49Quand on rentre chez soi, la famille, les amis ont envie de célébrer,
02:52de dire « Ah, c'est chouette, ton bébé est là, buvons le champagne ».
02:55Mais en fait, la prématurité, ça va durer très longtemps.
02:57Quand vous avez délégué votre rôle de parent pendant de très longues semaines
03:00à des gens qui s'y connaissent beaucoup mieux que vous, tout vous fait peur.
03:04Ça prend beaucoup de temps de se rassurer,
03:06de ne pas se dire qu'à chaque journée, il peut se passer quelque chose,
03:10et de recréer du lien avec votre enfant.
03:11Ma fille, elle est petite, bon après, je ne suis pas très grande,
03:16mais elle est petite du fait de sa prématurité.
03:18Donc elle est suivie quotidiennement, elle a une piqûre d'hormones quotidienne
03:22depuis quasiment l'âge de ses six ans, et ça va durer jusqu'à sa puberté.
03:26Donc voilà, c'est un impact de la prématurité.
03:29La première chose, et c'est très dur parce que je l'ai fait aussi,
03:32c'est de ne pas culpabiliser.
03:34Puisque ce sont nous, les femmes, qui portons les enfants,
03:36on a toujours l'impression qu'on a mal fait, qu'on aurait dû mieux faire,
03:39qu'on n'aurait pas dû faire ceci, cela,
03:41et on a tendance à vouloir se refaire le film des événements pour s'en vouloir.
03:45Ça ne changera rien.
03:47Et moi, j'ai eu trois enfants prématurés,
03:48il m'a fallu attendre ma troisième grossesse pour trouver une raison,
03:51qui est en fait une malformation utérine, mais qui est invisible à l'œil nu.
03:55Donc la première raison de la prématurité, c'est la faute à pas de chance.
03:58Quand on vit ce genre d'épreuve, on se sent très seul.
04:00Et je voulais dire aux mamans, aux papas, à qui ça arrive,
04:03que ça n'apaisera pas leur peine de savoir qu'il y a 60 000 familles
04:08qui vivent ça aussi chaque année.
04:09Mais en revanche, ça enlève un peu de solitude.
04:12Et ça permet de se rassurer, de se dire qu'on n'est pas seule à vivre les choses,
04:15qu'on n'est pas seule à avoir des émotions qui peuvent être parfois très violentes,
04:18des émotions qui peuvent aller jusqu'au rejet.
04:20Il faut les accepter.
04:22Et il faut plus tard, si on en a l'occasion, travailler dessus.
04:25J'aurais adoré savoir à l'époque.
04:27Et je ne comprends pas pourquoi on n'en parle jamais,
04:29même si j'ai ma petite idée,
04:30parce que je pense qu'on veut nous protéger, nous, pauvres femmes,
04:34qui pourraient être stressées pendant la grossesse.
04:36Mais je pense qu'il n'est plus temps de protéger les femmes.
04:38En revanche, il est temps de leur dire la vérité.

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