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Flavie Flament reçoit Maxime Quijoux, sociologue au CNRS, pour répondre à la question : mouvements sociaux, la France championne de la grève ?

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Transcription
00:00Bonjour Maxime Kijou, merci d'avoir accepté notre invitation, vous êtes sociologue au CNRS, alors la France occupe-t-elle la première place sur le podium mondial des mouvements sociaux, comme l'affirment ses détracteurs ?
00:13Alors c'est compliqué puisqu'en fait il y a peu de pays dans le monde qui bénéficient du droit de grève, donc une comparaison internationale est plutôt compliquée.
00:20Après ce qu'on a tendance à faire c'est comparer au niveau européen, effectivement la France se situe avec l'Italie, la Grèce et l'Espagne parmi les pays où on comptabilise le plus de nombre de jours de grève,
00:31mais ce qu'il faut préciser tout de suite c'est que le nombre de grèves a tendance à diminuer et le nombre de participants aux grèves aussi ces dernières années.
00:38Ah d'accord, donc on est en diminution en fait, aujourd'hui on manifeste moins qu'on manifestait hier ?
00:43Alors on manifeste plus mais on fait moins la grève, c'est pas forcément la même chose, effectivement on comptabilise moins de grèves en nombre et moins de grévistes comme je vous le disais à l'instant depuis à peu près une quinzaine d'années.
00:57Quels sont les secteurs les plus concernés ?
00:59Alors c'est des secteurs assez traditionnels qu'on retrouve régulièrement en fait dans les journaux, c'est la fonction publique, l'énergie, l'éducation nationale et les transports basiquement.
01:08Qu'est-ce qui fait qu'on fait moins la grève aujourd'hui qu'on la faisait hier ? Qu'est-ce que ça dit de notre époque ?
01:12Alors ça dit de notre époque que le syndicalisme va mal, que les bastions syndicaux se sont beaucoup affaiblis.
01:19Pourquoi ?
01:19Pour plein de raisons, on l'a constaté depuis une quarantaine d'années en fait, les secteurs traditionnels de la grève dans les années 70 par exemple c'était l'industrie,
01:26l'industrie s'est complètement effondrée depuis une quarantaine d'années, ça s'est basculé du côté de la fonction publique,
01:33on a vu à partir des années 80 un basculement effectivement vers les fonctionnaires, mais y compris au sein des fonctionnaires aujourd'hui,
01:39on constate que la grève mobilise de moins en moins pour des raisons qui tiennent de la précarisation mais aussi d'un pouvoir qui est de moins en moins sensible en fait à ces modalités d'action des salariés.
01:51Et puis les temps ont changé, aujourd'hui il y a les pétitions en ligne, est-ce que ça a changé la donne justement ces réseaux sociaux ?
01:57Peut-être que ça donne une bonne excuse pour certains de ne pas se mobiliser, mais en fait je pense qu'il y a peu de relations entre les pétitions en ligne qui peuvent donner effectivement le sentiment de se mobiliser
02:08comme on l'avait vu il y a quelques années effectivement pour la loi travail qui avait beaucoup mobilisé à l'époque, mais en fait les mécanismes ne sont pas vraiment les mêmes.
02:15Pour créer une grève, il faut un collectif syndical, une tradition, des acteurs mobilisés et ça c'est de ce qui tend à disparaître y compris dans les bastions comme à la SNCF.
02:25Alors justement le profil de ces acteurs, de ces grévistes, est-ce qu'il a évolué aussi avec le temps ?
02:31Peu on va dire, en dehors du fait que maintenant c'est surtout dans la fonction publique qu'on se mobilise, en fait on constate que les gens qui se mobilisent sont des gens plutôt stabilisés socialement,
02:41professionnellement, qui ont un peu avancé dans la carrière pour autour d'une quarantaine d'années qui sont majoritairement des hommes, ce profil-là finalement a peu évolué depuis les années 70.
02:51Vous le disiez en fait, la grève c'est un droit, tout le monde n'a pas le droit de grève à travers le monde, quelles sont les conditions justement pour y avoir accès ?
02:59Alors c'est un droit constitutionnel qui est inscrit dans le préambule de la Constitution, donc tout le monde a le droit de grève, après effectivement il y a des conditions.
03:07Alors dans le secteur privé, il faut savoir que tout le monde peut se mettre en grève sans préavis de grève, donc parfois il y a des confusions puisque dans la fonction publique,
03:15effectivement depuis les années 60 en fait, il y a eu des préavis de grève qui ont été mis en place en fait dès les années 60 par De Gaulle, justement pour essayer de réguler dans les transports en commun en particulier.
03:28Et ce droit de grève aussi, les droits de prévenance, a été élargi depuis Sarkozy en fait dans les années 2000 pour de 2 à 5 jours.
03:37Les grèves les plus soutenues par la population sont lesquelles ?
03:40Ce sont les grèves interprofessionnelles, on l'a bien vu les dernières avec la mobilisation contre la réforme des retraites qui a beaucoup mobilisé,
03:46même si mes souvenirs sont bons, c'était 9 salariés sur 10 qui soutenaient les mobilisations, qui appelaient à une massification de la grève.
03:53Après effectivement, quand ça concerne tout le monde, on a plus tendance à vouloir soutenir une grève.
03:58Mais est-ce qu'il y a des grèves impopulaires ? Puisque là on parle beaucoup de la SNCF, on va y arriver dans un instant.
04:02Est-ce qu'il y a des grèves à un moment donné qui ne sont pas soutenues non plus par l'opinion publique ?
04:06L'opinion publique peut se sentir moins concernée par certaines grèves qui vont être des grèves peut-être plus spécialisées,
04:14on va parfois dire plus corporatistes, qui vont concerner des intérêts un peu plus ciblés sur certaines professions qui vont effectivement moins emporter l'opinion publique.
04:23D'accord, mais lesquelles ?
04:24Lesquelles ? Tout ce qui concerne par exemple des augmentations de salaires dans certains secteurs qui vont être considérés comme privilégiés.
04:33Il faut faire attention parce que certaines fois on a tendance à se laisser emporter par certaines interprétations qui coïncident mal ou correspondent mal à certaines réalités professionnelles.
04:43La grève de la SNCF de ce soir c'est un ultimatum avant un mouvement de grève plus long et plus fort en décembre si leurs revendications ne sont pas entendues.
04:51Veille de départ en vacances, week-end férié, période de fête, en fait le moment choisi aussi par les grévistes il est toujours assez stratégique.
04:58Comment est-ce que l'opinion publique le reçoit-elle ? Là on n'a pas envie de passer Noël dans les grèves.
05:03Moi je ne suis pas spécialiste de l'opinion publique mais effectivement ce qu'il faut se mettre dans la tête des syndicalistes,
05:09l'idée d'un syndicaliste c'est d'essayer de créer un rapport de force vis-à-vis de sa direction.
05:14Si on ne choisit pas des moments stratégiques où il y a beaucoup de monde quand on travaille dans les transports, c'est compliqué de créer un rapport de force.
05:21C'est ça que l'opinion publique doit saisir, c'est-à-dire malheureusement pour les gens qui travaillent dans les transports le seul moment de se faire entendre c'est créer un rapport de force.
05:30On l'a bien vu avec les Jeux Olympiques par exemple, les Jeux Olympiques c'était un gros rapport de force pour un ensemble de secteurs, la police, les transports, les éboueurs qui ont gagné d'ailleurs et il n'y a pas eu de grève suite à ça.
05:40Donc il y a un rapport de force avec la direction et malheureusement on trouve le rapport de force qu'on a dans son activité de travail et là pour les transports...
05:47Et c'est l'usager qui trinque un peu. Merci beaucoup Maxime Chéjou d'avoir répondu à mes questions.
05:51Merci à vous.

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