Utilisation de l'image et de la voix d'une célébrité décédée avec Stéphanie Foulgoc, Associée, Next avocats.
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00:00On commence tout de suite sur LexInside, on va parler de l'utilisation de l'image
00:14et de la voix d'une célébrité décédée avec mon invité Stéphanie Foulgocq, associée
00:20chez NextAvocat. Stéphanie, bonjour.
00:22Bonjour Arnaud. Nous allons voir ensemble l'utilisation
00:25de l'image et de la voix d'une célébrité décédée. Elle peut poser de nombreuses
00:31questions juridiques. Tout d'abord, quels sont les principaux enjeux juridiques liés
00:36à l'utilisation de l'image et de la voix d'une célébrité décédée ?
00:40Alors déjà, en préalable, l'intelligence artificielle est une révolution. C'est du
00:49moins on pressent que ça va être une révolution. Tout est assez nouveau et les chantiers juridiques
00:54sont nombreux. Les enjeux juridiques sont multiples. Lorsqu'on se parle de la voix
01:00ou de l'image d'une personne, ce sont des attributs de sa personnalité. Quand c'est
01:05une célébrité, cette personne est connue, donc les enjeux sont différents. Il y a des
01:10sujets de liberté d'expression, de droit à la création, mais lorsque l'exploitation
01:17se fait à des fins commerciales et surtout lorsque la personne est décédée, qui exerce
01:23ces droits ? Bien sûr. Alors, on voit que les enjeux
01:25sont nombreux. On va aborder maintenant le cadre juridique. Comment le droit actuel encadre-t-il
01:31l'utilisation posthume de l'image et de la voix d'une célébrité ?
01:36Alors, au risque de vous décevoir, il ne l'encadre pas. La loi…
01:41Ça veut dire qu'il y a un vide juridique ? Alors, il n'y a jamais de vide juridique
01:44parce que même lorsque la loi ou le droit écrit ne prévoit pas des dispositions spécifiques
01:49par rapport à une situation factuelle, on peut avoir confiance en nos juges. La jurisprudence
01:55crée le droit au gré des situations qui sont soumises aux juges et permet de mettre
02:00en balance les différents droits des uns et des autres. Donc, pour une personne décédée,
02:07on pourra se baser sur l'état de la jurisprudence. D'accord. Et qu'est-ce que dit la jurisprudence
02:12? Eh bien, on peut se parler par exemple de
02:14l'utilisation d'un extrait d'un film dans lequel Lino Ventura, alors qu'il était
02:21décédé, a été détourné par une agence de publicité au profit d'une marque de voiture
02:26et faisait exprimer à Lino Ventura, l'acteur, une excitation particulière pour aller participer
02:31aux portes ouvertes de cette marque de voiture. Les producteurs du film avaient donné leur
02:38accord pour que cette exploitation de l'extrait du film soit utilisée, mais les ayants droit
02:42de l'acteur, Lino Ventura, eux, ont saisi le juge pour obtenir une indemnisation de
02:47cet usage qui avait été fait. Donc, c'est typiquement le genre d'usage que l'intelligence
02:52artificielle permet de faire, détourner l'image et la voix d'une célébrité alors qu'elle
02:57est décédée. Ils ont obtenu gain de cause parce que Lino Ventura était un artiste-interprète
03:03et que l'interprétation d'un artiste-interprète est encadrée par le code de la propriété
03:08intellectuelle et les héritiers peuvent exercer les droits de leur aïeul. Mais si Lino Ventura
03:16avait été une célébrité qui n'avait pas été un artiste-interprète, une personne politique ou
03:21qui est connue dans la société, il n'aurait pas eu ce support juridique de la propriété
03:27intellectuelle. Alors, un autre point qui me semble intéressant, quelles sont les limites
03:33entre la protection des droits de la personnalité et la libre expression dans ce domaine ? Parce
03:38qu'effectivement, vous l'avez dit, l'intelligence artificielle permet de plein de choses. Alors,
03:44quelles sont les limites ? Ça va toujours être une mise en balance de droits qui sont... Alors,
03:51les droits de la personnalité, la voix, l'image d'une personne, c'est une émanation de la
03:56jurisprudence basée sur le droit à la vie privée. D'accord. Le code civil protège le droit à la
04:01vie privée. Les juges ont considéré que ça s'étendait aux voix et à l'image des personnes.
04:05C'est un droit fondamental. Et par ailleurs, il y a effectivement cet autre droit fondamental qui
04:10est la liberté d'expression, dont la liberté de création est aussi une émanation. Donc,
04:15droit à la vie privée contre liberté d'expression, il faut apprécier. Par exemple, on peut se parler
04:21de biopiques. Il y a une dizaine d'années, il y a deux biopiques qui ont été faits sur la vie
04:26d'Yves Saint-Laurent. L'un était autorisé par les ayants droit, donc en l'occurrence Pierre Bergé,
04:31qui était le dernier conjoint, enfin qui était le compagnon d'Yves Saint-Laurent, et l'autre n'était
04:36pas autorisé. Et pour autant, cet autre film, bien que non autorisé, a pu être créé parce que la
04:42liberté d'expression, la liberté de création, n'empêchait pas de créer un tel film. Alors,
04:48est-ce que l'intelligence artificielle, elle remet un peu en question la jurisprudence existante que
04:54vous avez décrite avec l'utilisation de l'image et de la voix qui est vraiment maintenant, je
04:59dirais, possible dans énormément de cas ? Ce n'est pas impossible. On ne peut pas le prédire
05:07encore parce qu'encore une fois, il y a toujours un certain nombre d'années entre le moment où un
05:10juge est saisi et où il statue. Mais la différence avec l'intelligence artificielle, c'est que le
05:16phénomène est massif. C'est qu'on peut créer très facilement, très rapidement, énormément de
05:21contenus. Il n'est pas impossible que l'exploitation des attributs de la personnalité d'une personne
05:26décédée et tous les revenus que ça génère, parce que ça va régénérer des revenus à la fois pour le
05:31fournisseur de l'intelligence artificielle, mais aussi pour ceux qui utilisent et qui créent des
05:36sosies, des clones de ces célébrités. Il n'est pas impossible que le législateur, à un moment,
05:41se dise, il faut que cet argent, ces revenus qui sont générés par l'image d'une personne et sa
05:46voix, reviennent peut-être à ses ayants droit plutôt qu'uniquement à ses nouveaux exploitants.
05:51Alors parfois, ces créations, ça peut être un usage, entre guillemets, parodique, juste pour
05:58essayer d'avoir un usage comique, entre guillemets. Comment distinguer juridiquement l'usage parodique
06:05d'une création de type deepfake de son utilisation frauduleuse ?
06:11Eh bien ça va être très factuel comme appréciation. Les seules contraintes qui sont mises à ce jour
06:18dans la création de deepfake, alors on parle dans la loi de d'hypertrucage, sont d'informer le
06:26destinataire de l'information, de l'image. On doit être informé lorsqu'un contenu a été généré par
06:31l'intelligence artificielle. Alors, peu de doute à avoir sur les faits que toutes les personnes qui
06:35voudront avoir un usage frauduleux de ce deepfake ne satisferont pas cette exigence d'information.
06:41Donc la fraude, ça peut être l'escroquerie, la manipulation dans un contexte d'élection,
06:46des fraudes financières. Et donc c'est ce qui est fait avec l'intelligence artificielle et on
06:52reviendra sur des qualifications très classiques d'infraction pénale pour déterminer s'il y a eu
06:56fraude ou pas. Pour finir, est-ce que vous pensez qu'il faut légiférer spécifiquement sur cette
07:02question pour essayer de combler les trous, entre guillemets ? Alors moi, personnellement, non.
07:08Pourquoi ? Parce que nous, avocats, avons fait face ces dernières années à énormément de nouvelles
07:15réglementations. Il y a un règlement sur l'intelligence artificielle qui vient d'être
07:18adopté, qui fait une centaine de pages. Il faut avoir confiance en nos juges, il faut donner les
07:24moyens à nos juges de statuer, mais il ne faut pas se dire qu'une loi par anticipation, avant de
07:30vraiment prendre la mesure des situations concrètes qui mériteraient d'être traitées par une loi
07:34spécifique, plutôt que par le droit délictuel standard, le droit de la responsabilité standard,
07:38soit nécessaire. Donc, ayons confiance d'abord en la jurisprudence. Ça fait des années que
07:44les droits de la personnalité ont été créés sur un texte du code civil qui remonte à plusieurs
07:50dizaines d'années. Jusque là, ça a fonctionné. Voyons si ce texte peut fonctionner à nous.
07:56En d'autres termes, on a l'arsenal juridique à disposition si jamais certains franchissent la
08:02ligne en créant des défaits qui font des atteintes aux droits.
08:09Voilà, exactement. Ce qu'il ne faudrait pas, c'est que l'histoire de l'intelligence artificielle
08:12soit l'histoire d'un pillage massif, pillage d'œuvres protégées par le droit d'auteur,
08:18pillage de droits de la personnalité, de célébrités qui peuvent être leur image,
08:22leur voix et qui ont une valeur. Alors, si un nécessaire équilibre à trouver entre les revenus
08:30qui sont générés et ceux qui devraient en bénéficier est requis, alors là, peut-être
08:33que l'intervention du législateur sera nécessaire. On va conclure là-dessus. Stéphanie Foulgogue,
08:38je vous remercie. Je rappelle que vous êtes associée au sein du cabinet NextAvocat. Tout
08:42de suite, on continue Lexi Inside. Dans la deuxième partie, on va parler reconnaissance faciale.