🇩🇿 "On avait avec ma soeur un besoin impérieux d'aller en Algérie. On ne pouvait plus attendre."
Dans son film "À Mansourah, tu nous as séparés", la réalisatrice Dorothée-Myriam Kellou suit son père jusqu'à son village natal après des années d'exil. Elle documente ce premier voyage en Algérie afin de le rendre inoubliable. Brut, l'a rencontrée.
Dans son film "À Mansourah, tu nous as séparés", la réalisatrice Dorothée-Myriam Kellou suit son père jusqu'à son village natal après des années d'exil. Elle documente ce premier voyage en Algérie afin de le rendre inoubliable. Brut, l'a rencontrée.
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00:00C'est l'histoire d'un déracinement en masse, qui est très peu connu,
00:04qui a touché plus de 2,5 millions d'Algériens à l'époque,
00:08regroupés dans des camps, et puis 1,5 million forcés de quitter leur lieu d'habitation
00:12et contraints Ă l'errance. Une errance collective,
00:16qui n'est pas nommée, qui n'est pas racontée.
00:18Bonjour Brut, je suis Dorothée Myriam Kello, je suis journaliste,
00:22réalisatrice d'un film qui s'appelle « A Mansoura, tu nous as séparés »
00:25et d'un livre qui vient d'être publié chez Grasset, qui s'appelle « Nancy Kabili ».
00:28Mon père m'a offert un projet de film qu'il voulait réaliser,
00:32qui s'appelait « Lettres à mes filles », et dans ce film,
00:36il décrivait un village, Mansoura, le village où il est né,
00:41qui est devenu un camp de regroupement pendant la guerre,
00:44c'est-à -dire que l'armée française, qui luttait contre le Front de Libération Nationale,
00:49a déporté, déplacé de force, des villages entiers,
00:54et toutes ces zones sont devenues interdites, et les populations chassées.
00:57Tous ces villages qui pouvaient apporter du soutien au FLN ont été vidés,
01:01et pour beaucoup détruits, pour ne laisser aucun refuge
01:05à ceux qu'on appelait à l'époque « félagas », « terroristes ».
01:09J'ai eu cette mission d'aller chercher, et ce n'est pas une mission Ă©vidente,
01:13parce que c'est douloureux, surtout quand on touche Ă la violence coloniale.
01:16J'avais une image du village de mon père qui était sous la neige,
01:21dans les montagnes en Kabili, et je n'avais pas l'image de la guerre,
01:24du déracinement, de la guerre, de la guerre en Kabili.
01:28J'avais une image du village de ma mère qui était sous la neige,
01:32dans les montagnes en Kabili, et je n'avais pas l'image de la guerre,
01:36de la guerre en Kabili, et je n'avais pas l'image de la guerre,
01:38du déracinement, de cette violence.
01:42Mais en mĂŞme temps, je pense que j'en avais des traces,
01:45c'est-à -dire que je voyais bien dans la mélancolie de mon père,
01:49dans cet exil qui le rattrapait régulièrement,
01:52et qui moi me frappait en fait.
01:55Pourquoi tu penses que ton père n'a pas réussi,
01:57ou n'a pas voulu te raconter cette histoire plutĂ´t ?
01:59Ça fait aussi partie des grandes questions.
02:01Pourquoi il ne m'a pas racontée ?
02:03Pourquoi il ne nous a pas transmis ?
02:06Et je me suis rendue compte qu'il y a des exils progressifs, successifs,
02:09c'est des couches d'exil.
02:11Il y a déjà le départ forcé du village pendant la guerre,
02:14et puis finalement il arrive Ă Borge, puis Ă Alger,
02:17et puis il obtient une bourse pour aller faire du cinéma en Belgique,
02:20il revient, et quand il revient en fait,
02:23ses idées sont trop à l'extrême gauche,
02:26et petit Ă petit il ne trouve plus sa place dans son pays,
02:29donc il est contraint de nouveau Ă l'exil,
02:32et avec ça il y a ce désir de se reconstruire en France,
02:36et de laisser le passé derrière soi, sauf que le passé nous rattrape.
02:40Ă€ chaque fois je fais des cauchemars lĂ -dessus,
02:43qui est lié à la guerre, qui est lié au crime,
02:45qui est lié à quelque chose de violent
02:48que j'ai eu pendant mon enfance et mon adolescence,
02:51et qui est resté, qui m'a marqué.
02:57Il fait partie de moi.
02:59J'ai une mère qui est française,
03:01qui a encouragé mon père à nous parler en Kabyle,
03:04sa langue maternelle,
03:06mais lui-mĂŞme avait du mal en fait,
03:09il a été à l'école dans son village, c'était une école française,
03:12donc il a appris le français,
03:14très tôt on lui a interdit de parler le Kabyle,
03:17et quand on est enfant et qu'on a un peu cette interdiction
03:20de parler la langue dans l'Ă©cole de la RĂ©publique,
03:23il y a quelque chose peut-être qu'on intériorise sur l'interdit.
03:27Alors la première fois que je suis allée en Algérie,
03:30ma mère ne voulait pas qu'on aille en Algérie,
03:32elle était très inquiète, c'était juste après les années 90,
03:35la guerre civile,
03:37et en fait on avait avec ma sœur Malia
03:40un besoin impérieux d'aller en Algérie,
03:43on ne pouvait plus attendre,
03:45et on est partis en secret,
03:47on a laissé une petite lettre à ma mère dans la boîte aux lettres,
03:50en lui disant, nous sommes Ă Alger,
03:53et pour moi ça a été une rencontre,
03:56c'est presque une rencontre fracassante,
03:59j'Ă©tais vertigineuse,
04:02c'Ă©tait la rencontre avec la terre d'une partie de mes ancĂŞtres,
04:06et ça a été un appel profond de me dire,
04:10il y a quelque chose que je dois faire ici,
04:13et je reviendrai plus tard,
04:15et je suis revenue.
04:17En France on t'appelle Dorothée Myriam,
04:19et en Algérie on t'appelle Myriam Dorothée,
04:21est-ce que pour toi ça raconte des histoires ?
04:23Moi j'ai grandi avec Dorothée,
04:25et quand j'ai vécu en Algérie,
04:28mon père m'a présentée comme Myriam,
04:31et donc ce deuxième prénom a pris une importance,
04:34mais j'aime bien cet oxymore,
04:37se dire qu'on peut lier ce qui peut paraître très éloigné.
04:44Il y a une très belle phrase que m'a dite mon père,
04:47issue d'une mythologie berbère,
04:50il me disait, finalement,
04:53on est sur Terre pour aller chercher les pièces d'un miroir brisé,
04:58on passe notre vie à aller récupérer ces pièces dispersées
05:01pour reconstituer notre image,
05:03et dans cette image on voit aussi celle de nos ancĂŞtres,
05:06et il y a toute cette profondeur qui se reflète.