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"J'avais 7 ans quand la guerre d'Algérie a commencé."

Avec sa famille, il a dû fuir la Kabylie. Plus tard, Malek Kellou s'installe et fait sa vie à Nancy. Et cette partie de son histoire, il ne l'avait jamais racontée à ses filles. Dans son livre "Nancy-Kabylie", la journaliste Dorothée-Myriam Kellou tente de reconstituer la mémoire oubliée de sa famille et raconte l'exil et la transmission impossible. Brut les a rencontrés.

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Transcription
00:00On arrive en France, on apprend à se taire.
00:03C'est-à-dire ne pas trop soulever les problèmes qu'on a vécu là-bas.
00:07On ne peut pas dire qu'on a été torturé, qu'on a été occupé, etc.
00:14On a peur d'exprimer sa culture arabe ou culture berbère, ça commote, on est accueilli.
00:20Qu'est-ce que tu connaissais de l'histoire de ton père ?
00:23Moi, je savais qu'il avait grandi dans un village en Kabylie.
00:27Je savais que ce village, l'hiver, il avait deux mètres de neige, mais c'est tout.
00:34Et puis, je me souviens, une fois, on était au restaurant, je devais avoir 16 ans,
00:39et puis tu parlais de ta mère et de ta belle-sœur qui se mettaient, tu sais, de la boue sur le visage.
00:46Et moi, je ne comprenais pas en fait pourquoi elles se mettaient de la boue.
00:49Et puis après, j'ai compris que pendant la guerre d'Algérie,
00:52pour éviter d'être belle, attirer le regard des soldats français,
00:56les femmes, souvent, se mettaient de la boue ou des excréments où il fallait s'enlédir, en fait,
01:02pour ne pas risquer d'être agressées sexuellement.
01:06Ils s'enlédissaient.
01:08Ils avaient très peur qu'elles violent, parce qu'il y avait beaucoup de viols, là, c'est pas rien.
01:14Et donc, en fait, tu vois, c'est-à-dire que j'avais des images, mais hors contexte.
01:17Un village sous la neige, des femmes avec de la boue sur le visage, mais sans comprendre.
01:23Et comme c'est des images fortes, quelque part, ça m'a obligée à les chercher.
01:28Lui, il est né en 1945, au début de la guerre, il a 9 ans.
01:31Et en fait, très vite, l'armée française, qui veut combattre le Front de libération nationale,
01:36vide des zones entières dans les montagnes.
01:38Ces montagnes deviennent des zones interdites.
01:40Les villages sont souvent détruits pour ne laisser aucun refuge au Front de libération nationale,
01:45qui pouvait trouver appui dans ces montagnes auprès de la population.
01:49Et donc, ces populations sont souvent regroupées dans des camps,
01:52près de postes de l'armée française, ou dans des villages qui existent déjà.
01:56Et Montsouras est devenu un camp pendant la guerre,
01:58entouré de filles barbelées, placés sous surveillance militaire française.
02:02Et puis, il y a eu une deuxième vague.
02:04Mon père a dû quitter Montsouras, parce que c'était devenu trop dangereux.
02:08Et il est parti dans un village un peu plus bas.
02:10Et puis après, il est allé à l'indépendance faire ses études à Boche-Boire-Ridge,
02:15puis à Alger, puis à Bruxelles, où il a fait ses études de cinéma, puis il est revenu.
02:21Voilà, donc c'est des vagues d'exil en fait.
02:24Et j'ai compris que finalement, je cherchais un exil,
02:28mais en fait, il y avait plusieurs exils successifs.
02:46ma langue maternelle, ou l'arabe, la langue de mon pays.
02:49C'est un peu comme si, inconsciemment,
02:51je n'avais pas voulu ou pas pu leur transmettre
02:53cette part primordiale de la culture d'un pays, d'un peuple.
02:56Et toi, tu l'as vécu comment, Dorothée ?
02:58Le fait de ne pas avoir de transmission ?
03:00Moi, justement, je pense que c'est un vide, en fait.
03:03C'est un effacement.
03:05Et moi, je l'ai vécu comme une amputation.
03:07Alors ?
03:08C'est là.
03:11Je me tournais vers une statue qu'on venait d'ériger.
03:13La statue du sergent Blondin.
03:15Une des figures de la conquête d'Algérie.
03:17Elle avait été démontée de son lieu d'origine
03:19pour être apportée à l'indépendance en France.
03:21Avant, elle trônait à Bouffarique,
03:23sur la route menant de mon village à Alger.
03:25La mémoire jusqu'ici plus ou moins maîtrisée de mon enfance
03:28me percuta de plein fouet.
03:29Aujourd'hui, cette statue, elle cristallise,
03:32finalement, cette violence
03:34et les conséquences de cette violence,
03:36les traumas historiques.
03:38En même temps, si elle n'avait pas été là,
03:40est-ce que mon père se serait souvenu ?
03:42Est-ce qu'il aurait été capable de nous raconter ?
03:45Ça va, il est là.
03:47On organise une lecture du livre à Nancy.
03:53Donc c'est la toute première lecture à Nancy.
03:57C'est les petits-enfants de mon père.
04:01Est-ce que vous voulez dire un petit mot ?
04:03Est-ce que ça vous intéresse ?
04:05Par exemple, en tant que tata,
04:07j'ai été chercher cette histoire.
04:09Ou finalement, c'est pas central dans votre construction ?
04:13Est-ce que vous vous posez des questions, par exemple ?
04:15Non, pas vraiment.
04:17C'est pas vraiment une question.
04:19On a toujours supposé qu'on avait des origines cabibles.
04:22Mais on n'a pas trop cherché.
04:25Et je pense que les emplois n'auraient jamais été colliés.
04:29Je suis marquée.
04:31Et le fait de rechercher ces origines,
04:34d'apprendre sa langue,
04:36du coup, d'internet,
04:38ça me motifie assez parce que mes parents
04:40n'ont pas construit l'histoire de mon pays,
04:43Est-ce que vous voulez qu'on commence ?
04:45Oui.
04:47Ce livre est un travail de mémoire
04:49librement reconstruit à partir de mes souvenirs,
04:51de mes rêves, de ma recherche
04:53et de personnes rencontrées.
04:55Je le dédie à ceux qui errent en silence,
04:57à ma famille, à ma mère Catherine.
05:01Je suis un enfant qui est né
05:03pratiquement pendant la guerre d'Algérie.
05:05Pendant la guerre.
05:07C'est-à-dire, j'avais 7 ans
05:09quand la guerre d'Algérie a commencé.
05:11J'ai vécu toute cette période
05:13de résistance,
05:15d'enfermement
05:17dans un village
05:19avec des fils électriques,
05:23l'armée à gauche, à droite.
05:25L'Algérie, je ne voulais pas la reconnaître.
05:29Mais quand j'étais au lycée
05:31et un peu plus tard après,
05:33Algérie, Algérie,
05:35ça résonne
05:37petit à petit
05:40dans, comme tu dis,
05:42un manque,
05:44quelque chose qui tangue, mais qu'on a comme envie
05:46d'aller voir.
05:48Et puis, il y avait aussi tous ces chanteurs cabiles.
05:52C'était quand même quelque chose qui revenait
05:54un peu. Donc ça m'a rendu
05:56un peu plus culturellement,
05:58un peu plus fière.
06:00Je ne sais pas.
06:02Et du coup, après, l'Algérie, c'est toi qui l'as
06:04vraiment cherchée, je crois.
06:06Parce que j'aurais été toujours
06:08quelque chose d'un peu pas trop
06:10compris, je pense.

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