Cours interactif de philosophie. Échanges inter-lycéens franco-européens diffusés le 14/11/ 2024 sur la plateforme du Projet Europe, Éducation, École :
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00:00Bonjour à tous, je vous souhaite la bienvenue sur la plateforme du projet Europe éducation
00:20école pour une matinée philosophique consacrée à la magie du vivant, à une réflexion sur la
00:29critique de la raison, la critique de la faculté de jugé de Kant. Elle, cette matinée, nous est
00:37proposée par Guillaume Pujard de Burbert, professeur de philosophie en classe préparatoire au lycée
00:43Guillaume, merci d'avoir accepté notre invitation. Merci également à tous les élèves,
00:50du lycée français de Bamako, du lycée français international de Pondichéry, évidemment de l'école
00:58française de Saint-Pétersbourg, d'être là autour de tes propres élèves au lycée Gueluzac en
01:04s'avantant de plaisir de vous écouter. Allez-y. Voilà, donc est-ce qu'on pourra remettre la
01:15table des catégories que j'avais mise ? C'est ma première image. Merci. Donc, je rentre maintenant
01:25plus précisément dans ce livre la critique de la faculté de jugé, mais on a créé les conditions
01:29du problème qu'il aborde en fait. Alors d'abord, on peut rentrer dedans par ce qu'il n'y est pas,
01:38c'est parfois pas pertinent, mais là je pense que c'est pertinent, c'est-à-dire dans la critique de
01:43la raison pure, il y a une table des catégories, c'est les catégories de l'entendement pour
01:47expliquer la connaissance scientifique. Dans la critique de la raison pratique, il y a une table
01:52des catégories, non pas de l'entendement, mais de la raison pure, qui sont les catégories de
01:57l'action morale, donc les catégories qui gouvernent la liberté. Les catégories de l'entendement
02:03gouvernent la nature et les catégories de la raison gouvernent notre liberté. C'est le devoir
02:12moral qui me dit tu dois et qui fait que ma liberté est sous la loi de ma raison pure,
02:21ma raison pure morale, ma raison pure pratique, et la nature est sous la loi de la catégorie de
02:28causalité, la catégorie de la relation entre la cause et les faits, de mon entendement. Or,
02:33dans la critique de la faculté de jugé, il n'y a pas de table des catégories. La critique de la
02:38faculté de jugé n'a pas sa table des catégories, et pour cause, parce qu'il n'y a pas de troisième
02:44domaine. Donc, il y a une distinction que Kant fait au début de la critique de la faculté de jugé,
02:51qui est importante, c'est-à-dire qu'il y a deux territoires, la nature et la liberté. Ce sont deux
02:58territoires. Lorsque ces territoires sont sous une législation, c'est-à-dire ne sont plus abandonnés
03:06au hasard, au cours hasardeux, etc., mais sont sous une législation qui leur donne des lois,
03:11les lois de la nature d'un côté, les lois de la morale de l'autre, ces territoires deviennent
03:16des domaines. Et donc, l'entendement avec ces catégories règne sur le domaine de la nature,
03:22et la raison pure pratique, la raison morale, règne sur le domaine de la liberté. Voilà.
03:32Donc, chaque catégorie explique comment cette législation s'opère, et pour la nature d'un côté,
03:38et pour la liberté de l'autre. Très bien. Maintenant, dans les catégories, il y a quatre
03:45catégories, et chacune est divisée en trois. Donc, ça fait douze. Mais la critique de la faculté de
03:51jugé, c'est ce que je disais tout à l'heure, porte seulement sur la catégorie de la relation. C'est
03:58le problème de la catégorie de la relation, puisque on a la relation scientifique, catégorie de
04:03l'entendement, c'est la relation entre la cause et les faits, et on a la relation catégorie, non pas
04:09de l'entendement, mais de la raison, et qui est la relation d'une intention à une fin, d'une volonté
04:15libre à une fin, à un objectif, à un but, un but conscient, intentionnel, etc. Voilà. Et on n'a pas
04:25de table des catégories, parce qu'il ne peut pas y en avoir. Et du coup, ça explique déjà le titre,
04:29c'est que la critique de la faculté de jugé, en fait, c'est la faculté de juger, elle peut
04:36déterminer la nature, c'est la science. La raison peut déterminer ma liberté, c'est la morale. Mais
04:48en ce qui concerne une finalité de la nature, où on prendrait la catégorie de relation morale
04:54pour expliquer la nature, c'est impossible, c'est une illusion, on bascule immédiatement
05:01dans le délire. Donc, la faculté de jugé, qui est entre l'entendement et la raison, c'est ça la
05:07nouveauté de la troisième critique, c'est qu'il introduit une nouvelle faculté. Il y avait quatre
05:13facultés dans les deux premières critiques, sensibilité, imagination, entendement, raison. Et
05:18la faculté de jugé, finalement, c'était l'accord de l'imagination et de l'entendement. Alors que là,
05:23quand on découvre avec ce problème de la finalité du vivant, qu'il faut une autre faculté qui soit
05:30capable d'échapper à l'opposition entre « il y a des fins, mais c'est des fins humaines, d'un sujet
05:37libre, où il n'y a pas de fin, parce que c'est la nature ». Parce qu'à nouveau, on retombe, c'est la
05:43porte ouverte à la magie du vivant et au mutisme de la raison qui ne peut pas expliquer ça. Du coup,
05:48il y a une faculté de jugé, mais cette faculté de jugé ne va pas être déterminante. Déterminante
05:53veut dire « elle déterminerait son objet ». Ma raison détermine son objet, c'est-à-dire ma liberté,
05:59et c'est pour ça que j'ai mauvaise conscience, parce qu'elle m'a dit « tu dois », et elle
06:03détermine ma volonté. La catégorie de cause de l'entendement détermine le mouvement des planètes,
06:11le mouvement scientifique, ce que vous voulez. Mais la fin, l'idée de fin, qui est une idée de la
06:19raison, ne peut pas déterminer la nature. Il y a un hiatus. On ne peut pas prendre la fin, qui est
06:24une idée qui vaut pour notre liberté, qui vaut pour l'homme comme sujet libre, et l'appliquer à
06:30un phénomène naturel, quel qu'il soit. Et du coup, la faculté de jugé, en ce qui concerne le vivant,
06:36ne peut pas être déterminante, mais, dit Kant, réfléchissante. Qu'est-ce que ça veut dire qu'elle
06:42est réfléchissante ? C'est tout bête. C'est qu'en fait, à ce moment-là, je réfléchis sur moi-même.
06:48Je me dis « moi, j'utilise des fins ». Moi, quand je vois un bâton taillé, un bout de bois taillé,
06:56c'est un exemple que prend Kant, je sais qu'il y a eu une intention. Si j'arrive sur une île déserte
07:00et que je vois des poteaux plantés, je sais bien que c'est quelqu'un qui l'a fait selon des fins,
07:06parce que je prends par rapport à moi, à ma finalité à moi. Donc, je réfléchis sur ce qui est vrai pour
07:12moi et voilà comment je découvre ça. Mais je n'ai pas le droit, parce que c'est vrai pour moi, de
07:18l'exporter sur la nature. Là, il y a un hiatus. Ça n'est pas légitime. Et donc, ce que dit Kant, c'est
07:25que, pour ce qui concerne le vivant, la raison est obligée d'utiliser des fins, parce que l'explication
07:34mécanique n'est pas satisfaisante. Comment dire qu'il n'y a pas une finalité dans le vivant,
07:41c'est pour Kant intenable. Mais pour autant, on n'a pas le droit, parce que nous avons besoin,
07:49parce que notre raison a besoin de penser la nature avec son idée de fin, de l'imputer à la
07:56nature. C'est ça, en fait, que dit la critique de la faculté de juger. C'est que nous ne pouvons
08:02pas en faire l'économie, que la science matérielle, mécanique, comme on a aujourd'hui beaucoup,
08:07l'explosion de la chimie, des neurosciences, etc., tente justement de tout ramener, les émotions,
08:13les sentiments, etc., des phénomènes chimiques. Kant est intenable, mais pour autant, on ne peut
08:19pas basculer dans une explication qui n'en n'est pas une, qui est plus rationnelle,
08:24qui est superstitieuse et religieuse, en disant, parce que nous avons besoin de mobiliser l'idée
08:30de fin, de dire qu'il y a des fins de la nature. Et c'est en ça que la faculté de juger est une
08:37faculté réfléchissante, c'est-à-dire qu'en réfléchissant sur la nature qui nous renvoie
08:42à notre propre manière d'agir, nous nous représentons la nature comme si elle agissait.
08:47Mais on ne peut jamais oublier ce comme-ci, c'est une analogie. Mais je ne peux pas m'empêcher de
08:55me représenter que c'est comme si l'œil avait été fait pour voir. Mais c'est comme-ci. Je ne peux
09:01pas passer de ce comme-ci à une affirmation dogmatique et donc c'est ainsi. Non, ce n'est pas
09:06ainsi, c'est comme-ci. Et donc Kant reste dans cette réserve critique, c'est là où on comprend le
09:11mot de critique pour le coup, dans cette prudence critique qui fait que nous en avons nécessairement
09:15besoin, mais nous ne pouvons pas légitimement l'appliquer à la nature. Là, on n'en dirait plus
09:24qu'on en sait en fait. Ce serait tout d'un coup dire plus qu'on en sait. D'accord ? Alors, je
09:30reviens sur la question de la relation parce que ça rend beaucoup plus simple le livre en fait.
09:34L'unité du livre, c'est un livre sur la catégorie de la relation, mais qui n'est pas la relation
09:42scientifique, c'est pas la relation de la causalité scientifique. C'est pour ça qu'il commence par la
09:47beauté, par la beauté de la nature. Quand vous dites c'est beau, c'est un jugement, vous dites c'est beau. Mais
09:54cette beauté, ou la beauté d'une œuvre d'art pour lui là, c'est apparenté, ça pose le même
10:00problème. C'est que, qu'est-ce qui fait qu'une œuvre est belle ? C'est justement qu'elle est, nous on
10:04dirait, gratuite. C'est l'art pour l'art. Ça ne vise pas une fin. Le beau n'est pas l'utile. Donc le
10:11concept de beau, si on veut le penser, il faut penser sans faire intervenir une fin. C'est sans fin.
10:18C'est pas une relation à une fin. Parce que sitôt qu'on fait, par exemple, si on définit le beau par
10:23la perfection, c'est beau parce que c'est parfait. Ben non, la perfection c'est une fin. C'est un but.
10:27Donc c'est impur. Si on veut vraiment l'idée pure de beauté, il ne faut pas faire intervenir la fin.
10:34Et d'ailleurs, il prend des exemples assez concrets pour comprendre ça. Il dit, vous prenez
10:38Michel-Ange. Michel-Ange finalement, il ne poursuit pas un but conscient. Mais ce qui l'intéresse lui,
10:44c'est le vivant, c'est la nature. C'est ça qui l'intéresse. C'est pour ça que souvent on prend
10:50ce livre pour un livre sur l'art. Il n'y a zéro exemple. Il n'y a aucun exemple d'œuvre d'art. Le
11:03seul exemple, c'est un vieux poème, pas très réussi, de Frédéric II, qui en plus n'a même
11:08pas été de Frédéric II. Il a été réécrit par un inconnu, illustre, sur lequel j'ai travaillé dans
11:11une autre vie, mais peu importe, qui s'appelle Le Marty d'Argence, qui lui a réécrit ses vers.
11:15Vous voyez, s'il voulait parler de l'art, il en a des artistes autour de lui, ce n'est pas le
11:20problème. Non, non, ce n'est pas du tout l'objet. Il fait juste intervenir l'art parce que c'est nous
11:25qui faisons des œuvres d'art. Donc, soit on les fait sans fin, on fait de la beauté, c'est l'artiste,
11:31soit c'est l'artisan, le technicien. Et là, on a une fin. Je vise une fin. J'ai taillé un silex,
11:38j'ai pris les pierres pour faire une maison. Mais il n'y a pas de mystère pourquoi le silex est-il
11:44fait pour trancher la viande ? Parce que c'est moi, c'est moi, sujet humain, qui ai décidé de mettre
11:48dans cette pierre qui n'a aucune fin, la fin de trancher la viande. Mais je pourrais en faire une
11:53pointe aussi pour ne pas trancher, mais pour pénétrer, pour percer l'animal, etc. Donc,
11:58les fins des objets techniques, il n'y a aucune magie, il n'y a aucun mystère, ça vient de nous.
12:02Et pareil pour l'horloge. L'horloge est faite pour donner l'or, il y a un grand mystère. C'est
12:06nous, c'est l'horloger qui a fait ça pour ça. Donc, la fin vient de nous. D'accord ? Et donc,
12:13ça permet de dire que si on se sert du modèle de l'artisan pour le plaquer sur la nature, cet
12:19artisan étant rebaptisé Dieu, et qu'on ne fait jamais que se représenter comme l'artisan suprême,
12:24en fait, on franchit un abîme, un hiatus qu'on ne peut pas franchir, on prête ce qui est vrai
12:31pour nous, c'est-à-dire une cause libre qui choisit ses fins et qui agit, nous les prêtons à la nature.
12:38Et donc, nous nous mettons à délirer en nous représentant la nature comme des humains,
12:44en fait, comme des sujets humains, c'est plus des phénomènes naturels qui produisent des effets,
12:49ça devient des agents, des sujets qui agissent. L'œil n'est pas un sujet qui agit. Et pourtant,
12:55on ne peut pas faire autrement que d'utiliser cette idée de fin qui est une idée de la raison
13:03pour le comprendre, mais c'est comme s'il y avait un art de la nature, un artisanat de la nature,
13:11mais on ne peut pas dire qu'il y a un artisanat de la nature, et encore moins un artisanat de Dieu,
13:16un art de Dieu, Dieu qui serait l'artisan de la nature. Alors, on n'est pas aidé, il faut dire,
13:23dans notre lecture de la troisième critique, par les traductions. Alors c'est vrai que c'est
13:29sûrement très difficile à traduire, mais les trois traductions que j'ai lues, donc je
13:34les voulais prendre par ordre. La première, c'est celle de Filonenko, qui est chévrin,
13:39qui date des années 60. La deuxième, c'est celle de La Pléiade, qui est en folio. Alors ici,
13:46ils sont mis à trois. Donc ça, c'est un peu gênant parce que ce n'est pas forcément homogénéisé.
13:51Et la dernière, c'est celle de GF, qui a été reprise en GF, dans l'ordre chronologique, c'est ça.
13:57Et les trois présentent le même problème de traduction majeur, qui rend le livre illisible,
14:02c'est qu'ils emploient... il y a un mot en allemand qui est Verhältnis, ça veut dire
14:08relation ou rapport, d'accord ? C'est synonyme, ça veut dire un rapport ou une relation. Dans la
14:13table des catégories, Kant emploie le mot de relation en allemand, d'accord ? Seulement,
14:18quand vous lisez les deux premières critiques, il emploie comme des synonymes relation et
14:23Verhältnis, d'accord ? Même si en allemand, ce mot peut vouloir dire rapport ou relation. Et donc,
14:30à chaque fois qu'ils traduisent par rapport, on rate le fait que c'est la catégorie de la relation.
14:35Et dans la critique de la raison pure et dans la critique de la raison pratique,
14:39Kant emploie, par exemple, pour dire relation causale, il emploie Verhältnis. Mais il ne faut
14:45pas traduire par rapport causal, parce qu'on rate le fait que c'est l'une des catégories. Et ça a
14:50fait tout ce mythe d'un troisième livre bizarre, débordant, nouveau et tout. Pas du tout. C'est dans
14:55la continuité des tables des catégories et c'est un livre sur la catégorie de la relation. Et toutes
15:00les occurrences où, dans les trois traductions, ils traduisent par un rapport moral au fin,
15:05un rapport moral au fin, on ne voit pas qu'il s'agit de la relation morale de la table des
15:10catégories de la raison pratique. La relation morale au fin. Ils parlent de relation causale,
15:15ils traduisent un rapport causal. Et dans la traduction de Jeff, c'est encore plus difficile,
15:21parce qu'un coup c'est rapport, un coup c'est relation. Des fois, il traduit bien relation
15:24causale, mais d'autres fois, il met rapport. Non, c'est la relation. Et ce n'est pas contre Kant,
15:28puisque Kant lui-même utilise les deux mots pour à chaque fois dire relation, la catégorie de la
15:35relation. C'est quelque chose de précis. Ça, c'est quand même un problème majeur, parce que c'est ça
15:39qui fait rater l'unité du livre. Alors que si vous avez relation, et si vous lisez par exemple sur
15:46le beau, qu'est-ce qu'il dit du beau ? Tout de suite, il se met dans ce qu'il a élaboré. Il a
15:51mis tellement de temps à élaborer son système, c'est pas pour s'en débarrasser à la fin de sa
15:54vie. C'est un philosophe qui, pendant 30 ans, écrit 30 livres qui ne sont pas qu'anciens.
16:00Si Kant meurt à 56 ans, c'est un inconnu. Le travail qu'il a fait, et en trois ans,
16:06il sort les trois critiques. Donc, il est prêt à son système, même s'il découvre ce problème
16:12qui n'est pas réglé. Ce n'est pas le bronchopardement. Et il commence sur le beau,
16:17comment il explique le beau ? Il prend les catégories. La catégorie de la quantité,
16:21le jugement beau et universel, quantité c'est pour tous. Ensuite, la qualité. C'est quoi la
16:26qualité ? C'est que c'est plaisant. Et ensuite, c'est quoi ? C'est la relation. C'est qu'il y a
16:32une finalité, mais il n'y a pas de fin. C'est la catégorie de la relation. Et puis, la catégorie
16:36de la modalité, c'est nécessaire. Peu importe, je ne rentre pas dans le détail. Donc, pour finir,
16:42je finis sur une chose qui est un peu la pointe de la difficulté, mais définie par deux points.
16:47Un truc difficile et puis une chose plus facile. Quelque chose de difficile. Dans la première
16:54critique, Kant explique que le concept de cause, la relation de causalité, suppose le temps.
17:01Non pas le cours du temps, mais l'ordre du temps. Comment rendre le temps nécessaire ? Et donc,
17:07l'entendement prend sa catégorie de cause, sa relation causale, l'applique au cours du temps
17:13et le rend nécessaire, c'est-à-dire irréversible. On va nécessairement du feu vers la fumée. C'est
17:20parce qu'il y a d'abord eu du feu qu'il y a ensuite de la fumée. D'abord, il y a eu le mouvement de
17:25plaque, ensuite le séisme. Or, il y a une chose qu'on n'a pas remarquée, c'est qu'au début de la
17:30Critique de la raison pure, il expose le temps. Il fait toute une définition du temps, ça commence
17:33par ça. Et il ne parle pas de l'irréversibilité. Pour nous, ça nous paraît évident. Si je parle
17:38du temps, je parle de l'irréversibilité. Kant était-il idiot ? Kant aurait-il oublié en parlant
17:44du temps l'irréversibilité ? Non. C'est justement qu'il y avait une raison secrète en fait. C'est
17:49qu'il s'agissait de garder la succession, mais sans la confondre avec l'irréversibilité. Le temps,
17:57c'est de la succession. Très bien. Mais la succession irréversible, ce n'est pas le temps. C'est le
18:03temps plus l'entendement. Il faut que l'entendement prenne sa catégorie, sa relation causale,
18:07l'applique au temps pour que le temps devienne irréversible. Mais le temps tout seul n'est pas
18:12irréversible. Le temps, c'est de la succession. Et c'est comme ça qu'il va définir le concept de
18:17feu, dans toute son œuvre d'ailleurs, mais notamment par l'ère 65 de la Critique de la
18:22faculté de juger. Et il prend un exemple, c'est ça qu'il a dit, que c'est compliqué. Mais en fait,
18:25les grands philosophes sont toujours élémentaires. Il prend un exemple. Il y a une succession à
18:31double sens, une succession irréversible. Ah bon ? Oui, et c'est comme ça qu'on pense le concept
18:37de fin. Exemple de Kant. J'ai une maison, je la loue, je perçois les loyers. Très bien. Donc,
18:48c'est parce que j'ai une maison, c'est la cause, qu'après, plus tard, je percevrai des loyers. Là,
18:58on a l'impression d'être dans la cause scientifique, dans l'ordre du temps. Seulement Kant dit oui,
19:05mais c'est tout aussi bien l'autre qui est vrai en même temps. On ne peut pas séparer les deux.
19:09Parce que c'est parce que j'avais la fin, l'intention et le but de percevoir des loyers
19:13que j'ai fait construire une maison. Donc, dans la fin, la cause est au début et à la fin. Elle
19:22est dans les deux sens. C'est comme ça qu'il définit le concept de fin, avec cet exemple de
19:26la maison et des loyers. Et du coup, le concept de fin, l'idée de fin, pas le concept, c'est une
19:31idée de la raison, l'idée de fin, nous demande de la relier à un temps qui est de la succession,
19:38mais sans l'entendement. Parce que si vous y pensez, en fait, l'infirmité de l'entendement,
19:43c'est quoi ? L'infirmité de l'entendement, qui est la faculté de la science, c'est de ne concevoir
19:49de succession que mécanique, qu'à sens unique et aveugle. Et donc, avec cette relation causale
19:57scientifique, on ne peut pas expliquer pourquoi j'ai fait construire une maison. Pourtant,
20:03il y a bien du temps. Entre la maison et les loyers, il y a du temps, il y a de la succession.
20:07Mais c'est une succession réversible, à double sens. Et c'est, à mon avis, la raison pour laquelle
20:12l'irréversibilité n'est pas une propriété du temps pour Kant. Parce qu'il fallait laisser le
20:17temps, comme simple succession, disponible pour la raison pure, qu'il puisse en faire un usage
20:22qui n'était pas l'usage scientifique. Voilà. Alors, je finis maintenant ce que je voulais vous dire.
20:27Je finis sur ce que je voulais vous dire. Tu peux mettre la grotte, s'il te plaît, Jean-Luc,
20:37ma deuxième image. Merci. On peut résumer à quatre exemples. On peut résumer tout le livre à
20:53quatre exemples. Premièrement, les fleurs. C'est les exemples qui sont dans le livre. Les fleurs.
20:57C'est beau. Oui, mais il n'y a pas de fin. Parce que si vous êtes un botaniste, vous dites c'est
21:03beau parce que ça se reproduit, etc. Ça, ce n'est plus de la beauté. C'est de l'utile,
21:06finalement. C'est une finalité. C'est une finalité. Vous mettez une fin. Ça sert à...
21:11Ah, c'est bien fait, la nature est bien faite. Mais on veut dire elle est utile. Donc, ça,
21:15ce n'est pas la beauté. La beauté, c'est pur, c'est gratuit, c'est désintéressé. C'est le beau
21:18pour le beau. La fleur. Deuxièmement, le bâton taillé. Là, il y a une fin. Ce ne sont que des
21:27exemples de Kant. Le bâton taillé. Oui, mais là, il y a la fin. On comprend bien. C'est moi
21:30qui l'ai mis. Troisième exemple, la grotte d'Antiparos que Kant prend. Je vous ai mis les
21:37cartes en bas pour vous montrer. C'est dans les Cyclades en Grèce. Donc, ça, c'est une photo
21:41actuelle. Là, c'est une gravure du XIXe. Et là, vous voyez, vous avez la Grèce. Vous voyez,
21:46c'est dans les Cyclades. C'était pour vous montrer à peu près où c'était. C'est deux cartes en gros
21:49plan, petit plan. Il parle de cette grotte d'Antiparos. C'est rigolo comme exemple.
21:52C'est des stalactites. Et alors là, on est dans un exemple bizarre parce que c'est naturel.
21:58Ce n'est pas un bâton taillé. C'est beau, mais on a l'impression que c'est bien fait.
22:03Vous voyez, on a l'impression que c'est comme une architecture, comme une maison. Donc,
22:07ça brouille. Cet exemple semble brouiller la frontière entre le beau et l'utile. C'est entre
22:14le bâton et la fleur. Ça flotte entre le bâton et la fleur, la grotte d'Antiparos. Et là, Kant prend
22:18cet exemple pour nettoyer cette confusion et dire non, c'est de la cristallisation et c'est un
22:24phénomène mécanique. Ça relève de la science. Il n'y a pas de fin là-dedans. Si on y voit de la
22:28fin, c'est un délire interprétatif. C'est une projection. C'est très important parce que la
22:34question des cristaux va susciter jusqu'au début du XXe siècle l'idée d'un vitalisme parce que ça
22:40pousse. On a prêté, si vous voulez, une finalité aux cristaux. Et là, Kant cible ce problème-là.
22:47Il est très précurseur de ce point de vue-là. Donc ça, c'est le troisième exemple. Et le dernier
22:53exemple, c'est l'œil. L'œil vient à dire comment nier qu'il y ait une fin de l'œil qui soit faite
23:01pour voir. Oui, mais on n'est pas autorisé à le dire parce que la seule finalité, la seule cause
23:08qui fonctionne par des fins que nous connaissons, c'est nous. Nous ne connaissons pas Dieu. Nous
23:14ne pouvons pas nous référer à l'intention de Dieu. Surtout que Dieu n'est qu'une idée de la raison
23:22pour Kant. C'est ça la grosse révolution de Kant. Dieu, on ne parle pas de Dieu chez Kant, mais de
23:27l'idée de Dieu, c'est-à-dire l'idée que la raison humaine se fait de Dieu. Mais Dieu, ah bon ? Tu as
23:33accès direct à Dieu ? Donc on ne peut pas mobiliser Dieu comme la cause libre qui aurait mis des fins
23:39dans la nature, si bien que la seule cause que nous connaissons qui fait une relation à des fins,
23:46c'est nous, c'est notre liberté. Et on a l'impression que la nature est comme l'horloge.
23:52C'est comme si c'était une horloge. C'est comme si c'était un bâton taillé. Oui, c'est comme si.
23:55C'est une analogie. On ne peut pas dire que c'est le cas. Et du coup, l'objectif ultime de Kant,
24:03c'est de se dire qu'on ne peut pas laisser la physique et la biologie séparées. La raison a besoin
24:11de penser l'unité du savoir. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui en science la théorie de la
24:14grande unification. Les scientifiques sont tous tellement, dans les physiques des particules,
24:19physique nucléaire, c'est tellement éparpillé qu'il y a un morcellement du savoir. Or, on cherche
24:23la grande unification qui unirait non seulement les physiques, mais les physiques et la biologie.
24:28Et ça, ce problème, il est posé chez Kant et il le pose d'ailleurs contre l'encyclopédie d'Hydro
24:32et d'Alembert. Parce que l'encyclopédie d'Hydro et d'Alembert, c'est la grande encyclopédie du
24:36savoir de l'époque, mais qui a adopté l'ordre alphabétique, c'est-à-dire le désordre, qui a
24:40renoncé à l'unité du savoir. Donc, Kant dit que notre raison a une idée d'unité et d'unité de la
24:47nature. Et donc, c'est ça aussi le travail de la faculté de juger, c'est de ne pas faire l'économie,
24:54d'essayer de penser une convergence de tous les savoirs vers une unité. Ça ne veut pas dire qu'on
24:59l'a produit, qu'on le connaît ce savoir totalisé, mais on ne peut pas en faire l'économie. C'est un
25:04horizon que nous visons nécessairement. Et au-delà de ça, on ne peut pas non plus se satisfaire de
25:11cette séparation entre sciences de la nature et morale. Et du coup, la grande question qu'il pose,
25:18en fait, c'est celle de notre fin à nous, la fin des hommes. Quelle est la fin de l'homme ? Sa fin
25:26suprême, en fait. Et il dit deux choses qui sont très fortes. La première chose, c'est que la fin
25:31de l'homme n'est pas le bonheur, ça n'est même pas la culture et ça n'est même pas la politique,
25:36c'est-à-dire la paix cosmopolitique. Ça, c'est une fin secondaire, c'est une fin de dernière. Donc,
25:43la fin ultime, la fin suprême de l'humanité, c'est une fin morale. Et donc, d'où la question qui
25:50m'était posée tout à l'heure ? La philosophie n'a pas pour objet de demander que puisse savoir
25:57la science, ni même que dois-je faire, mais que m'est-il permis d'espérer ? Et c'est vers ça que
26:03converge la troisième critique. Que m'est-il permis d'espérer sur un horizon moral de l'humanité,
26:07mais qui est un horizon ni culturel, ni politique, ni économique ? Même si Kant a beaucoup travaillé
26:12sur ce terrain-là, ce n'est pas ça. Donc finalement, pour conclure, Kant redéfinit la philosophie de
26:19manière extrêmement classique, grecque finalement. La philosophie n'est pas l'amour du savoir,
26:23mais l'amour de la sagesse. Voilà, je vous remercie.
26:49Merci cher Guillaume. Merci, bravo. Et si les élèves du lycée français Liberté,
27:12Abba Makro, souhaitaient intervenir ? On peut peut-être demander à nos élèves à nous qui
27:16n'ont pas pu parler dans la première partie. Tout à fait, allons-y, qu'ils viennent à ta place.
27:22Oui, oui. Est-ce que quelqu'un veut poser une question ? Vous pouvez venir ici ? Eh oui,
27:27parce qu'il faut que vous parliez là, on ne va pas vous entendre sinon. N'inquiétez pas,
27:31la gloire ça fait drôle au début, après on s'habitue. Oui, parce que sinon on ne vous entendra
27:39pas. D'accord. Oui. Très bien, allez-y. Donc ma question est la suivante. Donc,
27:51quant à s'en avoir une grande confiance dans les sciences et dans la morale, pourtant,
27:55comment il peut justifier justement cette confiance, sachant que la morale peut être
28:01aussi définie par, justement, la culture et la subjectivité qui nous est propre,
28:07et il semble justement expliquer d'une manière un peu universelle sa théorie,
28:13alors qu'il y a cette question de la subjectivité et de la culture qui se pose aussi.
28:17Oui, tout à fait. Je vais reprendre la place. Oui, alors ça, effectivement, c'est tout à fait
28:26une question qu'on pose aujourd'hui, que beaucoup de gens posent à Kant. En fait,
28:30ça va permettre d'expliquer un concept qui est central chez Kant, qui l'introduit. Souvent,
28:34un philosophe introduit un concept, ce n'est pas pour s'amuser, c'est qu'il a besoin de
28:38poser un problème. Et ce mot, c'est le mot de transcendantal. Chez Kant, je vous ai dit,
28:43il prend pour objet d'étude, non pas un objet, mais le sujet lui-même. L'objet de la philosophie
28:50de Kant, ce n'est pas les objets, c'est le sujet. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas parler d'objet
28:55sans un sujet. C'est parce qu'il y a un sujet qu'il y a des objets. Donc, l'objet n'existe
28:59que par un sujet et pour un sujet. Donc, il prend le sujet. Or, ce sujet chez Kant n'est pas un
29:03sujet empirique, ce n'est pas un sujet français, ce n'est pas un sujet qui parle telle langue,
29:08c'est un sujet transcendantal. Qu'est-ce que ça veut dire un sujet transcendantal ? C'est très
29:14fort. Il faut comprendre pourquoi il a besoin de cette notion-là, parce que sinon on ne comprend
29:18rien. Pourquoi il a besoin de ça ? Pour penser une subjectivité, mais en un sens tout à fait nouveau,
29:27où subjectif ne veut pas dire pour moi, même pas pour nous, pour nous Européens par exemple,
29:33mais pour nous tous les hommes. Il a besoin de penser une subjectivité qui soit en même temps
29:42une universalité. Pourquoi il a besoin de ça ? Ce n'est pas que ça l'amuse, c'est qu'il est sous
29:48le coup de la révolution de la science moderne, comme je l'ai dit tout à l'heure, et en particulier
29:52de Newton. Or, les lois de Newton que vous les refassiez dans un laboratoire chinois,
29:58lapon, japonais, français ou autrichien, c'est les mêmes. Les résultats sont les mêmes. Donc
30:04comment expliquez-vous cette universalité du savoir scientifique s'il n'y a pas un sujet
30:10universel capable, au-delà de ces différences culturelles, linguistiques, ethniques, historiques,
30:18etc., et y compris historiques, parce que les lois de Newton, nos élèves qui ne sont pas scientifiques,
30:24les étudient comme à l'époque de Newton. Donc c'est indépendant du temps, c'est indépendant de la
30:29géographie. Donc on a besoin de penser un sujet transcendantal. C'est la même chose pour le beau.
30:36Le beau n'est pas le joli. Pour moi, telle personne est jolie. C'est subjectif au sens
30:43faible. Pour nous, Européens, tel truc, c'est joli. C'est pour nous, mais c'est encore un sens
30:48faible. Mais le beau, si le concept de beau existe, c'est pour tous. C'est le beau universel. On a
30:57besoin de penser ce problème-là. Est-ce qu'il y a quelque chose comme un beau universel ? Or ça,
31:01ça serait l'objet du jugement d'un sujet qui est nécessairement universel, qu'on ne peut pas
31:10réduire à du particularisme culturel ou géographique, historique, etc. Donc deux choses pour
31:18compléter ma réponse, parce que ça, c'est une question très importante. Déjà, retenez que chez
31:21Kant, subjectif veut dire universel, pour nous tous. C'est une sacrée révolution, ça. Il invente
31:27une notion de subjectivité. Oui, c'est subjectif parce qu'on ne parle pas du réel, on ne parle pas
31:31de l'être en soi, puisque c'est pour nous. C'est pour nous et par nous. Oui, mais c'est par nous
31:35tous. C'est vrai pour tout sujet humain. Ce n'est pas relatif à mon individualité. Subjectif ne veut
31:41pas dire individuel, mais universel. Une énorme révolution, si vous y pensez. Donc deux choses à
31:46ce propos. Je parlais de Bachelard tout à l'heure. Bachelard, il prolonge énormément Kant et il dit,
31:52par exemple, qu'en science, le sujet qui pense en science, ce n'est pas un cogito, ce n'est pas un
31:57« je pense », mais un cogitamus. Nous pensons. Nous, la communauté des savants. Donc, il s'inscrit
32:03tout à fait dans cet héritage du sujet transcendantal. Et maintenant, une objection qu'on
32:09pourrait faire, parce que votre question est l'hérisse de cette objection. C'est vrai que les
32:12sciences humaines, la linguistique notamment, par exemple, je vous renvoie à un article d'Emile
32:17Benveniste qui s'appelle « catégorie de langue et catégorie de pensée ». C'est dans « Les
32:21problèmes de linguistique générale » où il montre, c'est très intéressant, qu'en fait,
32:25tous les prétendus savoirs universels, etc. sont en fait les reflets et les produits d'une langue
32:33appartenant à une époque, à un endroit particulier. Et il le montre notamment avec Aristote. Il dit
32:38Aristote pense avoir les catégories, la métaphysique d'Aristote, il pense l'être en
32:42soi, les catégories universelles de l'être en soi, alors qu'en fait, ces catégories sont le simple
32:47décalque de la langue grecque, des catégories grammaticales de la langue grecque. Mais si
32:52Aristote n'avait pas été grec, mais togolais, c'est les exemples que prend Benveniste, au Togo,
32:59on parle la langue ewe, e-w-e. Or, en grec, le verbe « être » a un rôle fondamental. C'est
33:07vraiment comme en français d'ailleurs, c'est vraiment comme vous diriez un auxiliaire, c'est
33:10le pivot de la langue, le verbe « être » en grec. Du coup, ça explique qu'on avait l'être en soi,
33:14la philosophie de l'être, la métaphysique de l'être, etc. Mais pour Benveniste, ça n'a rien
33:18d'universel. C'est un produit historique grec. Donc là, c'est une réfutation de Kant, si vous
33:23voulez, bien sûr. Et il dit, par contre, si Aristote avait été togolais, au Togo, pour dire
33:30que c'est humide, on ne dit pas « c'est humide », il n'y a pas le verbe « être ». Le verbe qui a
33:35le rôle central, c'est « faire ». Donc, on va dire « faire au », « ça fait au ». Et « faire au »,
33:41c'est comme ça qu'on dit, mais du coup, il n'y a pas le verbe « être ». Et « faire », ça arrive,
33:45ça se fait, ça se défait, c'est du temps, ce n'est pas de l'être. Donc, on peut tout à fait
33:50montrer, et les sciences humaines l'ont montré, notamment, je vous dis, la linguistique, qu'on
33:55peut contester ce sujet transcendental et se demander s'il n'est pas lui-même tributaire
34:00d'un particularisme culturel, linguistique, etc. C'est ça, je pense, votre question.
34:06Moi, je ne suis pas là pour vous donner la vérité ni la réponse, je suis là pour vous mettre dans
34:10l'embarras et après, vous débrouillerez avec ça. C'est ça mon travail. Si vous arrivez avec une
34:15évidence que vous repartez dans l'embarras, j'ai fait mon travail. Merci Guillaume, on prend une
34:20deuxième question à Limoges. Peut-être une deuxième intervention d'un élève ?
34:25Limoges, s'il vous plaît, voulez-vous poser encore une deuxième question ?
34:35Ils sont dans un silence perplexe.
34:38Méditation.
34:40Voilà, ils sont dans un silence méditatif.
34:42Parfait, parfait. Je reviens donc vers Bamako. Vos questions, s'il vous plaît.
34:47Ils se font ses libertés. On vous écoute. Allez-y, activez votre micro.
34:58Bonjour à tous. Ma question est la suivante. La science peut-elle expliquer l'évolution de la
35:08vie de manière totalement déterministe ?
35:10On va dire que c'est tout l'objet du propos pour le coup. Je ferai juste une réponse pédagogique
35:20là pour le coup parce que je pense que sur le contenu, j'ai quand même traité ça. Mais juste
35:25une question pédagogique. En philosophie, je vous conseille de vous méfier de l'usage des ismes
35:30déterministes, etc. C'est vite la facilité pour ne pas penser ce qu'on dit. Je mets un isme et tout
35:37le monde sait ce que ça veut dire. Je pense que c'est une bonne règle de s'interdire l'usage de
35:41tout isme. Donc le déterministe, qu'est-ce que ça veut dire ? C'est ça ma réponse en fait. C'est
35:45quoi une explication déterministe ? C'est une explication pour laquelle il n'y a dans la nature
35:53que des effets qui sont produits par des causes. Et si je reste chez Kant, des causes précédant
35:59nécessairement les effets. Donc on est dans un ordre du temps qui n'a pas de sens. Il y a un
36:06ordre du temps. Mais voilà, c'est ça une explication déterministe. Pour le dire même
36:10simplement, le passé détermine le présent et l'avenir. L'avenir et le présent sont conditionnés
36:15par le passé. L'explication finale, c'est le contraire. C'est que ce qui vient avant, c'est
36:22à dire c'est parce que j'ai le projet de gagner de l'argent que voilà une maison qui se construit.
36:28C'est comme si l'avenir aspirait le présent et le passé. D'ailleurs, j'ajoute un mot là-dessus
36:37puisqu'on parle de ça. Au fond, le grand problème de Kant, il distingue, je vous ai dit dans la
36:43première critique, le cours du temps et l'ordre du temps. Mais le problème de la faculté de juger,
36:48qui est le problème ultime, celui vers lequel converge toute sa philosophie, c'est celui de
36:52quelque chose d'assez déconcertant qui est non pas l'ordre du temps, ni non plus le cours du temps,
36:57mais le sens du temps. Est-ce que le temps a un sens ? Et ça, ça suppose de réconcilier le temps
37:03qui appartient à la sensibilité et à l'imagination avec la raison pure. Or, tous les textes de Kant
37:10sur l'horizon de paix, la paix comme horizon, l'histoire, le concept d'histoire chez Kant,
37:17l'histoire n'est pas un chaos, ce n'est pas le cours de l'histoire, ce n'est pas l'ordre de
37:21l'histoire, c'est le sens de l'histoire. Et donc là, on est bien obligé de penser un temps qui est
37:27réconcilié avec la raison. Et je pense personnellement que le dernier mot de Kant, c'est
37:32de revenir sur une opposition qu'il avait faite entre l'espace et le temps d'un côté et la raison
37:39de l'autre, et il finit finalement par réconcilier le temps et la raison, et c'est l'espace de l'autre,
37:46parce que l'espace, lui, la raison ne va pas se reconnaître dans l'espace. C'est là où, pour le
37:50coup, Spinoza, avec la géométrie, avait raison, l'espace n'a pas de sens. Donc, la raison ne peut
37:55pas se retrouver dans l'espace. Par contre, elle peut finalement investir le temps. Et d'ailleurs,
38:01si vous y pensez, qu'est-ce que c'est qu'une action ? Une action libre, c'est quelque chose qui n'est
38:07pas dans le temps. Ma liberté n'est pas dans le temps, elle n'a pas d'avant. Si ma liberté a un
38:10avant, ce n'est plus une cause libre. Donc, c'est intemporel. Mais mon acte, je décide, par exemple,
38:16de vous pointer du doigt. Mon acte, lui, il se produit bien dans le temps, et c'est ce que Kant
38:20appelle. Normalement, le mot de phénomène, c'est que ce qui est dans l'espace et dans le temps,
38:24qui n'a rien à voir avec les fins, avec la raison. Mais il appelle toutes nos actions, lever le doigt,
38:29monter du doigt, enfin, n'importe quelle action, mettre son chapeau, ce que vous voulez, il appelle
38:34ça des phénomènes de l'esprit. Donc, l'esprit, la raison pure, l'intemporel qui se temporalise.
38:39C'est les phénomènes de l'esprit. Il en parle comme ça. Ça annonce un tout petit peu Hegel sur
38:44les bords, d'ailleurs, par parenthèse. Et c'est nécessaire pourquoi ? Parce que sinon, vous ne
38:49pouvez pas, c'est pour finir sur le déterminisme, vous ne pouvez pas distinguer cligné des yeux,
38:53que cligne des yeux. Ça, c'est un phénomène naturel. C'est causé par la physiologie. C'est
39:00un phénomène naturel. C'est comme la pierre qui tombe. C'est du Newton, les clignés des yeux.
39:03D'accord ? Mais je te fais un clin d'œil. C'est bien le même mouvement. Il y a bien le même
39:08mouvement. C'est bien un phénomène. C'est de haut en bas, c'est dans l'espace, c'est spatio-temporel
39:12et tout ce que vous voulez. Oui, mais à l'origine, il n'y a pas une cause, il y a une idée. Il n'y a
39:18pas une cause de l'entendement, il y a une idée, une idée de la raison pure. C'est mon idée de te
39:23faire un clin d'œil. Donc, on est bien obligé de faire la différence entre cligner des yeux et
39:28faire un clin d'œil. Ça, c'est un exemple à moi, mais il est inspiré de l'exemple que prend
39:31Kant de bailler. Je baille tout d'un coup et hop, par mimédie, vous baillez involontairement. C'est
39:38un phénomène naturel. Mais est-ce qu'on ne fait que bailler ? Quand je parle, je baille. Et pourtant,
39:44il y a bien le mouvement, c'est bien un phénomène physique, naturel, etc. Mais il y a bien l'esprit
39:48qui a un effet sur le corps naturel. C'est nos actions. Merci beaucoup cher Guillaume. Une dernière
39:58question. Nous n'avons que trois minutes pour finir ce programme. Est-ce que du côté de l'École
40:03Française de Saint-Pétersbourg, il y a une question ? Ou du côté du lycée français de Pondichéry ? A
40:11vous de vous manifester, s'il vous plaît. Est-ce que j'ai une question ? Mettez-vous devant la caméra,
40:25s'il vous plaît. Est-ce qu'on peut dire qu'il y a une finalité de l'histoire ? Est-ce qu'il y a
40:39une intentionnalité dans le sens ? Est-ce qu'on peut dire que c'est juste une relation de cause
40:45aéré ou vraiment une intention ? Une intention, d'accord. Ça, c'est une très bonne question,
41:01magnifique question. On peut répondre à ça. Il y a un petit texte de Kant qui s'appelle
41:08« L'idée d'une histoire universelle au point de vue conspropolitique ». C'est un texte un peu
41:13étrange parce que c'est un article de journal. Donc, du coup, il n'utilise pas toute son artillerie
41:16conceptuelle. Il en utilise un peu, mais assez peu finalement. D'ailleurs, du coup, c'est assez facile
41:20à lire. Mais on ne retrouve pas l'élaboration conceptuelle. Or, il a déjà écrit « La critique
41:25de la raison pure » quand il écrit ça. Donc, ce n'est pas qu'il manque de son système, il l'a. Mais là,
41:30comme c'est pour un lectorat de grand public, s'il vous plaît, il y va plus doucement. Donc,
41:39qu'est-ce qu'il dit ? On regarde l'histoire humaine. Qu'est-ce qu'on voit ? Un chaos. C'est
41:43du Shakespeare. Le monde est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur. La
41:50conclusion de Macbeth. Voilà ce qu'on voit. Et ça, pour Kant, c'est superficiel. Notre raison ne peut
41:57pas s'empêcher de considérer sous cette apparence de chaos, de violence, de guerre. Aujourd'hui,
42:03on ne manque pas d'exemples de ce chaos. Mais la raison ne peut pas s'empêcher de penser sous
42:10ce chaos un sens de l'histoire, une orientation de l'histoire. Et par exemple, on voit que la
42:17guerre, pour Kant, n'amène pas la guerre, mais au contraire la raréfaction de la guerre. Donc,
42:23c'est comme si la violence et la folie des hommes se contredisaient elles-mêmes et convergeaient.
42:30On peut prendre la société des nations, l'ONU, l'Europe, etc. On peut prendre l'Europe. L'Europe,
42:35c'est un bon exemple kantien. On s'est fait la guerre entre la France et l'Allemagne, notamment
42:41le 19e siècle, le 20e siècle, etc. Mais cette guerre, finalement, Kant l'interpréterait comme
42:46ça. Il le dit comme ça. Il ne prend pas l'exemple du 20e siècle, évidemment, mais c'est tout à fait
42:50un exemple fidèle. Et donc, il y a une sorte de contradiction interne. Donc, on pense cette
42:55convergence vers une paix, etc. Seulement, il dit deux choses. D'abord, d'où le titre, c'est
43:02l'idée d'une histoire universelle. Ce n'est pas une histoire universelle, parce que sinon on retombe
43:06chez la limite. Sinon, c'est la providence divine. Quand il dit les dessins de la nature, dans ce
43:12texte, c'est pour ça que c'est un texte qu'il faut faire attention, parce que comme il parle au grand
43:15public, il perd un peu de la rigueur conceptuelle. Il parle des dessins de la nature, Kant ne parle
43:19jamais de dessins de la nature, des dessins des intentions de la nature. Jamais, jamais. Il n'y a
43:24pas d'intention de la nature. Ça, ça ruinerait toute sa philosophie. Non, c'est le jugement
43:29réfléchi. Comme s'il y avait un dessin de la nature. Il n'y a certainement pas de dessin de la
43:33nature, parce que sinon, la philosophie de Kant ne sert à rien. Vous êtes chez Leibniz. C'est la
43:37théodicée, c'est la justice divine, c'est la providence divine. Donc, il ne s'est rien passé
43:41entre Leibniz et Kant. Si, il s'est passé que cette justice divine est une idée de notre raison.
43:46Ce n'est pas la loi de la nature. D'où le titre, c'est une idée d'une histoire universelle. Ce n'est
43:50pas une histoire universelle. Ce n'est pas une providence, ce n'est pas une théodicée. Et la
43:53deuxième chose qu'il faut dire, c'est ce que je disais tout à l'heure, c'est que même ce sens
43:57de l'histoire que nous pensons, nous pensons un sens de l'histoire, nous pensons, mais on ne peut
44:03pas faire autrement que de penser l'histoire comme étant orientée vers un sens. Mais néanmoins, ce
44:07sens de l'histoire n'est pas la fin suprême de l'humanité. C'est ça la grande révolution de la
44:12critique de la faculté de juger. Souvent, on s'arrête sur ces textes politiques, la cosmopolitique
44:18et tout, mais Kant dit, oui, mais ça, c'est la fin dernière, ce n'est pas la fin suprême. La fin
44:23suprême, c'est que m'est-il permis d'espérer, moi en tant qu'homme, et plus tellement en tant que
44:30citoyen, que sujet politique, etc., en tant qu'homme. Et là aussi, je finis là-dessus, là aussi,
44:36on voit à quel point Hegel a lu Kant de très près, parce que finalement, c'est ce qui explique que
44:41chez Hegel, la politique amène quoi ? À la guerre, à la relation internationale, et que ce n'est pas
44:48sur le terrain politique qu'on va trouver la fin ultime, mais d'abord dans l'art, l'universalité,
44:54selon Beau, ensuite dans la religion et puis dans la philosophie. Et ça, on peut penser que c'est
45:00une séquelle de la lecture de Kant sur Hegel. Merci beaucoup cher Guillaume, merci à vous
45:10tous. Cher Antoine, un petit mot, très rapide, s'il te plaît. Pas de questions, pas de questions
45:19au chat sur Twitch, pardon. Je n'ai pas de questions, tout pour moi est vraiment clair.
45:28Peut-être une interrogation, est-ce que le jugement, dans la critique de la faculté de
45:34juger, est un véritable jugement ou c'est pas précisément de donner un sens ? Parce que
45:40peut-être le mot est polysémique. Le jugement s'est fondé sur des critères de valeur et sur
45:47des valeurs. Est-ce que chez Kant, il y a des valeurs, si ce n'est la valeur ultime qu'est
45:53l'homme en fait ? Merci, un mot. Je dis juste un mot d'une demi-minute, d'une demi-seconde. Donc,
46:00juger chez Kant, c'est un sens plus large que le jugement de valeur, on le voit dans la critique
46:04de l'aventure. Juger, le scientifique juge. Juger, c'est déterminer le temps par la catégorie de
46:09causalité pour en faire un ordre du temps. Ça, c'est juger. D'ailleurs, si vous regardez dans
46:13le chapitre sur le schématisme dans la critique de la raison pure, c'est le jugement. C'est les
46:19principes du jugement, comment on juge. Donc, c'est un jugement scientifique. Maintenant, pour
46:22ce qui est du jugement moral ou qui essaye de dépasser l'opposition entre nature et liberté,
46:29entre science et moral, effectivement, donner du sens, je trouve que c'est une excellente
46:33définition. Surtout que ça vient de nous, c'est nous qui donnons du sens, c'est pas qu'il y a du
46:37sens, on peut pas dire qu'il y a du sens. J'aime bien l'idée, oui. Merci, cher Guillaume. Merci,
46:45Antoine. Merci également à Jean-Luc Gaffard qui a assuré remarquablement le fonctionnement de la
46:52régie ce matin. Merci à madame Isabelle Redon qui partage avec nous cette matinée et à tous
46:57les collègues, donc du lycée français de Bamako, Benjamin Odraogo, monsieur Ibrahim Ouali au lycée
47:06français de Pont-du-Cherry. Merci infiniment également à monsieur Grégory Galman à l'école
47:15française de Saint-Pétersbourg. Les élèves sont toujours les bienvenus, je les remercie infiniment
47:21de leur participation intelligente et pertinente. Merci à vous tous. J'espère n'avoir pas oublié
47:29les élèves de Guillaume au lycée Guélusac de Limoges, qu'ils soient vivement remerciés de
47:40leur participation. Bonne chance pour la poursuite de leurs études. Très bonne matinée et à très
47:45bientôt pour une suite dans notre programme d'ici quinze jours.
47:59– Sous-titrage FR ?