Dans « Ajouter de la vie aux jours », Anne-Dauphine Julliand revient sur la perte de ses trois enfants.
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00:00Je me suis dit que je ne me remettrais jamais. Honnêtement, je me suis dit que de cette peine-là, je ne pourrais pas y survivre.
00:06Je m'appelle Anne Dauphine Julian, je suis mère de quatre enfants et autrice.
00:11Et je viens d'écrire un livre qui s'appelle « Ajouter de la vie au jour ».
00:14Ce livre, c'est un livre que j'aurais aimé ne jamais avoir à écrire.
00:17C'est un livre que j'ai écrit suite au décès, ou plutôt au suicide de mon fils Gaspard, il y a deux ans et demi.
00:25Et la mort de Gaspard a été un tsunami, d'autant qu'auparavant, mes deux filles étaient décédées.
00:31La maternité, pour moi, ce n'était pas quelque chose d'évident.
00:34J'étais très impressionnée par la grossesse.
00:37Et puis, j'ai eu la chance, il y a 25 ans, de rencontrer un homme qui est l'homme de ma vie.
00:42Un coup de foudre, comme on n'y croit pas.
00:43Enfin moi, en tout cas, comme je n'y croyais pas.
00:45Et c'est venu assez naturellement avec lui.
00:47En fait, j'ai eu l'envie, peut-être plus que l'envie, la confiance pour avoir des enfants.
00:53On a eu d'abord un garçon, Gaspard, ensuite Thaïs, Asilis et Arthur.
00:57Nous avons vécu la mort de nos deux filles et surtout leur maladie.
01:02Enfin, leur vie d'abord, et puis jusqu'à leur décès.
01:05Et je pensais que j'avais atteint le summum de la souffrance.
01:09Et la mort de Gaspard m'a complètement fracassée.
01:13C'était autre chose, c'était la mort soudaine, brutale, inattendue.
01:18Ça a été l'impossible qui devient possible.
01:20C'est dur de vivre l'instant présent quand on est confronté à une si grande souffrance.
01:24Parce que tout résonne de cette souffrance et on n'a pas envie d'y aller.
01:28Et avec ça, je sais que quand la peine est là, si je ne la vis pas en toute sincérité,
01:33elle va revenir à un autre moment.
01:35Dans ma démarche d'écriture, il y a vraiment une volonté de partager.
01:40De partager une expérience de vie.
01:42Pas forcément de raconter toute ma vie pour le plaisir de parler de moi.
01:46Mais juste de partager une expérience qui est à la fois immensément personnelle,
01:52mais incroyablement universelle.
01:54Pas universelle dans le sens où c'est ce qui va arriver à tout le monde,
01:57mais universelle parce que ça dit tellement la vie.
02:02Toutes ces peines et ces joies mêlées, c'est tellement la vie.
02:05Ajouter de la vie au jour, c'est vivre, vivre l'instant présent.
02:08C'est incarner ce que l'on a à vivre, tant dans ce qui est triste que dans ce qui est heureux.
02:13Et cette découverte de ce pas à pas, d'ajouter à chaque instant de la vie,
02:17ça m'a permis de me rendre compte que la seule façon d'être heureux quand on est éprouvé,
02:22c'est de vivre pleinement sa peine.
02:23C'est de lui laisser un espace.
02:26C'est de l'apprivoiser, de la laisser dans notre vie.
02:28Pas de la faire fuir, pas de la chasser, pas de la cacher.
02:31Elle est légitime cette peine.
02:32L'apprivoiser, et c'est la seule façon d'arriver à être heureux après.
02:35Quoi qu'il arrive, le printemps reviendra.
02:37Et c'est une perspective qui permet de vivre intensément l'hiver dans lequel on est.
02:42Et juste se dire, qu'est-ce qui va se passer ? Et demain ?
02:44Et finalement, revenir à ce lendemain, c'est aussi croire au printemps.
02:49C'est-à-dire que là, on a vraiment le cœur en hiver, on est pris dans la glace.
02:55Mais que le printemps reviendra.
02:56Est-ce qu'Arthur représente le printemps ?
02:58Arthur, il est pour nous la vie.
03:03Le fruit de notre amour aussi, il est l'amour.
03:05Mais il l'est autant que ses frères et soeurs.
03:08Tout l'enjeu maintenant, toute peut-être la difficulté,
03:12c'est de donner à Arthur sa juste place sans faire peser sur lui le poids du survivant.
03:16Je ne peux pas dire qu'Arthur est tout, parce que c'est trop d'être tout pour quelqu'un.
03:21Enfin, pour lui, c'est une responsabilité qui est trop écrasante.
03:24Il est évidemment un peu le futur, parce qu'heureusement, je recommence à l'imaginer grandir,
03:29ce que je m'étais interdit après la mort de Gaspard.
03:31Mais si, je le projette dans le futur aujourd'hui, je le projette dans ce printemps-là.
03:35Mais tout en me disant que ce qu'on a à vivre, on le vit maintenant.
03:38Mes enfants, alors quand je dis mes enfants, je parle autant de Gaspard, Thaïs, Asilis et Arthur.
03:44Ils m'ont appris la vie, dans toute sa grandeur et sa délicatesse,
03:50dans tout ce qu'il y a d'immense dans la vie et de tout petit aussi.
03:53Je crois qu'ils m'ont appris à continuer à m'émerveiller.
03:56Alors ce livre ne rend pas plus mes enfants vivants, parce qu'ils ne le sont pas vivants,
04:02mais ils sont dans une éternité qui est l'éternité de l'amour que j'ai pour eux.
04:10Et si on peut les sentir vivants, si on peut les sentir, les percevoir,
04:15quand on lit un livre ou quand j'en parle, c'est parce que ce qu'il reste éternellement,
04:21c'est de l'amour que j'ai pour eux.
04:22L'engagement d'un parent dans la vie de son enfant, ce n'est pas de lui garantir qu'il va être heureux.
04:26Ce n'est pas de lui garantir qu'il ne va pas souffrir et qu'il va vivre 99 ans.
04:31On ne peut pas dire à son enfant « jamais tu ne vas souffrir »,
04:34mais par contre on peut lui dire « quoi qu'il arrive, je t'aimerai toujours ».
04:38C'est mon seul engagement.
04:39Et que ce soit pour Gaspard, pour Thaïs, pour Asilis ou pour Arthur,
04:43l'engagement que je tiens, c'est de les aimer toujours.