"Vous pensez que vous ne faites jamais d'erreur sur l'accord du participe passé ? C'est faux !"
Ils en ont marre d'entendre que le français va mal. Le "déclin" de l'orthographe, la "menace" de l'anglais… Les linguistes Laélia Véron et Monté s'attaquent aux idées reçues sur notre langue.
Ils en ont marre d'entendre que le français va mal. Le "déclin" de l'orthographe, la "menace" de l'anglais… Les linguistes Laélia Véron et Monté s'attaquent aux idées reçues sur notre langue.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00C'est quoi votre mot préféré en fait ?
00:02Kouakoubé en ce moment, je le trouve très intéressant.
00:04Très intéressant, Kouakoubé.
00:15Nous sommes un collectif de 18 personnes qui se sont réunies pour écrire ce tract.
00:20Quand on dit le français va très bien merci, c'est une manière de répondre à d'autres discours
00:24qui forment un véritable marché de la peur en nous disant que le français va mal,
00:28qu'il y a des fautes partout, que les jeunes parlent mal, que tout va très mal.
00:32Donc oui, on répond bien entendu à ces discours-là.
00:34Selon les estimations, en 2050, il y aurait entre 700 millions
00:37ou jusqu'à 1 milliard de locutrices de locuteurs francophones.
00:41Donc le français va bien dans ce sens qu'il ne va pas disparaître.
00:45Au contraire, il y aura de plus en plus de personnes qui vont parler français.
00:48On ne veut pas dire que tout va très bien par exemple dans la formation d'un enseignement du français.
00:53On pense aux profs de français qui rencontrent des difficultés sur le terrain,
00:56on pense aux difficultés qu'ont des fois les gens pour s'exprimer, pour se comprendre.
01:01Mais simplement, on voudrait différencier justement ces problèmes-là qui peuvent être réels,
01:08des discours, des cliniques catastrophistes qui vont confondre justement la langue et les pratiques,
01:14les institutions, l'enseignement de la langue.
01:16Il faut essayer de différencier tout ça. C'est notre travail.
01:18Et puis les langues, elles ne sont pas exclusives.
01:20Ce qu'on dit dans le tract aussi, les langues ne sont pas exclusives les unes des autres.
01:22En fait, parler plusieurs langues, c'est bien aussi.
01:25Mais il n'y a aujourd'hui, je pense, aucune langue vraiment qui n'est une menace pour le français.
01:29L'anglais n'est pas une menace pour le français en tant que langue.
01:32Par contre, la position de l'anglais en France pose des questions politiques,
01:36des questions de politique linguistique.
01:37Pour moi, c'est deux choses quand même qui sont différentes.
01:39Encore une fois, il faut différencier.
01:40Je pense qu'il y a des mots qui relèvent plus d'un langage marketing.
01:45Justement, quand on a des « ing » qui sont mis à toutes les sauces,
01:48on va faire du showering, enfin je ne sais pas quoi, du branching.
01:52Du running.
01:53On l'a bien entendu, c'est un aspect ridicule et énervant.
01:55Mais est-ce que ce qui énerve, c'est l'anglais
01:57ou est-ce que c'est le langage marketing justement qui vient derrière ?
02:02On a eu d'autres phases.
02:03On en parle dans le tract.
02:04L'italien, ça a été la grande lubie de la Renaissance.
02:08On en a conservé une partie.
02:09Une partie a disparu depuis.
02:11L'anglais, ça risque peut-être…
02:12Enfin, on ne peut pas vraiment faire de prédiction,
02:14mais il est probable que ça suive une trajectoire similaire
02:18où une bonne partie des anglicismes qu'on utilise aujourd'hui
02:19sont en fait symptomatiques de notre époque.
02:22Et pas forcément en vocation à rester.
02:24On verra.
02:25Le français oral n'est pas moins valable que le français écrit ?
02:28Il correspond à d'autres règles en fait ?
02:30C'est une autre manière de penser la langue ?
02:32Souvent, on voit le français oral comme une version dégradée du français écrit.
02:37Il y aurait le français écrit qui serait le bon français,
02:39puis la manière dont on parle qui serait juste une version un peu moche,
02:43un peu restreinte, alors que tout simplement…
02:46Alors déjà, c'est très intéressant d'étudier le français oral
02:50et puis il répond effectivement à d'autres règles.
02:53Moi, le français oral, c'est celui que je parle depuis toujours
02:55et moi, comme je le disais tout à l'heure,
02:57j'ai galéré à apprendre à écrire, alors si c'était le seul français valable,
03:00j'aurais bien été dans la merde.
03:02Prendre en compte les spécificités du français oral,
03:04c'est très intéressant, ça nous fait comprendre
03:06plein de petites choses dans nos interactions.
03:08Par exemple, pourquoi est-ce qu'on se répète plus à l'oral ?
03:10Eh bien parce que contrairement à l'écrit,
03:12la personne ne peut pas aller relire le début de la phrase
03:14et voir ce dont on parlait,
03:16donc on le répète aussi pour que notre interlocuteur suive
03:20ce dont on parlait.
03:22Puis on peut avoir un style très littéraire à l'oral
03:25et on peut avoir un style beaucoup plus relâché à l'écrit en fait.
03:29Ça se superpose.
03:31Quand moi j'écris sur Messenger ou sur Twitter,
03:35c'est pas du style littéraire,
03:37c'est plutôt du style oral en réalité.
03:39C'est vraiment une espèce de transcription,
03:41une espèce d'entre-deux quelque part.
03:43Oui, il y a un écrit oralisé, ça,
03:45de tout ce qui est des fois sur les réseaux sociaux,
03:47les messages éphémères et les SMS
03:49qui va brouiller un peu les frontières entre les deux.
03:51Mais pour le français oral, souvent c'est intéressant aussi,
03:53ça c'est quelque chose qu'en linguistique
03:55vraiment tout le monde étudie.
03:57On ne se rend pas compte de nos propres pratiques linguistiques.
04:00On ne parle pas comme on pense qu'on parle.
04:02Il y a des gens qui vont vous dire,
04:04moi j'oublie jamais le no de négation.
04:06On l'oublie en le disant très souvent.
04:08Il faut juste faire un petit peu attention à ça.
04:10Si vous vous dites à ça, moi non je le dis jamais,
04:12faites attention, enregistrez-vous,
04:14il y a de bonnes chances pour que vous le disiez quand même.
04:16On a plein d'idées, plein d'idées préconçues,
04:18mais il y a quelque chose qui est une assurance en France,
04:20c'est que les règles, si on a un doute,
04:22on peut se référer à l'académie française.
04:24L'académie française, non, je ne suis pas sûr que le rôle
04:26de l'académie française aujourd'hui soit un rôle
04:28vraiment de contrôle ou en tout cas de normalisation de la langue.
04:33C'est plutôt un rôle politique aujourd'hui l'académie française.
04:35Ils sont juste là pour dire que ça va le mal et pour râler.
04:37Encore une fois, la cohérence,
04:39ils nous ont quand même été contre la féminisation
04:41des noms de métier pendant 35 ans,
04:43à nous prédire la fin du monde,
04:45si on allait dire autrice ou ce genre de mots.
04:47Et puis finalement, au bout de 35 ans, ils nous disent
04:49que non, finalement, rien ne se pose dans la langue à faire ça.
04:51Donc, ce n'est pas cohérent.
04:53Il y a une pression sociale autour de l'orthographe en particulier.
04:55C'est un peu comme si c'était la seule manière
04:57de faire respecter la règle aujourd'hui,
04:59puisqu'il n'y a pas de grande institution.
05:01Finalement, c'est la pression sociale,
05:03c'est un peu ça que vous remettez en question,
05:05cette pression sociale permanente autour du bon orthographe.
05:07Il y a des particularités de l'orthographe
05:09qui peuvent être importantes, nécessaires
05:11pour la compréhension, les phénomènes d'accords,
05:13de comprendre quels mots portent sur quels mots,
05:15avec quels mots, l'accord sujet-verbe,
05:17l'accord adjectif avec le nom.
05:19Ça, c'est une orthographe qui fait sens.
05:21Et je pense que c'est important de la maîtriser.
05:23Par contre, à des moments,
05:25des histoires de double consonne,
05:27honoré 1n, honneur 2n.
05:29Pourquoi ?
05:31Charlot, charrette, etc.
05:33Je refuse de croire que l'intérêt de la langue
05:35est juste dans la bizarrerie
05:37qui serait élégante, justement,
05:39parce qu'elle est arbitraire, justement, parce qu'elle est unique.
05:41La langue, c'est bien plus intéressant que ça.
05:43Lorsqu'on a été en CM1, en CM2,
05:45et qu'encore aujourd'hui, on arrive à accorder le COD,
05:47c'est un peu difficile de se dire
05:49que les générations suivantes
05:51n'auront pas à faire cet effort-là.
05:53Parce que c'est bien du côté de l'effort, finalement,
05:55que l'on se place lorsqu'on demande aux gens
05:57d'apprendre le français, de bien le parler, de bien l'écrire.
05:59Il y a complètement cette réaction en mode
06:01« Moi, j'ai galéré, vous allez galérer aussi,
06:03c'est pas possible que j'aie autant galéré
06:05et que vous ne vous passiez pas par là. »
06:07Là, on voit bien que l'enjeu, ce n'est pas tellement
06:09la langue française, mais c'est autre chose.
06:11C'est quelque chose que je comprends.
06:13Les gens ont l'impression, des fois, d'avoir acquis
06:15avec difficulté un capital,
06:17un capital, pour le coup, culturel,
06:19orthographique, et qu'on va leur enlever
06:21en rationalisant
06:23l'orthographe, qu'on va leur enlever
06:25ce capital-là. Moi, j'ai envie de leur dire
06:27que leur capital linguistique, ce n'est pas
06:29l'accord du participe passé. D'ailleurs, si vous pensez
06:31que vous ne faites jamais d'erreur sur l'accord du participe passé,
06:33c'est faux. Il y a trop d'exceptions.
06:35Ce ne sont pas que les autres qui font des erreurs d'orthographe.
06:37Vous en faites aussi. Et je pense qu'on ne peut avoir
06:39un capital linguistique plus intéressant,
06:41plus riche, que
06:43juste de savoir
06:45de trois exceptions orthographiques.
06:47On sera moins dans la forme, on sera peut-être plus en fond.
06:49C'est ça.