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"On ne fait pas vraiment peur avec du sang et des monstres. Ce qui fait peur, c'est les personnages qui vont avoir peur et auxquels on va s'identifier."

L'un des plus grands cinéastes français d'horreur nous raconte comment on fait vraiment peur au cinéma. On a rencontré Alexandre Aja, membre du jury du Festival du cinéma américain Deauville.
Transcription
00:00Je l'oue par hasard ou par accident,
00:02du moins par accident parce que ce n'était pas un hasard,
00:04Shining à la place de Superman II.
00:07Je comprends très vite dès que je mets la cassette
00:09que ce n'est pas le bon film,
00:11mais je suis tellement pétrifié de peur dès les premières images
00:16que c'est impossible pour moi d'aller jusqu'au magnétoscope
00:20et d'arrêter la cassette.
00:22Ce que j'ai découvert avec ces premières peurs très jeunes,
00:26c'est la capacité incroyable d'immersion,
00:31d'oublier que le monde existe
00:33et d'être complètement aspiré dans une histoire.
00:36Ce moment où on oublie, on rentre,
00:39on traverse l'écran, on traverse le livre,
00:42on oublie qu'on est là et que quelqu'un nous raconte,
00:44on rentre dans une histoire
00:46et on vit une expérience presque à la première personne.
00:51Et c'est ça, à mon avis, qui m'a beaucoup plu
00:53et c'est ça qui m'a donné envie plus tard de faire ce type de film.
01:01Ça part en général d'une idée de situation.
01:06Et si il m'arrivait quelque chose comme ça ?
01:09Et si tout d'un coup quelqu'un essayait de rentrer dans ma maison ?
01:12Et si le métro s'arrêtait et j'étais coincé toute une nuit dans un tunnel ?
01:17Et s'il y avait un ouragan
01:19et tout d'un coup des alligators rentraient dans ma maison
01:22avec l'inondation ?
01:24On ne fait pas vraiment peur avec du sang
01:27et des monstres et des choses.
01:29Ce qui fait vraiment peur, c'est les personnages.
01:33C'est les personnages qui vont avoir peur
01:36et auxquels on va s'identifier.
01:37Ce n'est pas la taille de la météorite ou la boule de feu
01:42ou peu importe ce qui va tomber, qui va être l'élément qui va faire peur.
01:47C'est d'avoir peur avec les gens qui vont courir pour l'éviter.
01:51En tout cas, de mon côté, je sais qu'il y a d'autres gens
01:53qui font un cinéma d'horreur d'une autre manière.
01:57En tout cas, moi, ça a toujours été mon approche.
01:59Et ensuite, quand vous arrivez sur le plateau au tournage,
02:02comment ça se passe ?
02:03Il y a plein de petites formules.
02:05Le jumpscare, le faux jumpscare, le double jumpscare.
02:08Un jumpscare, c'est un sursaut.
02:10C'est l'équivalent de l'éclat de rire général dans une comédie.
02:14C'est le moment où tout le monde va avoir un sursaut en même temps.
02:18Et c'est assez fabuleux quand on est dans une salle de cinéma
02:22et qu'il y a un vrai jumpscare.
02:25Il y a vraiment 300 personnes, 400 personnes à l'unisson
02:28qui, au même moment, à la même microseconde, vont bondir de leur siège.
02:32Et voilà, c'est indéniable comme réaction.
02:36En fait, c'est la peur la plus, comment dire, la plus simple.
02:42C'est celle qu'on fait quand on est caché derrière une porte
02:45et qu'on attend que quelqu'un passe et on va lui faire pouf !
02:48Et la personne va sursauter.
02:49C'est vraiment aussi con que ça.
02:50Mais en fait, on les utilise quand ils sont logiques,
02:56quand ils arrivent d'une manière organique,
02:59d'une manière naturelle, en fait, dans une histoire.
03:02C'est-à-dire que si on les force,
03:03on ne peut plus faire le chat qui te saute au visage,
03:06le pigeon qui s'envole.
03:08Bon, c'est des choses qui sont un peu trop faciles.
03:11Donc, il faut toujours réinventer, toujours trouver.
03:15Et moi, c'est un des trucs qui me plaît le plus dans ce type de cinéma.
03:19C'est en fait cette idée toute bête que quand on va voir un film d'horreur,
03:25quand on va voir un film de peur, quand on va voir un thriller,
03:28on ne vient pas neutre, vierge.
03:31On a plein d'autres films qu'on a vus
03:34qui nous ont un petit peu conditionnés à avoir certains réflexes
03:38et certaines réactions.
03:40C'est-à-dire qu'on sait qu'après une musique de suspense,
03:43il va y avoir un jump, qu'il va y avoir un sursaut.
03:47On sait qu'en général, si c'est pas là, ça va être dans le reflet du miroir
03:51et quand la porte du frigo va se fermer, il va y avoir quelqu'un.
03:53Bref, tous ces éléments un petit peu classiques.
03:56Et c'est parce qu'on sait tout ça que le rôle du réalisateur,
04:00le rôle du scénariste, c'est justement de ne pas oublier et de réinventer.
04:06Et c'est là où ça devient vachement intéressant.
04:08C'est qu'on va devoir, film après film,
04:10réfléchir et se dire, voilà, c'est ça qu'ils attendent.
04:13C'est pas ça qu'on va faire.
04:14On va faire autre chose.
04:15Mais évidemment, avec les cycles,
04:18on revient toujours à un moment donné, à 10 ans avant, 15 ans avant.
04:23Et là, par exemple, on a passé une petite décennie
04:26où le jumpscare était un petit peu passé de mode.
04:29C'était un petit peu même vulgaire de faire du jumpscare.
04:32Et là, j'ai l'impression que ça revient en force.
04:35Voilà, c'est normal.
04:37C'est les cycles qui se reproduisent les uns après les autres.
04:41La musique, c'est pas la moitié,
04:45mais c'est presque la moitié de ce type de film.
04:48C'est à dire que c'est vraiment la musique, elle est là pour...
04:52C'est comme une écriture parallèle qui va être une sorte de baromètre
04:58de l'émotion d'être à l'intérieur du personnage.
05:01C'est comme une sorte de voix off inconsciente
05:06où tout d'un coup, on ne va pas entendre ce que pense le personnage,
05:10mais on va ressentir ce que ressent le personnage à travers la musique.
05:13Et évidemment, c'est un élément pour nous,
05:16pour manipuler le spectateur et pour lui faire peur,
05:21où évidemment, on va créer des fausses pistes,
05:24des fausses montées de suspense qui n'amènent à rien.
05:27Mais évidemment, derrière, il va y avoir quelque chose d'autre qui va faire sursauter.
05:30Mais finalement, la musique, elle existe aussi par les silences qu'elle crée.
05:37C'est à dire qu'une musique de film, elle est essentielle, évidemment,
05:41mais son intensité, son rôle va aussi exister par rapport au silence qu'il va y avoir entre.
05:49Je pense que le silence dans le cinéma de genre et de peur
05:52est tout aussi important que le bruit,
05:55que la musique ou les effets de son qu'on va créer.
05:58Le cinéma de genre, c'est vraiment un cinéma de contraste, c'est un cinéma d'opposé.
06:01On oppose la lumière à la nuit, on oppose le bruit au silence.
06:05On est vraiment dans des oppositions fortes pour justement créer du contraste
06:11et créer un sentiment d'insécurité quelque part,
06:16un moment où on ne sait pas, tout est possible.
06:19Et donc, on est vraiment agrippé à son siège.
06:22– Et ce contraste, parfois, il est créé aussi avec des sons de type la respiration
06:26qu'on entend très très fort, c'est pas naturel,
06:29on ne devrait pas l'entendre aussi fort,
06:30mais ça participe à être encore plus avec le personnage
06:36et à se mettre dans le même état que lui.
06:37– C'est un cinéma qui va tellement sur une expérience viscérale des choses
06:42que tout change, les sons deviennent extrêmement forts,
06:46la musique devient très didactique parfois,
06:49l'obscurité devient encore plus sombre,
06:51la lumière, les contrastes, évidemment, augmentent.
06:55Mais il y a un objectif,
06:58et cet objectif-là, c'est de passer à travers cette expérience.
07:04– Est-ce que vous pensez qu'on peut avoir peur de la même manière
07:06ou qu'on peut autant avoir peur quand on regarde un film sur une plateforme chez soi
07:10que quand on est avec 300 personnes dans une salle de cinéma ?
07:13– C'est très compliqué, j'aimerais dire, c'est la salle sans aucun doute.
07:19Mais je mentirais parce que quelques-unes de mes plus grosses peurs,
07:24je les ai eues tout seul sur mon canapé, mais je les ai eues aussi en salle.
07:28C'est un peu les deux.
07:30Et puis quand j'y réfléchis finalement,
07:32j'ai été terrifié aussi en lisant des Stephen King dans un bus.
07:35Donc je pense que c'est la qualité de la manière dont l'histoire va être contée
07:40et comment ça va être racontée qui fait en fait la peur.
07:44Et ensuite, si on le regarde sur un grand écran, c'est génial,
07:48si on le regarde chez soi, ça peut être bien aussi.
07:51Mais quand même, quand même, je dois dire que quand on rentre dans une salle
07:56pour voir un film qui fait vraiment peur et que le film vient d'être passé
08:00à la séance précédente et qu'on sent encore la chaleur dans la salle,
08:04des gens qui ont eu peur, qui ont été tendus pendant 1h30,
08:09il y a quelque chose de magique, on a l'impression quand même de…
08:13Et puis d'être avec plein de gens autour et de sentir cette tension,
08:17ce moment de voir les gens qui se cachent ou qui se bouchent les oreilles,
08:22c'est toujours fascinant.

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