"On est sur un business des hauteurs hyper lucratif."
L’Everest, le toit du monde. Il fait rêver. Il donne envie de le gravir. Chaque année, ce sont des centaines d’alpinistes qui tentent son ascension. Mais ce sont également des dizaines de tonnes de déchets qui s'accumulent sur la montagne, conséquence directe de cette surfréquentation. Alors l'alpiniste Marion Chaygneaud-Dupuy s'est donné une mission : nettoyer l'Everest. On l'a rencontrée à l'occasion de l'événement #ChangeNOW2024
L’Everest, le toit du monde. Il fait rêver. Il donne envie de le gravir. Chaque année, ce sont des centaines d’alpinistes qui tentent son ascension. Mais ce sont également des dizaines de tonnes de déchets qui s'accumulent sur la montagne, conséquence directe de cette surfréquentation. Alors l'alpiniste Marion Chaygneaud-Dupuy s'est donné une mission : nettoyer l'Everest. On l'a rencontrée à l'occasion de l'événement #ChangeNOW2024
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00:00C'est vraiment un symbole, ce sommet des rêves, de l'âge en quel on se trouve où c'est toujours arrivé à faire plus.
00:06C'est la zone de la mort.
00:07C'est impossible de rester plus de quelques heures dans cette zone sans avoir des bouteilles d'oxygène en permanence.
00:12Quand je voyais la montagne de loin, je me disais, ah ouais, elle est quand même super belle, cette pureté des glaciers, toute blanche.
00:19Et puis tout d'un coup, quand je me suis vraiment rapprochée, en zoomant comme ça en fait, en arrivant au camp de base avancé à 6500 mètres,
00:25à mon premier trek où j'accompagnais un groupe en altitude,
00:29ce n'était pas du tout pour aller au sommet à ce moment-là, mais là, je vois vraiment des tas de déchets de toutes sortes,
00:35de piles, de canettes, de bidons, de conserves et de bouteilles en plastique, et même des pieds de porc.
00:43J'ai eu une sorte de choc et j'ai ressenti dans mon corps cette énorme blessure de dégoût et d'envie de vomir
00:54qui venait donc de cette pollution sur la montagne.
00:57C'est un peu la désillusion entre ce qu'on voit de loin en bas, cette montagne immaculée, et une fois qu'on y est, on se dit, wow, qu'est-ce qu'on a fait en fait ?
01:06C'est ça. Sur certains camps où il y a une concentration d'humains qui viennent y vivre pendant plusieurs mois par an
01:13pour aller à son sommet ou pour faire des recherches scientifiques, des glaciologues.
01:17Là-haut, les conditions sont tellement précaires que l'instinct de survie fait que plus vite on redescend
01:26et plus vite j'ai de chance de me sentir de nouveau en sécurité.
01:30L'esprit des humains, sur des conditions de vie aussi extrêmes, a une capacité à débrancher le cerveau sur sa zone préfrontale
01:42puisque c'est la partie du cerveau qui analyse, anticipe, comprend les choses.
01:49Je l'ai vécu moi-même quand je suis allée au sommet de l'Everest pour la première fois en 2013.
01:54Je voulais voir justement comment physiologiquement je vivais cette incapacité à me projeter sur ce qu'il y a après moi
02:03parce que je suis dans un tel moment de stress ou de survie pour redescendre le plus vite possible
02:12de cette zone qu'on appelle la zone de la mort à plus de 8000 mètres.
02:16Effectivement, j'ai bien vu que mon champ d'intérêt et de compréhension se réduisait énormément.
02:27Les déchets sont laissés sur place comme s'ils allaient disparaître par eux-mêmes,
02:33ce qui n'est absolument pas le cas parce qu'à cette altitude, avec la couche glaciaire, les déchets sont très bien conservés.
02:39Il y a 30 années d'expédition commerciale avec des couches de déchets qui se sont déposées petit à petit.
02:46On a compté jusqu'à 10 tonnes sur la face nord de l'Everest, côté chinois au Tibet.
02:52C'est la face la moins fréquentée de l'Everest, c'est pour dire du côté népalais où il y a beaucoup plus de fréquentations,
02:58il y a 4 fois plus d'alpinistes qui tentent d'aller au sommet.
03:02Vous avez fait ce constat de tous ces déchets et vous vous dites que ce n'est pas possible, il faut que je fasse quelque chose.
03:08J'ai été mandatée par l'école de guides de haute montagne pour créer une charte environnementale avec eux.
03:15Les guides de montagne tibétains ont partagé cette souffrance en empathie avec la montagne de voir des tonnes de déchets déposés par des expéditions étrangères.
03:25En 2016, une fois qu'on avait cette charte, on a commencé la première expédition de nettoyage.
03:31Sur la face au Tibet, c'est 10 tonnes de déchets qui ont été collectées et traitées sur les différentes décharges ou centres de recyclage.
03:39On l'a dit, c'est devenu un peu un symbole de dépassement de soi pour de plus en plus de personnes qui ont les moyens et l'envie de se lancer dans cette ascension.
03:47C'est aussi sur une face sud qui est très fréquentée, un symbole de tourisme, un peu de masse, avec aussi une rentrée d'argent pour les autorités népalaises.
03:56Ça fait aussi vivre des gens sur place.
03:58Je me dis, là, face à ce constat que vous dressez de la pollution de l'Everest, est-ce que la solution, finalement, c'est de la laisser tranquille cette montagne ?
04:07La solution est très simple, c'est d'arrêter toute cette suractivité humaine autour d'une montagne pour la consommer.
04:15Et puis peut-être, oui, de la contempler plus.
04:17Et pour ça, effectivement, c'est indispensable de quitter cet objectif de vouloir absolument aller à son sommet.
04:24Aujourd'hui, il y a vraiment cette quête du toujours plus qui rattrape un grand nombre d'entre nous.
04:30Mais moi-même, je ne m'extrais pas du tout de cette catégorie de personnes qui cherchent à être sous la lumière.
04:39Donc je pense que c'est quelque chose qu'on peut observer chez soi et se dire, voilà, est-ce que c'est vraiment ça que j'ai envie de cultiver dans ma vie ?
04:47Ou est-ce que je peux simplement me connecter à la nature de manière beaucoup plus directe et sensible ?
04:54Et ce sera d'ailleurs probablement plus facile de faire ça loin des chemins trop fréquentés de l'Everest.
05:00Finalement, ça devient un grand cirque humain de l'image et de la compétition, de la concurrence et de la course après les sponsors.
05:09Donc finalement, on se retrouve dans un milieu qui n'est plus du tout connecté à la nature.
05:14Et c'est bien ça aussi le problème de la pollution sur l'Everest, c'est qu'on est sur un business des auteurs hyper lucratif,
05:23mais on n'a plus ce contact direct avec la nature parce qu'on est dans la consommation de la nature.
05:28Profondément dans les racines culturelles locales des personnes qui habitent sur cette montagne,
05:34que ce soit les Tibétains ou les Sherpas, sur la face nord au Tibet ou sur la face sud au Népal,
05:39on a deux peuples qui ont une seule vision de la montagne, qui est une montagne sacrée,
05:44qui symbolise la pureté de l'eau et des glaciers, c'est la demeure des divinités, qui sont les protecteurs de la terre.
05:52Et donc se relier à cette vision pure de la montagne, c'est évidemment un vecteur hyper puissant.
06:00Il faut les lois et les quotas pour réduire le nombre de personnes qui vont sur la montagne.
06:05Et pour qu'il y ait une harmonie qui se recrée entre l'homme et la nature qui fréquentent la montagne,
06:10il y a une nécessité que l'humain s'ouvre de nouveau à sa perception directe, en intimité avec cette montagne qui a tant à lui donner si on sait l'écouter.