"Vous avez un AK-47, vous avez le viol. C’est la même chose."
Pour Céline Bardet, juriste et enquêtrice criminelle internationale, le viol de guerre est utilisé exactement de la même façon que les armes pendant les conflits.
Pour Céline Bardet, juriste et enquêtrice criminelle internationale, le viol de guerre est utilisé exactement de la même façon que les armes pendant les conflits.
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00:00Vous imaginez un conflit où vous avez des armes,
00:03vous avez des grenades, vous avez un AK-47,
00:07vous avez une Kalashnikov et vous avez le viol.
00:09Le viol, c'est la même chose.
00:11Simplement, ce n'est pas un outil que vous tenez dans la main,
00:14mais en fait, vous l'utilisez exactement de la même manière.
00:17Et c'est ça qu'il faut comprendre, et c'est ça le viol de guerre.
00:19Les violences sexuelles dans les conflits,
00:21ce qu'on appelle aujourd'hui le viol de guerre,
00:23je pense a existé de tout temps, à mon avis,
00:26sauf qu'on n'a jamais documenté ça
00:28et qu'on ne s'est jamais intéressé à cette question.
00:30Je pense que de tout temps,
00:32les femmes ont été aussi des butins de guerre
00:34et que donc, il y avait une sorte,
00:36on savait quelque part que pendant la guerre,
00:39ou toute forme de conflit,
00:40on pouvait avoir une sorte de récompense,
00:42c'est-à-dire qu'on pouvait avoir les femmes.
00:43La bascule, elle a vraiment lieu dans les années 90
00:47parce qu'il y a deux conflits majeurs
00:48qui sont le conflit en Axie-Yougoslavie
00:51et le génocide au Rwanda.
00:52Et que ces deux conflits, dans ces deux conflits,
00:54on a vu la violence sexuelle utilisée,
00:58mais de manière organisée, systématisée.
01:02On vient prendre des femmes,
01:04on les viole en public aussi,
01:05on les viole devant les autres.
01:07En Bosnie, on crée des camps de viol.
01:10Donc d'un seul coup, ça devient quelque chose
01:12de beaucoup plus organisé.
01:13Le viol, justement, c'est une arme de guerre
01:15parce qu'il ne vient pas par hasard
01:18et il ne vient pas par hasard
01:19parce qu'il a un objectif.
01:21Donc, il peut avoir un objectif de terreur,
01:25au sens où il va être utilisé
01:28dans cet objectif-là par, par exemple,
01:30des organisations de type Daesh.
01:31Donc au Haram, au Nigeria,
01:33on va kidnapper, je ne sais pas,
01:35des dizaines de filles dans un collège
01:37et qu'on va les rendre esclaves sexuels
01:40auprès des soldats rebelles dans les forêts.
01:42On peut avoir d'autres objectifs.
01:43On peut avoir un objectif de nettoyage ethnique,
01:45comme il s'est passé au Rwanda.
01:47Et là, on sait qu'on va viser une population
01:49pour ce qu'elle est, parce qu'elle est musulmane,
01:51parce qu'elle est Tutsi,
01:51parce qu'elle est je ne sais quoi.
01:53Et on va utiliser le viol
01:55contre cette population pour la souiller,
01:57pour souiller sa communauté.
01:58Mais il peut avoir aussi des objectifs économiques.
02:01En République démocratique du Congo,
02:03en République centrafricaine,
02:05le viol, il va être utilisé
02:07pour déplacer des populations.
02:09Pourquoi ?
02:09Parce qu'il va y avoir des zones
02:12dans ces pays-là qui sont extrêmement riches,
02:14qui ont des ressources en minerais
02:15extrêmement précieux,
02:16qui sont exploitées par des entreprises
02:19et qui, pour pouvoir exploiter ces mines,
02:23j'ai envie de dire de manière tranquille
02:25et sans trop qu'on les voit,
02:26vont utiliser le viol
02:28pour terroriser la population,
02:30humilier les communautés
02:31et donc faire que ces populations se déplacent.
02:33La communauté internationale,
02:35elle a commencé à prendre conscience
02:37de la question des violences sexuelles
02:38et de la manière dont elles étaient utilisées.
02:40D'abord, elle a pris conscience assez rapidement
02:43avec une résolution qu'on appelle 1325
02:45dans les années 2000,
02:46qui, en fait, se rend compte que dans les conflits,
02:50les premières victimes sont les femmes et les filles.
02:52Et pourquoi ?
02:53Parce que c'est les populations vulnérables
02:54et c'est elles qui subissent souvent,
02:57notamment, des violences sexuelles.
02:58La jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux,
03:00que ce soit en Ex-Yougoslavie ou en Rwanda,
03:03ont commencé à qualifier le viol
03:05dans les éléments constitutifs de ces crimes.
03:07Donc, à partir des années 1990,
03:09on reconnaît, on sait que le viol
03:11est un élément constitutif de crimes internationaux.
03:13Mais une des résolutions qui, selon moi,
03:15est la plus importante de l'ONU,
03:18c'est une résolution qui date d'il y a très peu de temps,
03:21qui a été prise en 2019
03:24parce qu'elle a confirmé l'utilisation du viol
03:27comme arme de guerre.
03:27Elle a reconnu, d'une part, les enfants nés du viol
03:30et les résolutions de 2019 aussi mentionnent les hommes
03:34victimes de viols dans les conflits.
03:37Et ça, c'est quelque chose de très important
03:38parce que moi, j'ai beaucoup travaillé sur cette question.
03:40J'ai beaucoup défendu cette question
03:43parce que si les femmes et les filles
03:44sont les victimes en grande majorité des viols,
03:47bien sûr, dans les conflits,
03:49les hommes en sont victimes.
03:51Pour enquêter sur l'événement sexuel dans les conflits,
03:53c'est très compliqué parce qu'en fait, il y a deux situations.
03:56D'abord, à la base, vous êtes sur un territoire hostile.
03:58Souvent, c'est des zones aussi qui ne sont pas sécurisées,
04:01voire qui sont toujours en conflit.
04:03Donc, il faut se rendre compte
04:03qu'il y a un tas de problèmes de sécurité.
04:05Ensuite, il y a deux situations.
04:08Soit vous êtes sur ce que moi,
04:09j'appelle un terrain hostile plus plus,
04:11c'est-à-dire sur un endroit où,
04:15je peux prendre la République démocratique du Congo
04:17ou la Libye à un moment,
04:19où en fait, les personnes qui commettent les viols
04:22sont aussi des membres institutionnels.
04:25Quand je dis ça, ça veut dire l'armée,
04:27la police de ces pays-là.
04:28Donc là, vous savez que quand vous allez arriver,
04:30vous n'allez pas pouvoir collaborer avec eux,
04:32évidemment, puisque c'est eux
04:33qui sont auteurs de ces crimes en général,
04:36et que vous n'avez pas de bienvenue.
04:39Donc ça, c'est souvent très compliqué.
04:41Pour autant, ça veut dire que là,
04:42vous allez vous concentrer sur essayer
04:44de rencontrer les survivants et les survivantes,
04:46de prendre des témoignages,
04:48souvent de voir si on est dans un conflit en cours,
04:52s'il y a des éléments de preuve qu'elles ont pu avoir,
04:54s'ils ont pu voir des médecins,
04:56ce qui permet d'avoir des certificats médicaux,
04:58et d'essayer d'avoir des témoins aussi indirects
05:01de ce qui s'est passé.
05:01Vous allez corroborer avec des femmes
05:03qui vont vous raconter un peu la même chose.
05:05Et là, vous allez vous dire,
05:05ah ben oui, il y a ce qu'on appelle un schéma.
05:07Ça, c'est constitutif d'un élément de preuve déjà important.
05:10Et puis ensuite, on va regarder les témoins indirects,
05:12ceux qui ont vu les attaques des milices,
05:14par exemple, qui vont être capables de décrire les milices.
05:16Et il y a des cas où vous allez pouvoir collaborer avec le pays.
05:21Je prends un cas récent, qui est par exemple celui de l'Ukraine,
05:23parce qu'on est dans une situation d'un pays
05:25qui a été envahi par un autre,
05:27mais qui, pour autant, a une forme de souveraineté territoriale en partie,
05:31et donc qui va inviter des organisations indépendantes à venir.
05:35Et donc là, vous allez pouvoir collaborer avec eux.
05:37C'est extrêmement important d'établir des faits.
05:40Et moi, je dis tout le temps, la justice, elle dit ce qui est.
05:43La documentation, elle établit des faits,
05:46donc avec des éléments matériels.
05:48Et ça, c'est un moyen d'abord soit de lutter contre le négationnisme,
05:53en fait, des gens qui vont nier des choses qui se sont passées,
05:55mais aussi de dire, voilà ce qui s'est passé,
05:58voilà comment ça s'est passé
05:59et voilà pourquoi je vous dis que ça s'est passé.