"J'ai une responsabilité. Ça fait très longtemps que le cinéma français n'a pas produit de film sur l'esclavage et sur le marronnage."
Avec Ni chaînes ni maîtres, Simon Moutaïrou réalise son premier long-métrage avec au casting Camille Cottin, Ibrahima Mbaye et Benoît Magimel, en salle ce mercredi 18 septembre. Pour Brut, il revient sur l'importance de raconter l'histoire peu connue des "marrons".
Avec Ni chaînes ni maîtres, Simon Moutaïrou réalise son premier long-métrage avec au casting Camille Cottin, Ibrahima Mbaye et Benoît Magimel, en salle ce mercredi 18 septembre. Pour Brut, il revient sur l'importance de raconter l'histoire peu connue des "marrons".
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Je me suis rappelé cet été, pendant les JO, pourquoi j'avais fait ce film.
00:03Je suis sur Twitter et je vois un tweet qui montre l'équipe de France de judo.
00:07Teddy Riemer, Clarisse et toute l'équipe qui vient d'être championne olympique.
00:11Et le commentaire c'est « Regardez-les, comment j'explique à ma fille que c'est l'équipe de France ? »
00:17Donc un commentaire d'ignorance.
00:19Et il y a une réponse qui était magnifique, parce qu'elle était calme en fait.
00:22Une réponse qui disait « Explique à ta fille l'histoire de la colonisation et de l'esclavage. »
00:27À sa première fuite, le marron sera marqué de la fleur de lys.
00:32S'il récidive, il se fera couper les oreilles et les jarrets.
00:38Il s'est rendu dans la troisième règle.
00:45On l'appelait marron, maronne, un homme ou une femme qui s'enfuyait de la plantation
00:50où il était retenu esclave.
00:52C'est un homme ou une femme qui brisaient ses chaînes,
00:55qui se rebellaient et qui affrontaient l'ordre colonial.
00:58Je pense que c'est tout à fait normal que les gens ne connaissent pas ce terme de marronnage
01:01parce qu'on l'apprend très peu.
01:03On parle de l'esclavage au collège en quatrième, au lycée en seconde.
01:07Mais le marronnage, qui est le corollaire de l'esclavage,
01:10encore une fois, à chaque fois qu'il y a eu esclavage, il y a eu marronnage,
01:12c'est très peu dans le débat public, c'est très peu en politique, c'est très peu à l'école.
01:17Et parfois, l'art et le cinéma doivent jouer son rôle.
01:19Donc j'entends bien avec ce film l'implanter dans les cœurs et dans le langage.
01:24Votre père est béninois et vous dites avoir été marqué au Bénin par un monument.
01:29Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus
01:31et comment peut-être ce monument vous a inspiré pour le film ?
01:33En été, j'arrive au Bénin et je joue sur la plage de Ouida.
01:37Et sur cette plage, je découvre une immense porte de pierre rouge face à l'océan Atlantique.
01:41Ça s'appelle la porte du non-retour.
01:43Et c'est une porte qui commémore l'endroit même
01:46où des hommes, des femmes, des enfants, des familles entières ont été déportés en esclavage.
01:51Et c'est vrai que quand j'étais adolescent,
01:53je me rappelle très bien de l'émotion et de la colère qui ont été la mienne quand j'ai découvert ça.
01:58Et ça ne m'a pas quitté.
01:59Je me disais, des hommes et des femmes ont été considérés non pas comme des animaux,
02:03mais comme des meubles, puisque selon le code noir,
02:06un esclave est un bien meuble, au même titre qu'une table ou qu'un râteau.
02:11Et cette colère, je pense que c'est obscurément l'endroit où le film a commencé.
02:18Je lis le livre d'un prêtre historien qui s'appelle Amede Nagapène.
02:22Et chapitre 3 du bouquin, le plus grand chasseur d'esclaves de l'île Maurice en 1759,
02:26c'est une femme qui chasse avec ses deux fils,
02:29qui est périgourdine, qui s'appelle Michel-Christine Bulle,
02:32mais qui est tellement une légende vivante sur l'île que tout le monde l'appelle Madame la Victoire,
02:36et surtout qui est tellement redoutable qu'elle n'est plus payée par les planteurs,
02:39mais par le roi de France Louis XV en personne.
02:41C'est un vrai personnage qui a existé à l'époque à l'île Maurice.
02:44Elle a été violée par un soldat quand elle avait 6 ans,
02:47quand un bateau l'a emmenée de la France à l'île Maurice.
02:49Quand elle a eu 13 ans, elle a été mariée de force à un planteur,
02:52pour des raisons économiques,
02:53et c'est la première femme de l'île Maurice à avoir divorcé.
02:56Et pourtant, pour devenir cette femme en pantalon,
02:59qui gagne son propre argent, qui n'a aucun homme qui lui dit quoi faire,
03:01elle a reproduit une oppression sur un peuple.
03:03J'ai compris qu'il fallait absolument que ce soit l'antagoniste du film.
03:07Pour ma part, je ramène toujours mes marrons vivants.
03:12Parce que je crois au vertu du châtiment.
03:15Pour ceux qui le reçoivent comme pour ceux qui le contendent.
03:18– Sur quelles œuvres vous vous êtes appuyé pour raconter le marronnage ?
03:21– Il y a une littérature qui m'a énormément inspiré,
03:24c'est la littérature antillaise, Martinique, Guadeloupe,
03:28Chamoiseau, Glissant, Aimé Césaire, la Grande Marie secondée,
03:31Paix à son âme qui nous a quittés cette année.
03:33Tous ces écrivains créoles, ces autrices qui ont parlé
03:38de la résistance par la culture.
03:39J'ai fait appel à des historiennes, des historiens, des linguistes,
03:42des anthropologues, des griots au Sénégal,
03:45parce que je voulais vraiment avoir une vision du passé.
03:48Je me disais que j'ai une responsabilité,
03:50ça fait très longtemps que le cinéma français
03:52n'a pas produit de films sur l'esclavage et sur le marronnage.
03:55C'est vrai que les États-Unis,
03:56alors sociétalement c'est loin d'être des exemples,
03:58ils ont produit sur le sujet du marronnage, de l'esclavage,
04:0170 fictions, films ou séries.
04:03Et c'est vrai que nous, il y a eu quelques films qui sont très importants,
04:05les films de Guy Deslauriers, de Christian Lara, de Zane Palsy,
04:08mais ils ont été très peu vus, c'était il y a 30 ans, 35 ans.
04:11Il était temps de parler de cette histoire pour qu'elle soit devant nos yeux.
04:15Donc c'est aussi simple que ça.
04:16Pour moi, le cinéma a un rôle à jouer.
04:18Il n'y a pas que la politique et l'éducation nationale.
04:20Le cinéma, il doit être politique.
04:22Et ce que j'aime dans le cinéma,
04:23c'est que c'est un art très simple et un art très pur.
04:26On parle des émotions.
04:27Tu es dans une salle de cinéma, ton poil se hérisse,
04:31ta rétine s'écarquille, ton cœur bat un peu plus vite
04:33et une heure et demie plus tard, tu es un peu changé.
04:38Et c'est pour ça que j'aime autant le cinéma
04:40et c'est pour ça que je suis autant fier de sortir ce film en 2024.
04:45Sous-titrage Société Radio-Canada