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00:0046 sur France Bleu Roussillon, quand les profs rendent leur tablier.
00:03Aujourd'hui, le syndicat d'enseignants SNALC organise à Perpignan une formation
00:07faite pour les profs qui souhaitent quitter l'éducation nationale.
00:10Et Simon Colbeau selon le syndicat, 130 enseignants sont inscrits.
00:13Oui, c'est deux fois plus que l'an dernier.
00:15Et pour en parler, témoignage rare, notre invitée ce matin sur France Bleu,
00:18c'est une prof qui vient de claquer la porte de l'éducation nationale.
00:22Bonjour Annelexa.
00:23Oui, bonjour.
00:24Jusqu'en septembre, vous étiez professeure des écoles, 24 ans, face aux élèves,
00:29essentiellement dans les Pyrénées-Orientales à Perpignan.
00:31Pourquoi avoir dit stop ?
00:34Alors, je préfère dire tout de suite que c'est un travail que j'ai beaucoup adoré.
00:41Mais petit à petit, je ne sais pas, il y a une usure qui s'est installée.
00:46Et j'ai commencé à penser à une reconversion professionnelle,
00:50il y a de ça plusieurs années quand même,
00:52parce que c'est un travail qui ne s'arrête jamais en fait.
00:58On peut y passer des heures, des heures, des heures à la maison,
01:01les vacances, si on veut bien faire son travail, etc.
01:05Et ça m'a usée, ça m'a minée,
01:08je ne me sentais plus utile dans ce que je faisais,
01:13je ne me reconnaissais plus.
01:14Il fallait que ça s'arrête, il fallait que quand je rentre chez moi,
01:18que je ne pense plus au travail.
01:20Je ne sais pas comment expliquer,
01:21c'est vraiment une sensation épuisante en fait, de l'épuisement.
01:27Vous avez démarré dans les écoles, je vous l'ai dit, il y a 24 ans.
01:30Le métier a vraiment changé en 24 ans ?
01:34Alors, est-ce que le métier a changé ?
01:38Il y a des choses qui ont changé.
01:41Les élèves ont changé, je ne vais pas dire que les élèves ont changé.
01:46On nous a mis des élèves, il y a tout le problème de l'inclusion, etc.
01:51qui avait beaucoup moins il y a 25 ans,
01:54qui est très usant, très fatigant, très désespérant.
01:59C'est-à-dire qu'il y a des élèves qui sont en situation difficile,
02:01en situation de handicap,
02:02parfois qui sont avec des élèves entre guillemets ordinaires,
02:05et vous n'avez pas les armes, c'est ça, vous n'avez pas les clés ?
02:07Voilà, c'est ça, et c'est très difficile pour les enseignants
02:10parce qu'on ne sait pas quoi faire, on est démunis,
02:13et si on a envie de faire son travail correctement,
02:16ça nous rend malheureux, ça nous rend malheureux.
02:23Est-ce qu'on peut dire qu'il y a 24 ans, on s'occupait mieux des enfants qui souffrent d'un handicap ?
02:26Alors, je ne pourrais pas répondre à cette question,
02:30par contre, je pense qu'il y avait peut-être des structures
02:34où ils étaient accueillis, dans lesquelles ils étaient accueillis,
02:36et qui peut-être n'existent plus,
02:38alors il me semble qu'il y a maintenant un manque de moyens,
02:42les listes d'attente sont très longues pour aller dans les centres spécialisés,
02:46du coup, avec la loi sur l'inclusion,
02:48on les met dans les écoles, ce qui est fondamentalement une excellente idée.
02:53Mais ça met énormément d'enseignants en souffrance,
02:57et ça, j'en ai beaucoup discuté avec mes collègues,
02:59c'est très difficile d'avoir dans les classes des enfants dont on ne sait que faire,
03:03et qui, quand même, parfois, perturbent énormément la sérénité de la classe.
03:08Ça vous est arrivé, vous ?
03:10Oui, ça m'est arrivé.
03:12Il y a des enfants, surtout autistes, qui ont des comportements compliqués.
03:20Vous dites que les enfants n'ont pas changé,
03:23pas fondamentalement en tout cas, les parents d'élèves,
03:25ont-ils changé, eux, en 24 ans ?
03:27Ça vous fait rire ?
03:29Oui, parce que c'est toujours la question qu'on pose.
03:31Est-ce que les parents ont changé ?
03:33Alors, il y a des parents qui sont super, franchement, la grande majorité des parents,
03:38c'est des gens super, on peut compter sur eux, etc.
03:41Alors, moi, j'ai enseigné surtout, principalement, au milieu REP+,
03:45donc il y a une autre problématique par rapport aux parents,
03:50par contre, c'est vrai que j'ai enseigné trois ans à Saint-Estève,
03:52où je me suis très bien entendue avec les parents,
03:55je me suis régalée.
03:57Alors, il faut savoir qu'il y a des parents qui sont exigeants,
04:00il y a des parents qui peuvent nous faire des réflexions,
04:04et ces réflexions, on peut y penser tout le week-end,
04:08on peut y penser pendant une semaine, deux semaines,
04:10ça nous fait énormément douter dans notre travail,
04:12et ça, c'est très difficile parce qu'on n'a pas de réponse,
04:17on n'a pas de soutien officiel,
04:20on n'a personne à qui appeler en disant
04:23« j'ai ça, qu'est-ce que je peux faire, comment je réponds ? »
04:26C'est un peu le pas de vague, comme le film, enfin voilà, pas de vague.
04:30Il y a ce sentiment de solitude, ça fait deux fois que vous en parlez,
04:32sentiment de solitude quand il y a des problèmes face aux parents,
04:34sentiment de solitude quand il y a des élèves aussi,
04:36pour lesquels on n'a pas les clés pour s'occuper.
04:39Alors, heureusement qu'il y a les collègues qui sont là,
04:42parce qu'on échange énormément
04:45avec les autres collègues qui ont les mêmes problématiques que nous,
04:49donc on se soutient.
04:50Alors, il y a une solitude dans la classe, oui, parce qu'on est seul,
04:54finalement, face à tous ces enfants, face aux parents, on est seul,
04:58il y a les directeurs d'école et les directrices qui font un super boulot
05:03et on peut leur demander un soutien,
05:05« j'ai rendez-vous avec tel parent, est-ce que tu peux venir avec moi ? »
05:09Il y a ça, ça reste dans le sein de l'école,
05:11et heureusement qu'il y a ça.
05:13Anne Lexa est notre invitée sur France Bureau,
05:15Simon Guilet, 8h moins 10,
05:16elle claque la porte de l'éducation nationale, Simon Colbeck.
05:19Anne Lexa, vous parlez de ces parents, parfois,
05:22qui peuvent se permettre des choses qu'ils ne se permettaient pas
05:25il y a peut-être 25 ans,
05:27des critiques sur le métier d'enseignant,
05:28le prof-bashing, ça vient parfois de très haut.
05:31Tiens, écoutez, par exemple, l'ancien président Nicolas Sarkozy,
05:33t'étais la semaine dernière, on écoute,
05:35et puis je voudrais que vous réagissiez à ses propos.
05:37Le statut du professeur des écoles, je ne critique personne,
05:41je dis des faits,
05:43c'est 24 heures par semaine, 6 mois de l'année.
05:48Et oui, parce qu'entre les vacances et les week-ends...
05:53Oui, entre les vacances et les week-ends,
05:556 mois de l'année, 24 heures par semaine,
05:57ce genre de critiques, les profs feignants,
05:59les profs la belle vie, c'est ça le sous-entendu de Nicolas Sarkozy,
06:02c'est ça aussi qui vous a poussé, vous, à démissionner ?
06:05Alors, franchement, moi, sous l'ordre de réflexion,
06:09j'ai pris le parti de les ignorer et d'en ricaner,
06:13parce que j'invite M. Sarkozy à venir bosser 6 mois
06:17dans l'éducation nationale en tant que professeur des écoles.
06:20C'est tout, voilà, et il verra.
06:22C'est ce que je réponds.
06:25Alors, j'ai de la chance autour de moi d'avoir très peu ce genre de réflexion.
06:30Par contre, je sais qu'il y en a, sûrement ils en sont confrontés.
06:34Moi, je sais que quand la majorité des enseignants,
06:37la grande majorité des professeurs des écoles qui fait très bien son travail,
06:41évidemment, ne fait pas 24 heures par semaine, 6 mois par an,
06:44parce qu'on ne peut pas, parce que sinon, ça ne tient pas la route.
06:49Voilà, on fait mal son travail, voilà.
06:52Pour vous Annelexa, c'est une délivrance aujourd'hui de quitter l'éducation nationale ?
06:55Ah oui !
06:56Ça s'entend !
06:57Oh là là, oui, oui, franchement, oui, je revis, moi, je…
07:00À ce point-là ?
07:01Oui, oui.
07:02Parce qu'il y a des auditeurs, là, ce matin, Annelexa, qui se disent
07:04« Attendez, les profs, quand même, même si ce n'est pas 24 heures par semaine et 6 mois de vacances dans l'année,
07:09il y a quand même des congés, il y a quand même une sécurité de l'emploi. »
07:12Et vous, vous dites « Je quitte l'éducation nationale » et on entend un tel soulagement,
07:16il y a un décalage entre ce que peuvent vivre certains de nos auditeurs et vous, ce que vous nous racontez.
07:21Oui, parce que la sécurité de l'emploi, les 24 heures par semaine effectives,
07:25enfin, devant élève, on va appeler ça comme ça,
07:27et les 6 mois, enfin, je ne sais pas si ça fait 6 mois, je n'ai jamais calculé,
07:30mais bon, ça ne fait pas toute la vie.
07:33Voilà, ça ne fait pas les journées.
07:36Être professeur des écoles, c'est comme si on avait une petite araignée dans le cerveau qui nous grignote H24,
07:43et ça ne s'arrête jamais.
07:46Et si on veut bien faire son travail, on y passe du temps,
07:51et moi, je ne voulais pas que ce travail devienne un boulot alimentaire.
07:55Le boulot alimentaire, c'est ça, c'est 24 heures par semaine, 6 mois de vacances, et on n'y pense plus.
08:01Et là, vous faites quoi, maintenant ?
08:03Alors, moi, je suis en formation pour devenir conductrice de train.
08:06Donc, à la SNCF ?
08:08Voilà, à la SNCF.
08:10Et voilà, ça a été un long cheminement.
08:13Et très rapidement, vos collègues vous en ont dit quoi quand vous leur avez annoncé la décision ?
08:17Alors, il y a eu des collègues qui ont dit,
08:20mais non, mais fais le doron jusqu'à ce que tu sois en retraite,
08:26enfin, ce n'est pas pour demain, mais ce n'est pas grave,
08:29prends tes distances, voilà, j'ai eu beaucoup ça.
08:31Prends tes distances, ce n'est pas grave, mais quand on ne peut pas, on ne peut pas.
08:35Et puis, il y a quand même une grande partie qui m'a dit
08:39qu'ils étaient, que j'avais de la chance,
08:44et qu'ils aimeraient bien être à ma place.
08:46Alors, pas forcément pour ce métier-là, mais d'avoir trouvé autre chose.
08:51Merci beaucoup pour votre témoignage, Anne Lexa, 24 ans,
08:54donc à enseigner, notamment à Perpignan et Saint-Estèphe, dans les Pyrénées-Orientales.
08:57Vous avez choisi de vous reconvertir, de devenir conductrice de train.
09:00On retient cette image que vous nous avez dit,
09:02comme une araignée ce métier, comme une araignée qui vous grignote la tête.
09:06Merci pour votre témoignage, bonne journée et bonne chance pour cette nouvelle vie.
09:09Merci, au revoir, bonne journée.