Peut-on sincèrement éprouver de l’admiration pour ses collègues ? Il nous arrive, certes, de nous réjouir qu’un collègue éblouisse l’audience avec un PowerPoint percutant. Mais pour être honnêtes, derrière cette émotion fugitive se cache souvent une autre réalité plus triviale : il s’agit souvent d’un soulagement de ne pas avoir à se charger soi-même de cette tâche pénible ? L’admiration naît alors moins d’un réel émerveillement que d’un pragmatisme exacerbé. [...]
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00:00Peut-on sincèrement éprouver de l'admiration pour ses collègues ?
00:12Il nous arrive certes de nous réjouir qu'un collègue éblouisse l'audience avec un powerpoint percutant.
00:19Mais pour être honnête, derrière cette émotion fugitive se cache souvent une autre réalité beaucoup plus triviale.
00:26Il s'agit en fait d'un soulagement de ne pas avoir à se charger soi-même de cette tâche pénible.
00:33L'admiration n'est alors moins d'un réel émerveillement que d'un pragmatisme exacerbé.
00:39Autant il est facile d'admirer un chef de cuisine talentueux ou un artisan passionné,
00:44des gens qui maîtrisent leur art et incarnent une certaine excellence,
00:48mais soyons francs, entre la machine à café et les réunions interminables,
00:52l'admiration pour ses collègues relève plus du fantasme que de la réalité.
00:57Pourquoi devrions-nous attendre une étincelle d'exaltation
01:01dans un environnement qui glorifie la médiocratie et érige la banalité en norme ?
01:07Pour admirer, il faut se déprendre de soi-même, se décentrer,
01:11même si nous pensons que l'autre n'est qu'un individu parmi d'autres,
01:15coincé dans la même galère manageriale que nous.
01:19Le propre de l'admiration est de nous sortir de la routine et de nous-mêmes.
01:24Mais qu'apporte vraiment l'admiration, qui semble certes plus active, sinon créatrice,
01:29que le mépris, l'adulation ou la célébration moutonnière ?
01:34Peut-elle vraiment nous propulser gaiement en dehors de nous-mêmes sans nous affaiblir ?
01:40Ou encore nous rendre modestes sans nous rapetisser et nous faire grandir sans nous narcissiser,
01:46comme le prétend la philosophe Joël Zasque dans son essai « Admirez ».
01:52Si l'étonnement est le starter de la connaissance, l'admiration en est le fuel.
01:57Du moins si derrière elle ne surgit pas, comme une facilité ou un pisalet, l'imitation.
02:04Joël Zasque nous encourage à voir l'admiration non pas comme une expérience rare et exceptionnelle,
02:11mais comme une possibilité ordinaire, accessible si nous savons la déployer.
02:17Admirer ne revient nullement à être subjugué, à plagier, à reproduire,
02:22mais toujours à accueillir ce qui est plus grand que soi et qui incite chacun d'entre nous à grandir.
02:29Oui, l'admiration peut se nicher dans les petites choses.
02:33Comme le souligne Zasque, l'objet de l'admiration doit nous dérouter, nous sortir de la routine.
02:40Même si nos collègues nous surprennent rarement,
02:43il y a toujours un secret espoir que surgisse cette subite surprise de l'âme.
02:47Celle qui permettrait de nous propulser gaiement en dehors de nous-mêmes sans nous affaiblir.
02:54En réalité, admirer n'implique en rien le raptissement de soi-même qu'on imagine parfois.
03:00Au contraire, il s'agit d'une interaction qui nous fait grandir.
03:04Le collègue que j'admire n'est pas un gourou,
03:07mais une personne qui me pousse à développer ma personnalité, à réaliser ce qui m'épreuve.
03:13L'admiration vient de l'imitation dont dérivent l'inspiration, l'émulation et le respect.
03:19Cela veut dire observer de près une technique, un geste, une attitude,
03:24afin de perfectionner sa propre performance.
03:27Et peut-être parviendrions-nous, en cultivant cette attitude bienveillante,
03:31à transformer la médiocratie en un terreau fertile où fleurissent des moments de véritable rencontre.
03:39Car après tout, même dans le désert le plus aride, il y a toujours une chance de trouver une oasis.