• l’année dernière
Après avoir découvert 4.300 messages de haine, issus d’un groupe secret sur Facebook, dont elle est la cible principale, Myriam Leroy a confié la matière de cette cyber-violence à une douzaine d’artistes pour une expo dans les Marolles. Une manière de mettre à distance avec panache et dérision.
Transcription
00:00Je m'appelle Myriam Leroy, je suis autrice et journaliste
00:03et je suis co-curatrice de l'exposition Sexisme Pépouze.
00:07L'hiver dernier, une membre repentie d'un groupe de harcèlement
00:11m'a envoyé la conversation Facebook qu'elle avait tenue avec 4 hommes
00:16durant 50 jours, donc c'est une conversation de 4 300 messages.
00:20Le but de ce groupe, qui s'appelait la Jupiler League du LOL,
00:23en hommage à la League du LOL, qui est une grande affaire de harcèlement en France,
00:29le but affiché était de me nuire et de faire écrire dans divers journaux
00:33de droite et d'extrême droite des papiers qui lèveraient des lièvres à mon sujet,
00:37qui montraient les énormes batteries de casseroles que j'aurais derrière.
00:40Enfin voilà, c'était ça l'idée.
00:42Et puis l'idée, c'était aussi de se défouler pas mal entre mecs
00:46et de temps en temps d'être sympathique avec la femme du groupe
00:49pour qu'elle aussi puisse écrire des choses à mon sujet, la motiver un petit peu.
00:53Au début, je croyais que ça ne me faisait rien parce que tout ce qui est excessif est insignifiant.
00:57Et puis j'ai quand même senti qu'il y avait des choses de poisseux qui s'insignaient en moi
01:00et qui étaient un peu dommageables pour ma santé mentale.
01:02Alors je me suis dit, essayons quelque chose de tout à fait différent,
01:05essayons d'en faire de l'art, essayons de faire de l'art plastique, de la sculpture, de la peinture.
01:10J'ai fait appel à des gens que je ne connais pas,
01:12puisque je ne viens pas du tout de ce type d'environnement,
01:14ce n'est pas du tout mon écosystème,
01:16mais dont j'aimais bien le travail, que je comprenais.
01:19Avec les galeristes Elisa et Rebecca de That's What They Exceed,
01:23on a choisi une quinzaine d'artistes.
01:27Et on leur a envoyé le corpus anonymisé,
01:28corpus que ces artistes, il et elle, ont pu interpréter à leur guise.
01:32Donc il y a du vitra, il y a de la peinture à l'huile,
01:33il y a du crochet, il y a de la sculpture, de la broderie,
01:38il y a vraiment toutes les disciplines et tous les regards possibles sur ce type de sujet.
01:42Ici, on a un livre, un livre véritable,
01:46qui reproduit l'intégralité de la conversation.
01:49C'est un livre de 8000 pages,
01:51il est tellement monumental qu'il ne peut se manipuler
01:53qu'avec un système assez perfectionné de poulies.
01:56Ce sont des relieuses professionnelles
01:59et des étudiants de l'atelier de reliure et du design de livres de la Cambre
02:02qui se sont mis en équipe pour faire cette œuvre absolument dingue.
02:08Alors ça, c'est une œuvre textile de Stéphane Golrach,
02:10qui a eu l'idée de nous proposer une pièce
02:12qui est une sorte de scalpe où on voit les deux oreilles,
02:15mais un scalpe arraché par derrière, vraiment à la déloyale.
02:19Mais aussi parce que dans ce groupe de conversation,
02:21il est énormément en question de mes oreilles.
02:23Ces hommes sont obsédés par mes oreilles,
02:26alors que ce sont parfaites, mes oreilles.
02:28Alors, par mes oreilles et pas que par mes oreilles,
02:30mais les oreilles catalysent leurs obsessions.
02:32Donc voilà, on se disait que c'était marrant de retourner le stigmate
02:35et de l'assumer complètement.
02:37Là, c'est une œuvre d'Élise Galliano.
02:39Elle brode avec des cheveux, des cheveux véritables de femme.
02:42Et là, elle a brodé une phrase issue du groupe de conversation.
02:45Et donc, il y en a un qui regrettait le bon temps,
02:49le sexisme Pépouze, et Pépouze, c'est un argot de leur âge
02:53qui veut dire tranquille, pépère.
02:55C'est de la broderie, donc c'est un travail de dame,
02:59comme on le disait avant,
03:01sur une chemise d'homme à mi-donnée, impressionnante,
03:03qui, étirée dans ses plus larges dimensions,
03:06a quand même presque l'air d'être une chemise de géant.
03:09Et la chemise blanche comme ça, à mi-donnée,
03:12c'est un costume qu'on a très vu d'ordinaire aux hommes importants.
03:15Et donc, la rencontre de ces deux univers, je la trouve hyper forte.
03:18Et donc, cette démarche, pour moi, c'est aussi une manière
03:19de mettre derrière moi toutes ces affaires,
03:22même si je pense qu'elles perdureront.
03:24Je ne pense pas qu'ils ont énormément d'énergie,
03:26ils sont très endurants, les harceleurs.
03:28Il se fait que je suis très endurante aussi,
03:30donc finalement, ça pourrait durer toujours,
03:31mais j'ai envie de faire des choses beaucoup plus marrantes dans la vie.
03:35C'est un sujet que j'ai déjà assez creusé,
03:36donc je le laisse vraiment aux autres.
03:37Et cet expo est pour moi une manière de tourner la page en beauté
03:41et de faire quelque part la fête,
03:43enfin, en tout cas, de danser sur la tombe de ces ignominies.

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