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La chute de Bachar Al-Assad plonge un peu plus la Syrie et le Proche-Orient dans l'inconnu. Regardez l'analyse de Hugo Micheron, enseignant-chercheur en sciences politiques rattaché au Ceri, maître de conférence à Sciences Po, spécialiste du Moyen-Orient. Son dernier livre s'intitule "La colère et l'oubli. Les démocraties face au djihadisme européen" dans la collection Folio.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 10 décembre 2024.

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Transcription
00:00RTL Matin
00:02Avec Amandine Bégaud et Thomas Soto
00:05Il est 8h16, l'interview d'Amandine Bégaud au cœur de l'actualité, au cœur de ce qui pourrait devenir le bourbier syrien.
00:10Pour nous éclairer, vous avez choisi d'inviter Hugo Micheron, c'est aujourd'hui le spécialiste de référence sur cette région du monde.
00:16Bonjour et bienvenue.
00:17Bonjour Hugo Micheron.
00:18Bonjour.
00:19Enseignant, chercheur spécialiste du djihadisme et des relations entre l'Europe et le Moyen-Orient,
00:23et je précise que vous avez vécu en Syrie en 2008 et 2009.
00:27Je voudrais d'abord qu'on s'arrête sur ce groupe HTS, dirigé par Al Joulani, qui veut désormais qu'on l'appelle Al Charest.
00:34Al Joulani, c'était son nom de guerre.
00:37On entend tout et son contraire depuis quelques jours, à la fois sur cet homme et à la fois sur ce groupe.
00:42Al Joulani dit qu'il a rompu avec le djihadisme international, il s'est taillé la barbe, a abandonné son turban noir.
00:48C'est de la dissimulation ou on peut le croire ?
00:52C'est un énorme pragmatique qui a révisé son positionnement à l'aune de ce qui était nécessaire pour lui pour prendre le pouvoir en Syrie.
01:01C'est un individu, pour rappeler un peu son parcours, qui avait rejoint les rangs des djihadistes en Irak en 2003, donc il y a plus de 20 ans.
01:11Il y a passé 8 ans, une grande partie d'ailleurs en prison au contact avec l'état-major de ce que va devenir ensuite Daesh.
01:18Et c'est l'un des tout premiers djihadistes qui est rentré en Syrie.
01:21Les gens l'ont peut-être oublié, mais en 2011, quand éclatent les printemps arabes et les révoltes contre le régime syrien, il n'y a pas de djihadistes.
01:28Il n'y en a pas. Il y a des gens qui sont des révolutionnaires, alors il y a toute une myriade d'opposants.
01:33On commence à voir apparaître des groupes islamistes à l'été 2011 et les premiers djihadistes, c'est Joulani et ses hommes, 200 personnes, qui rentrent.
01:40Et ce qu'on a tendance à oublier en ce moment dans les discussions, c'est que c'est précisément l'arrivée des djihadistes dans la rébellion syrienne
01:48qui va donner un argument massue au régime pour pouvoir réprimer l'ensemble de l'opposition.
01:53Et l'une des raisons pour lesquelles ce régime a mis aussi autant de temps à tomber, c'est parce qu'il y a eu des gens comme Joulani,
01:58le journaliste a été le premier d'entre eux, qui ont voulu djihadiser la rébellion syrienne.
02:01Donc effectivement, c'est une excellente nouvelle que le régime soit tombé.
02:05Les crimes du régime sont à un tel niveau d'atrocité que je pense que c'est impossible, sans être totalement à côté de la plaque, de dire quoi que ce soit à ce sujet.
02:14Et c'est une chance pour la Syrie. Mais de l'autre côté, l'arrivée d'un individu doit nous questionner.
02:20Vous dites attention ce matin. Ce groupe, vous le qualifieriez comment ? C'est un groupe djihadiste terroriste ?
02:26Déjà, il est classé terroriste à ce jour par les Etats-Unis et l'Union Européenne.
02:32Joulani, sa tête avait été mise à prix sur la fameuse kill list des Etats-Unis pendant des années.
02:37Et c'est ça dont il a tiré des leçons. C'est ça qu'il faut comprendre. Il n'y a pas que Daesh comme djihadiste.
02:42Daesh, c'est une branche du djihadisme qui est la branche la plus sanguinaire, la plus visible, la plus violente.
02:47Lui, ce qu'il voulait, et c'est là où c'est une forme plus réfléchie, plus pragmatique de djihadisme.
02:53Ce qu'il voulait, c'était syrianiser le djihad ou djihadiser la rébellion en visant Bachar el-Assad.
02:59Et pour ça, il ne fallait surtout pas alerter les occidentaux. Et donc, il est très cohérent depuis dix ans.
03:04Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas sincère. Ça, c'est beaucoup trop tôt pour le juger.
03:08Mais du coup, il ne faut ni se précipiter dans un sens ni dans l'autre. On a des éléments, pour un minima, à être prudents.
03:13Et il y a un autre élément qu'il faut rappeler, à mon sens, qui est très important.
03:17C'est qu'il n'y a pas que Joulani en Syrie. C'est un pays qui a connu 13 ans de guerre civile.
03:22Il y a plein de groupes islamistes, y compris des groupes djihadistes, qui sont plus radicaux que lui.
03:26Alors oui, il y en a des moins radicaux. Il y a des groupes, d'ailleurs, qui ne sont pas du tout islamistes.
03:30Mais est-ce que ça peut requinquer, si j'ose dire, le mot est mal choisi, mais on comprend bien, tous ces autres groupes ?
03:35Mais en fait, si vous voulez, avant même de savoir ce qui va se jouer avec Joulani, sans Joulani, etc.,
03:41il faut voir est-ce que la situation va rester sous contrôle. C'est ça l'enjeu en ce moment en Syrie.
03:46La situation n'est pas réglée sur la côte. La côte n'est pas encore tombée.
03:50Il y a beaucoup de forces qui étaient loyalistes au régime, qui se sont réfugiées là-bas.
03:53Est-ce qu'il va y avoir rédition ou exaction ? Ça, on ne sait pas encore.
03:56Il y a tout l'Est syrien pour la partie djihadiste. Pour l'instant, c'est sous contrôle kurde,
04:00qui sont les alliés des Européens et des Occidentaux.
04:02Là, il y a un énorme enjeu, puisqu'il y a les prisons, avec les anciens djihadistes de Daesh,
04:07qui sont donc sous contrôle des Kurdes. Énorme enjeu.
04:10Et puis, il y a des groupes en clandestinité, proches de Daesh, qui cherchent à se reconstituer.
04:16Et on pourrait assister à une recomposition du paysage djihadiste ?
04:20Bien sûr. C'est-à-dire, pour être tout à fait clair, ce qu'il faut voir, c'est qu'en fonction du scénario,
04:25le scénario du pire, ça ne veut pas dire que c'est le plus probable,
04:27mais le scénario du pire, où la situation est hors de contrôle,
04:30c'est sûr et certain qu'il va y avoir des groupes djihadistes qui vont chercher à tirer profit,
04:33puisque c'est ça qu'ils font. Ils se nichent dans les crises, ils se nichent dans les guerres civiles.
04:36Et à partir de là, ils essayent d'émerger. C'est une région du monde où, deux fois sur les deux dernières décennies,
04:41il y a eu des sanctuaires djihadistes. L'un, c'était l'État islamique d'Irak.
04:44L'autre, c'était l'État islamique en Irak et en Syrie. Et donc, prudence.
04:48Mais il ne faut surtout pas regarder ça en étant attentif. Il faut investir ce dossier politiquement.
04:52Et je pense que c'est pour ça aussi que ce serait important d'avoir un gouvernement
04:56pour pouvoir aussi porter une position française qui a son mot à dire dans les affaires internationales.
05:02Hugo Michon, on le sait, un certain nombre d'attentats commis sur le sol français par le passé
05:07ont été préparés en Syrie. Je pense bien sûr à l'attentat contre Charlie Hebdo au Bataclan.
05:12Est-ce qu'on peut imaginer qu'un certain nombre de détenus français, de djihadistes français détenus en Syrie
05:19cherchent à revenir ? Il y avait le procureur antiterroriste tout à l'heure qui a dit être vigilant sur RTL
05:25mais finalement plutôt rassurant. Faut-il s'inquiéter tout simplement ?
05:29En fait, il ne faut pas s'inquiéter. Il faut réinvestir le dossier syrien.
05:33Où est-ce que sont les djihadistes français ? Il y a deux poches.
05:36Il y en a une, c'était les Français qui avaient rejoint Daesh.
05:39Pour la plupart, ils sont dans les prisons détenues par les Kurdes dans l'Est syrien.
05:45Pour l'instant, ça ne bouge pas. Ça ne veut pas dire que ça ne va pas bouger
05:49puisque la rapidité d'évolution de ce dossier depuis 12 jours est impressionnante.
05:52Tout à l'heure, le procureur disait qu'on sait où ils étaient il y a quelques jours.
05:55Aujourd'hui, ça paraît plus flou. Pardon, mais il y a de quoi s'inquiéter.
05:59Mais bien sûr, c'est ce dont on parle. C'est-à-dire qu'en fait, si la situation est hors de contrôle,
06:03ça peut repartir très vite. Et ça, c'est ce que je mets dans tous mes livres depuis quelques années.
06:08C'est au cœur de mon dernier livre qui s'appelle « La colère et l'oubli »
06:10et j'explique que la façon dont fonctionne le djihadisme, c'est par vagues.
06:13Ils ont des phases de force, ça c'est quand ils sont typiquement au pic de Daesh
06:17et qu'ils projettent des attentats partout. Puis ils ont des phases de faiblesse
06:20et c'est celle-là dont on est en train de sortir aujourd'hui.
06:22C'est quand en fait, ils ont perdu la capacité d'action.
06:25Là, comme le jeu s'est rouvert, ils cherchent à nouveau à se reconstituer.
06:29Donc c'est pour ça qu'il faut empêcher, et je pense qu'il faut dans ce cas-là ne pas être passif,
06:35que des groupes djihadistes comme Daesh puissent se reconstituer
06:38puisque là, on repartirait sur une nouvelle phase de force.
06:40Donc le risque, il n'est pas pour demain, là tout de suite, mais pour les mois qui viennent.
06:43Il est sur les semaines et les mois qui viennent en fonction du scénario qui se produit
06:48et c'est pour ça que je passe mon temps à dire que ce qui est en train de se jouer au Moyen-Orient
06:52a des implications directes pour l'Europe.
06:54La chute de Bachar el-Assad intervient dans un contexte de très vive tension dans toute cette région.
07:00Est-ce que vous diriez que l'invasion israélienne au Liban a précipité la chute de Bachar el-Assad
07:06et que toutes les cartes sont redistribuées aujourd'hui ?
07:08Oui, parce qu'encore une fois, on avait oublié un élément, c'est que la guerre en Syrie n'a jamais été réglée.
07:13Il n'y a pas eu de règlement.
07:14Il y a eu un cessez-le-feu, il y a eu un accord entre la Turquie, la Russie et l'Iran,
07:18qui étaient les troupes au sol en fait, qui était l'accord d'Astana.
07:21Ils se sont mis d'accord pour geler toutes les positions.
07:23Et en fait, ça tenait parce que toute la situation était cadenassée militairement.
07:27Il y avait plein de forces militaires qui faisaient que les fronts ne bougeaient pas.
07:30Depuis le 7 octobre, l'équilibre régional a bougé puisque Israël est rentré en guerre indirectement face à l'Iran.
07:36Et notamment à partir de l'invasion israélienne du Liban au début de l'automne,
07:41le Hezbollah a dû rapatrier des troupes qui en fait servaient sur le front syrien.
07:45Et ces troupes-là, c'était les forces d'élite du Hezbollah.
07:47Donc elles ont été rapatriées.
07:49Ce qui s'est passé, c'est que ça a dégarni une partie du front syrien.
07:52Le régime qui avait déjà moins de soutien russe, surtout avec moins de soutien iranien, moins de soutien du Hezbollah,
07:58c'est devenu une proie.
07:59Et c'est pour ça que HTS ou HTC qui préparait...
08:02C'est la même chose.
08:03C'est la même chose.
08:04C'est ce groupe qui était dans la province d'Isleb qui préparait depuis des années une offensive.
08:07C'est dit que c'était le moment d'attaquer et ça donne l'effondrement du régime.
08:10Juste d'un mot, c'est l'Iran aujourd'hui qui est affaibli ?
08:12Considérablement, oui.
08:13Indiscutablement.
08:14Il y a maintenant un espace de vide qu'a laissé l'influence iranienne.
08:18L'Iran en perdant du terrain.
08:20Maintenant, il y a un vide.
08:21Et le cœur de ce vide, c'est la Syrie.
08:23Et c'est pour ça qu'il faut faire attention à qui va essayer de remplir ce vide.
08:26Incontestablement, il y a des acteurs étatiques.
08:28Et moi, ce que je dis, c'est faites attention aux acteurs non étatiques.
08:31Les groupes djihadistes en font partie.
08:33Et ça, c'est ce qu'on avait mal compris sur la décennie précédente.
08:35On n'a pas le droit de faire la même erreur deux fois.
08:37Merci beaucoup, Hugo Micheron.
08:39Je rappelle votre dernier livre, La colère et l'oubli.
08:41Les démocraties face au djihadisme européen, c'est sorti en poche.

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