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"Je l'ai dessinée à l'âge de 14 ans, j'étais victime de harcèlement scolaire pendant les trois années qui ont précédé..."

BRUT BOOK — 1 livre vendu toutes les 10 secondes, 20 millions d'exemplaires écoulés, traduit en 17 langues… rien que ça !
Née en France, sur un cahier d'école, "Mortelle Adèle" est devenue un succès spectaculaire. Très rares dans les médias, le scénariste Antoine Dole, alias Mr Tan, et l'illustratrice Diane Le Feyer nous racontent toute l'histoire et les secrets de "Mortelle Adèle".
Transcription
00:00Mortel Adele, c'est un personnage qui est né en 1995 dans mes cahiers d'école.
00:04Je l'ai dessiné à l'âge de 14 ans.
00:06J'étais victime de harcèlement scolaire pendant les trois années qui ont précédé
00:10et un jour, de désespoir, dans un couloir où j'étais caché pendant la récréation,
00:15j'ai rayé une feuille de papier d'un de mes carnets, j'ai dessiné deux yeux en dessous
00:19pour qu'une personne, quelque chose, un visage me fasse à nouveau exister.
00:23Et c'était la barre de front et les yeux de Mortel Adele qui est devenu le personnage
00:28qu'on connaît aujourd'hui.
00:29Elle a eu trois naissances, cette première naissance en 1995 sous mes crayons.
00:33Elle a eu une deuxième naissance en 2011 sous les traits et les crayons que lui a donné
00:38Miss Prickly et une troisième naissance avec Diane en 2014 quand Diane a rejoué dans la
00:42série.
00:43J'ai toujours su que je voulais écrire des livres, donc j'ai écrit des romans pendant
00:46des années.
00:47Des romans qui marchaient assez peu, qui étaient plutôt confidentiels.
00:50Et puis ma mère n'arrêtait pas de me dire « mais tu sais, tu devrais faire une bande
00:54dessinée autour de Mortel Adele, je suis sûr que ça parlerait à plein de gens ». Et
00:57moi je lui disais absolument pas, c'est tellement lié à qui je suis, c'est tellement
01:01personnel, c'est tellement une part vulnérable de moi, même si c'est un personnage qui
01:05est très dans la colère et très dans l'expression de soi, elle reste quelque chose de très
01:09vulnérable.
01:10Et donc je lui soutenais que ça n'intéresserait personne, j'ai eu beaucoup de flair et il
01:15faut toujours écouter sa maman.
01:16Et donc un jour, j'ai envoyé un mail à une éditrice avec qui je travaillais dans
01:22une maison d'édition sur un projet de roman et j'avais mis un petit dessin de Mortel
01:26Adele qui désigne une bêtise à la fin de ce mail, puisque c'était vraiment devenu
01:29au fil des années un alter ego, une sorte de petite mascotte qui m'accompagnait dans
01:34mon rapport aux autres.
01:35Et elle n'avait pas le temps de lire le mail, donc elle l'a imprimé, ce qui n'est
01:39pas du tout écologique, mais ma foi, des fois on n'a pas le choix, l'a déposé sur
01:43le coin de son bureau.
01:45Le directeur de la maison de l'époque, Franck Girard, est passé à ce moment-là,
01:49a vu le dessin et a voulu me parler en me disant « écoute, j'ai eu un flash sur ce
01:54personnage, un vrai coup de cœur, je voudrais savoir ce qu'il y a à raconter derrière ».
01:58A l'époque, moi j'étais très heureux dans les romans et dans le fait de raconter
02:03des grandes histoires, je trouvais ça très chic et très noble et c'est vrai que je
02:07n'avais jamais imaginé pouvoir me consacrer à la bande dessinée, qui était aussi une
02:11passion par ailleurs.
02:12Et j'ai demandé à Miss Prilly, qui était une ancienne camarade de collège, de dessiner
02:20à partir de mes croquis originaux sa version du personnage.
02:22C'est comme ça qu'on a sorti très vite les premiers livres chez les éditions Tourbillon.
02:28Je crois qu'on en a fait quatre la première année.
02:31L'accueil a été assez immédiat.
02:33Je me suis appelé Monsieur Tann parce que c'était le nom que me donnaient mes neveux
02:37et nièces, ils n'arrivaient pas à prononcer Antoine, ils m'appelaient Tann.
02:40Et donc je me suis dit « je vais faire cette bande dessinée pour eux », déjà pour
02:45dire à mon neveu qu'on peut être un garçon et avoir une fille comme héroïne.
02:48Je pense que c'est aussi par l'éducation qu'on change les lignes de nos sociétés
02:52et d'apprendre aux garçons qu'on peut aussi avoir une fille comme héroïne, qu'on peut
02:56aussi se reconnaître dans des choses universelles à du sens.
03:00Et aussi dire à ma nièce que le champ des possibles était extrêmement vaste et que
03:04ce n'est pas parce que c'était une petite fille qu'elle était obligée d'aimer les
03:07poneys, la danse et les petits chats.
03:09Qu'elle pouvait se rêver présidente de la galaxie, vouloir fabriquer un zombie,
03:13affronter un grizzly.
03:15De montrer aux filles qu'elles peuvent être présidentes de la galaxie, de montrer aux
03:18garçons qu'une fille est tout à fait capable de faire la même chose qu'eux, peut-être
03:24des fois, voire mieux, et d'exister et de vivre et d'avoir des objectifs et des envies
03:30et de vouloir aller suivre son idée.
03:35Je pense que c'est bien, moi je suis une femme qui dessine une petite fille avec beaucoup
03:41de caractère, beaucoup de tempérament, qui n'a pas besoin d'un petit copain pour
03:46devenir présidente de la galaxie ou conduire son vaisseau.
03:49Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous l'avez vue, Mortel Adèle ?
03:53Oui, parce qu'effectivement j'ai reçu un coup de téléphone, il y a bien des années
03:57de ça, une bonne dizaine d'années maintenant, où on m'a dit écoute, voilà, est-ce que
04:03ça t'intéresserait ? Il y a cette BD qui existe, ça s'appelle Mortel Adèle, c'est
04:06très drôle, va voir ce que c'est, donc je suis allée voir.
04:10Je n'avais jamais vraiment fait de BD auparavant, moi ma formation était plutôt dans l'illustration
04:16et aussi dans le dessin animé, ce qui fait que pour moi, m'atteler à une BD, c'est-à-dire
04:22un album de 90 pages, c'était assez nouveau.
04:26Il y a des couvertures qui ont été faites sur un coin de table au restaurant, où je
04:32suis partie en déchirant le coin, parce que voilà, c'est ça qu'on a trouvé, c'est
04:34ça qu'il faut.
04:35Lesquelles, lesquelles de couverture ? Jurassic Mamie.
04:38Jurassic Mamie, Ajax aussi ? Le Ajax, Ajax, Ajax, j'ai eu l'idée dans
04:45l'ascenseur du parking à Avignon.
04:48On parle dans l'ascenseur, on se dit « Ah tiens, ça fait… »
04:50« Il faudrait qu'on voit les deux, qu'est-ce qu'on pourrait trouver ? »
04:52C'est ça, Diane elle sort de l'ascenseur, elle se met sur le capot de la voiture, elle
04:56se défoule dans son carnet et voilà.
04:59On part vraiment de petits bonshommes, un peu informes, à finalement des passages de
05:05plus en plus précis sur ces brouillons.
05:07Après ce qui est aussi très fort, c'est que comme on se connaît très très bien
05:09avec Antoine, je sais quand il écrit, je sais à quoi il a pensé, parce qu'il a pensé,
05:13il a dit « Diane, elle va faire ça, je sais ce qu'elle va faire ».
05:15Donc du coup, on a cet espèce de rapport à ce moment-là qui est assez incroyable
05:21de dire dans le texte.
05:22Qui est très communiquant, c'est-à-dire qu'en fait, sur la base de la création,
05:25on est quand même assez territoriaux, c'est-à-dire qu'il y a un qui écrit, une qui dessine,
05:31mais in fine, celle qui dessine rentre dans le trait de celui qui écrit, et celui qui
05:36écrit rentre dans le trait de celle qui dessine.
05:37La plupart des gens qui lisent vos livres, à mon avis, lisent aussi des mangas.
05:41C'est quand même le truc qui se vend le plus.
05:43Vous, Antoine, vous en faites, des mangas.
05:45« Mortal Adèle » n'est pas un manga.
05:47Mais quelle perception vous avez de ça ?
05:48« Mortal Adèle » n'est pas un manga en termes de bande dessinée.
05:53Je pense qu'elle est quand même venue au monde par le manga.
05:57C'est-à-dire que moi, j'étais un grand lecteur de manga quand j'avais 14 ans.
05:59Elle a ce format, ce ratio de taille un peu qu'on appelle Kibi SD, qui est la grosse
06:09tête et le petit corps.
06:11C'est un manga qui, pour moi, avait beaucoup de sens parce que c'était un âge où j'étais
06:15rempli d'émotions et j'avais l'impression qu'évidemment, ça créait une disproportion
06:19dans la perception que vous avez de votre anatomie.
06:22Après, moi, le manga, j'ai toujours voulu en faire.
06:25On m'a toujours dit « quand t'es français, c'est pas possible, nanani, nanana ».
06:29Aujourd'hui, c'est moins vrai parce qu'il y a beaucoup d'éditeurs qui se sont lancés
06:33dans la création de mangas français.
06:34Il y a beaucoup d'auteurs qui ont connu aussi du succès avec le manga français.
06:37J'ai eu la chance d'en publier plusieurs chez Glenamanga.
06:40C'est vrai que le manga, je le trouve passionnant parce que pour moi, c'est la rencontre du
06:45roman et de la bande dessinée.
06:47Le roman, il permet une incarnation, il permet une sorte de stase dans laquelle le personnage
06:53va vraiment infuser l'histoire et vraiment se raconter, qui parfois est plus compliqué
06:59en bande dessinée puisqu'on est sur quelque chose de visuel, dans de l'action, réaction,
07:03etc.
07:04Et la bande dessinée permettait cette rapidité de compréhension, d'arriver à capter les
07:09gens par une image.
07:10Et la rencontre des deux, pour moi, c'est vraiment le manga et c'est vraiment ce que
07:13je trouve intéressant.
07:14Au Japon, l'image en plus, elle est omniprésente.
07:16Tout est dessiné, partout.
07:20En France et en Europe, on n'a pas ce rapport de révérence à l'image.
07:28Là-bas, il y a vraiment une sorte de respect total de la personne qui va créer, de la
07:33personne qui va dessiner, de la personne qui va inventer, qui va mettre une part d'elle
07:39dans quelque chose.
07:40En France, l'image et la BD souffrent encore quand même d'une certaine distance qui se
07:52crée parce qu'on sent qu'on est sur une petite niche, finalement.
07:57Ça commence à bouger ces dernières années, mais c'est vrai que pendant très longtemps,
08:02on a tous entendu cette phrase qui disait « mon enfant ne lit pas, il ne lit que de
08:07la bande dessinée ».
08:08Je trouve qu'on se pose beaucoup cette question depuis quelques temps qui est « comment ramener
08:14les enfants vers la lecture ? » puisqu'on voit bien que les études et les chiffres
08:16indiquent que les enfants se détournent de la lecture pour aller beaucoup vers les écrans,
08:21etc.
08:22Je pense qu'il n'y a rien de pire pour un enfant qui essaie timidement d'aller vers
08:25la lecture, alors que c'est peut-être impressionnant, alors que c'est peut-être difficile de se
08:28saisir d'un livre, d'entendre un adulte lui dire « bah quand est-ce que tu vas lire
08:34un vrai livre ? ».
08:35C'est super de donner l'exemple en disant qu'il faut tenir des livres à la main plutôt
08:38que des téléphones, etc.
08:39Mais je pense qu'il faut surtout avoir le respect de l'endroit, l'abri dans lequel
08:43chacun trouve son compte, parvient à devenir lecteur.
08:49Nous, on rencontre beaucoup d'enfants qui nous disent « moi, j'aime pas lire, mais
08:51j'ai lu tout Mortal Adele ».
08:52Et nous, on leur dit « bah quand t'as lu Mortal Adele, t'as lu plus de 3000 pages
08:56Ça veut dire que concrètement, tous les livres que tu vois autour de toi...
08:59Tu peux les lire.
09:00Et généralement, il y a une sorte de révélation à ce moment-là, les parents disent « ah
09:04bah tu vois, du coup, voilà ».
09:06Aujourd'hui, Mortal Adele, c'est un univers étendu qui passe par la bande dessinée,
09:11donc il y a une vingtaine de tomes de gags, il y a des grandes aventures, il y a des romans,
09:18il y a un magazine qui paraît tous les deux mois, il y a des podcasts, il y a de la musique,
09:23il y a bientôt un dessin animé.
09:24Vous dites bientôt un dessin animé, au cinéma, à la télé ?
09:27À la télévision.
09:28À la télévision.
09:2978 épisodes, on est en train de travailler dessus, donc c'est beaucoup de travail, mais
09:33ça avance.
09:34Je savais pas ça.
09:35C'est nouveau.
09:36On a quelques surprises.
09:37On travaille, on travaille.

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