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En 2004, Sylvia Peromingo fait son tout premier jogging quand sa vie bascule. Agressée, elle est entraînée de force dans un ravin, puis est victime de viol. Son témoignage fait partie du long-format L'Equipe explore, « La peur aux trousses », consacré aux agressions de joggeuses, un problème de société de plus en plus préoccupant.

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Transcription
00:00Je suis passée devant et il m'a attrapée quand j'étais dos à lui, en fait.
00:03Donc je n'ai pas eu le temps de...
00:06Et à ce moment-là, j'ai dit que c'était pour ma pomme.
00:09Voilà ce que je me suis dit.
00:10Comme si je le savais, en fait.
00:12Donc le 20 mai 2004, c'est le jour de l'ascension.
00:15C'était l'ascension, donc il faisait très beau, il faisait très chaud.
00:19Il y avait énormément de monde dans ce parc, le parc du Grand Valérien.
00:23Donc on s'y est rendu pour courir avec ma mère et son ami de l'époque.
00:29Et on court tous les trois ensemble, on commence à courir.
00:32Et puis moi, très vite, j'ai eu un point de côté.
00:35À un moment donné, ils m'ont dit « tu ralentis, ok, pas de souci,
00:38nous on te rejoint un peu plus haut ».
00:41Sauf qu'à ce moment-là, je me suis rendue compte qu'en ralentissant mon pas,
00:46je vois une personne accoudée, un homme accoudé à la rambarde.
00:51Je me disais « c'est bizarre, qu'est-ce qu'il fait là, celui-là ? ».
00:54Je me suis quand même posé des questions assez rapidement.
00:56Puis je trouvais qu'il me regardait bizarrement, donc je me suis dit « c'est pas normal ».
01:00Donc j'ai ralenti tellement mon pas, je me suis presque arrêtée.
01:04Et là, j'ai réfléchi trente secondes et je me suis dit « mais non,
01:07t'es dans un parc public, il y a du monde, il y a les enfants là, tu les entends.
01:10Qu'est-ce qui va t'arriver ? Il va te faire une réflexion, puis quoi ? ».
01:13Et à ce moment-là, je me suis rendue compte qu'il n'y avait personne devant moi,
01:15personne derrière moi.
01:16Je suis passée devant lui, mais quand même vraiment en me disant « eh là ? ».
01:21C'est avec cette espèce d'instinct qui me disait « attention ».
01:25Je suis passée devant et il m'a attrapée quand j'étais dos à lui, en fait.
01:28Donc je n'ai pas eu le temps de...
01:32Et à ce moment-là, j'ai dit « c'était pour ma paume ».
01:34Voilà ce que je me suis dit.
01:36Comme si je le savais, en fait.
01:37De toute façon, je n'ai pas eu le temps de réfléchir puisqu'il m'a attrapée, étranglée.
01:40Puis j'ai crié une première fois, il m'a étranglée plus fort.
01:44La deuxième fois, je n'ai pas pu crier.
01:45Et la troisième fois, il m'a dit « si tu cries, je te tue ».
01:47Donc j'ai dit « ok, ça ne sert à rien, ce n'est pas la peine, il fait 1m90, 130 kg, je vais arrêter là ».
01:53Donc je n'ai pas lutté et il m'a balancée dans le ravin et il s'est servi de moi en tant que bouclier.
01:57J'ai dû me cogner, je ne sais pas, enfin je n'en sais rien, après je ne sais plus comment je suis arrivée en bas.
02:01Je sais juste que c'était comme dans un film, qu'à un moment donné, j'ai voulu remonter
02:05et qu'il m'a tirée par les pieds.
02:07Et ça, c'était une image de film.
02:09Et c'est là où je me suis dit « bon, ok, c'est fini pour moi ».
02:13Il a tout de suite pris mon téléphone, il a tout écrasé.
02:16Ma mère m'appelait et après je l'avais entendue aussi en haut.
02:19Elle m'a appelée et je l'ai entendue, mais comme c'est très profond.
02:23Et j'avais envie de dire « mais je suis là, je suis là ».
02:27Et elle est passée au-dessus, quoi.
02:29J'entendais « Sylvien, Sylvien », j'entendais.
02:32Et je ne pouvais pas répondre, quoi.
02:35Ça, par contre, c'était horrible.
02:39Ça, c'était horrible parce que j'avais envie de crier « je suis là »,
02:41mais j'aurais crié « je suis là », il m'aurait tué, je le savais.
02:43De toute façon, je le savais.
02:44J'avais pu mes chaussures, il m'avait enlevé mes chaussures pour ne pas m'échapper.
02:48Il avait installé tous ses tournevis couteau devant moi
02:50pour me dire « si tu cries, si tu pousses seulement un cri, je te tue ».
02:56C'était comme ça, je ne pouvais pas remonter, ce n'était pas possible.
02:59J'imaginais en fait la douleur que j'allais ressentir quand il allait me tuer.
03:02Comme il avait tout prévu, le couteau, le tournevis et tout,
03:05et que je savais que ce n'était pas un simple viol,
03:09je me suis dit « comment je vais mourir ? ».
03:12L'agression sexuelle, c'était vraiment secondaire.
03:13Je pensais vraiment plus à ma vie.
03:16J'ai fait abstraction de ça pour me focaliser sur ma survie en fait.
03:22Comme je ne pouvais pas utiliser la force, j'ai dit « bon, d'accord,
03:25donc on va faire autre chose, on va essayer de faire autrement ».
03:32Pour moi, il fallait que je trouve une idée pour que je puisse garder du temps
03:36pour qu'on puisse me retrouver.
03:38Je me suis dit « si je parle avec lui,
03:40si je fais quelque chose d'autre qu'il n'a peut-être pas l'habitude, je ne sais pas,
03:44peut-être qu'il va se dire « mais pourquoi elle me parle, celle-là ? ».
03:48Peut-être que pendant ce temps-là, les gens qui étaient avec moi pourraient me chercher.
03:53Je me souviens de lui avoir parlé des arbres à un moment donné,
03:57comme quoi il avait des beaux yeux,
03:58comme quoi je lui ai dit « mais vous avez des beaux yeux,
04:01pourquoi vous ne m'offrez pas un café tout naturellement ? ».
04:05Et c'est parti comme ça.
04:06Je me suis dit « ça marche, ça marche, ça marche, vas-y ! ».
04:09Ça marche, parce qu'il me répondait et je voyais bien que ça le déconcentrait.
04:14Et donc je suis allée à fond dans cette dynamique-là et ça m'a sauvée au final.
04:21Il m'a dit « si tu veux, je peux t'emmener en Normandie ».
04:24Et moi « bah oui, quelle bonne idée, puisque je n'ai personne, pourquoi pas ?
04:28Mais voilà, c'est un super plan, la Normandie, j'adore en plus et tout,
04:32bah viens, on remonte, on y va, on va dans ta voiture, on y va,
04:35laisse-moi juste aller aux toilettes avant et on y va ».
04:38Et donc il est remonté vraiment comme ça.
04:40Et c'est là, une fois en haut, je me suis dit « ça y est, il y a quand même une partie de gagné ».
04:46Et là, j'ai croisé beaucoup de gens.
04:47Forcément, ils ont vu d'où l'étage était, ils n'ont pas bougé.
04:54Moi, il m'a serré très très fort avec le couteau ici pour être sûre que je ne m'échappe pas.
05:00Je me suis dit « bon, il y a bien un moment donné où je vais arriver à faire très rapide
05:04et à m'échapper, il y a bien un moment donné où je vais trouver le moment,
05:07il faut que je trouve le moment ».
05:08Je me suis dit « déjà, quand je vais aller aux toilettes, ça peut être un moment ».
05:12Et effectivement, il m'amène vers les toilettes et c'est là où je croise ma mère nez à nez.
05:19Nez à nez avec ma mère et des policiers en civil.
05:23Et c'est à ce moment-là, lui, il a repéré qu'il y avait deux autres hommes, je pense,
05:28et là, j'ai senti un espèce de relâchement et c'est à ce moment-là, j'ai couru vers ma mère,
05:35je l'ai poussé pour qu'il ne s'en prenne pas à elle,
05:39je l'ai poussé et j'ai couru dans la cabane des gardiens.
05:44Et lui, il est reparti.
05:45Ils l'ont rattrapé juste...
05:50Ils mettaient la clé dans sa serrure.
05:52Ils l'ont rattrapé vraiment de justesse.
05:54Ils mettaient la clé.
05:56Entre 2004 et 2009, oui, ce n'est qu'une reconstruction physique, mentale, tout quoi.
06:05C'est-à-dire, je suis née avec un caractère, avec ci, avec ça,
06:09et hop, après, je suis devenue quelqu'un d'autre, une autre personne.
06:14Et il a fallu que je me retrouve.
06:15Et ça a été long.
06:17On m'avait posé la question s'il était amené à sortir.
06:24Et là, j'ai répondu.
06:26Surtout, ne le lâchez pas d'une semaine, il va recommencer.
06:29Il va tuer.
06:30Cette fois-ci, il va tuer.
06:32Cette fois-ci, il va y arriver.
06:33Il va tuer.
06:35Et je l'ai dit, mais à tout le monde.
06:37Aux avocats, aux juges, enfin, à tout le monde.
06:40J'ai dit, ben là, le début du cauchemar, quoi.
06:42Un jour, je reçois un coup de fil.
06:44On me dit qu'un tel a recommencé.
06:48Là, donc déjà, mon sang s'est glacé.
06:50Et après, on me dit, il a tué.
06:52Et là, je pleurais, toutes les larmes de mon corps.
06:55Pourquoi on ne m'a pas écoutée, quoi ?
06:58Pourquoi on l'a laissé sortir au bout de quatre ans alors qu'il avait dix ans ?
07:02Il aurait fait ces dix ans, déjà, Natacha aurait été sauvée, quoi.
07:05Voilà.
07:06Non, je ne peux pas.
07:07Non, non, je ne peux plus courir.
07:08C'est fini, ça.
07:09Non, même avec une amie, même avec qui que ce soit,
07:12même entourée de mille personnes.
07:15Non.
07:15Après, les autres, je ne peux pas non plus.
07:19Voilà, je ne peux pas dire, attention, attention, attention.
07:23Pour moi, il ne faut pas courir seule.
07:24Mais bon, voilà, c'est plus prudent.
07:26Il y a beaucoup de femmes qui se font agresser régulièrement, partout.
07:32Après, que ce soit pendant le sport ou ailleurs,
07:35malheureusement, les femmes se font quand même assez mal respectées.
07:41Ça pourrait venir de l'éducation, du fait que la société a changé,
07:47qu'on n'élève pas les enfants de la même façon.
07:49Moi, ce que je voudrais apprendre à mon fils quand il va grandir,
07:53mais déjà, même maintenant, en fait, un non,
07:55si quelqu'un dit non, c'est non.
07:58Ça ne veut pas dire j'y vais quand même, ça veut dire non, en fait.
08:00Donc, il faut s'arrêter là.
08:02Déjà, ça peut commencer par là.
08:04Après, on verra.

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