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00:00Émigré de la deuxième génération, Woody Allen a passé toute sa vie à New York.
00:07Né le 1er décembre 1935, il est élevé à Brooklyn.
00:11Son père, Martin Konigsberg, exerce tous les métiers que lui laisse l'après-crise économique.
00:18Barman, chanteur, chauffeur de taxi, courtier en joaillerie, sa mère nettie et fleuriste.
00:28A l'école, Woody passe pour un élève rebelle.
00:31Et contrairement à ce qu'on pourrait penser aujourd'hui en voyant ses films, seul le sport l'intéresse.
00:38Il aime la boxe, qu'il pratique régulièrement dans la catégorie des légers.
00:43« J'étais un bon puncher, avec un bon uppercut, un peu vicieux » dit-il,
00:48en rappelant qu'il a été sélectionné pour le championnat des points d'or.
00:58Dans son quartier, tout le monde connaît le jeune Allen Konigsberg.
01:02C'est le petit rouquin qui a toujours une batte de baseball à la main.
01:06C'est pour cela qu'on a fini par le surnommer Woody.
01:09Woody Allen, avec ce nom, il va devenir un personnage.
01:14« Quand on est allé en Yougoslavie, il y avait le directeur des artistes associés qui était là,
01:20il y avait toute une tribu de gens extrêmement distingués dont moi.
01:24Woody Hall, qui a conçu les décors de Guerre et Paix pour Woody Allen.
01:28Et alors lui, toujours avec son petit chapeau enfoncé sur le crâne, son petit imperméable râpé.
01:33Et on était donc en groupe, en deux voitures, et on allait au meilleur hôtel d'Agreb.
01:40Et le directeur de l'hôtel, qui avait été prévenu de notre arrivée, nous a tout de suite proposé une suite.
01:48Mais la première personne qu'il a interviewée, le directeur de l'hôtel, c'était le chauffeur qui était le mieux sapé.
01:54Il l'a pris pour le producteur.
01:56Il s'est retourné vers le producteur, puis vers les autres.
01:59Et donc apparemment, il n'y avait pas de suite.
02:01Et tout à coup, on a entendu une petite voix derrière qui disait « Oui, j'aimerais bien une suite ».
02:06C'était Woody Allen qui a fendu la foule pour s'approcher du comptoir.
02:17Quand Woody parle de son père, il le décrit comme un nabot qui ressemblerait à Fernandel.
02:38Quant à sa mère, il la compare à Groucho Marx.
02:42Elle parle comme lui derrière la caisse du grand fleuriste qu'il emploie à Manhattan.
02:47Cette façon de décrire sa vie en gardant toujours un regard humoristique,
02:52Woody l'a appris au contact de la communauté juive dont il est issu et qu'il fréquente encore à New York.
02:59Le cinéaste belge André Delvaux, qui a fait un film sur Woody Allen,
03:04décrit cette atmosphère particulière que Woody a connue pendant son enfance.
03:10Toute l'atmosphère était juive, était une atmosphère juive new-yorkaise,
03:13beaucoup plus spécifique que l'atmosphère que nous pouvons connaître chez nous.
03:17D'abord, c'est une question de milieu social en soi.
03:20C'est un milieu très, très populaire, un milieu fort simple,
03:23qui n'est pas du tout dénué d'argent.
03:25Ce sont des gens qui réussissent par le travail et qui sont d'une débordante activité.
03:29Vous voyez donc ce côté extrêmement animé où les gens crient,
03:34où les gens s'interrompent sans arrêt, parlent sans arrêt,
03:37disent entre eux des choses très, très drôles, très amusantes,
03:39mais ne s'arrêtent pas du tout à ce qui est drôle parce qu'ils n'ont pas le temps de s'arrêter dessus.
03:43Vous voyez, ont des manières apparentes de se disputer alors qu'ils s'entendent à merveille,
03:49ont d'entre eux des relations qui semblent d'une extrême agressivité.
03:53Mais c'est aussi comme si tout ça n'avait aucune espèce d'importance.
03:56D'autre part, ils parlent sans arrêt de la vie et de la mort, de la maladie, de la santé,
04:01comme si c'était des choses quotidiennes.
04:03Et en effet, elles sont absolument quotidiennes.
04:05La mort, éternel thème de l'univers de Woody Allen,
04:08il en parle souvent en disant, par exemple,
04:11ce n'est pas que j'ai peur de mourir,
04:14disons juste que je n'aimerais pas être là le jour où ça arrivera.
04:18Ceci dit, quand je lui ai posé des questions là-dessus,
04:20je pensais pouvoir le faire parler de sa famille en rapport, par exemple,
04:24avec le sens de la mort qu'on a.
04:26André Delvaux.
04:27Et là-dessus, il m'a fait une réponse qui m'a stupéfait.
04:31Et après quoi, je n'ai plus eu d'autres questions.
04:33Il m'a dit, vous savez, chez moi, ils ne meurent pas dans ma famille.
04:35C'est très embêtant, mais les cimetières de Flatbush, par exemple,
04:39dans ces endroits où j'ai vécu, je n'ai personne de ma famille.
04:42Simplement parce qu'ils vivent tous tellement vieux
04:44que je ne les ai toujours pas vus mourir.
04:48Alors, que voulez-vous dire à ce moment-là ?
04:51Si on se trouvait dans un western parodique,
04:53on dirait qu'il va falloir qu'on tue quelqu'un pour pouvoir inaugurer le cimetière.
05:04Dans la genèse de Woody Allen, il y a une petite fille qu'il admire.
05:08Une petite fille qui rit quand il raconte ses histoires juives,
05:11quand il fait ses tours de jongleur,
05:13quand il anime pour elle des spectacles de marionnettes.
05:17Cette petite fille lui donne de l'inspiration.
05:20Elle s'appelle Letty, c'est sa sœur.
05:24Je me disais que Woody Allen, c'est un des meilleurs artistes du monde.
05:29Je me disais que cet homme, au fond,
05:33ne se déridait vraiment que lorsqu'apparaissaient les femmes.
05:38André Delvaux qui a observé Woody Allen au cours du tournage de Stardust Memories.
05:42Non pas les femmes mêlées dans les équipes,
05:46non pas les femmes qui perdent leur sexe à l'intérêt d'une organisation technique, n'est-ce pas ?
05:50Mais les comédiennes, les femmes qu'il connaissait,
05:55les femmes qu'il connaissait, celles avec qui il avait un rapport direct et personnel.
06:01Et tout à coup, il fonctionnait en séducteur.
06:07Le sourire revenait.
06:09Le Woody Allen que nous connaissons,
06:11à travers les séducteurs successifs qu'il a décrits dans ses films,
06:15si maladroits mais finalement si impeccablement adroits,
06:18puisqu'ils finissent quand même par réussir en quelque chose,
06:21ce séducteur se manifestait.
06:23Le sourire était là, le côté enveloppant, le fait de jouer avec elle,
06:27d'être en représentation devant elle, de prendre des pauses,
06:30de raconter des histoires qui les faisaient rire parfois aux éclats.
06:35Et à travers cette manière d'aborder les femmes,
06:40j'avais aussi l'impression d'un homme
06:44pour qui l'abord des femmes est toujours quelque part,
06:50sinon un problème, du moins un mystère.
06:54Là, il y avait à la fois ce rapport de séduction
06:59et de donjuanisme de quelqu'un qui manifeste la volonté de séduire,
07:04la volonté de convaincre, la volonté de prendre,
07:08et qui a les moyens de le faire.
07:10Parce que ces moyens, c'est évidemment une brillante intelligence,
07:15une manière de pouvoir manipuler les mots, les expressions,
07:18de raconter des histoires, de sembler être sérieux,
07:21de déboucher dans le rire, de sembler être très, très drôle,
07:24et subitement de tenir le côté sérieux des choses,
07:26puis de se laisser aller, de repartir dans ses propres idées,
07:29de se laisser rêver, puis sans avoir l'air d'y penser,
07:33de s'appuyer sur l'épaule de la femme et de rester comme ça,
07:37pied en l'air, longuement, longuement.
07:39Oui, je crois qu'il adore les femmes, c'est évident.
07:41En même temps, il est un peu un adolescent.
07:44L'idée que j'ai, c'est que c'est un peu un adolescent avec les femmes.
07:47Je ne parle pas même de la connaissance que j'ai à travers les films,
07:51de ses rapports amoureux, mais dans la vie, je trouve qu'il est un peu...
07:55C'est un peu un adolescent, quoi.
07:56Woody est un grand amateur de femmes.
07:58Willy Holt, ça c'était évident.
08:00C'est surtout Dieu, quand on sortait ensemble et qu'on...
08:04Il avait le regard qui traînait beaucoup sur les femmes qui passaient,
08:08et pas les plus laides.
08:11Il a un certain goût. D'ailleurs, il l'a prouvé.
08:17Quand arrive le grand moment pour Woody de se choisir une carrière professionnelle,
08:21il hésite entre agent secret ou super criminel.
08:25Mais avec son mètre 63 et ses lunettes,
08:28se trouvant trop petit et trop myope pour l'une et l'autre profession,
08:33il choisit d'être gagman.
08:35Après avoir tâté de faire de tout petits métiers auxquels il ne s'attachait pas,
08:39il a décidé de faire de la musique.
08:42Après avoir tâté de faire de tout petits métiers auxquels il ne s'attachait pas,
08:46il a essayé d'écrire des plaisanteries, d'écrire des tout petits acts,
08:50comme ils disent alors, des comic acts,
08:52pour des gens qui étaient des comiques de cabaret.
08:55Woody Allen a raconté ses débuts à André Delvaux.
08:58Et d'abord, il s'est mis à écrire ainsi pour deux bons hommes
09:03qui ont trouvé qu'en effet, ça valait la peine de l'engager.
09:06Ils ne lui ont pas parlé au début. Pendant des heures,
09:08il s'est contenté de les écouter et n'est pas intervenu.
09:11De temps en temps, quand il disait quelque chose, les autres ne répondaient pas.
09:14Mais en attendant, ils l'ont engagé.
09:16Il a donc écrit pour eux.
09:18Alors, ça lui rapporte un tout petit peu d'argent.
09:21Et là-dessus, il a fini par les dire un peu lui-même, ces plaisanteries-là.
09:25Puis, dès l'instant que ça s'est mis à marcher, c'est très typiquement américain,
09:28eh bien, il a plongé dans cette voie-là.
09:30Il a développé. Il s'est battu sans arrêt.
09:32Il a vraiment bouffé de la vache enragée,
09:35passant de jour en jour dans des lieux différents,
09:39voyageant dans des voitures minables,
09:41allant faire trois séances de rigolades par soir dans des lieux différents,
09:46rencontrant les publics le plus divers,
09:48et peu à peu se mettant à tester ce qui fonctionnait, ce qui fonctionnait moins,
09:52finissant donc par se trouver à la tête d'une heure entière
09:57dans laquelle il savait mot après mot ce qu'il allait faire, ce qu'il allait dire
10:01et comment il allait manipuler le public.
10:03Bon, lorsqu'alors on l'a engagé à écrire un premier film,
10:07qui était un film fait par quelqu'un d'autre,
10:09et qui, je m'en souviens très bien d'ailleurs, était un film assez raté,
10:13c'est Pussycat, What's New Pussycat, What Never Pussycat.
10:17À ce moment-là, eh bien, il y est apparu aussi, mais pas très bien.
10:21À l'issue de ce film, il s'est dit plus jamais.
10:23C'est dégueulasse, c'est mauvais, je trouve ça mauvais comme cochon.
10:26Et il a obtenu, dans une expérience suivante,
10:30de pouvoir mettre lui-même en scène ce qu'il écrirait.
10:35Et à partir de là, il est devenu, disons, l'auteur de films qu'on connaît.
10:39Woody a suivi des cours de cinéma à l'Université de New York.
10:43Pas longtemps, parce que l'école le rebute toujours.
10:46Mais il adore le cinéma, et en particulier, les comédies des Marx Brothers,
10:51dont il tire un certain comportement dans la vie.
10:54Je suis arrivé au George V, dans la chambre d'hôtel.
11:00Et j'ai vu là un amalgame de gens.
11:02Les deux sœurs, les amis d'Enfeld.
11:04Un monsieur barbu qui était tout de fait un assistant,
11:06et quatre ou cinq personnes.
11:08Et dans le fond, un journal déployé.
11:12Et j'ai cherché en vain Woody Allen.
11:14En fait, il était derrière le journal.
11:16Et de temps en temps, je voyais son œil qui dépassait à ma droite.
11:19Et puis, à la fin de l'entretien, le journal s'est replié.
11:22Woody Allen a fait un petit signe comme ça.
11:25Et on m'a laissé entendre qu'on partait de lendemain en repérage.
11:29Il y a quelques années, André Delvaux a suivi Woody Allen à New York.
11:56Il l'a vu vivre et travailler.
11:59Et en a tiré un film pour la télévision belge.
12:02J'ai donc été à New York.
12:04Il travaillait dans un tout petit studio.
12:06Il ignorait tout le monde d'ailleurs, dans un New York que je ne connaissais pas moi-même.
12:11Dans un immeuble qui n'avait d'ailleurs pas l'air du tout d'être un studio.
12:16Et il faisait une séquence, une sorte de séquence de rêve.
12:19Celle dans laquelle un ensemble de personnages, immigrés dans on ne sait quelle planète,
12:25perdus dans on ne sait quel voyage, se retrouvent au ciel.
12:29Et dans le ciel des nuages, ils découvrent un orchestre qui semble bien être celui de Count Basie.
12:34Et qui est occupé à jouer.
12:36Vous savez qu'ils ne donnent jamais le titre de ces films.
12:38Donc, Star Wars Memories, personne ne savait que ça s'appellerait comme ça.
12:40Marie-Christine Barrault.
12:41Ça s'appelait Woody Allen's No. 4.
12:48Alors en rigolant un jour, on lui a dit, pourquoi numéro 4 ?
12:50Il a dit, parce que je ne me considère même pas comme la moitié de Fellini.
12:53Donc il pensait à 8 et demi.
12:55Et c'est vrai que dans le film, on pense à 8 et demi.
12:58Cette espèce d'armée de figurants étranges.
13:01Aussi bien qu'il voulait que les acteurs, vous savez qu'il n'y avait pas de maquillage.
13:04On n'était pas ni maquillé, la coiffure c'était vraiment le coup de brosse le matin.
13:08Pas de maquillage, les personnages étaient habillés très simplement.
13:11Mais toute la figuration, c'était des maquillages insensés, très Felliniens.
13:15Des costumes bizarroïdes.
13:17Personne n'était normal.
13:18Il avait écumé les rues de New York pendant des mois avec son assistant.
13:22Chaque fois qu'il voyait une personne étrange avec un physique bizarre, il s'arrêtait.
13:26L'assistant allait demander si ces gens voulaient faire de la figuration.
13:29On a été déjeuner dans un petit restaurant tout près de Carnegie Hall.
13:34André Dalvo.
13:35Qui était un restaurant juif extrêmement bruyant.
13:38Avec une agitation invraisemblable des nourritures excellentes, absolument excellentes.
13:43Il a conseillé d'y prendre un pastrami.
13:46Je ne savais pas ce que c'était.
13:48Quand j'ai vu arriver ce sandwich énorme, je me suis demandé comment on pouvait manger ça.
13:53J'ai donc demandé une fourchette et un couteau.
13:56Et il s'est mis à sourire.
13:58Et puis il m'a indiqué comment faire.
14:02On a déjeuné en silence.
14:04Il a de temps en temps amorcé un peu de conversation qui n'avait aucun rapport avec ce que nous faisions.
14:10Et puis tout de même au moment du dessert, il m'a demandé si je savais ce que j'avais envie de faire.
14:19Je lui ai dit que j'avais envie de le rencontrer, de le voir au travail.
14:23Mais que je ne saurais jamais ce que ça deviendrait avant de l'avoir monté.
14:28Ça me semblait donc très difficile à amorcer tout ça.
14:31Et puis le but emblématique me dit quand est-ce que vous commencez ?
14:34Ou plutôt quand est-ce qu'on commence ?
14:37J'ai donc fait venir mon équipe trois jours plus tard.
14:39Il fallait se tendre là pour le passeport.
14:42Et j'ai immédiatement commencé à tourner énormément, énormément sur lui.
14:47Et à ce moment-là, une complicité aimable s'est installée.
14:52Il piste le moindre détail que vous pouvez donner de votre vie, même de votre vie privée, pour en faire quelque chose dans le film.
15:00Alors on a eu comme ça quelques séances de travail.
15:02Mais qui restaient extrêmement professionnelles, charmantes mais professionnelles.
15:07Je me souviens qu'au bout de quelques jours, timidement, je lui ai dit
15:12« Ah ben je me sens mieux maintenant, j'ai l'impression qu'on se connaît mieux » ou quelque chose comme ça.
15:17Et j'ai vu son œil qui s'est carquillé, il m'a dit « Qu'est-ce que vous voulez dire ? »
15:20Non, j'ai dit mais ça y est, on se comprend mieux.
15:22J'avais l'impression, peut-être qu'il s'imaginait que je me considérais comme son ami intime.
15:27Il a toujours très peur qu'on parle de lui, vous savez.
15:29Donc à la fois il donne beaucoup à voir de lui, plus que n'importe qui.
15:32Et en même temps il se protège énormément.
15:52Woody Allen travaille comme un auteur.
15:54Il n'hésite jamais à recommencer une prise de vue, quel que soit le nombre de figurants.
15:59C'est parce qu'il va voir les Rushs, il aime, il n'aime pas, ça lui donne d'autres idées.
16:04On retourne certaines scènes mais avec d'autres dialogues, d'autres décors, enfin c'est même plus les mêmes scènes.
16:09Ou au contraire on rebondit sur une autre scène.
16:11Et très souvent quand il arrivait avec une nouvelle scène, c'était quelque chose qu'il avait piqué de moi.
16:16Marie-Christine Barraud.
16:17Par exemple, il y a toutes petites choses, comme un jour, vous savez qu'il est très…
16:23Il a peur du noir, il a peur des tunnels, comment ça s'appelle, il est claustrophobe.
16:28Et on tournait, tous les extérieurs, on les tournait à 150 km de New York.
16:35Donc il fallait, non, 100 km disons.
16:37Donc tous les matins on partait en voiture au bord de la mer.
16:41Mais quand on rentre dans New York, il y a un long tunnel qui fait à peu près, je ne sais pas, 8 km.
16:45Et quand il y a des embouteillages, le soir on peut y rester 20 minutes dans ce tunnel.
16:50Et on revient… Bon, chacun avait sa voiture.
16:53Il avait sa voiture, son chauffeur, moi la mienne.
16:55Et un jour il s'est trouvé qu'il a manqué une voiture et un chauffeur.
16:57Il m'a demandé si ça m'ennuyait de rentrer dans la même voiture que lui.
17:00Bien sûr que non.
17:01Et quand on est rentré dans ce fameux tunnel, il y avait toute une mise en scène.
17:05Alors il a sorti une radio avec de la musique de Telemann.
17:08Musique très lente comme ça, très sereine, très calme.
17:12Et il m'a pris la main.
17:14J'étais à côté de lui dans la voiture et il m'a pris la main.
17:16Il m'a pris la main pour se calmer, pour écouter cette musique et pour ne pas avoir peur.
17:20Bon.
17:21Donc cette scène, on l'avait vécue.
17:23Moi j'essayais de me moquer un peu, de lui dire mais ça va aller, c'est pas grave et tout ça.
17:27Et en même temps, je le titillais aussi parce que j'aime bien titiller les gens.
17:31Et puis quelques temps plus tard, il a apporté une scène, une nouvelle scène qu'on a tournée,
17:36qui n'est pas dans le film d'ailleurs,
17:38qui était la scène supposée de notre rencontre où on se rencontrait dans un ascenseur.
17:42Et l'ascenseur, tout d'un coup, s'arrêtait entre deux étages.
17:45Et il était paniqué, il appuyait sur les boutons et tout.
17:48Et il s'apercevait qu'il y avait une femme dans cet ascenseur.
17:50C'était moi.
17:51Et tout d'un coup, il se raccrochait un peu à moi.
17:53Et c'était la scène de notre rencontre dans le film, qui encore une fois n'est pas dans le film.
17:58Et je n'ai pas pu m'empêcher de penser que c'était à cause de la scène de la voiture qu'il avait écrit ça.
18:02Quand je le voyais travailler, j'étais très étonné de m'apercevoir qu'il travaillait à l'Européenne.
18:08Ça ne ressemblait pas du tout à un tournage hollywoodien.
18:12Ce n'était pas ces immenses équipes dans lesquelles les masses de gens ne font rien en attendant.
18:17Ce qui n'est pas une manière de perdre le temps, mais au contraire de bien l'organiser.
18:21Mais non, c'était une équipe assez réduite.
18:25Avec d'autre part énormément de figurations.
18:28Et une conversation permanente entre lui, son premier assistant, et son chef opérateur Gordon Willis.
18:36Woody Allen a rencontré Gordon Willis alors qu'il cherchait un caméraman pour son film Annie Hall.
18:42Il avait entendu vanter le talent de Gordon, mais c'était un homme qui passait pour avoir mauvais caractère.
18:49Woody aimait ce que faisait Gordon, mais il ne voulait pas s'adresser directement à lui, par timidité.
18:55Il avait donc demandé à son directeur de production de l'engager tout en s'arrangeant pour que financièrement,
19:02il puisse être remplacé par quelqu'un d'autre s'il ne pouvait pas s'entendre avec lui pendant le tournage.
19:07Au lieu de cela, l'entente avait été parfaite dès le premier jour de tournage.
19:12Ensemble, ils avaient tourné plusieurs films, et c'est Gordon Willis qui avait suggéré à Woody Allen de filmer en noir et blanc Manhattan.
20:08Et je m'apercevais combien cet homme apprenait les choses avec son chef opérateur, avec les autres techniciens.
20:17Il ne se présentait pas du tout comme un génie, prenant des décisions sans discussion.
20:23Non, ça fonctionnait dans une forme de famille technicienne, à l'intérieur de laquelle il avait beaucoup d'hésitation, et comme si le temps ne comptait pas.
20:35Il y a une très belle scène dans le film, avec des mongolfières qui atterrissent.
20:39Marie-Christine Barrault.
20:41On a d'abord passé trois semaines dans un énorme champ, c'était assez loin de New York, d'ailleurs il fallait encore une bonne heure pour y aller,
20:47avec 500 figurants, une tente installée à demeure pour la cantine, des caravanes partout, c'était un camp de guerre.
20:55On a passé trois semaines à attendre la météo, il ne fallait pas que le ciel soit trop bleu, il ne fallait pas qu'il soit trop noageux,
21:01il ne fallait pas qu'il pleuve, il ne fallait pas qu'il y ait trop de soleil, il fallait une certaine heure dans la journée,
21:06et c'était un plan qui mettait en scène, je ne sais pas, entre les figurants et les acteurs, au moins 300 personnes.
21:12On a passé trois semaines, on a fait trois semaines, et au bout de trois semaines, on l'a tourné.
21:18Et il a dit, je ne crois pas que ça ira.
21:21Il a été voir les rushs, et ça, ça devait être en octobre, et il a dit, on le retournera plus tard, et on l'a tourné au mois de mai.
21:28Et on l'a recommencé au mois de mai, où là, ça a été plus vite.
21:30Mais c'est incroyable, je veux dire, qui est-ce qui peut se payer ça ?
21:33Pour un plan qui doit durer cinq minutes ?
21:36Il est très unique, au point qu'il travaille sur une base plus personnelle que la plupart des directeurs.
21:42Robert Grenhut, ami et producteur de Woody Allen.
21:47Il génère ses propres histoires.
21:51Il est vraiment un réalisateur unique, à mon sens.
21:55Unique parce qu'il a la liberté que n'ont pas d'autres réalisateurs dans le monde entier, ni aux Etats-Unis,
22:02de pouvoir choisir de tout faire, de choisir ses scénarios, les réaliser, avec une liberté entière et complète.
22:11Toutes les histoires qu'il raconte sont des histoires aussi basées sur des histoires personnelles, c'est vrai.
22:19Mais il a une liberté entière et complète.
22:21Il n'a pas besoin de se fier ni aux modes, ni aux exigences des uns et des autres.
22:28Il fait ce qu'il veut.
22:29Et ça, c'est vraiment quelque chose d'unique.
22:32Un privilège que n'ont pas d'autres réalisateurs aux Etats-Unis, en tout cas.
22:37C'est un méticuleux et un perfectionniste fantastique sur le plan de la direction des comédiens.
22:43Pour le décor aussi, d'ailleurs, les détails sont très importants pour lui.
22:47Il indique sa scène, il explique aux comédiens.
22:51Et puis, il va généralement se reposer dans sa loge avec sa clarinette.
23:02Quand tout le monde a fini de se préparer, on vient le chercher et il tourne.
23:06Vous savez qu'il a son propre orchestre, New Orleans, avec lequel, en principe, une fois par semaine, le lundi soir,
23:12il joue à New York dans un petit night club qui depuis, d'ailleurs, fait salle pleine.
23:19Les musiciens avec lesquels il joue, d'ailleurs, sont de vieux musiciens.
23:22Ce sont des gens qui ont maintenant la soixantaine.
23:25Et à l'intérieur desquels, il s'insinue comme un gamin.
23:29Il a l'air, parmi eux, d'un gamin qui joue la clarinette.
23:32Ce qui l'intéresse, ce sont les petits groupes à l'intérieur desquels une improvisation est possible.
23:39Et à l'intérieur desquels, chaque musicien, à son tour, reçoit sa part d'improvisation.
24:10Dès ses premiers films, Woody Allen s'est imposé au public comme le héros malchanceux.
24:15Affublé d'un physique ridicule, né dans un milieu minoritaire, victime de la vie quotidienne et de la société,
24:23Woody Allen symbolise le chlomiel de la tradition juive.
24:28Celui dont on dit, il tombe sur le dos et il se casse le nez.
24:33C'est dans Banana, je crois.
24:35Gilles Sèbe, auteur d'une biographie de Woody Allen.
24:39Bon, il est dans le métro, il y a des loupards qui sont dans le wagon, qui descendent.
24:44Et puis, ils ont agressé une vieille dame.
24:46Lui n'a pu rien faire, évidemment, parce que lui est un lâche, en plus.
24:48Mais ça, ça participe aussi de son personnage.
24:50Une fois qu'ils ont descendu, qu'ils sont sur le quai,
24:54bon, les portes se referment, et puis, le mec, il est là.
24:58Il leur fait des grimaces, il leur fait un bras d'honneur, tout ça.
25:01Et le gag, c'est qu'à ce moment-là, le métro ne part pas, mais les portes se rouvrent.
25:06Et les deux gars rentrent, évidemment, pour régler leur compte.
25:08Bon, mais ça, c'est ça.
25:09C'est la malchance du chlémiel qui, vraiment, ça ne peut arriver qu'à lui.
25:13Pour toute autre personne, le métro serait reparti.
25:15Pour lui, les portes se rouvrent.
25:16Bon, voilà, c'est ça.
25:18Quand je suis parti pour la Hongrie avec lui, Willy Holt.
25:21Bon, on a fait plusieurs repérages.
25:23Et un jour, je suis allé en France.
25:25J'ai trouvé des lieux, et je suis rentré à Paris.
25:27J'ai téléphoné pour lui dire que j'avais trouvé,
25:29et on a décidé d'aller faire un saut d'une journée à Budapest.
25:35Alors, la production m'a dit, tu le prends en charge à Orly,
25:41on te l'envoie avec une voiture, tu le prends en charge à Orly.
25:43Je suis arrivé à Orly le matin de bonheur, pour prendre notre avion,
25:46et j'ai enregistré mon bagage, et puis j'ai attendu.
25:49Tout à coup, j'ai vu arriver Willy Holt.
25:52J'ai enregistré mon bagage, et puis j'ai attendu.
25:54Tout à coup, j'ai vu arriver la silhouette.
25:56Il me dit, dans le fond, le chapeau enfoncé sur le crâne,
25:59son petit imperméable, et un livre, un petit livre sous le bras.
26:02Alors, je me suis accroché de Woody Allen pour lui dire,
26:05mais il y a un luggage, et vos bagages.
26:08Le luggage.
26:10Il m'a sorti une brosse à dents de sa pochette,
26:13et un tube d'antifreeze de l'autre.
26:23Woody Allen travaille en famille.
26:25Toujours la même équipe.
26:27Producteur, technicien, acteur, font souvent partie de son entourage.
26:32Et les rôles qu'il écrit sont tirés de sa vie quotidienne.
26:39Robert Green-Hutt.
26:45Effectivement, sa personnalité est très similaire à celle de Woody Allen.
26:50Effectivement, sa personnalité est similaire aux rôles qu'il joue dans ses films.
26:55Ça, c'est vrai.
26:56Et d'ailleurs, si vous passez assez de temps avec lui, vous vous en rendriez compte vous-même.
26:59Mais en dehors de cela, les autres personnages de ses films sont vraiment de pure fiction.
27:05Y compris les personnages dans Marie et Femme,
27:08qui a suscité la controverse que vous savez aux Etats-Unis,
27:11parce qu'on a beaucoup parlé de la similitude,
27:15avec quelque chose qui lui était arrivé personnellement.
27:20Mais en fait, non.
27:21Tous ses personnages, y compris ceux du film, sont vraiment complètement différents.
27:25Relève de la fiction.
27:26Un jour, je rentre à mon hôtel et on me dit qu'il y a un message de Daniel Cohn-Bendit.
27:32Moi, je ne connais pas Daniel Cohn-Bendit.
27:33Je le connais, évidemment, comme tout le monde.
27:35Mais je veux dire, ce n'est pas un ami personnel.
27:37On me demande de rappeler Daniel Cohn-Bendit.
27:39Je le rappelle en Allemagne.
27:40Et il m'explique qu'il a un contrat avec un grand journal allemand
27:44pour faire une série de quatre portraits de quatre personnalités juives
27:48et leur rapport avec leur ville, la ville dans laquelle ils vivent.
27:51Que bien entendu, la tête de pont de cet ensemble d'articles,
27:54ce serait Woody Allen et New York, Manhattan.
27:57Donc, il faut absolument qu'il ait l'assurance de rencontrer Woody Allen
28:01et de pouvoir interviewer Woody Allen.
28:02Car sinon, il n'aura pas le contrat pour le journal.
28:06S'il n'a pas le contrat pour le journal, il n'a pas le visa pour l'Amérique,
28:08parce qu'il était quand même assez mal vu en Amérique comme ancien gauchiste.
28:10Enfin bref, il avait un besoin.
28:12J'étais un peu embêtée.
28:13Il me dit, est-ce que vous pouvez intercéder, parler de moi,
28:15Woody Allen qui me connaît sûrement, mais lui expliquer ce que je veux faire et tout.
28:18J'étais un peu embêtée, parce que c'est le genre de message pas facile.
28:21Woody Allen ne supporte pas qu'un étranger vienne sur le plateau.
28:24Enfin, ce n'était pas évident.
28:25Le lendemain, j'arrive quand même au studio.
28:27Je me dis, il faut que j'en parle.
28:29Je raconte donc ça à Woody Allen, qui me dit...
28:33Evidemment, il avait oublié qu'il était Cohn-Bendit.
28:35Pourtant, il savait ce que c'était ce ressenti, mais vaguement.
28:37Je lui raconte tout ça.
28:38Et tout d'un coup, paniqué, il me dit, est-ce que c'est un terroriste ?
28:43À une certaine époque, on peut dire qu'il avait vaguement une image de terroriste.
28:46Mais en tout cas, maintenant, il est journaliste en Allemagne et tout.
28:49Il me dit, ah oui, it's a retired terrorist.
28:52Un terroriste à la retraite.
28:53Ce que je trouvais génial en parlant de Cohn-Bendit.
28:56J'ai beaucoup d'admiration pour Cohn-Bendit.
28:57À côté de ça, je trouve ça un homme très intelligent.
28:59Je lui raconte donc.
29:00Il me dit qu'il appelle mon secrétariat.
29:03Trois semaines plus tard, j'arrive au tournage.
29:06Woody Allen m'accueille en me disant, votre ami est là.
29:09Alors, je dis, ah bon ?
29:11C'est Cohn-Bendit avec une équipe de tournage.
29:13Je lui dis en rigolant, mais vous savez, ce n'est pas mon ami.
29:15Je ne le connais pas.
29:16Je vous ai simplement raconté.
29:18Il a laissé Cohn-Bendit pendant trois jours dans le studio, filmé.
29:22Il lui a donné des interviews et tout.
29:23Cohn-Bendit était ravi.
29:25Eh bien, il a écrit une scène.
29:26Woody Allen, qui, elle, est dans le film, où je raconte ma vie sur les barricades.
29:30En 68.
29:42Quand Woody Allen rencontre celle qui sera sa première femme,
29:46il débute dans la carrière de comique.
29:48Harlen vient d'achever ses études.
29:51Très jeunes, tous les deux, ils sortent du cocon familial.
29:55Ils resteront mariés pendant deux ans
29:57et ne se reverront plus pendant trois ans.
29:59C'est la première fois qu'ils se rencontrent.
30:01C'est la première fois qu'ils se rencontrent.
30:03C'est la première fois qu'ils se rencontrent.
30:05C'est la première fois qu'ils se rencontrent.
30:07C'est la première fois qu'ils se rencontrent.
30:09Ils resteront mariés pendant deux ans
30:11et ne se reverront plus pendant 25 ans.
30:13Sauf par avocat interposé.
30:16Harlen portera plainte contre Woody
30:18pour l'avoir dépeinte dans des sketchs à la télévision
30:21d'une façon qu'elle trouve méprisante.
30:24« J'ai toujours eu tendance à placer ma femme sous un piédestal »,
30:29dit-il au cours d'une interview.
30:31En rencontrant Louise Lasser,
30:33Woody apprend à être un citoyen de Manhattan.
30:36Louise sort de l'université
30:38où elle a étudié les sciences politiques.
30:40Fille de la 5e Avenue,
30:42elle représente la grande bourgeoisie de New York.
30:45Une fille merveilleuse, dit Woody Allen,
30:48mais complètement frappée.
30:50Avec elle, vous avez deux bonnes semaines par mois
30:52et deux mauvaises.
30:54Mais deux bonnes journées, avec Louise,
30:56valent un an avec beaucoup d'autres.
30:58Allen n'a jamais une femme juive.
31:00Gilles Sebb parle du comportement de Woody Allen dans ses films.
31:03Dans tous ses films,
31:05ce sont toujours de belles filles, blondes, etc.
31:08C'est la fascination pour l'autre,
31:12pour celui ou celle qui est différent.
31:15Évidemment, cette passion pour les blondes,
31:18c'est le désir d'identification
31:21avec le wasp qui est en fait l'ennemi.
31:34Diane Keaton.
31:36Woody Allen la rencontre à l'occasion de la pièce
31:39Tombe les filles et tais-toi.
31:41Diane a déjà joué à Broadway,
31:43ce qui impressionne Woody.
31:45Il y a une demi-douzaine de filles,
31:47aussi jolies les unes que les autres,
31:49dans la distribution.
31:51Ce qui tourne un peu la tête de Woody.
31:53On aurait cru un enfant dans une confiserie,
31:56dira l'un de ses amis.
31:58Mais c'est avec Diane
32:00que des liens profonds se nouent.
32:02Ils resteront ensemble peu de temps.
32:04Un an seulement.
32:06Mais une amitié durable et solide restera.
32:09Diane Keaton, avec son goût pour l'art,
32:12la photo, les arts graphiques et la Californie,
32:15est très différente de Woody.
32:18Mais il lui demande souvent son avis sur ses films.
32:21Enfin, celle avec laquelle il a passé une douzaine d'années,
32:24la femme avec laquelle il a eu des enfants,
32:27une famille,
32:29et avec laquelle il est confronté
32:31au plus grand scandale de sa vie,
32:33Mia Farrow.
32:51Mia Farrow est la fille de Moreno Sullivan,
32:54l'actrice qui jouait la compagne de Tarzan,
32:57à côté de Johnny Westmuller.
32:59Avec Mia, Woody Allen a tourné tous ses derniers films.
33:24Marie-Christine Barraud.
33:26C'est vrai que quand il a commencé à travailler avec Mia Farrow,
33:51par exemple, là j'étais jalouse.
33:52Marie-Christine Barraud.
33:53Je me disais, mais ça doit être tellement merveilleux
33:56qu'un homme vous regarde comme ça, avec amour,
33:58soit curieux de vous,
33:59vous regarde dans les petits gestes de la journée,
34:01la manière que vous avez de vous habiller,
34:03de téléphoner à votre mère,
34:04d'aller vous chercher vos enfants à l'école,
34:06de préparer le dîner,
34:07et puis de toutes ces questions que vous pouvez vous poser.
34:10Et puis vous retrouvez tout ça,
34:12et transposé en plus.
34:14Et dans un film,
34:15vous avez vraiment l'impression
34:16que quelqu'un vous rentre à l'intérieur,
34:18comme ça,
34:19et toute votre vie devient une œuvre d'art.
34:22Là vraiment, je trouve que c'est un beau cadeau
34:26de vivre avec quelqu'un comme ça,
34:28mais c'est très rare.
34:29Bon, maintenant on ne peut plus dire ça,
34:30j'aime mieux ne pas être Mia Farrow aujourd'hui,
34:33dans mes rapports avec Woody Allen.
34:35Mais c'est vrai que la dizaine de films
34:37qu'il a fait avec elle,
34:39je trouve que c'est un cadeau d'homme
34:43et de metteur en scène magnifique.
34:52C'est un cadeau d'homme.
35:22Woody Allen est en procès avec Mia Farrow
35:24pour obtenir la garde de ses enfants.
35:27Son dernier film,
35:28Marie et Femme,
35:29vient de sortir en France.
35:31Aux Etats-Unis,
35:32beaucoup de gens sont allés le voir par curiosité
35:35pour détecter les aspects autobiographiques
35:38que Woody met toujours dans ses films.
35:48Robert Greenwood.
35:52Il a subi davantage de pression ces jours-ci,
35:54c'est vrai,
35:55par rapport à toute l'histoire de la garde
35:57de ses enfants, etc.
35:59Mais professionnellement,
36:01il n'a pas du tout été affecté professionnellement.
36:04Ça ne l'a pas du tout empêché de travailler
36:08comme il le fait,
36:10parfaitement au point de vue professionnel.
36:12Simplement, c'est vrai qu'il a été affecté émotionnellement
36:14et on le comprend,
36:16comme beaucoup de personnes,
36:19lorsqu'il s'agit de la garde de leurs enfants.
36:23Le cinéma
36:47Pour Woody Allen,
36:48le cinéma reste attaché à sa vie
36:50comme une œuvre à son auteur.
36:52Lorsque je le retrouvais très personnellement au montage,
36:57André Delvaux,
36:58au moment où nous n'avions pas autour de nous
37:01des dizaines de personnes,
37:03à ce moment-là,
37:04je me trouvais devant un homme fatigué,
37:07épuisé,
37:09la barbe de trois jours,
37:12qui ne dormait pas visiblement,
37:14qui avait des problèmes.
37:16Il était très hésitant.
37:18Alors, il essayait montage après montage
37:20et chaque fois,
37:22projetait ce qu'il avait monté
37:24pour quelques amis.
37:26Et il écoutait attentivement ce qu'il disait.
37:28Surtout, il observait attentivement leurs réactions.
37:32Et il était extrêmement inquiet.
37:35Alors, à ce moment-là,
37:37je pense qu'un homme se défend,
37:40qu'un homme n'est pas prêt
37:42à se lancer dans une discussion
37:44où il est extrêmement vulnérable.
37:46Par exemple, si dans un cas comme celui-là,
37:48dans cette situation-là,
37:50vous demandez ce que j'ai fait à cet homme,
37:55si faire un film
38:00est une chose sérieuse, grave,
38:04et est, comme toute œuvre d'art quelque part,
38:07une manière d'échapper
38:10au côté provisoire de l'existence,
38:13d'aller vers quelque chose
38:14qui durerait plus longtemps que nous,
38:16donc une sorte de façon
38:18de combattre la mort,
38:20immédiatement, la réponse,
38:22c'est « Oh non, pas du tout, pas du tout,
38:24on n'a rien de ça. »
38:25Et il se frottait les yeux pendant ce temps-là
38:27et il disait « Non, au contraire, non,
38:29c'est quelque chose de très amusant,
38:31très drôle, c'est une manière de...
38:33Au fond, c'est une manière de plaisanter,
38:36de dire des choses aimables, agréables,
38:39de faire semblant d'être sérieux.
38:41Non, vraiment pas, vraiment pas.
38:43Et là-dessus, le silence s'installait
38:44parce qu'il ne savait vraiment plus quoi dire.
38:46Alors que plus tard, quelques jours après,
38:49quand il était redevenu maître de lui
38:51parce qu'il venait d'achever
38:53le premier montage qui put le satisfaire
38:56et pour lequel les gens avaient eu
38:57de très bonnes réactions,
38:59alors il disait « Au contraire,
39:02non, c'est une chose importante
39:04parce qu'à travers le côté comique,
39:07le côté drôle des choses mêmes,
39:08on peut vraiment parler de l'essentiel.
39:10C'est-à-dire qu'on peut raconter sa vie
39:12et raconter la manière dont effectivement
39:15on se situe par rapport
39:16aux grands problèmes philosophiques.
39:18C'est donc une manière, en effet,
39:20en parlant de la mort, d'échapper à la mort. »
39:23« Vous savez qu'il n'y a pas de post-synchronisation
39:25dans un film de Woody Allen ? »
39:26« Marie-Christine Barreau. »
39:27« Bon, tout le monde ne sait pas
39:28ce que c'est que la post-synchronisation.
39:29La plupart du temps,
39:30après le tournage d'un film,
39:31quand le film est monté,
39:32on réenregistre en studio des scènes
39:35parce qu'il y a eu un bruit,
39:37parce qu'on entend mal,
39:38parce qu'on pourrait mieux la jouer,
39:39parce qu'on veut changer le texte.
39:41Ça n'existe pas chez lui.
39:43On ne post-synchronise pas.
39:44Tout le son est direct.
39:46Et on reprend une scène,
39:47même si simplement il y a un problème de son.
39:49Alors que souvent, en France,
39:50quand on est à la fin d'une journée,
39:51enfin en France ou ailleurs,
39:52on dit bon, l'image est tellement bien,
39:55tant pis, on refera ça en post-synchronisation
39:57parce qu'il y a eu un problème
39:58sur le dialogue et sur le son.
39:59Lui, ça n'existe pas.
40:00Le son est aussi important que l'image.
40:02Et ça se sent.
40:03La construction du film
40:04entre l'image et le son,
40:07la couleur, la non-couleur, les costumes,
40:10tout est choisi, tout est...
40:12Mais minutieusement.
40:13C'est comme une espèce de symphonie.
40:15Et tout ça, pour moi,
40:16ça en fait un des plus grands metteurs en scène
40:18de cinéma de notre époque.
40:19Et je trouve qu'on ne le dit pas assez.
40:21On s'arrête trop au contenu de ces films.
40:24Mais j'en retiens tout de même la rencontre
40:26avec un homme qui a un côté passionnant quelque part,
40:30qui d'autre part est un solitaire
40:33complet à l'intérieur de son monde
40:35et s'est probablement révulsé sur lui-même.
40:38André Delvaux.
40:39Donc, ce n'est vraiment que réussite après réussite
40:42qu'il a pu grimper.
40:44Actuellement, ce n'est évidemment plus le Woody Allen
40:46d'il y a 6 ans ou 7 ans.
40:48Ce n'est plus le Woody Allen
40:49de « Tombe les filles et tais-toi »
40:50ou « Prends l'oseille et tire-toi ».
40:52C'est évidemment le Woody Allen
40:54d'après « Stardust Memories ».
40:56Je pense qu'autour de tout le reste,
40:58on peut rêver.
40:59On peut donc faire une sorte de littérature
41:01sur Woody Allen
41:02et se mettre à décrire un personnage
41:04dont on va devenir la proie.
41:05Parce qu'alors vont se superposer
41:07les différentes images
41:08que lui-même nous a données de lui
41:10à travers des films successifs.
41:12Je crois qu'il est maintenant
41:15beaucoup plus proche
41:17de ce personnage de « Stardust Memories ».
41:18C'est-à-dire que jusqu'à « Stardust Memories »,
41:20il ne nous avait jamais montré
41:22exactement le personnage qu'il est.
41:24C'est-à-dire qu'il est beaucoup moins drôle qu'on pense,
41:27qu'il insiste, qu'il revient,
41:30qu'il est obsédé
41:31et que ses obsessions,
41:32il continue sans arrêt de les exprimer.
41:38« Stardust Memories »
41:54Prends à gauche au prochain croisement.
41:56Par ici, ça relance.
41:59Mais maman, je sais quand même comment on va au cimetière.
42:01Vraiment, tu le sais.
42:02Et ralentis, tu vas cinq fois trop vite.
42:05Je fais du quarante à peine.
42:07Écoute bien, si tu me parles sur ce temps,
42:09ne m'inquiète pas.
42:11Vous voudriez bien qu'elle sorte de votre vie, hein ?
42:14Je ne sais pas quoi dire.
42:15Ce soir, j'emmène Lisa à la maison
42:17pour la présenter à ma mère.
42:18C'est la première fois.
42:19Ça m'a mis les nez en plot toute la journée.
42:21Oui, parce que ma mère adore m'humilier.
42:23Et par tous les moyens.
42:24Et même quand j'étais gosse.
42:25Tenez, quand on allait ensemble faire des courses,
42:27elle parlait si fort.
42:29Et d'ailleurs, c'est toujours pareil.
42:30Elle aboie, c'est odieux.
42:31Ça m'a toujours tellement embarrassé.
42:34J'ai peur que cette soirée soit très, très difficile.
42:36Vous réagissez encore comme un enfant.
42:38Vous devez voir votre mère avec plus d'humour.
42:41Ça, j'y arriverai jamais.
42:42Il n'y a rien à faire.
42:43Elle est toujours à m'engueuler pour tout, tout.
42:46Alors, elle me dit que j'ai une tête d'enterrement.
42:48Et elle critique tout.
42:50Comment dire ça ?
42:51Je l'adore.
42:53Mais je voudrais vraiment qu'elle disparaisse.
43:05Ne jamais oublier, dit Woody Allen,
43:07que tout est relatif où devrait l'être.
43:10Sinon, tout serait à refaire.
43:13Et on ne va pas s'y mettre à cette heure-ci.
43:15Bye, bye.
43:20Vous venez d'écouter Destins Extraordinaires,
43:23un podcast issu des archives d'Europe 1.
43:27Réalisation, Julien Tharaud.
43:30Production, Ravie.
43:32Patrimoine sonore, Sylvain Denis,
43:35Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
43:38Destins Extraordinaires est disponible sur le site
43:41et l'appli Europe 1.
43:43Écoutez aussi l'épisode suivant
43:45en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute.

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