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00:00Mademoiselle Chanel a fini sa vie dans la légende. Une légende qu'elle avait tissée elle-même au fur et
00:22à mesure des longs monologues qu'elle accordait à ses visiteurs et à ses proches. Un peu comme
00:28une actrice devant un public. Elle jouait son histoire et cette histoire devenait vivante,
00:34authentique, vraisemblable parce que Chanel y mettait sa passion, ses amours, ses désirs,
00:41ses peines et la sensibilité du monde qu'elle sentait frémir à travers elle. Tout était contenu
00:47dans son personnage qui restait toujours sur scène comme c'est le sort de tous les personnages.
00:51Mademoiselle Chanel a fini par vivre comme une actrice qui ne revient jamais en coulisses.
00:59Nous sommes au début des années 80, celle du siècle dernier. Albert décide de s'installer
01:04à Courpières, une petite ville de l'Ardèche. Il se lie d'amitié avec un certain marin de vol,
01:10marin à 23 ans, Albert 25. Marin est installé dans la vie. Son père, en mourant, lui a laissé
01:18son atelier de menuiserie et le soin de veiller sur sa fille Jeanne qui a 19 ans. Avec Albert,
01:24marin a trouvé un ami et Jeanne, un personnage de roman qui sait parler aux femmes, c'est vrai.
01:31Albert séduit comme un coq de village et Jeanne se laisse troubler un soir d'hiver. Au fil des
01:37mois, la taille de Jeanne trouble à son tour la conscience d'Albert. Il préfère filer mais il
01:43laisse des traces. De village en village, on renseigne marin qui le poursuit pour sauver
01:47l'honneur de sa soeur. Albert est rattrapé à son mur dans une auberge. C'est là que Jeanne accouche
01:53d'une petite fille, Julia. Albert refuse d'épouser Jeanne mais il accepte de l'emmener avec lui.
01:59Trois mois après la naissance de Julia, Jeanne se retrouve enceinte. Elle accouchera le 19 août
02:051883 à l'hospice d'une autre fille, Gabrielle. Albert ne sera pas là mais il a accepté dès la
02:13naissance de Julia de donner son nom à ses enfants. Gabrielle s'appellera donc Gabrielle
02:18Chanel, Coco Chanel lorsqu'elle se forgera sa légende. J'étais très ami avec Coco. Elle me
02:26parlait de toutes ces affaires, de toutes ces aventures de son début et j'ai vu, elle me
02:31parlait de toute sa jeunesse, de son adolescence avec une grande sincérité et puis tout à coup
02:37quand elle est morte, j'ai découvert par des points de repère qu'on a comme ça que ce qu'elle
02:42m'avait raconté avec la plus grande sincérité n'était pas tout à fait vrai. Marcel Edrich,
02:46écrivain et journaliste. J'ai vu comme ça que mademoiselle Chanel s'était fait des souvenirs
02:52d'enfance avec des détails de romans feuilletons ou avec des souvenirs empruntés à ses amis. Elle
02:58me disait par exemple, mon père était marchand de vin à Béziers alors quand on achetait le vin
03:05sur pied pour deux sous et qu'on le revendait trois sous le litre, c'était la fortune, la
03:10bonbance mais quand on achetait trois sous et que ça se vendait un sou, c'était la ruine, c'était
03:14l'horreur et elle ajoutait, mon père, mes parents se sont ruinés la même année que les parents de
03:22Pierre Reverdy, le poète. Alors une fois que j'ai trouvé la clé du personnage, j'ai compris que
03:29c'était pas le souvenir d'elle, ses parents étaient marchands forains, ils n'ont jamais mis les pieds
03:33à Béziers, c'est quand même fascinant non comme personnage. Oui Albert Chanel est forain, il court
03:38les foires comme marchand ambulant. Jeanne le suit parfois, elle a renoncé à devenir couturière comme
03:43l'était sa mère. En 1884, Albert épouse Jeanne. Leur union va durer jusqu'au 16 février 1895, date de la mort de Jeanne.
04:00A 33 ans, la mère de Gabriel est morte d'épuisement, de maladie pulmonaire, d'amour pour Albert
04:06qu'elle s'est acharnée à vouloir suivre pendant trop d'hiver. Gabrielle a 12 ans, son père enfin
04:13veuf, enfin libre, l'emmène avec sa soeur Julia à l'orphelinat. Elle a été trahie très jeune par
04:19la société représentée par son père. Marcel Edrich. Il m'a raconté, et c'était très émouvant, que lorsqu'elle
04:27est devenue orpheline, son père la confia deux tantes qui n'ont jamais existé, j'en rentre pas dans les détails,
04:32mais elle m'a raconté une scène, son père venant la voir et lui disant mon petit coco je vais m'en aller en
04:39Amérique pour faire fortune, je reviendrai riche et nous aurons une grande maison. Et elle lui disait papa ne
04:47me laisse pas, mes deux tantes auxquelles tu m'as confié sont très gentilles mais elles ne m'aiment pas, je veux
04:52rester avec toi. Et c'est à cause de ça qu'elle a été comme une petite fille trahie par
05:00son père, ce qui est la chose la plus déchirante qui puisse arriver à une enfant. Mais ça s'est
05:07passé d'une manière différente, mais l'abandon était quand même celui-là, vous comprenez ? Et
05:11elle n'a jamais passé, donc à partir de ce moment, cette petite fille se trouvant seule dans la vie, pas
05:16chez deux tantes, mais dans un orphelinat, parce qu'on l'avait casé dans un orphelinat, où elle était
05:21parmi les pensionnaires de second ordre, parce qu'elle ne payait, personne ne payait pour
05:28elle, alors elle ne mangeait pas comme les autres, etc. Elle était recueillie par charité. Et bien cette
05:32petite fille abandonnée n'a jamais supporté l'humiliation de cet abandon et par conséquent
05:39elle a découvert que pour se protéger contre les abandons, pour être sûre d'elle-même, il lui fallait
05:46réussir et avoir de l'argent. C'est à dire qu'elle a fait passer la force et la puissance avant l'amour.
05:53Et elle a payé ça du prix énorme de sa solitude à la fin de sa vie. Elle a souffert de sa solitude.
06:00Hervé Mille, ami du Coco Chanel. Mais cette solitude, elle l'a voulue. Et ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que
06:10ayant tout eu, des amours nombreuses et célèbres, une fortune immense, une réputation sans égale,
06:20c'est la seule femme, dans une époque récente, peut-être avec Eleanor Roosevelt, dont la mort a été
06:28annoncée dans tous les pays du monde en première page, y compris dans la presse russe et la presse
06:31chinoise. Tout ça ne comptait pas pour elle. Rien de tout ça n'a pu rompre et compenser
06:41cette terrible solitude de la fin de sa vie. Entre cette petite fille de 12 ans abandonnée à
06:46l'orpheléna et cette femme seule adulée comme une reine, 76 ans vont s'écouler. Des années qui
06:52vont tisser un personnage bâti comme un des piliers du 20e siècle dans un matériau pourtant
06:58éphémère et frivole, la mode.
07:17Les parents de Gabrielle Chanel avaient eu cinq enfants, trois filles, Julia, Gabrielle et Antoinette
07:25et deux garçons, Alphonse et Lucien. Les deux garçons âgés de dix et six ans à la mort de leur
07:31mère étaient devenus ce qu'on appelait à l'époque des enfants des hospices. Les hospices plaçaient
07:36les enfants abandonnés dans les familles jusqu'à ce qu'ils soient en âge d'apprentissage. Bien
07:41souvent cela revenait à fournir une main d'oeuvre quasiment gratuite aux familles qui les recueillaient.
07:46Ils accomplissaient les besognes les plus dures, couchaient dans la paille des étables et étaient
07:50nourries à la nourriture de leurs institutions religieuses. La discipline était dure mais au moins
08:00on ne les laissait pas illettrés et quand elles avaient 18 ans les religieuses se faisait un
08:04devoir de leur trouver un emploi ou un mari. En 1900 on retrouve Gabrielle Chanel dans l'une de
08:10ses institutions religieuses à Moulins. Elle a 17 ans. L'institution est tenue par les chanoinesses.
08:16Elle comprend un collège de bonne réputation où les jeunes filles de la bourgeoisie viennent
08:21s'instruire et un internat où on éduque les orphelines. Le régime dans l'un ou l'autre
08:26camp n'est pas le même évidemment. Gabrielle en souffre et en gardera toute sa vie l'image
08:33d'un monde divisé en deux. Un jour je lui dis vous savez je sais pas, elle m'avait invité à dîner,
08:38je lui dis non je peux pas parce que j'ai une Sainte Catherine. Pierre Berger, directeur de la
08:42maison Yves Saint Laurent. Comment vous allez à des choses pareilles ? Je dis comment mais vous ne
08:46faites pas votre Sainte Catherine ? Moi jamais. Il n'en est même pas question. Jamais. Je n'ai jamais
08:51bu un verre avec une ouvrière. C'était pas de la prétention. Il faut bien comprendre cela. C'était
08:59que les choses devaient être à leur place et que c'était l'ordre des choses. Son ordre à elle et
09:07qu'elle n'aimait pas le désordre. Parallèlement à ça, cette femme monarque totalement hautaine,
09:14distante, lointaine a fait la mode la plus contemporaine, la plus proche et la plus
09:22accessible. Peut-être que monsieur Balenciaga je ne sais pas sablait le champagne dans des ateliers
09:28mais il a fait la mode la plus éloignée qui soit, une mode de castes, une mode de gens riches,
09:36une mode de privilégiés alors que mademoiselle Chanel a fait la mode de tout le monde et celle
09:44d'aujourd'hui sur laquelle nous vivons encore. Alors à l'estimer peut-être à juste titre que
09:50c'était ça son destin humain.
09:58Son destin, Gabrielle Chanel le rencontre à Moulins. Elle passe ses vacances chez l'une de ses tantes,
10:21tante Julia. Celle-ci a des doigts de fée et un goût raffiné. Les étoffes qu'elle achète au marché,
10:26elle improvise des robes merveilleuses. Ses chapeaux ont de l'imagination, du charme, du bon goût.
10:31Tante Julia sait faire fleurir entre ses mains un vulgaire mouchoir avec une broderie délicate
10:36ou marquer un drap de lin en dessinant un chiffre royal. Tout ce qui était vulgaire ou dans un mot
10:44ou dans une expression ou dans un objet ou naturellement dans la couture, on la voyait sueur ici
10:53comme un chat à rebrousse-poils. Hervé Mille, ami de Gabrielle Chanel. Elle avait une distinction profonde et innée.
11:00Elle disait il y a des choses qu'on peut définir que par leur contraire. Un jour on lui disait qu'est-ce que c'est que le luxe ?
11:09Si je débarque dans une auberge de village où je trouve dans mon lit le superbe vieux drap de lin
11:18qui ont servi et re-servi, c'est le comble du luxe. Et cependant c'est la simplicité.
11:25Si je débarque chez un curé de village dont la vieille servante m'a fait un sauté de lapin,
11:32eh bien c'est la pauvreté mais c'est du luxe. Il n'y a qu'une chose qui soit le contraire du luxe, c'est la vulgarité.
12:181903, Gabrielle Chanel a 21 ans. Elle est employée avec sa tante Adrienne qui a le même âge qu'elle dans une maison de confection pour dames.
12:26De temps en temps, un tailleur prend les deux jeunes filles pour l'aider au moment de la saison des courses.
12:32Les officiers qui montent en concours viennent s'habiller chez lui et ses militaires remarquent les deux jeunes filles qui cousent dans l'arrière boutique.
12:40Ils les invitent à prendre un sorbet, ils les emmènent au grand café. Gabrielle et Adrienne découvrent l'autre monde.
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13:48En 1905, on retrouve Gabrielle sur scène. Elle fait partie des poseuses de beuglants. Un beuglant, c'est une sorte de musical où se produisent des chanteurs.
14:10Ceux-ci sont entourés sur scène par une dizaine de figurantes, assises comme des jeunes filles, et qui sont là pour donner un bon genre de salon mondain à l'établissement.
14:19Entre les numéros des vedettes, chacune à leur tour, les jeunes filles se lèvent pour chanter le refrain d'une chanson.
14:24Gabrielle chante « Qui qu'a vu Coco dans le troncadéro ». Chaque soir, c'est un triomphe et les beaux militaires la rappellent en lui criant « Coco ! Coco ! ».
14:33Pour toute la garnison, Gabrielle est devenue Coco. Et Coco Chanel espère devenir une grande chanteuse lorsqu'elle fait la connaissance d'Étienne Balzan.
14:42Étienne Balzan était un cavalier français d'une très grande famille bourgeoise, très riche.
14:47Marcel Aydrich.
14:48C'était un garçon très brillant qui faisait son service militaire chez les chasseurs à cheval à Moulins.
14:55Il y a eu à cette époque, il y avait toujours des guerres et des choses absurdes, des régiments qui étaient des régiments très bien, où il fallait faire son service quand on était un homme du monde.
15:04Eh bien, le régiment de cavalerie de Moulins, je ne connais pas son numéro, était l'un de ces régiments.
15:08Et là, défilaient des tas de jeunes gens de très bonne famille. Et Balzan est arrivé à Moulins et a connu Coco Chanel à Moulins.
15:15Il l'a ramené à Paris. Mais quand il l'a ramené chez lui à Paris, c'est Étienne Balzan, c'était un éleveur de chevaux, c'était un garçon très brillant.
15:24Il avait un château à Royallieu, près de Compiègne.
15:28Et dans ce château, il y avait une dame, ce n'était pas Madame Balzan, mais c'était la dame de Monsieur Balzan.
15:35C'était une cocotte, c'était Émilienne d'Alençon, une grande cocotte.
15:38C'était une personne qui avait des exigences, qui portait des grandes robes, des grands chapeaux, une sale balade, tout ça.
15:55Face à l'éclat outrageux des grandes cocottes de l'époque, qui font de la parure l'essentiel de leur charme, Coco Chanel oppose une vraie personnalité.
16:04Étienne Balzan a la passion des chevaux. Gabrielle en fait son instructeur.
16:08Elle apprend à monter un cheval, à mener les pursans à l'entraînement, le matin à 5 heures.
16:13A part les métiers avec les professionnels de l'élevage, on la verra même disputer des concours hippiques.
16:18Gabrielle vit réellement. Elle déteste passer son temps devant un miroir.
16:22Elle refuse son rôle de femme entretenue, sa situation de cocotte.
16:26Bientôt, Étienne Balzan et ses amis lui accordent les privilèges d'une dame.
16:30Vous savez, Chanel, c'est beaucoup plus une leçon de vie qu'une leçon de couture.
16:34Lilou Marcangamba, qui a travaillé pendant 15 ans avec Coco Chanel.
16:38Vous savez, un jour, il y a très longtemps, ma mère faisait des copies Chanel.
16:44Et quelqu'un comme ça, dans la conversation, pas méchamment, c'est Hélène Nazareff d'ailleurs, avait dit,
16:50vous savez que la mère de Lilou fait des copies de vos vêtements.
16:56Nous étions à table, alors elle me regardait.
17:00Elle me regardait, elle me regardait.
17:04Nous étions à table, alors elle me regardait.
17:08Elle me dit, mais tu ne m'as jamais dit que ta mère faisait des copies.
17:10Je dis, mais oui, en effet, elle fait d'ailleurs de très jolies copies.
17:12Elle m'a dit, ah non, écoute, ça, c'est pas possible. Elle ne peut pas faire des copies Chanel sans m'avoir vue travailler.
17:18Alors Chanel, qui ne supportait pas qu'on la regarde travailler.
17:22Moi, j'étais derrière elle. À chaque collection, on lui passait des épingles.
17:24J'étais folle de joie de pouvoir passer des épingles aux Chanel.
17:26Tout d'un coup, elle me regarde, elle me dit, écoute, tu vas demain dire à ta mère de venir me regarder travailler.
17:32Parce que je veux bien qu'on fasse des copies Chanel, mais il faut les faire bien.
17:42Gabrielle Chanel se lasse de vivre au château de Royallieu.
17:46Les chevaux la passionnent, mais ils ne lui apportent aucune indépendance.
17:49Elle voudrait travailler.
17:51Étienne Balzan traduit son désir dans le langage de l'époque.
17:54Il lui propose un passe-temps.
17:56Tu pourrais faire des chapeaux pour tes amis, lui dit-il.
17:59Toutes les femmes adorent les chapeaux de Gabrielle.
18:01Elle lui demande souvent de les prêter ou elle vient les essayer dans sa chambre.
18:05Coco est contente de cette idée.
18:07Elle s'installe à Paris.
18:09Étienne lui offre de s'établir au rez-de-chaussée de sa garçonnière.
18:12Et très vite, les chapeaux de Coco Chanel ont du succès.
18:15Il faut du personnel.
18:17Coco engage Lucienne Rabaté.
18:19Elle deviendra par la suite la plus grande modiste de Paris à l'époque des années folles.
18:23Gabrielle fait aussi venir sa soeur Antoinette qui cherche désespérément un emploi à Vichy.
18:28La première maison Chanel est créée.
18:30Il faut bientôt chercher une nouvelle adresse.
18:32Un endroit connu et respecté du tout Paris.
18:35Le rez-de-chaussée d'Étienne Balsan n'est pas une adresse de maison sérieuse.
18:39Et de toute façon, c'est devenu trop petit.
18:41Alors, Gabrielle cherche à emprunter de l'argent pour s'installer sérieusement.
18:45Sa vie de Coco Chanel a commencé quand elle a été Coco Chanel.
18:50Marcel Edrich.
18:51Quand elle a commencé, elle a eu un départ foudroyant.
18:54Une fois qu'elle s'est installée dans la mode, qu'elle a fait des chapeaux, qu'elle a fait des robes.
18:57Ça a été un succès formidable et immédiat.
19:00À ce moment-là, c'était les années d'avant l'autre grande guerre.
19:04Eh bien, c'était vers 1912.
19:06Elle avait déjà presque 30 ans.
19:08Mais pour elle, dans sa tête, le début de son succès, c'était le début de sa vie.
19:13C'était une jeune fille.
19:14Elle me disait, la maison Chanel, à quoi je tiens par-dessus tout.
19:18Cette maison, je l'ai faite seule et sans argent.
19:21On m'avait ouvert un crédit.
19:24Mais, ajoutait-elle, je ne pouvais pas signer de chèque
19:28parce que j'étais une petite fille.
19:30Elle pouvait dire qu'elle n'était pas majeure.
19:31Je répète, elle avait 30 ans.
19:33Donc, elle commençait sa vie à 30 ans avec le succès qu'elle a eu.
19:37Et Gabrielle commence à construire la légende qui va faire d'elle la grande demoiselle.
19:42Elle sera jeunine une dizaine d'années et romance le début de sa vie.
19:45Elle disait, les gens qui ont une légende deviennent cette légende.
19:50Marcel Edrich.
19:52Autrement dit, quand ils sont autre chose que ce qu'ils étaient au départ,
19:56et bien, ils deviennent autre chose.
19:58Et elle me disait de la même façon, si je racontais ma vie, je la commencerais à demain.
20:03Le passé n'intéresse personne.
20:05En fait, il n'intéressait pas elle.
20:13L'homme qui a fourni à Coco Chanel l'argent nécessaire à son installation est un Anglais.
20:18Un ami d'Étienne Balzan.
20:20Il s'appelle Arthur Capelle.
20:22Tout le monde le connaît sous le nom de Boy Capelle.
20:25Boy Capelle, bien qu'admis dans la meilleure société anglaise,
20:28est considéré à Paris comme un homme du monde, à des origines ténébreuses.
20:32Il ne parle jamais de sa mère.
20:34On dit que son père serait l'un des banquiers Peyrère.
20:37Fils naturel, une moitié de sang juif,
20:39Boy Capelle n'aurait jamais franchi la porte d'un salon mondain
20:43s'il n'avait été un excellent joueur de polo, élevé chez les jésuites et un redoutable séducteur.
20:49Boy Capelle et Coco Chanel se sont rencontrés au château de Royallieu.
20:53Coco a senti chez cet homme le même trouble du passé qui les ronge.
20:57Boy s'est tout de suite intéressé aux idées de Coco, à sa façon de prendre la vie.
21:02Il admire sa volonté de se réaliser, il veut l'aider.
21:05Gabrielle se sent séduite.
21:07Le jour où Boy Capelle est morte, Boy Capelle s'est tué en 1918.
21:11Hervé Mille.
21:12D'abord, elle a vu sûrement un amour pour Boy Capelle.
21:15Mais cet amour, le temps passant, ce personnage a grandi à ses yeux.
21:22Elle a sûrement été beaucoup moins amoureuse qu'elle l'a pensée l'avoir été une fois que les années sont venues.
21:30L'aventure de Coco Chanel, car c'est une aventure de réussir pour une femme au début du siècle, prend l'allure d'une carrière.
21:53Gabrielle se libère peu à peu de son enfance, des hommes, des sentiments de faiblesse.
21:58Elle travaille pour vivre libre.
22:00Mais ce n'est pas l'ambition qui la pousse au-delà des performances des autres.
22:04Vie en elle une véritable force créatrice.
22:07Quand elle essayait, quand elle faisait des essayages, quand elle habillait des mannequins,
22:12ses mots c'était toujours « bon alors maintenant, tu marches ».
22:16Lilou Marcand-Granbach.
22:18« Tu marches », alors la fille marchait comme ça, elle arpentait le salon.
22:21Elle disait « bon fais comme si tu montais aussi ».
22:23A l'époque on montait dans des autobus, on grimpait, d'ailleurs maintenant encore, mais il y avait des marches pieds.
22:27Alors grimpe dans l'autobus, alors elle grimpait dans l'autobus, il fallait qu'au moment où la fille levait les jambes comme ça,
22:32on voit un petit bout, les doublures étaient comme ça, c'était des couleurs très chatoyantes.
22:38L'intérieur des vêtements était important parce que quand une femme remuait,
22:42elle tenait à ce qu'elle garde toute la féminité, en même temps qu'on puisse marcher, qu'on soit à l'aise.
22:47Donc les jupes jamais trop entravées, mais à peine larges.
22:52Mais quand elle marchait, qu'on voit à l'intérieur des robes, des jupes.
22:56Dans les robes de Mousseline, il y avait toujours un jupon, quelque chose de dentelle dessous.
23:00Elle travaillait de ses mains, c'était vraiment un artisan qui n'a jamais fait de sa vie un patron.
23:06Jamais un dessin, elle ne savait pas dessiner.
23:08Elle travaillait vraiment à même le tissu, elle prenait un tissu,
23:12elle le drapait sur le mannequin vivant parce qu'elle ne supportait pas non plus le mannequin en bois.
23:18Elle a raison pour dire qu'elle était très bien payée parce qu'elle travaillait énormément les mannequins chez elle.
23:22Elle travaillait sur le mannequin vivant, à même le tissu.
23:25Le tissu, c'est elle qui le faisait fabriquer pour elle, avec les couleurs qu'elle voulait.
23:30C'était vraiment un travail énorme, énorme, énorme.
23:33C'est quelqu'un vraiment la plus rigoureuse.
23:36Elle travaillait avec une rigueur comme je n'ai jamais vu.
23:39Je veux dire, elle ne sait rien à rien passer.
23:41Elle les faisait un tailleur, elle les démolissait 40 fois s'il fallait.
23:45Mais vraiment 40 fois, je ne dis pas 40 fois, c'est vraiment 40 fois.
23:49Les premiers d'atelier pleuraient, ils n'en pouvaient plus.
23:53Une robe arrivait par exemple et je me disais,
23:56cette robe ou ce tailleur, ce n'est pas possible, c'est une merveille, il n'y a rien à y faire,
23:59il ne faut plus y toucher, c'est une beauté.
24:01Alors elle disait, elle faisait signe à la fille d'avancer comme ça.
24:04Elle prenait les ciseaux, elle commençait à démolir, à défaire,
24:08elle disait non, ça ne va pas, il faut refaire ça, ça, ça.
24:11Et puis après, une fois que la fille était complètement reconstruite et tout,
24:16le vêtement, elle lui disait, bon, va-t'en un peu, déloigne-toi que je te regarde.
24:19Et c'est vrai que c'était fantastique.
24:22Elle avait refait, on ne sait pas pourquoi elle refait,
24:25pourquoi est-ce qu'elle voyait que c'est là où Chanel, c'était unique.
24:30On entend quand le craquement, les ourlets d'effet, les coutures d'effet.
24:36Hervé Mille.
24:37C'est que sa conception relevait d'une extrême rigueur et d'une rigueur très simple.
24:47Hattie Carnegie, qui était la grande femme de la couture américaine,
24:51un jour, elle me dit, vous savez, moi, je dois tout à Chanel.
24:54Elle m'a dit des choses extraordinaires.
24:57Je dis quoi ?
24:59Elle m'a dit, ne fais jamais un bouton sans sa boutonnière.
25:03Eh bien ça, c'est en effet une admirable leçon, parce que ça s'applique à tous les arts.
25:34La première guerre mondiale n'a pas encore renversé les valeurs du monde
25:38que Gabrielle Chanel révolutionne la mode.
25:41Elle donne à la femme un peu de sa liberté
25:44en lui inventant des vêtements qui saisissent sa féminité avec naturel.
25:48Puis elle met fin au règne du chignon en brioche.
25:51Les femmes suivent son exemple.
25:53Elles se font couper leurs cheveux.
25:55À ce moment-là, elle habitait rue Gabrielle.
25:58C'était à la fin de la guerre.
26:01Hervé Mille, ami de Coco Chanel.
26:03Et elle avait un chauffe-bain à gaz qui explose.
26:10Elle est couverte de fumerons.
26:16D'abord, on l'appelle les pompiers, parce qu'il y avait un commencement d'incendie.
26:19Une fois que les pompiers arrivent,
26:22elle se fait couper les cheveux.
26:26Une fois que le petit incendie est arrêté,
26:31elle se voit tout le barbouillis noir,
26:34avec tous ses longs cheveux couverts de fumerons.
26:37Alors elle s'est lavé les cheveux.
26:40Et puis elle a pris une paire de ciseaux et a coupé ses cheveux.
26:43Et c'est à cause de l'incendie de son chauffe-bain
26:46que toute seule, dans sa salle de bain,
26:49elle s'est coupé les cheveux.
26:51Et Boyd Keppel est venu la chercher.
26:54Et elle est sortie avec Boyd Keppel les cheveux coupés.
26:57Et toutes les femmes se sont coupées les cheveux.
27:21Est-ce que tu peux faire ?
27:23Je m'aperçus tout aussitôt qu'elle s'était fait couper les cheveux.
27:28Comme une petite fille gentille,
27:32elle s'était fait couper les cheveux.
27:36En disant, ça m'ira beaucoup mieux.
27:40Car les femmes, tout comme les messieurs,
27:43parce que c'est la mode, commode,
27:47elles se font toutes, elles se font toutes,
27:51elles se font toutes couper les cheveux.
27:55Furieux de ce pas, je vais trouver belle-maman,
27:59une dame qui se promène entre 16 et 40 ans.
28:03Ma belle-mère, en me voyant, me dit d'un air doux,
28:07regardez ce que j'ai fait pour vous.
28:10Elle enleva gentiment son chapeau.
28:14Est-ce que tu peux faire ?
28:16Je m'aperçus tout aussitôt qu'elle s'était fait couper les cheveux.
28:22Comme une petite fille gentille,
28:26elle s'était fait couper les cheveux.
28:30En se disant, ça m'ira beaucoup mieux.
28:33Car les femmes, tout comme les messieurs,
28:37parce que c'est la mode, commode,
28:41elles se font toutes, elles se font toutes,
28:45elles se font toutes couper les cheveux.
28:49Que va dire grand-mère, elle pleine de distinction.
28:53Allons la trouver, je veux voir son indignation.
28:57La bonne vieille nous dit, je vous réserve justement
29:01une bonne surprise, mes enfants.
29:04Elle enleva gentiment son chapeau.
29:08Est-ce que tu peux faire ?
29:10Je m'aperçus tout aussitôt qu'elle s'était fait couper les cheveux.
29:16Comme une petite fille gentille,
29:20elle s'était fait couper les cheveux.
29:24En se disant, ça m'ira beaucoup mieux.
29:27Car les femmes, tout comme les messieurs,
29:31parce que c'est la mode, commode,
29:35elles se font toutes, elles se font toutes,
29:39elles se font toutes couper les cheveux.
29:43En 1918, Gabrielle Chanel monte une deuxième maison à Biarritz.
29:48La Côte Basque est avec Deauville la station à la mode.
29:51Gabrielle y a acheté une villa.
29:53C'est là qu'elle rencontre le grand-duc Dimitri.
29:56Dimitri est un Romanov, c'est-à-dire qu'il fait partie de la famille du tsar.
30:00Il a été l'un des complices de l'assassinat de Rasputin.
30:03L'institution russe a poussé Dimitri jusqu'à Biarritz les mois d'été.
30:07Contrairement à ses cousins, Dimitri ne se saoule pas tous les soirs
30:11et ses excentricités se bornent à nourrir pour mademoiselle Chanel
30:15une passion que celles-ci partagent.
30:17Elle a commencé à faire des robes noires le soir,
30:20parce que jamais une robe de soir n'était noire jusqu'à Chanel.
30:23Un soir où elle est au moment de sa liaison avec le grand-duc Dimitri,
30:27Hervé Mille, elle avait travaillé,
30:30le soir vers 8h30-9h, Dimitri arrive et lui dit nous allons sortir.
30:35Alors elle dit non, je suis trop fatigué, je ne veux pas sortir, je n'ai pas habillé, etc.
30:39Enfin il insiste beaucoup, elle commence à sortir
30:42et elle met simplement une petite robe noire,
30:45avec évidemment ses superbes bijoux
30:48et un manteau, elle ne portait pas de manteau de vison,
30:54elle ne portait que de la gibeline.
30:57Et elle danse chez Siros,
31:00elle se voit dansant dans un miroir,
31:04il y avait beaucoup de miroirs chez Siros,
31:07et elle voit qu'on ne voyait qu'elle.
31:09Parce qu'au milieu de toutes ces femmes, en rose, en bleu ciel,
31:13enfin de toutes ces couleurs claires,
31:15elle a laissé sa petite silhouette noire,
31:17se remarquer beaucoup plus que toutes les femmes.
31:21Et c'est comme ça qu'elle a dit,
31:22tant que les femmes sont toutes habillées en couleurs,
31:24ce qu'elle vient de se faire remarquer,
31:26c'est la robe noire.
31:36Nous sommes en 1920, Coco Chanel a 37 ans,
31:40elle est plus entreprenante que jamais.
31:42Cette année-là, elle fait une découverte importante,
31:44elle invente un parfum.
31:46A l'époque, les parfums ont la senteur des fleurs,
31:49on se parfume à la rose, au jasmin, au gardénia, à l'héliotrope,
31:53le parfum Gabriel a une senteur indéfinissable.
31:55Entre dans sa composition, 80 ingrédients différents.
31:59Il est unique, il est Chanel,
32:01c'est pourquoi Gabriel l'appelle le numéro 5 de Chanel.
32:05Elle avait un nez, comme on dit, extraordinaire.
32:07Lilou Marcangamba, qui fut la plus proche collaboratrice de Coco Chanel,
32:11pendant 15 ans.
32:12Elle le savait, c'est un parfum, vous convenez, vous ne convenez pas,
32:15s'il fallait en porter ou ne pas en porter, et pourquoi,
32:18et quel parfum, et elle faisait son parfum elle-même,
32:21elle le sentait, elle le mettait, elle avait un magnifique meuble boule,
32:24rue Cambon, au premier étage, dans son appartement,
32:28et dans ce meuble boule, elle mettait ses parfums,
32:30vous savez, les meubles s'imprégnaient des parfums,
32:33et de temps en temps, elle le sortait pour voir si l'odeur lui convenait ou pas.
32:37Les parfums Chanel vont permettre à Gabriel
32:39de vivre librement son aventure créative.
32:42Elle ne sera jamais obligée de vendre son nom
32:44pour commercialiser les objets qui ne la concernent pas.
32:47Je crois qu'elle a fait ce que tous les couturiers ont rêvé de faire,
32:51sauf qu'ils ne pouvaient pas.
32:52Pierre Berger, directeur de la Maison Saint-Laurent.
32:54Chanel était ce qu'on appelle un grand couturier au sens haute couture,
32:59et c'est ce qu'elle aimait, faire ses bijoux pour lesquels elle avait du génie,
33:03et des choses de ce genre, que ses parfums marchaient très bien,
33:08parce que je sais, je ne suis pas dans le secret des dieux,
33:12la Maison de Parfums, les parfums, payaient donc toute cette aventure Chanel,
33:17et qu'elle n'avait donc pas besoin du tout de trouver des revenus ailleurs,
33:22et de vendre des articles à gauche ou à droite, sous tous les continents,
33:26pour faire tourner sa propre maison de couture.
33:28Et elle était tout à fait tranquille.
33:30Elle était simplement une couturière, et elle faisait son métier.
33:34Elle considérait qu'elle était une ouvrière parmi les autres,
33:38qui travaillait beaucoup plus que les autres.
33:41Un jour, c'était 3-4 jours avant la fin de la collection,
33:46il était 3h du matin, je lui ai dit « Ecoutez Coco, allez-vous boucher,
33:50d'abord moi j'ai vraiment de la fatigue, puis vous aussi,
33:53puis regardez-moi toutes ces malheureuses ».
33:55Il y avait toutes ces filles superbes, tous ces mannequins,
33:58qui étaient allongés, quelques-unes même par terre, d'autres dans des fauteuils,
34:04enfin on les sentait absolument hors de course,
34:07et je dis à Coco « Ayez pitié de ces filles, ayez pitié de ces imbéciles ».
34:12Pourquoi dites-vous des imbéciles ?
34:15Écoutez, réfléchissez à moi, pourquoi est-ce qu'elles sont là ?
34:18Elles sont là parce qu'elles sont belles, et parce qu'elles sont pauvres.
34:21Eh bien, laissez-moi vous dire que quand on est belle et pauvre, on est une idiote.
34:26Et ça, vous savez, c'est une chose d'époque.
34:28J'ai vraiment envie de dire ça, vous voyez,
34:30toutes les choses amusantes qu'on peut dire sont désagréables.
34:33C'est une chose d'époque, comprenez ?
34:35C'est une chose d'époque pour les femmes.
34:38Colette aurait dit la même chose.
34:40Ce sont des mots de femmes du début du siècle.
34:44Je me suis retirée à un moment donné, pendant un an, à la campagne,
34:48avec mon mari et mes enfants.
34:50Lilou Marc-En-Grand-Bac raconte l'histoire de François Mironnet,
34:53maître d'hôtel de Mademoiselle Chanel.
34:55Ce garçon, elle l'aimait beaucoup,
34:58et comme elle parlait beaucoup et qu'elle en avait conscience,
35:01comme je n'étais plus là, elle déjeunait seule,
35:03alors un jour, c'est lui qui me l'a raconté,
35:05il était debout et elle lui a dit
35:07« Écoutez, François, qu'est-ce que vous faites debout, toujours à m'écouter ?
35:10Ce serait mauvais pour les jambes de rester debout comme ça,
35:12pour la circulation, asseyez-vous. »
35:14Alors il s'est assis, puis un jour, elle lui a dit
35:16« Écoutez, c'est ridicule, vous n'allez pas m'écouter parler comme ça,
35:18avec des gants blancs et tout ça, c'est gênant,
35:20enlevez vos gants, c'est ridicule. »
35:22Et puis, huit jours après, elle lui a dit
35:24« Ecoutez, cherchez un maître d'hôtel. »
35:26À force de lui parler, elle lui a dit
35:28« Pourquoi vous êtes maître d'hôtel ? Qu'est-ce que vous avez envie de faire ? »
35:30Et puis, lui était fasciné par les bijoux
35:32et la manière dont elle les fabriquait.
35:34Et comme elle adorait les gens curieux,
35:36qui avaient envie de savoir et tout,
35:38elle lui a appris à faire des bijoux.
35:40Et il a fait des bijoux,
35:42et il continue à faire des bijoux extraordinaires.
35:44Enfin, il s'est révélé vraiment quelqu'un,
35:46un artiste.
35:58...
36:22Compagnons de jeunesse de Winston Churchill,
36:24« Élégant », c'est-à-dire détaché
36:26comme dirait le poète Pierre Auverdi.
36:28Le duc de Westminster
36:30est l'homme le plus riche d'Angleterre.
36:32Circulent à propos de lui
36:34toutes sortes de légendes.
36:36On le dit, grand amateur de jolies femmes,
36:38qu'il compte de diamants, mais qu'il bat
36:40lorsqu'elles ne lui plaisent plus.
36:42On s'amuse de ses manies fantasques,
36:44on dit par exemple qu'il force tous les matins
36:46son valet de chambre à repasser les lacets
36:48de ses chaussures.
36:50Le duc de Westminster est une véritable star du Gotha.
36:52Hugues Richard Arthur,
36:54le deuxième duc de Westminster,
36:56a la passion des chevaux comme ses ancêtres.
36:58Dans la famille,
37:00on entretient de grandes lignes des talons
37:02des vainqueurs de derby.
37:04L'un d'entre eux, Bindor, a donné son nom au duc.
37:06Oui, dans l'intimité,
37:08personne n'appelle le duc de Westminster
37:10Hugues Richard ou Arthur,
37:12tout le monde l'appelle Bindor,
37:14du nom du pur sang.
37:16Le drame de Bindor est de vivre
37:18entre deux générations qui l'étouffent.
37:20La première, elle est représentée par son grand-père,
37:22le premier duc de Westminster,
37:24celui dont parle Coco Chanel en disant
37:26il faut savoir ce qu'a été son grand-père
37:28pour comprendre ce que Bindor n'est pas.
37:30C'est vrai,
37:32le premier duc de Westminster
37:34a marqué son époque.
37:36Gagnant du derby quatre fois,
37:38ami de Gladstone et collaborateur estimé
37:40de la reine Victoria,
37:42personnalité libérale,
37:44maniant l'humour avec intelligence
37:46pour garder l'estime de ses pairs,
37:48efficace pour défendre les intérêts des faibles
37:50et pour lutter contre le gouvernement.
37:52Il prit partie, par exemple,
37:54pour la cause des minorités arméniennes
37:56opprimées par les turcs.
37:58C'est lui qui a obtenu la déposition
38:00d'une loi pour que les vendeuses
38:02aient droit à une chaise dans les magasins
38:04et ne soient plus obligées
38:06d'attendre les clients debout.
38:20Bindor vit dans l'ombre
38:22de cet aïeul illustre.
38:24Il vit aussi avec la cicatrice
38:26d'un drame.
38:28Bindor a eu trois enfants
38:30au cours de ses deux premiers mariages.
38:32Deux filles et un fils,
38:34un héritier.
38:36Le garçon est mort à quatre ans
38:38d'une crise d'appendicite.
38:40Le duc se remariera quatre fois
38:42mais il n'aura plus d'enfant.
38:44Gabrielle Chanel, qu'il n'épousera pas,
38:46sera son plus grand amour.
38:48Si elle avait eu un enfant,
38:50si elle avait pu donner un fils à Westminster,
38:52alors elle aurait accepté d'être
38:54du chef du Westminster.
38:56Hervé Milles.
38:58Le fameux mot qu'elle aurait dit,
39:00elle ne l'a jamais dit.
39:02Parce qu'ils étaient mariés
39:04trois fois déjà à Westminster.
39:06Il y a déjà trois duchesses du Westminster
39:08et il n'y a qu'une Chanel.
39:10C'est pas elle qui l'a dit.
39:12C'est un vieux diplomate,
39:14Sir Charles Mendel.
39:16Il y avait un bonheur qui lui avait échappé.
39:18Lequel ? C'est le bonheur tout simple
39:20qu'elle feignait de mépriser,
39:22c'est-à-dire le mariage, les enfants.
39:24Marcel Edrich.
39:26Mais elle avait voulu avoir
39:28un enfant du duc de Westminster.
39:30Elle avait essayé,
39:32elle consultait un gynécologue,
39:34elle faisait des exercices,
39:36on va donner des précisions.
39:38Et elle n'a pas eu d'enfant.
39:40Mais pourquoi ? Parce qu'elle avait déjà
39:42un certain âge. Quand elle l'a rencontré,
39:44quand c'est la jeunesse, c'est entendu,
39:46mais c'est déjà plus difficile,
39:48on fait moins facilement un enfant à 45 ans qu'à 18 ans.
39:50Elle n'a pas eu cet enfant.
39:52Un jour, je l'ai entendu parler de l'accouchement.
39:54Elle m'a parlé d'un ami
39:56qui avait eu
39:58un jeune marié et sa femme
40:00l'avait contraint d'assister à son accouchement.
40:02À suite de ce spectacle horrible,
40:04disait-elle, ce jeune marié
40:06ne voulait plus voir sa femme.
40:08Sur quoi elle s'était mise ?
40:10Elle racontait des choses horribles sur la manière dont naissent les petits chats,
40:12même les poulains.
40:14Vous savez qu'elle s'occupait beaucoup de chevaux.
40:16Elle trouvait que c'était horrible.
40:18Mais c'est justement en exprimant cette horreur
40:20de la naissance,
40:22je crois,
40:24qu'elle traduisait
40:26le regret de quelque chose
40:28qu'elle n'a jamais reçu
40:30de la vie.
40:32Lorsque Coco Chanel
40:34et le duc de Westminster
40:36se séparent vers 1930,
40:38le Chanel n°5
40:40est devenu le parfum le plus vendu du monde.
40:42Et le 7 novembre 1932,
40:44Gabrielle Chanel
40:46inaugure sa première exposition de bijoux.
40:48Les bijoux,
40:50elle les dessine elle-même.
40:52Lilou Marcant-Grambach.
40:54Elle avait des grandes plaques de pâte à modeler.
40:56Elle avait des pierres de couleur.
40:58Elle avait des bijoux.
41:00Elle avait des pierres de couleurs.
41:02Toutes les couleurs.
41:04C'était vraiment extraordinaire.
41:06C'était comme un jeu.
41:08Des petites boîtes avec des pierres de toutes les couleurs.
41:10Des pierres semi-précieuses.
41:12Des fausses pierres.
41:14Elle mettait l'armature
41:16sur la pâte à modeler.
41:18Elle la collait.
41:20Et à l'intérieur, elle faisait son bijou.
41:22Elle le fabriquait complètement.
41:24Elle travaillait les bijoux,
41:26même le dimanche.
41:28Elle n'avait pas les clés de l'atelier
41:30où il y avait toutes ces pierres de couleurs.
41:32Elle les met à quatre pattes sur son tapis.
41:34Son tapis chinois magnifique,
41:36rue Cambon.
41:38Elle m'avait demandé de chercher dans le coffre.
41:40On était allé chercher un magnifique collier
41:42que lui avait offert Westminster
41:44quand elle vivait avec lui.
41:46Il y avait des pierres de couleurs.
41:48C'était des vraies pierres.
41:50Des vraies émeraudes, des vraies rubis.
41:52Avec un petit rebouchon et un petit marteau.
41:54Elle désertissait les pierres
41:56pour faire ses bijoux parce qu'elle était passionnée.
41:58Elle voulait faire le bijou tout de suite.
42:00Je lui disais, mademoiselle, attendez jusqu'à demain.
42:02Mais tu es folle. Qu'est-ce que je vais attendre demain ?
42:04J'ai envie de faire mon bijou maintenant.
42:06Elle désertissait ses pierres
42:08pour faire son bijou.
42:10De toute façon, ce collier est affreux.
42:12Je ne vais jamais le porter.
42:14Regarde ça, une rivière. Comme si ça me ressemblait.
42:16C'était vrai, d'ailleurs. Ça ne lui ressemblait pas du tout.
42:26Elle a fait sans entrain son boulot quotidien.
42:28Subit le propriétaire.
42:30Le percepteur, la boulangère.
42:32Et trimbaler sa vie de chien.
42:34Le dimanche, vivement,
42:36on file à nos jambes, alors brusquement.
42:38Tout paraît charmant.
42:42Quand on se promène
42:46au bord de l'eau.
42:48Comme tout est beau.
42:50Quel renouveau.
42:52Paris au loin
42:54nous semble une prison.
42:56On a le coeur
42:58plein de chansons.
43:00L'odeur des fleurs
43:02nous met tout à l'envers.
43:04Et le bonheur
43:06nous saoule pour pas cher.
43:08Chagrins et peines
43:10de la semaine.
43:12Tout est noyé dans le bleu,
43:14dans le vert.
43:16Un seul
43:18dimanche
43:20au bord de l'eau.
43:22Aux trémolos
43:24des petits oiseaux.
43:26Suffit pour que tous les jours
43:28semblent beaux.
43:30Quand on se promène au bord
43:32de l'eau.
43:34Je connais des gens cafardeux, qui tout le temps
43:36se font des cheveux.
43:38Ils rêvent d'offrir ailleurs dans un monde
43:40meilleur. Ils dépensent
43:42des tas d'oseilleux pour découvrir
43:44des merveilleux. A moi ça
43:46me fait mal au coeur, car y'a pas besoin
43:48pour trouver un coin où l'on se trouve bien
43:50de chercher
43:52si loin.
43:54Quand
43:56on se
43:58promène
44:00au bord de l'eau.
44:02Cause tout est beau.
44:04Quel renouveau.
44:06Paris au loin nous semble
44:08une prison.
44:10On a le coeur plein de
44:12chansons. L'odeur
44:14des fleurs nous met tout à l'envers.
44:16Et le bonheur
44:18nous soule pour pas cher.
44:20Chagrins et peines
44:22de la semaine.
44:24Tout est noyé dans le bleu,
44:26dans le vert.
44:28Un seul
44:30dimanche
44:32au bord de l'eau.
44:34Autres et mollo
44:36des petits oiseaux.
44:38Suffit pour que tous les jours
44:40semblent beaux.
44:42Quand on se promène au bord
44:44de l'eau.
45:18Dimanche au bord
45:20de l'eau.
45:22Autres et mollo
45:24des petits oiseaux.
45:26Suffit pour que tous les jours
45:28semblent beaux.
45:30Quand on se promène au bord
45:32de l'eau.
45:341936, le Front Populaire
45:36sème la terreur parmi les clients habituels de la haute couture.
45:38La plupart des maisons ferment.
45:40Coco Chanel a décidé de
45:42continuer à travailler envers et contre tout.
45:44Chanel était en acier.
45:46Pierre Berger.
45:48Elle avait un sens très monarchique
45:50de sa situation
45:52et de sa profession. Elle était très fière
45:54de raconter le Front Populaire tel qu'elle l'avait vécu.
45:56Il y avait des grèves dans un atelier
45:58et personne ne voulait reprendre le travail.
46:00Alors elle a dit, bien moi je vais y aller.
46:02Mais mademoiselle, vous n'oserez pas.
46:04On dit, les gens autour d'elle,
46:06mais non, mais non, vous allez, ça va être épouvantable.
46:08N'y allez pas, pas du tout, je vais y aller.
46:10Mais enfin mademoiselle, vous n'y pensez pas absolument.
46:12Et d'ailleurs apportez-moi tous mes bijoux.
46:14Enfin mademoiselle, je vous dis apportez-moi tous mes bijoux.
46:16Alors on lui a apporté tous ses bijoux.
46:18Elle a mis tous ses bijoux.
46:20Elle s'est parée comme une chasse.
46:22Et dans un atelier en grève, elle est entrée.
46:24Il y a eu un moment de stupeur,
46:26d'étonnement, de silence
46:28et tout le monde l'a applaudi.
46:44En 1940, Gabrielle Chanel ferme ses ateliers.
46:54Elle licencie toutes ses ouvrières.
46:56Seule la boutique Chanel reste ouverte.
46:58C'est la guerre.
47:00La guerre en Europe.
47:02La guerre entre Coco Chanel et les industriels qui lui fabriquent son parfum.
47:04La guerre après la guerre,
47:06à la libération, lorsqu'on lui reproche
47:08d'avoir eu un allemand pour amant.
47:10Mais la maison Chanel se relèvera
47:12avec la grande Mademoiselle à sa tête.
47:14Coco Chanel a choisi le 5,
47:16son chiffre porte-bonheur pour faire son retour.
47:18Le 5 février 1954,
47:20elle présente à nouveau une collection.
47:22La presse est presque unanime à dire
47:24c'est démodé.
47:26Alors, elle présente sa collection aux Etats-Unis.
47:28Le succès est extraordinaire.
47:30Un an après en France,
47:32la maison Chanel retrouve sa toute-puissance
47:34rue Cambon,
47:36avec au premier étage,
47:38l'appartement de Mademoiselle.
47:40Ce qui était très intéressant, c'était son
47:42installation
47:44de la rue Cambon.
47:46Hervé Mille.
47:48C'était impressionnant parce que
47:50il y avait des choses les plus diverses.
47:52Il y avait des statues grecques.
47:54Il y avait
47:56des
47:58porcelaines de Chine.
48:00Il y avait de superbes meubles
48:02Louis XV et Régence
48:04et Louis XIV.
48:06Il y avait des paravents de Chine.
48:08Il y avait
48:10des sculptures modernes.
48:12Notamment de très belles sculptures de Louis XVI.
48:14Et, tout ça
48:16était admirablement
48:18cohérent parce que le commun et la matière,
48:20c'était son goût.
48:22Aucun objet chez elle n'était là
48:24parce qu'il avait une valeur en soi.
48:26Elle avait
48:28même une chose extraordinaire.
48:30C'est un aérolite qui était superbe,
48:32qui était des H-minis, qui avait l'air d'une sorte
48:34d'animal furieux,
48:36qui est tombé du ciel en Chine,
48:38on ne sait pas, il y a combien,
48:40quelques millénaires peut-être,
48:42monté sur un socle chinois
48:44qui était sur sa cheminée.
48:46On avait un salon chinois
48:48somptueux avec une salle à manger à côté
48:50et un bureau et sa salle de bain.
48:52Et puis au bout du couloir, il y avait l'office, la cuisine.
48:54L'îlot marque en grand bac.
48:56Tous les soirs, cet immeuble
48:58se vidait de tous les ateliers parce que
49:00tous les étages au-dessus, c'était les ateliers.
49:02Alors, tout l'immeuble se vidait des ateliers.
49:04Alors, depuis 45 ans,
49:06elle vivait au Ritz. Elle dormait.
49:08Le Ritz, c'était un lit de cuivre,
49:10vous savez, comme dans les hôtels,
49:12avec deux paravents de chaque côté du lit
49:14et puis c'est tout. Et une pièce à côté,
49:16parce qu'elle avait quitté les appartements
49:18du premier étage qui étaient trop somptueux,
49:20elle détestait tout ce qu'elle détestait
49:22au monde, et elle avait pris
49:24deux chambres de chauffeurs.
49:26Mécaniciens, comme elle disait.
49:28On n'est pas le chauffeur, on est le mécanicien.
49:30Elle avait pris deux chambres en haut
49:32et elle les avait reliées entre elles
49:34et elle habitait... M. Ritz, d'ailleurs,
49:36habitait aussi dans les combles.
49:38Elle disait, je vis comme un...
49:40Elle disait toujours, oui, je vis comme un vieil étudiant.
49:42C'est dans cette chambre que
49:44la demoiselle du Ritz s'est éteinte
49:46un dimanche de janvier 1971.
49:48Gabrielle Chanel allait fêter
49:50ses 88 ans l'été suivant.
49:52Bye-bye.
49:58Vous venez d'écouter Destins Extraordinaires,
50:00un podcast
50:02issu des archives d'Europe 1.
50:04Réalisation,
50:06Julien Tharaud. Production,
50:08Raphaël Mariat.
50:10Patrimoine sonore,
50:12Sylvain Denis, Laetitia Casanova,
50:14Antoine Reclus.
50:16Destins Extraordinaires est disponible
50:18sur le site et l'appli Europe 1.
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