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00:00Bonjour Joëlla Lazare, vous êtes vous-même professeure, vous enseignez au lycée Louis-le-Grand à Paris,
00:05mais il y a 10 ans, quand ont eu lieu ces attentats, vous étiez au lycée Féderb à Lille.
00:09Vous vous souvenez de cette journée du 7 janvier ?
00:11Oui, je crois qu'on s'en souvient tous.
00:13C'était un mercredi, je me souviens que j'arrivais en salle des professeurs avec des autorisations de sortie.
00:18Le lendemain, justement, je devais emmener mes élèves à Paris à la conciergerie, voir une exposition sur Saint-Louis.
00:25Et en fait, j'ai vu mes collègues dévastés en salle des profs et c'est eux qui m'ont appris.
00:30Et l'émotion était considérable, parce qu'on a tous mesuré immédiatement l'événement et sa portée, je crois.
00:39Et donc il y avait beaucoup de sidération, mais aussi une compréhension immédiate de ce que ça signifiait pour notre démocratie.
00:49Qu'est-ce que ça représentait pour vous, Charlie Hebdo, à l'époque ?
00:52Vous en serviez comme support pédagogique pour des cours sur la liberté d'expression, pour des cours sur les caricatures, justement ?
00:58Oui, bien sûr. Alors, on ne se sert pas que de caricatures de Charlie Hebdo, mais les caricatures sont un outil absolument merveilleux,
01:06surtout en cours d'enseignement moral et civique, où finalement nous avons peu de temps avec les élèves.
01:12Au collège, par exemple, les collègues ne les voient qu'une heure par quinzaine, une heure tous les quinze jours.
01:17Donc il s'agit de choisir des documents qui incitent immédiatement à la réflexion.
01:22Et puis il faut apprendre aussi à lire les caricatures.
01:26Et nous, nous sommes là pour ça, pour les introduire dans un cours, pour les problématiser, pour les expliciter, donner le cadre de lecture.
01:35Évidemment, on ne montre pas des caricatures comme ça gratuitement.
01:38L'idée n'est jamais de choquer, l'idée n'est jamais d'avoir un propos anti-religieux.
01:44L'idée est de montrer ce qu'est la liberté d'expression en France et même, éventuellement, de débattre des limites de la liberté d'expression en France.
01:52Vous dites justement apprendre à lire ces caricatures.
01:55Mickaël, à l'instant, l'auditeur qui vient de nous appeler, imaginons c'est un élève un jour dans une salle de classe qui dit
02:00« je ne comprends pas qu'on ait le droit de blasphémer ». Qu'est-ce que vous lui répondez justement ?
02:04Comment vous fournissez cette grille de lecture pour pouvoir apprendre à lire ces caricatures ?
02:08Généralement, quand on travaille sur les caricatures, on est en classe de quatrième et toute l'année, on travaille sur la construction du modèle politique français,
02:16sur les différents régimes et sur l'évolution de la liberté d'expression.
02:21On revient sur les Lumières, on revient sur la Révolution française.
02:25Les élèves, en histoire, géographie, comme en EMC, en enseignement moral et civique, comprennent que cette absence de délit, de blasphème a construit aussi les libertés.
02:42On remonte à Voltaire, on remonte au Chevalier de la Barre.
02:45En cours, on explique aussi évidemment que ce ne sont pas des caricatures contre les musulmans ou contre les juifs ou contre les chrétiens,
02:52mais à chaque fois contre les islamistes ou contre des entrepreneurs d'idéologies radicalisées.
03:03Il ne s'agit pas de critiquer gratuitement une religion ?
03:05Non, jamais.
03:06Ici Nord, 7h49, nous sommes en direct avec Joël Alazard, président de l'association des professeurs d'histoire géographique.
03:12Joël Alazard, la manière dont vous enseignez toutes ces notions, la liberté d'expression, la liberté de caricaturer, le droit de blasphémer,
03:20est-ce que tout ça a évolué en 10 ans, depuis Charlie Hebdo, depuis les attentats ?
03:26Alors je pense, oui.
03:28Évidemment, là, je n'ai pas de statistiques, mais ça a évolué.
03:33On continue à utiliser les caricatures, mais peut-être pas les mêmes caricatures.
03:37Et puis, il y a aussi un événement de taille qui s'est produit il y a 4 ans, c'est l'assassinat de Samuel Paty,
03:42qui est mort pour avoir étudié justement ces caricatures en cours.
03:46Vous avez témoigné récemment au procès de l'assassinat de Samuel Paty, qui était l'un de vos collègues.
03:50Peut-être plus que la tuerie de Charlie Hebdo, c'est quelque chose qui a changé, quelque chose pour la communauté enseignante.
03:56Oui, il y a une plus grande prudence.
03:59On est sans arrêt en train d'ouvrir des parapluies, d'expliquer pourquoi on se sert d'un document, pourquoi on le convoque.
04:06Et puis, il y a le problème des parents.
04:09On sait très bien que les parents suivent la scolarité de leurs enfants, et ils sont toujours les bienvenus à l'école.
04:14Mais en revanche, il est impossible pour nous qu'ils aient un jugement sur les contenus des chapitres enseignés,
04:21ou sur les documents que nous utilisons pour transmettre ces contenus.
04:25C'est-à-dire que l'appréhension qu'il peut y avoir à aborder certains sujets, comme la laïcité, comme les caricatures,
04:30tout ça, ce n'est pas juste du ressenti.
04:32C'est-à-dire que vous avez des collègues qui sont contestés dans leur enseignement par des parents ?
04:37Ça arrive souvent ?
04:38Oui. Alors, ce n'est pas la règle non plus.
04:40La plupart du temps, dans nos classes, ça se passe bien.
04:42Et je crois que c'est important de le rappeler, parce qu'à force de se concentrer sur des problèmes qui augmentent,
04:46c'est vrai, on oublie que la réalité de nos classes, la plupart du temps, c'est une réalité pacifique.
04:51Mais, effectivement, on a de plus en plus d'oppositions, de questions.
04:57Et en même temps, quand ces questions sortent en cours, on en est plutôt heureux.
05:01Parce que nous, ce qu'on redoute le plus, c'est le silence des élèves, qui s'enfermeraient, et l'absence de dialogue.
05:07Si un élève de quatrième ou de première, au moment où on travaille sur la liberté d'expression,
05:12nous demande pourquoi ces caricatures peuvent exister en France,
05:16c'est l'occasion, justement, d'une explication et d'approfondissement avec la classe.
05:21Vous avez dit tout à l'heure que vous avez des collègues qui ouvraient des parapluies quand ils abordaient certains sujets en classe.
05:26Est-ce que vous avez des collègues qui se censurent, qui refusent désormais d'aborder certains sujets ?
05:30Ou alors, qui ne le disent pas, peut-être, mais qui ne les abordent plus, alors qu'ils auraient pu le faire auparavant ?
05:35Je ne connais pas de professeur qui refuse, qui renonce à enseigner les contenus transmis.
05:43Mais nous avons des statistiques qui nous disent qu'effectivement, cette prudence existe de plus en plus.
05:50Je n'aime pas tellement le mot d'auto-censure. Je pense que c'est avant tout de la prudence,
05:54une manière peut-être plus progressive d'aborder les thèmes, d'installer les chapitres du programme,
06:00expliquer qu'on va utiliser des documents, par exemple sur la naissance des monothéismes,
06:04qui ne sont pas seulement des documents issus des livres sacrés, mais aussi des documents
06:09qui permettent d'historiciser et peut-être d'infirmer certains aspects des livres sacrés.
06:15Une toute dernière question, Joël Alazard. Est-ce que vous diriez qu'il y a quelque chose de générationnel également ?
06:20Le Figaro cite ce matin une étude de l'IFOP qui dit que 31% des 18-24 ans estiment que Charlie Hebdo n'aurait pas dû publier les caricatures de Mahomet en 2006.
06:28Le journal y voit une certaine rupture entre les jeunes d'aujourd'hui et ceux d'avant,
06:32qui acceptaient peut-être un peu plus ce qu'on a appelé l'esprit Charlie Hebdo, les caricatures dans les journaux.
06:37Est-ce que c'est votre avis également ? Ou est-ce que vous pensez que c'est la société de manière générale et pas forcément les jeunes ?
06:43Je le crains. Effectivement, je pense que ça ne tient pas qu'aux jeunes.
06:48Et ce que disait l'auditeur que vous aviez juste avant, le prouve, ces caricatures ne sont plus forcément comprises.
06:56Le pacte de lecture n'est plus compris.
06:58Et on ne comprend plus à quel point elles ont été essentielles dans la construction de la liberté d'expression et dans la construction de la République française aussi.
07:05Et je précise par ailleurs que dans la même étude de l'IFOP, il y a quand même 76% des sondés
07:10qui estiment que la liberté d'expression est un droit fondamental et que la liberté de caricaturer en fait partie.
07:16Merci beaucoup, Joël Hazard, d'avoir accepté notre invitation ce matin à la présidence de l'association des professeurs d'histoire-géographie.
07:22Bonne journée !

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