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00:00Heureux Pinsoir
00:0219h21, Pierre De Villeneuve
00:04Et je salue mes camarades de la deuxième heure.
00:06Bonsoir Gilles Boutin,
00:08journaliste politique économique au Figaro.
00:10Bonsoir Jean-Michel Salvatore,
00:12chroniqueur politique.
00:14Et bonsoir à vous Marika Brett.
00:16Merci d'être avec nous.
00:18Vous étiez la DRH, la directrice des ressources
00:20humaines de Charlie Hebdo
00:22en ce
00:247 janvier 2015.
00:26Vous êtes à Charlie Hebdo
00:28puis vous sortez, c'est ça ?
00:30Au moment de l'attaque. Par hasard ou par chance ?
00:32Je ne suis pas à Charlie Hebdo,
00:34je suis en rendez-vous bancaire.
00:36Vous êtes en rendez-vous bancaire.
00:38J'éteins mon téléphone,
00:40puisque je suis en rendez-vous bancaire.
00:42Je sors, il est 11h45,
00:44j'allume mon téléphone.
00:46J'ai un nombre de messages totalement
00:48anormal à cette heure
00:50sur mon répondeur. J'en écoute
00:52deux.
00:54J'entends Charme dans
00:56son message, je comprends
00:58immédiatement qu'il s'est passé
01:00quelque chose de grave, je ne sais pas quoi évidemment,
01:02mais je comprends immédiatement.
01:04Mais qu'est-ce qu'il dit Charme dans son message ?
01:06Non, c'est pas Charme, c'est des personnes qui me demandent si j'ai des nouvelles de Charme.
01:08Parce qu'il vient de se passer quelque chose.
01:10Et là, je comprends
01:12et j'appelle Charme, je suis
01:14d'abord frénétique et puis
01:16hystérique, on peut le dire.
01:18Et je m'accroche au fait que
01:20s'il ne me répond pas, c'est qu'il est
01:22vivant mais qu'il est débordé ou qu'il est
01:24vivant et qu'il est blessé.
01:26Et puis, je finis par
01:28l'apprendre par
01:30le commissaire du 11ème arrondissement.
01:32Parce que vous vous y rendez ?
01:34Non, à ce moment-là, je suis
01:36tétanisé et au moment où j'apprends
01:38ça,
01:40je m'en souviens
01:42encore et je m'en souviens de toute ma vie,
01:44je hurle dans la rue, je hurle.
01:46C'est-à-dire, vous l'apprenez, pardonnez-moi
01:48Marika, comment ? Par le commissariat.
01:50Qui vous appelle ? Non, c'est moi
01:52qui ai un contact au commissariat du 11ème.
01:54Et comme l'a dit
01:56sa maman
01:58ce week-end
02:00sur un reportage, beaucoup l'ont appris
02:02par la télé et par la radio.
02:04Et moi, je ne pouvais pas attendre de savoir les choses
02:06par la télé et par la radio.
02:08Donc vous avez appelé votre contact
02:10au commissariat du 11ème et c'est là où on vous a tout dit ?
02:12On ne m'a pas tout dit mais
02:14je voulais savoir pour Charme, parce que Charme était mon compagnon.
02:16Donc, je voulais évidemment
02:18d'abord savoir pour Charme.
02:20Et là,
02:22j'ai hurlé,
02:24j'ai dit après,
02:26j'ai hurlé pour ne pas mourir étouffée
02:28de rage
02:30et de colère, parce que
02:32je n'imaginais pas
02:34des balles de Kalachnikov dans une salle de rédaction
02:36en plein Paris. Par contre,
02:38je savais combien ils étaient menacés
02:40et en particulier Charme
02:42qui, je le rappelle,
02:44avait été ciblée par
02:46Al-Qaïda Yémen sur une hachiche
02:48aux côtés de Salman Rushdie
02:50recherche pour crime
02:52contre l'islam.
02:54Et aujourd'hui, ont eu lieu justement
02:56ces hommages, vous y étiez, bien sûr.
02:58Oui.
03:00C'est important.
03:02C'est important de rendre hommage
03:04à, déjà,
03:06nos plus grands talents du dessin
03:08de presse, il faut le rappeler.
03:10Puis à cette bande
03:12là, qui avait
03:14au cœur, au fond, ce que nous défendons
03:16et que nous devrions défendre
03:18de manière unanime, la liberté.
03:20La liberté d'écrire,
03:22de dessiner, de rire,
03:24d'aborder tous les sujets avec
03:26humour. Donc c'est important
03:28de ce point de vue là, et c'est aussi
03:30important, pas d'oublier, sur pourquoi
03:32ça s'est passé. On ne peut pas parler
03:34du 7 janvier sans le 8
03:36et sans le 9, sans dire
03:38quelle idéologie a présidé
03:40à ces trois jours sanglants,
03:42barbares et mortifères qu'on appelle
03:44islam, islam politique,
03:46islamisme, islam politique, peu importe,
03:48mais c'est au cœur du sujet.
03:50Est-ce qu'aujourd'hui,
03:52comment est-ce que vous vous êtes retrouvés
03:54à ces hommages ? Est-ce qu'il y a des films
03:56qui sont passés dans votre esprit ?
03:58Comment est-ce que vous avez revécu
04:00les choses ? Est-ce qu'à chaque fois qu'il y a
04:02ces commémorations, vous vous repensez
04:04à ces moments douloureux ? Vous vous repensez
04:06à vous-même, dans la rue,
04:08en train d'hurler, parce que vous apprenez
04:10l'improbable, le plus terrible,
04:12le plus terrifiant ?
04:14Je pense à ces moments partagés
04:16bien sûr avec charme
04:18et avec tous, à ces moments
04:20de fou rire, à ces moments
04:22où on s'est engueulés parfois
04:24et c'est bien comme ça aussi,
04:26c'est ça une rédaction, on s'accroche,
04:28je pense à ça, et je pense
04:30et ça c'est quelque chose qui est assez difficile,
04:32ça c'est notre
04:34histoire d'amitié, c'est notre histoire
04:36et qui est devenue
04:38l'histoire nationale. Et au moment de l'hommage,
04:40c'est ce moment-là, en fait,
04:42on se dit, notre histoire de copains,
04:44de potes, qui rigolaient,
04:46etc, est devenue
04:48l'histoire nationale, et pourquoi
04:50elle est devenue l'histoire nationale ?
04:52Le plus important, c'est que juste
04:54après, la France a dit,
04:56en tout cas une grande partie de la France,
04:58je suis Charlie. Aujourd'hui,
05:00c'est plus difficile de dire je suis Charlie,
05:02on en parle beaucoup, Manuel Valls
05:04était invité ce matin
05:06de BFM TV, écoutez
05:08celui qui était Premier ministre
05:10à l'époque. C'est vrai
05:12qu'il y a beaucoup de complices
05:14ou d'idiots utiles, si vous me permettez
05:16cette expression, ceux-là qui n'étaient
05:18déjà pas Charlie, qui revendiquaient
05:20d'ailleurs il y a une dizaine d'années
05:22de ne pas être Charlie, ça a été
05:24une partie de la gauche, de la presse,
05:26de certains intellectuels,
05:28c'est ceux qui n'avaient déjà pas
05:30soutenu Salman Rushdie,
05:32c'est ceux qui aujourd'hui ne soutiennent
05:34pas Mbwala Mssensal,
05:36c'est ceux qui s'en prennent
05:38à Sophia Aram,
05:40c'est ceux qui considèrent que combattre
05:42l'islamisme et l'islam radical
05:44c'est être, je mets les guillemets,
05:46islamophobe, c'est-à-dire ce mot
05:48inventé par le régime iranien
05:50pour clouer au pilori Salman Rushdie.
05:52Marie Cabrette, vous avez vu
05:54d'ailleurs Manuel Valls ce matin.
05:56Tout à fait.
05:58Je partage à 1000% les propos
06:00de Manuel Valls parce que
06:02vous l'avez dit,
06:04il y avait trois slogans, c'était
06:06je suis charlie, je suis policier, je suis juif.
06:08Il y avait ces trois slogans dans cette
06:10immense manifestation du 11 janvier
06:122015. On en est où sur ces trois
06:14sujets ? On en est où quand
06:16je vais donner juste un exemple
06:18extrêmement récent,
06:20quand la députée
06:22Sophia Chikirou,
06:24pour contester un dessin de Coco
06:26dans Libé, un dessin où elle
06:28associe les ruines de Gaza,
06:30la famine et le ramadan,
06:32Sophia Chikirou publie et répond
06:34à Coco en lui disant, vous n'aurez pas ma
06:36haine mais vous la méritez. Ce qui est
06:38d'une perversité sans nom parce qu'elle
06:40reprend le titre d'un livre
06:42d'un rescapé du Bataclan
06:44et elle envoie les autres
06:46faire le sale travail auprès de Coco
06:48d'insultes et menaces. Elle d'ailleurs ce jour-là
06:50elle a reçu des kilomètres
06:52de menaces. Donc oui,
06:54je suis d'accord avec ça
06:56et avec le reste, on en est où de
06:58l'antisémitisme ? On en parle
07:00parce que le 9 janvier c'est...
07:02Vous avez vu encore ces propagandistes
07:04franco-algériens
07:06qui tour à tour sont arrêtés,
07:08combien on va en retrouver des comme ça ?
07:10Absolument, et donc on a
07:12pour moi un état des lieux au bout de 10 ans
07:14le mien en tout cas
07:16il est
07:18pas du tout
07:20optimiste parce que moi la question que je pose
07:22et j'y réponds
07:24c'est
07:26est-ce qu'aujourd'hui il y aurait
07:28un autre 11 janvier ?
07:30Et je réponds que je ne le crois pas.
07:32Parce que les conditions sont...
07:34Parce qu'on a fracturé.
07:36Il y a une
07:38fracture de la société
07:40qui est impressionnante
07:42parce que des entrepreneurs
07:44identitaires ont gangréné
07:46la gauche, littéralement
07:48une partie de la gauche en tout cas
07:50qui ne sait plus
07:52où est sa boussole
07:54républicaine.
07:56C'est quand même sidérant
07:58de voir Jean-Luc Mélenchon
08:00qui a fait un discours absolument
08:02percutant
08:04le jour de l'enterrement de Charme
08:06il faut réécouter ses mots
08:08contre la barbarie, contre le fanatisme
08:10religieux et qui aujourd'hui
08:12dit tout le contraire, dit le contraire
08:14sur la laïcité, dit le contraire
08:16sur le port du voile
08:18dit le contraire sur tant d'autres sujets
08:20Vous ne le reconnaissez plus ?
08:22C'est pas que je ne le reconnais plus
08:24c'est que
08:26je combats ce qu'il dit
08:28profondément. Jean-Michel Salvator
08:30vous aviez en plus
08:32vous aviez toujours d'ailleurs
08:34un ami qui faisait partie de l'équipe de
08:36Charlie Hebdo. Oui, moi je connais
08:38Philippe Lançon qui a écrit
08:40un très beau livre
08:42qui s'appelle Le Lambeau
08:44qui a eu le prix féminin. Je voyais de temps en temps
08:46aussi Cabu et qu'il m'avait dit à l'époque
08:48parce qu'on avait un ami commun
08:50il m'avait dit à l'époque
08:52avec tout ce qu'on dessine
08:54ils finiront par nous buter
08:56il m'avait dit ça plusieurs fois
08:58Moi j'avais une question à vous poser sur la relève
09:00sur tous les jeunes
09:02qui sont maintenant à Charlie
09:04et qui vivent avec cette menace
09:06et avec ce qui s'est passé
09:08d'abord comment vous les avez trouvés ?
09:10Est-ce qu'ils se sont manifestés spontanément
09:12parce qu'ils se disaient qu'il y avait un combat à mener
09:14et que ce combat ils avaient envie de le mener
09:16au sein de la rédaction de Charlie Hebdo ?
09:18Ils se sont manifestés
09:20parce qu'ils avaient en tête
09:22ce rêve de venir
09:24travailler à Charlie parce qu'en réalité
09:26pour tous, à chaque moment, quand Charb
09:28Luz ou Riz sont arrivés à Charlie
09:30ils s'étaient travaillés auprès
09:32de Cabu, de Cabana, etc.
09:34C'était le Graal
09:36donc ils avaient ce rêve
09:38sauf qu'après le 7 janvier 2015
09:40ils se sont dit qu'il faut qu'on arrête de rêver, il faut qu'on y aille
09:42et il y a une relève
09:44de ce point de vue là qui est engagée
09:46et d'autant plus engagée que travailler au journal
09:48c'est pas les meilleures conditions de travail
09:50qu'il soit, se rendre compte
09:52on l'a dit plein de fois mais
09:54des locaux où on ne peut pas recevoir
09:56personne, ou quasiment pas
09:58c'est un bloco, les portes blindées
10:00les vitres blindées, les agents de sécurité
10:02il y a pas d'insouciance
10:04c'est vraiment la légèreté en tout cas
10:06et pourtant
10:08ils sont autour de la table de la rédaction
10:10le journal est dans les kiosques
10:12toutes les semaines depuis 10 ans
10:14et cette relève
10:16elle est
10:18volontaire
10:20on peut peut-être les citer, il y a Juin
10:22il y a Biche, il y a Félix
10:24Félix
10:26qui est un dessinateur
10:28qui soulève beaucoup
10:30de controverses
10:32mais c'est ça aussi, Cabu
10:34en son temps aussi a soulevé beaucoup de controverses
10:36Cabu qui dessinait
10:38contre l'armée, combien de procès, et d'ailleurs perdu
10:40les procès
10:42mais c'est ça le
10:44langage satirique et le dessin de presse
10:46Gilles Boutin, Sigaro
10:48Vous parliez de cette partie de la gauche
10:50qui s'est dévoyée
10:52par ses accointances
10:54ce qu'on appelle l'islamo-gauchisme
10:56et la meilleure illustration
10:58étant Jean-Luc Mélenchon
11:00vous qui avez ressenti ce que pouvait être cette trahison
11:02est-ce que vous avez eu le temps
11:04au fil de ces années pour analyser
11:06Samu, les raisons
11:08qui l'ont amené à effectuer
11:10ce cheminement
11:12quelle est votre grille d'analyse ?
11:14Ce que j'ai surtout pu voir au fil
11:16des années, c'est le changement
11:18d'entourage de Jean-Luc Mélenchon
11:20c'est-à-dire
11:22de personnes que j'ai pu voir à ses côtés
11:24qui étaient républicaines
11:26laïques, sans adjectifs
11:28etc.
11:30et ce changement progressiste
11:32j'ai parlé de
11:34Sofia Chikirou, je parlais de Daniel Obono
11:36de cette
11:38fange-là
11:40c'est pour ça que je parlais d'identitaire
11:42de gens qui sont
11:44qui ne le sont plus
11:46qui ne sont plus républicains
11:48donc j'ai vu cette évolution-là
11:50je me souviens de cette marche
11:52de novembre 2019
11:54c'était quand même pas très loin
11:56après 2015
11:58à l'appel
12:00d'imams radicaux
12:02salafistes, cléristes, etc.
12:04parce qu'on m'explique
12:06oui mais on ne peut pas savoir
12:08qui est à côté de qui dans les manifestations
12:10oui mais il y a un appel
12:12et l'appel est signé
12:14or cet appel était signé de gens
12:16qui avaient voulu la mort de Charlie
12:18donc ça c'était un signe
12:20extrêmement fort pour dire
12:22il y a vraiment un virage qui est pris
12:24et puis ces échecs
12:26successifs aux diverses
12:28élections présidentielles
12:30et donc ce virage qui vient
12:32s'adresser à un électorat
12:34qui n'est plus un électorat citoyen
12:36mais un électorat qui aurait des convictions
12:38politiques en raison
12:40d'une pratique
12:42supposée au réel d'ailleurs d'une religion
12:44mais vous diriez qu'il s'est laissé
12:46que Jean-Luc Mélenchon s'est laissé d'une certaine façon
12:48embarqué par ce nouvel entourage
12:50il y a forcément une démarche
12:52mais il y a un calcul politique
12:54il y a une démarche électorale
12:56il est trop cultivé pour se laisser
12:58embarquer sans sa volonté
13:00donc je pense
13:02que l'appétit électoraliste
13:04est très fort
13:06vous me disiez
13:08aujourd'hui
13:10c'est vrai qu'il y a des jours comme ça
13:12où il y a des actualités terribles
13:14qui se juxtaposent
13:16et on a appris tout à l'heure
13:18à la mi-journée
13:20la mort de Jean-Marie Le Pen
13:22et vous me disiez à Orantenne tout à l'heure
13:24que ça vous faisait réfléchir
13:26à quelque chose
13:28ça m'a fait
13:30d'abord ça m'a rappelé
13:32des centaines de dessins de cabus
13:34de charme et de tout ça
13:36contre Jean-Marie Le Pen
13:38ils lui ont vraiment
13:40mordu le mollet
13:42mais pendant des années
13:44tout le temps et d'une façon extrêmement drôle
13:46donc je me suis souvenu
13:48de ça
13:50et la seconde d'après je me suis dit
13:52se rendre compte
13:54que précisément
13:56pour cette partie de la gauche
13:58aujourd'hui Charlie est qualifié
14:00de torchon d'extrême droite raciste
14:02alors que
14:04ces talents là
14:06n'ont jamais
14:08cessé de dessiner
14:10Jean-Marie Le Pen
14:12et ça c'est au delà
14:14de l'anecdote
14:16ça démontre
14:18l'inversion
14:20des valeurs terribles
14:22Merci beaucoup Marie Cabrette d'avoir été avec nous
14:24sur Europe 1 et d'avoir trouvé la force
14:26de nous raconter
14:28ce qui s'est passé
14:30il y a 10 ans et qui restera bien sûr
14:32dans les mémoires on l'espère
14:34collectives
14:36on n'oubliera jamais ce qui s'est passé le 7 janvier 2015
14:38merci beaucoup à vous