Retrouvez le Grand face à face sur France Inter et sur : https://www.franceinter.fr/emissions/le-grand-face-a-face
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00:00Générique
00:10Bonjour, bonjour et bienvenue dans le grand face-à-face, l'émission de débats et d'idées de France Inter.
00:15A mes côtés, jusqu'à 13h, les dualistes Natacha Polony, journaliste, éditorialiste,
00:20et Gilles Finkelstein, secrétaire général de la Fondation Jean Jaurès.
00:23Comme chaque samedi, ils reviendront sur trois sujets de l'actualité de la semaine
00:27et en particulier, évidemment, sur la disparition de Jean-Marie Le Pen.
00:31Et puis, pour le débat, nous recevrons un de nos grands magistrats,
00:34ancien juge pour enfants, enquêteur international sur des atrocités de masse.
00:38Il dirige aujourd'hui la commission reconnaissance et réparation pour les victimes d'agressions sexuelles commises par des religieux.
00:45Réparation, un mot au cœur de son engagement et de son dernier essai,
00:49pour une autre justice, la voie restaurative, aux presses universitaires de France,
00:54une réflexion puissante sur la justice pour qu'enfin, elles prennent soin vraiment des victimes.
00:59Cette nouvelle idée de justice, Antoine Garapon viendra la défendre dans le débat.
01:05Mais pour l'instant, place au duel !
01:13Bonjour Natacha et Gilles, très heureux de vous retrouver,
01:17de vous associer évidemment à nos remerciements, à vous qui nous écoutez chaque semaine.
01:22Si nombreux, on a eu des chiffres et ça nous fait bien plaisir et ça nous engage aussi bien sûr.
01:28On va commencer le duel cette semaine avec le décès de Jean-Marie Le Pen, annoncé mardi.
01:33Dans les hommes politiques, il y a des parts de lumière, il y a des parts de critiquables, des parts d'ombre.
01:39Jean-Marie Le Pen a été un grand patriote, pupille de la nation, engagé volontaire en Indochine,
01:44qui s'est battu en Algérie, qui a démissionné de son poste de député pour aller se battre en Algérie.
01:49Mais combien de politiques auraient aujourd'hui ce courage-là d'aller mettre leur peau au bout de leurs idées ? Aucun !
01:56Un homme courageux, patriote, c'est en tout cas ce que pense Louis Alliot,
02:00premier vice-président du Rassemblement National aujourd'hui,
02:03qui a donc rendu hommage à l'homme qui a fondé le Front National en 1972.
02:07Gilles, l'héritage de Jean-Marie Le Pen, on le voit, il est assumé par le RN d'aujourd'hui,
02:12il est très lourd, mais est-ce que sa disparition, c'est pas aussi un fardeau qui disparaît pour eux ?
02:17On peut partir de ça, de la manière dont les uns et les autres,
02:25et notamment les différentes composantes de l'extrême droite française, ont réagi à la mort de Jean-Marie Le Pen.
02:34Il y a eu, quand on regarde attentivement, à la fois les tweets, les déclarations,
02:43les déclarations personnelles, les déclarations officielles,
02:47donc celles de, disons, d'Éric Zemmour, en passant par Marion Maréchal Le Pen, Marine Le Pen-Jordan Bardella,
02:55le Rassemblement National, je mets à part le registre personnel,
03:00et qu'on comprend aussi bien de la part de Marine Le Pen que de Marion,
03:05et qui l'une et l'autre l'ont exprimé.
03:09Marine Le Pen termine son tweet par « Bonne mère, M.E.R. papa »,
03:14et Marion Maréchal commence par « Daddy ».
03:17Bon, on comprend ça. Donc il y a le registre personnel.
03:19Mais ce qui est intéressant sur le registre politique,
03:22c'est que dans ce rapport à Jean-Marie Le Pen qui a fracturé l'extrême droite,
03:29on voit en réalité les convergences.
03:33Et moi, c'est ça qui m'a frappé.
03:37J'invite les auditeurs à regarder le clip que le Rassemblement National a fait en hommage,
03:45et c'est bien réellement en hommage à Jean-Marie Le Pen.
03:49Et les uns comme les autres...
03:50Qu'est-ce qu'on y voit sur ce clip ?
03:52Alors, c'est les mots, c'est le visionnaire, c'est le courage, c'est le patriote,
03:58et ça se termine par le Rassemblement National, c'est pas Éric Zemmour.
04:03« Il restera dans les mémoires comme un combattant intrépide et indomptable
04:07au service d'une vision fière et conquérante de la France ».
04:11Et on voit que cet héritage, qui n'est pas seulement un héritage familial,
04:17mais on voit qu'il y a un héritage politique et que la rupture, elle a de grandes limites.
04:24Natacha, même question sur l'héritage, le fardeau, la disparition,
04:28et pas aussi, certes, un moyen de tourner la page de manière émouvante pour eux,
04:32mais aussi, quand même, un moyen de tourner la page d'une époque...
04:36Souvent, on renvoie l'ERN à cette époque-là, et ça peut être un fardeau, parfois.
04:40Oui, alors, en préambule, je voudrais juste revenir sur le personnage de Jean-Marie Le Pen.
04:47Parce que, pour ma part, je n'ai eu affaire à lui que deux fois dans des interviews télévisées,
04:53et dans ce court laps de temps, j'ai pu ressentir ce qui était très frappant chez lui,
05:00à savoir une forme de violence intérieure, de brutalité, que j'ai rarement rencontrée chez un individu.
05:06Et surtout, une forme de jouissance face au malaise qu'il suscitait,
05:13face à cette posture du diable qui était la sienne.
05:18On sentait, je vais dire le mot, une perversité, très sincèrement.
05:23Et je pense que ça raconte beaucoup de ce qu'il a provoqué dans la vie politique française.
05:29Parce que moi, ce qui m'intéresse, c'est surtout cela.
05:32Gilles a tout à fait raison sur la question de l'héritage et du fait qu'il y a des choses qui collent.
05:36Et qu'en fait, l'extrême-droite française, que ce soit l'extrême-droite zémouriste ou le RN,
05:44ne se décolle pas complètement de cela, bien sûr.
05:47Mais je crois que ce qui me frappe, quand je regarde ce qu'il a été,
05:51c'est surtout la catastrophe qu'il a constituée pour la vie politique française,
05:57parce qu'il a empêché de penser sur énormément de sujets.
06:02Et c'est là toute la perversité du personnage.
06:05Ce n'est pas un hasard s'il surgit en 1983,
06:08c'est-à-dire au moment où il y a à la fois la marge des beurres,
06:12le début des effets de la désindustrialisation,
06:15c'est-à-dire cette concomitance entre une souffrance des classes populaires,
06:19un abandon par la gauche de ses promesses,
06:22et le constat que des générations de jeunes français issus de l'immigration
06:27surgissent et réclament à faire partie pleinement de la République.
06:32Et à partir de là, on va voir, avec toutes ces errances idéologiques,
06:37comment il arrive à capter, c'est une sorte de Moloch en fait,
06:43un trou noir de la vie politique, c'est-à-dire que chaque sujet qu'il touche est absorbé,
06:47et sort du débat serein et du débat intelligent.
06:52Donc évidemment, son espèce d'obsession permanente et délirante sur l'immigration
06:57a empêché de penser la question migratoire de façon apaisée et calme,
07:03mais c'est vrai sur d'autres sujets.
07:05Parce qu'en 1990, dans les années 90,
07:08lui qui était totalement réganien, anti-État, opère, une mue...
07:14C'est lui avant Marine Le Pen ?
07:15Bien sûr !
07:16On lise trop souvent ça.
07:17En fait, il perçoit, parce qu'il avait de l'instinct,
07:20il perçoit que la construction européenne, Maastricht, la mondialisation
07:25sont en train de fragiliser les bases de l'ensemble du système politique,
07:31et il s'engouffre là-dedans.
07:33Et de ce fait, il n'y a plus moyen de penser sereinement les effets de la mondialisation.
07:38Je pense qu'il a eu cet effet-là et que nous n'en sommes toujours pas sortis.
07:42Et ce que vient de dire Natacha, c'est aussi le succès de Jean-Marie Le Pen,
07:48à savoir que ses idées aujourd'hui, qui étaient quand même extrêmement marginales,
07:52se sont centralisées, en tout cas au centre du débat politique.
07:56Et d'ailleurs, vous avez beaucoup cité les réactions du RN.
07:59Les réactions des autres, à part d'une partie de la gauche qui a d'ailleurs manifesté,
08:04ça a choqué beaucoup de gens d'ailleurs dans les rues,
08:06il y a quand même eu beaucoup de mots assez euphémisés.
08:09Il y a 10 ans, je ne suis pas sûr qu'on aurait dit les mêmes choses,
08:11après la mort de Jean-Marie Le Pen.
08:14Je ne partage pas votre sentiment.
08:16Tant mieux, ça fait le duel.
08:17Absolument.
08:18Je trouve que si on essaie de réfléchir à, évidemment à chaud,
08:23mais à ce que peuvent être la trace ou les traces de Jean-Marie Le Pen,
08:27il y a la trace historique où il a été, sans avoir jamais exercé un quelconque pouvoir,
08:38une incarnation de l'extrême droite chimiquement pure
08:43qui s'était construite dans les années 50 et 60 de la colonisation
08:48et qui a émergé et connu son apogée dans le dernier quart du XXe siècle.
08:55Et sans doute restera-t-il aussi pour, je ne sais pas si le mot existe,
09:00mais pour la démarginalisation de l'extrême droite.
09:04Bon, avec un point d'or qui est 2002,
09:07la qualification inespérée, inattendue pour le second tour
09:11et dans le même temps, le peuple dont il se revendiquait qui se lève contre lui
09:16et les plus de 80% de Jacques Chirac au deuxième tour.
09:19Donc ça c'est sans doute la trace historique, mais sur la trace idéologique,
09:22sur ce que vous évoquez.
09:24Je pense que Jean-Marie Le Pen n'avait pas comme ambition la conquête du pouvoir.
09:28Je ne sais pas s'il avait la conquête des esprits, en tout cas de la bataille culturelle,
09:33c'était sans doute plus un agitateur qu'un idéologue.
09:36Mais je crois qu'il n'y a pas eu de l'eupénisation des esprits,
09:40pour le coup, pour reprendre la formule qu'avait utilisée Robert Baninter.
09:45Il y a eu, disons, un demi-succès sur l'immigration.
09:49Demi parce que l'immigration est allée à l'agenda et en tête de l'agenda politique
10:01et avec une tonalité.
10:03Succès donc, demi-succès parce que les thèses sur l'immigration
10:07qu'a défendue Jean-Marie Le Pen,
10:10l'assimilation entre l'immigration et le chômage,
10:13l'immigration zéro, tout ça, n'ont pas connu de succès,
10:17mais échecs idéologiques surtout sur ce qu'était la vision de l'histoire de Jean-Marie Le Pen,
10:23sur ce qu'était sa vision extrêmement conservatrice de la société,
10:27sur ce qu'était sa vision de l'homme et de l'inégalité entre races.
10:31Tout ça, en fait, a été balayé et contrairement à ce que vous dites,
10:37je pense que de ce point de vue-là aussi, c'est un échec.
10:40Alors, je suis entièrement d'accord avec cela.
10:44En effet, le terme l'eupénisation des esprits, pour moi,
10:48fait partie de ce qui empêche de penser.
10:51Je ne crois pas qu'une majorité de Français ait basculé vers l'extrême droite
10:57et ce n'est pas parce qu'il peut y avoir une inquiétude sur des flux migratoires importants,
11:02sur l'absence d'intégration, que les gens sont l'eupénisé.
11:06Ce terme-là raconte avant tout les échecs de la gauche
11:11et la façon dont une part entière de la gauche, je disais, a arrêté de penser.
11:17Mais c'est véritablement ça.
11:19C'est-à-dire qu'il suffisait de se dire opposé au Front National
11:24et opposé à Jean-Marie Le Pen pour se faire croire qu'on était encore de gauche.
11:28Et ça évitait de penser la mondialisation, de penser la destruction des classes populaires.
11:33Je discutais avec un ami après la mort de Jean-Marie Le Pen, un ami de droite,
11:36qui me disait que les jeunes qui manifestent dans la rue, leur joie, ils devraient avoir honte.
11:40Est-ce que vous partagez ça ?
11:42Alors, je ne sais pas s'ils devraient avoir honte.
11:44C'est surtout absurde, c'est surtout bête.
11:47Et d'ailleurs, ce qui m'a frappée, c'est surtout l'importance qui a été donnée
11:51au fait qu'une centaine de jeunes gens sont allés sabrer le champagne.
11:55Peu importe, le sujet n'est pas là.
11:57Le sujet, c'est que nous voyons aujourd'hui,
12:00et je pense qu'on va y venir en parlant tout à l'heure d'Elon Musk et de tous ces phénomènes-là,
12:06nous sommes à un moment où, justement, nous passons à autre chose.
12:11C'est-à-dire que ce qu'a amorcé Jean-Marie Le Pen en France
12:15est en train de se passer mais d'une manière très différente
12:19et, j'allais dire, dans un chaos bien plus vaste.
12:22Donc, lepénisation du monde mais pas de la France.
12:24Ce n'est pas une lepénisation.
12:26Tout cela, ce sont les effets concrets d'une dérégulation massive
12:32et d'un abandon de toutes les promesses des démocraties,
12:36vis-à-vis notamment de leur classe populaire.
12:39Un mot pour conclure.
12:40Sur les manifestations, est-ce qu'il faut avoir honte ?
12:44Est-ce que c'est absurde ?
12:46Ce qui est sûr, c'est que c'était un dérivatif extrêmement commode
12:49pour une partie de la droite et de l'extrême droite
12:51pour ne pas parler de Jean-Marie Le Pen mais pour s'indigner d'autres choses.
12:54Je disais, la tribune qu'a écrite Chantal Delsol,
12:57qui est une philosophe conservatrice,
12:59très conservatrice, dans le Figaro de cette semaine sur le sujet,
13:04elle rappelle à raison que le respect des morts
13:08fait partie de la civilité dans toutes les civilisations humaines.
13:14Elle évoque une danse macabre, un comportement obscène.
13:17On peut ressentir une forme de malaise.
13:20Mais elle rappelle elle-même, et c'est ça qui m'a intéressé,
13:22qu'il y a une exception qui est la mort du tyran.
13:25Et elle dit ça de l'Antiquité jusqu'à nos jours
13:30En concluant, Jean-Marie Le Pen n'a pas soumis son peuple à son joug.
13:34Et évidemment, il n'y a pas eu une libération concrète
13:40comme il peut y avoir à la mort d'un tyran.
13:43Mais je pense qu'on peut interpréter ce qui s'est passé
13:46comme une forme de libération symbolique.
13:48Et c'est là où on voit à la fois ce qu'a fait peser Jean-Marie Le Pen
13:54pendant des décennies et à la fois le caractère illusoire
13:58de cette libération parce que les problèmes restent plus que jamais devant nous.
14:09Il y a une partie, c'était notre engagement contre le terrorisme depuis 2013.
14:12On avait raison.
14:14Je crois qu'on a oublié de nous dire merci.
14:16Ce n'est pas grave, ça viendra avec le temps.
14:18L'ingratitude, je suis bien placé pour le savoir,
14:20c'est une maladie non transmissible à l'homme.
14:23Mais je le dis pour tous les gouvernants africains
14:25qui n'ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques de le porter.
14:28Aucun d'entre eux ne serait aujourd'hui avec un pays souverain
14:31si l'armée française ne s'était pas dépourvue dans cette région.
14:33Emmanuel Macron lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs,
14:37c'était en début de semaine.
14:38Et ces mots qui ont suscité un émoi en Afrique,
14:41notamment au Sénégal et au Tchad,
14:42où on a ciblé l'arrogance du président français.
14:44Natacha, est-ce que c'est un faux pas ce qu'on vient d'entendre
14:46ou bien un président qui dit ce qu'il pense
14:49et qui pense qu'en effet l'Afrique aurait peut-être dû faire preuve
14:52d'un peu plus de gratitude à notre égard ?
14:55Je pose la question.
14:58Le problème c'est que ça ne se pose pas comme ça.
15:00Alors, premier point, ce discours est beaucoup plus vaste
15:04et beaucoup plus intéressant que ce seul moment
15:07qui a focalisé l'attention.
15:09C'est toujours comme ça.
15:10Oui, c'est toujours comme ça.
15:12Et parce que de fait, c'est assez caractéristique
15:14de la façon dont Emmanuel Macron en général parle de l'Afrique
15:20ou parle en Afrique.
15:22Et moi, ce qui m'a frappée dans ce passage de son discours,
15:25c'est la phrase qui suit juste après.
15:28La France n'est pas en recul en Afrique,
15:30elle est simplement lucide.
15:32C'est absolument magistral comme façon de retourner la situation.
15:37Je note d'ailleurs que ne sachant pas faire pomme F sur un discours,
15:44je n'ai pas pu compter le nombre de fois où le mot lucilité était employé.
15:47Maintenant, vous savez le corps, on vous explique avec Gilles.
15:49Exactement, mais c'est assez caractéristique.
15:51C'est-à-dire que ce mot revient en permanence
15:54et il sonne comme un aveu d'échec, en fait.
15:59Ce n'est pas de la lucidité, c'est le constat que malgré le fait
16:04qu'Emmanuel Macron cherche dans ce discours à défendre son bilan,
16:08il y a en Afrique quelque chose de terrifiant.
16:11C'est-à-dire qu'on est lucide, c'est ne pas l'être.
16:13Exactement.
16:14C'est un révélateur terrible.
16:16Mais il me semble malgré tout qu'il ne faut surtout pas en rester
16:21à cette dimension qui est celle de la position de la France en Afrique.
16:26Évidemment que nous savons tous qu'il y a eu un retard terrible
16:30justement dans la lucidité, dans la capacité à comprendre ce qui se jouait.
16:34Le travail de SAP de la Russie et de la Chine sur ce terrain-là,
16:38tout ça, il est passé à côté largement et il se réveille un petit peu tard.
16:42Mais sur le reste, ce qui est intéressant, c'est la tentative de dessiner
16:46une vision globale du monde, de défendre une Europe qui soit capable
16:54de prendre en compte les nouveaux dangers de ce monde
16:58et de le faire en toute liberté.
17:00Sauf que là aussi, l'appel à la lucidité révèle toutes les fragilités.
17:05Par exemple, quand Emmanuel Macron dit
17:07nous avons une alliance, l'OTAN, qui doit s'adapter aux menaces
17:12dans l'espace euro-atlantique sans chercher à se déployer au-delà
17:16au risque de diluer ses moyens.
17:18Là, c'est l'aveu tout simplement qu'il n'a pas réussi,
17:23et pourtant Dieu sait qu'il a essayé et qu'il s'est battu
17:25et qu'il a eu raison de se battre, il n'a pas réussi
17:27à empêcher les pays européens d'être embarqués
17:32dans la montée des tensions entre les Etats-Unis et la Chine.
17:36Il y a beaucoup d'autres exemples de cet ordre-là
17:39dans ce discours qui sont très intéressants.
17:41Gilles, dans le discours, la tonalité c'est quand même de dire
17:44les règles du monde ont changé.
17:46Si on ne s'y adapte pas, on va disparaître.
17:49Les mots d'Emmanuel Macron sont d'ailleurs assez jolis.
17:52On aura le plaisir d'être dévoré.
17:54Est-ce que c'est existentiel ce qui est en train de se passer aujourd'hui pour la France ?
17:58Quel est l'état du monde ?
18:02Qu'est-ce que nous pouvons y faire ?
18:06Qu'est-ce que nous devons y faire ?
18:08Je crois qu'en cette rentrée 2025, il n'y a sans doute pas de question
18:11plus décisive, plus que jamais.
18:14Et le grand intérêt de ce discours,
18:18je pense qu'en réalité, il n'y a pas beaucoup de chefs d'Etat et de gouvernement
18:21aujourd'hui en exercice qui sont capables de déployer
18:24un discours avec une vision aussi large.
18:27L'intérêt de ce discours, et c'est pour ça de ce long discours,
18:30c'est plus de deux heures de discours devant les ambassadeurs,
18:33c'est de poser cette question-là.
18:36Évidemment, on a retenu le spectaculaire, et c'est ce par quoi
18:39vous avez commencé, le dépit sur l'Afrique
18:43et aussi la sentence sur l'Algérie
18:46en demandant la libération de Boilem Sansal,
18:49l'Algérie qui entre dans une histoire qui la déshonore.
18:52Ces deux phrases-là ont provoqué,
18:55ont focalisé l'attention, ont suscité des réactions.
18:59Je ne suis pas sûr qu'elles aient été habiles.
19:02En tout cas, ce dont je suis certain, c'est qu'elles ont détourné de l'essentiel
19:05qui est la question que je posais et qui est en réalité
19:08le cœur de ce discours. Et donc, sur l'essentiel,
19:11je crois qu'il y a deux choses. Je vais en parler peut-être que d'une qui est
19:14à la fois l'analyse et les orientations, les conclusions
19:17qu'on en tire. Mais sur l'analyse elle-même de l'état du monde,
19:20ce qui est très frappant, je trouve, en lisant le discours
19:23d'Emmanuel Macron, ce n'est pas un discours fataliste,
19:26mais c'est un discours d'une gravité, même d'une
19:29extrême gravité sur l'état du monde en ce début
19:32d'année 2025.
19:35C'est vrai sur les enjeux géopolitiques régionaux.
19:39J'étais très frappé de ce qu'il dit sur l'Iran.
19:42Il dit qu'on est tout près du point de rupture.
19:46De ce qu'il dit sur la Russie,
19:49puissance escalatoire, pour reprendre
19:52sa formule. Ce qu'il dit des enjeux globaux,
19:55et de leur évolution,
19:58risque de régression de l'agenda climat,
20:01risque de sortie des Etats-Unis et de privatisation
20:04de l'OMS et de privatisation
20:07des enjeux de santé,
20:10fragmentation de l'architecture financière,
20:13terrorisme, la menace n'est pas derrière nous,
20:16mais devant nous. Donc une analyse
20:19des dérèglements du monde, je trouve, qui devrait
20:22susciter le débat et qui est presque
20:25trop optimiste, au moins sur un point.
20:28On comprend pourquoi, dans sa position,
20:31le président de la République est aussi prudent sur Donald Trump.
20:34Mais il y a ça, en plus, évidemment,
20:37qui vient ajouter au désordre du monde.
20:40On va y venir sur cette dimension américaine du désordre du monde.
20:43Dans ce que vient de dire Gilles, ce qui est terrible,
20:46c'est qu'on a le sentiment que ça vient d'un président faible aujourd'hui.
20:49On voit la démission aussi de Trudeau.
20:52Ces gens qui portaient un discours de ce type-là,
20:55aujourd'hui, sont faibles. Est-ce qu'ils sont audibles au-delà de la puissance
20:58de l'analyse ? C'est tout le problème
21:01et il apparaît, me semble-t-il,
21:04dans tous les passages du discours qu'Emmanuel Macron
21:07consacre à l'Europe. Et moi, cela m'a
21:10véritablement frappée parce qu'en fait,
21:13on est passé de ce discours de 2017 sur une souveraineté
21:16européenne, etc. à presque
21:19un appel au ressaisissement. Parce qu'il y a
21:22des phrases très intéressantes dans le discours. Je vous cite
21:25« Les États européens ont un rôle clé car, je le rappelle,
21:28l'impulsion est donnée par le Conseil et c'est exécuté
21:31par la Commission ». Pardon, mais c'est un rappel essentiel
21:34à un moment où Ursula von der Leyen est en train
21:37de prendre des libertés avec
21:40le statut de la Commission et d'essayer d'imposer
21:43des choix qui sont des choix qui sont
21:46néfastes, notamment pour les industries
21:49françaises. Et ce n'est pas un hasard si Emmanuel Macron
21:52cite dans ce discours le mécanisme
21:55EDIP qui est le mécanisme
21:58d'utilisation de l'industrie
22:01de défense. Et Ursula von der Leyen fragilise
22:04l'industrie française. De même, cette phrase « Soyons lucides
22:07au moment du dernier acte d'élargissement massif que nous avons
22:10supporté », la France a beaucoup moins bénéficié
22:13de l'élargissement que nos voisins allemands. Nous avons été
22:16moins bien organisés et moins volontaristes. Merci !
22:19On a le droit de le dire maintenant !
22:22Le grand face-à-face
22:25Le duel.
22:26Allez, troisième sujet du duel qui n'est pas d'ailleurs éloigné de ce qu'on vient
22:29de se dire parce que c'est un enjeu majeur pour l'Europe, ce qu'il se
22:32passe aux États-Unis, dans le domaine notamment de la
22:35libre expression. On écoute les propos cette semaine
22:38qui ont beaucoup fait parler les propos de Mark Zuckerberg,
22:41le patron de Meta, c'est Instagram et Facebook que je vais traduire.
22:44Nous allons revenir à nos règles
22:47et nous imposer de se focaliser
22:50sur la réduction des erreurs, simplifier nos polices,
22:53nos politiques, restaurer la liberté d'expression
22:56sur nos plateformes. D'abord, nous allons mettre
22:59à plat le fact-checking et le remplacer par
23:02les commentaires des abonnés, comme il se passe sur X
23:05en commençant par les États-Unis. Quand Trump a été élu en 2016,
23:08les médias traditionnels ont écrit en permanence sur la désinformation,
23:11qu'il était une menace pour la démocratie. On a essayé
23:14de manière très noble, très simple, avec
23:17beaucoup de foi, d'être des arbitres
23:20de la vérité. La vérité, c'est que les fact-checkers
23:23ont juste été trop orientés politiquement et ont détruit
23:26plus de confiance qu'ils n'en ont
23:29créé aux États-Unis. Voilà les propos
23:32qu'a tenus Mark Zuckerberg cette semaine.
23:35Tout le monde dit qu'il devient Elon Musk.
23:38Qu'en pensez-vous, Gilles, d'abord ? Est-ce que vous y voyez une trumpisation
23:41de l'ensemble des médias sociaux américains ?
23:44Et au-delà, peut-être plus important, un danger pour la démocratie
23:47et notamment chez nous ?
23:50C'est exactement un cas pratique du nouveau monde
23:53dont on vient de parler dans le débat
23:56précédent. Et je crois qu'il faut regarder ensemble
23:59les déclarations de Donald Trump
24:02cette semaine, répétées sur le Groenland,
24:05le Canal de Panama et le
24:08Canada.
24:11Les ingérences politiques d'Elon Musk
24:14en Allemagne au Royaume-Uni
24:17et les déclarations de Mark Zuckerberg.
24:20Il y a une forme de répétition
24:23là-dedans et donc on finit par s'habituer.
24:26Je pense qu'il ne faut pas s'habituer et qu'il faut continuer
24:29avec exactement la même
24:32indignation.
24:35Ce qui se passe est tout simplement hallucinant.
24:38On a l'impression d'être dans une
24:41réalité parallèle mais voir le président
24:44des Etats-Unis
24:47avec le rôle qu'il a, Elon Musk dire ça
24:50et maintenant Mark Zuckerberg
24:54ça dénote un climat, ça dénote
24:57une évolution, tout ça avant même
25:00l'investiture de Donald Trump.
25:03Et donc je crois qu'il faut se préparer
25:06au choc que va être
25:09le mandat de Donald Trump sur les annonces
25:12de Mark Zuckerberg. J'étais allé visiter le siège
25:15de Facebook en 2017
25:18et j'avais été frappé, c'est la première fois que je
25:21ressentais ça. Pour la première fois
25:24de ce qu'était une plateforme globale.
25:27Il y avait Facebook, leurs 3 milliards
25:30d'utilisateurs et leur seul sujet était de maintenir la confiance entre l'un
25:33et l'autre. Et les Etats étaient des grains de sable
25:36dans cette relation. Le changement est radical.
25:39Facebook, Meta
25:42et comme les autres, d'abord
25:45une plateforme américaine. Et ça c'est ce que je trouve vraiment
25:48la déclaration de Mark Zuckerberg en est
25:51une illustration et je crois qu'il faut lire attentivement. Vous avez fait
25:54un bout de ce qui est passé.
25:57Il dit que l'élection de Donald Trump est un point
26:00de bascule culturel. Il y a
26:03ce symbole du transfert des équipes
26:06de la Californie au Texas et le point
26:09le plus important, il dit nous allons travailler
26:12avec Donald Trump pour faire pression
26:15sur les gouvernements qui s'en prennent aux entreprises
26:18américaines. D'abord l'Union
26:21Européenne. Et donc ça qu'on parlait de lucidité
26:24tout à l'heure, il faut avoir cette
26:27lucidée là. Non seulement c'est une
26:30rédition politique et idéologique par rapport
26:33à Donald Trump mais c'est surtout
26:36un acte de défiance voire d'hostilité envers
26:39l'Union Européenne. La bataille est en vue
26:42et il faudra l'aborder avec courage.
26:45De la lucidité donc encore une fois
26:48Natacha et de la vraie lucidité. Je prolonge ce que
26:51vient de dire Gilles parce qu'il faut tout de même rappeler que
26:54META refuse d'appliquer la RGPD
26:57en Europe, que META est sous le coup d'une
27:00procédure à partir du Digital
27:03Service Act européen sur la protection des mineurs.
27:06Donc il y a un enjeu extrêmement concret
27:09fait dans ce bras de fer et on voit bien à travers
27:12les déclarations de Donald Trump sur le Groenland
27:15comme à travers la déclaration de Mark Zuckerberg
27:18qu'on est dans une brutalisation
27:21des rapports mais qu'il y a un intérêt et un intérêt
27:24très concret. Parce que j'aimerais quand même qu'on s'arrête un peu
27:27tous les trois là sur... parce que Gilles a mis et vous aussi
27:30bout à bout des choses qui a priori n'ont rien à voir. Menacer le Groenland
27:33liberté d'expression chez Zuckerberg
27:36ou ingérence politique de
27:39Musk sur l'Europe. C'est quoi le lien
27:42entre les trois ? Quel sens vous trouvez commun à tout ça à part la brutalisation ?
27:45Le lien c'est la défense
27:48partout et sans respect du droit international
27:51des intérêts directs
27:54des Etats-Unis. Le Groenland ce sont
27:57avant tout des ressources et dans un contexte
28:00où le réchauffement climatique est en train de faire
28:03de l'ensemble de cette zone là
28:06une zone extrêmement importante où la Russie veut
28:09se développer. Le Groenland devient
28:12un enjeu et donc Donald Trump lance
28:15cette espèce d'ultimatum parce que
28:18c'est une base pour ensuite discuter
28:21de la possibilité pour les Etats-Unis d'exploiter ces ressources
28:24et de même là il s'agit pour les GAFAM
28:27d'imposer et donc pour la puissance
28:30américaine d'imposer sa façon
28:33de gérer l'espace public à une Union Européenne
28:36qui pourrait être réticente et ce qui est très
28:39inquiétant c'est le silence d'Ursula von der Leyen
28:42c'est-à-dire que autant le 17 décembre elle a fait
28:45une grande déclaration contre l'ingérence de TikTok
28:48dans la présidentielle en Roumanie, autant là
28:51les pudeurs de gazelle de la Commission Européenne
28:54sont effarantes et nous racontent
28:57beaucoup de ce qui risque de se passer et c'est pour ça que j'en reviens
29:00aux quelques petites phrases du discours d'Emmanuel Macron qui sont
29:03en fait une alerte face à cela.
29:06Je vais prendre une rhétorique quasiment finkelsteinienne
29:09on a un principe, le principe c'est America First
29:12et un moyen, la brutalisation est la loi du plus fort
29:15est-ce que j'ai bien résumé Gilles ?
29:18Formidable ! Juste un mot
29:21on vivait sur l'illusion d'un schéma qui ne nous était pas
29:24très favorable dans lequel l'innovation se passait aux Etats-Unis
29:27et la régulation pouvait se passer en Europe
29:30on a vu avec le RGPD que ça pouvait à peu près
29:33marcher quand même un peu. Ce qui se passe
29:36là avec le revirement de Mark Zuckerberg
29:39c'est que sur la régulation des plateformes
29:42et demain sur la régulation de l'IA c'est là-dessus
29:45que la bataille entre les Etats-Unis
29:48et l'Europe va se mener.
29:51On va commencer à prendre beaucoup de notes
29:54parce qu'on parle déjà sans même y prendre garde
29:57de justice, de victimes et de grands coupables
30:00place au débat du Grand Face-à-Face.
30:06Bonjour Antoine Garapon
30:09Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation, vous êtes magistrat
30:12ancien juge pour enfants, enquêteur international sur des atrocités de masse
30:15vous dirigez aujourd'hui la commission reconnaissance et réparation
30:18pour les victimes d'agressions sexuelles commises par des religieux
30:21votre dernier essai que vous avez mis 6 ans
30:24à écrire, donc il est important pour vous et pour votre oeuvre
30:27il s'appelle Pour une autre justice, la voie restaurative
30:30aux presses universitaires de France, un livre qui propose
30:33une nouvelle idée de la justice, davantage centrée
30:36et peut-être même exclusivement centrée sur la réparation
30:39et le mot est important, des victimes. Et comme beaucoup de français
30:42j'ai personnellement découvert ce qu'est la justice restaurative
30:45en allant au cinéma et en voyant ce film
30:48Je m'appelle Nassim, j'ai 29 ans
30:51Vous pourriez nous expliquer un peu comment
30:54vous avez entendu parler de la justice restaurative ?
30:56C'est des victimes qui rencontrent des détenus
30:58Oui, c'est ça
31:00Ce que vous proposez à ces gens, c'est l'inverse de ce que tout le monde
31:03leur a toujours proposé, on ne parle pas à leur place
31:06on ne suggère rien, on écoute, on accueille
31:09inconditionnellement
31:11J'aimerais revoir mon frère, j'ai pas envie de le croiser par hasard
31:14Enfin, je veux le voir pour être sûr de ne pas le croiser par hasard
31:17J'ai été agressé dans le supermarché dans lequel je travaillais il y a 5 ans
31:20Je suis là pour vous dire ce qu'il se passe pour les victimes quand vous commettez ce genre de choses
31:23Je verrais toujours vos visages, le film de Jeannery
31:26parait qu'il est sorti au cinéma il y a 2 ans
31:28La justice restaurative, c'est le mot qu'on va beaucoup employer ensemble
31:31l'automne garappon, ça existe déjà dans un cadre plutôt limité
31:34vous aimeriez que ça soit largement élargi
31:37mais pour qu'on comprenne bien tous de quoi on parle
31:39j'ai besoin du grand pédagogue que vous êtes, de quoi s'agit-il ?
31:43Le passage qu'on vient d'entendre, c'est un film qui a beaucoup marqué l'opinion française
31:48on voit très bien ce qui est restauratif dans cette rencontre
31:51dans ce face-à-face entre des victimes d'un certain type de crime
31:56et des auteurs de ce même type
31:58mais c'est pas encore de la justice
32:00la justice c'est quand on va s'attaquer à des gens qui ont réellement été victimes
32:06et on va essayer de trouver une voie pour la justice
32:09alors que la justice pénale ne peut plus faire grand chose
32:13je m'occupe de personnes qui ont été violées dans l'enfance
32:17entre 9 et 14 ans par des religieux
32:20je les vois 40-45 ans après les faits
32:23les auteurs sont décédés, la prescription est acquise
32:26la justice ne peut rien faire
32:28comme elle voudrait qu'il n'y ait plus de preuves
32:32comment savoir ce qui s'est passé dans un confessionnal
32:36il y a 45 ans dans un collège religieux
32:40donc c'est la tentative de vouloir réparer quelque chose qui est irréparable
32:45de facto
32:46parce que 45 ans c'est l'espace d'une vie
32:49alors comment on fait ?
32:50comment c'est possible ?
32:51comment c'est possible ?
32:52c'est en remettant la victime au centre
32:54et en changeant ce qui est très difficile pour un juge étatique comme moi
32:58qui a été formé et je continue d'accorder une très grande valeur
33:02à la procédure et aux règles de droit
33:05et à la punition
33:06mais c'est changer son état d'esprit
33:08en se centrant sur la victime
33:12sur la victime
33:13et finalement la justice restaurative
33:16perd un bouger de toutes les notions
33:18je vais prendre simplement un petit exemple
33:21un fait
33:22pour la justice
33:23dans la justice on s'intéresse à un fait
33:25on cherche à établir un fait
33:27par des preuves
33:28et puis on cherche à comprendre les conséquences de ce fait
33:30les conséquences de ce fait pour la victime
33:32quand quelqu'un vient 45 ans après
33:35ce qu'on voit
33:36ce qui est important
33:38c'est bien sûr le fait générateur
33:40c'est la totalité d'une vie
33:42d'une vie écoulée
33:43et en général mal écoulée
33:45ou avec des choses qui ne sont pas passées
33:48et donc notre manière de raisonner
33:50est complètement différente
33:52et c'est l'expérience
33:54que je relie de mon expérience de juge des enfants
33:58comme celle de la lutte
34:02contre l'impunité pour les atrocités de masse
34:04ou pour les violences
34:06commises par des religieux
34:08ça veut dire qu'on va dissocier
34:10la perspective punitive et procédurale
34:12qui garde toute sa valeur
34:14et on va mettre à côté la perspective
34:16une autre perspective
34:18une perspective qui est celle de la réparation
34:20et pour ça
34:21il faut commencer par restituer aux victimes
34:23leur parole
34:24les victimes
34:26finalement elles disent
34:27quand je pense à des victimes de Bataclan
34:29avec lesquelles j'ai travaillé également
34:31elles disent
34:32on est victime d'un truc terrible
34:34qui nous arrive
34:35et puis
34:36tout de suite les policiers
34:38nous interrogent
34:39et bon c'est plus vraiment
34:41ce qu'on disait
34:42les avocats
34:43ils cherchent à ranger ça
34:45pour la comparution
34:47la comparution en justice
34:49les journalistes
34:50je suis navré de le dire
34:52mais ils prennent une partie
34:53les artistes
34:54ils voient les choses à leur manière
34:55les psychologues
34:56qui nous introduisent
34:58dans cet univers du psychotrauma
35:00mais nous
35:01nous
35:02notre vie
35:03et c'est ça que cherche
35:05à faire la justice restaurative
35:07c'est ce pari
35:08c'est ce pari
35:09qui n'est pas toujours gagné
35:10mais c'est ce pari
35:11de procéder
35:13d'une justice
35:14qui va partir
35:16d'abord la restitution
35:18aux victimes de leurs paroles
35:19et donc de leur maîtrise sur leur destin
35:21Une dernière question
35:22avant de donner la parole à Gillian Natasha
35:23Est-ce que vous considérez que
35:25le simple fait
35:27que la victime
35:29voit son coupable
35:31lourdement condamné
35:32ne suffit pas ?
35:33Ben non, ça ne suffit pas
35:34parce que d'abord
35:35ça peut la culpabiliser
35:36elle peut se dire
35:37bon est-ce que vraiment
35:38ça méritait ça ?
35:39Vous voyez
35:40un souvenir personnel
35:41une jeune
35:43qui m'a beaucoup marqué
35:44je m'en souviens encore
35:4543 ans après
35:46c'était une petite fille
35:48une jeune fille
35:49pas très grande
35:50qui va dénoncer
35:52va dénoncer son père
35:54pour des actes d'inceste
35:55elle rentre chez elle
35:57après l'audition de police
35:59qu'est-ce que t'as dit ?
36:00qu'est-ce que tu dis ?
36:01etc.
36:02elle s'est défenestrée
36:04ça c'est un échec
36:06terrible
36:07et c'est un échec terrible
36:08parce que
36:09sa culpabilité
36:10elle ne pouvait pas supporter ça
36:11la pauvre gamine
36:12à 16 ans
36:13pas 16 ans encore d'ailleurs
36:14comment est-ce qu'elle pouvait supporter
36:16l'opprobre familiale ?
36:17Est-ce qu'on a réussi collectivement ?
36:19Non
36:20on a tout raté
36:21et après
36:23j'ai beaucoup traité d'affaires d'inceste
36:25si vous voulez
36:27je suis frappé d'un paradoxe
36:30et c'est là d'où procède l'écriture de ce livre
36:32le paradoxe c'est que
36:33les crimes les plus graves
36:34et réputés les plus fondateurs
36:36sont les moins condamnés
36:38voire ne sont pas condamnés du tout
36:40on n'a toujours pas fait en France
36:42le procès de la torture de la guerre d'Algérie
36:45alors que c'est l'armée française
36:46qui a inventé
36:47cette technique de lutte anti-insurrectionnelle
36:49qu'on a ensuite répondu en Argentine
36:51aux Etats-Unis, etc.
36:53Il y a des chiffres de la CIVI
36:56ce qu'ils sont
36:57mais bon
36:58160 000 actes d'inceste
37:00ou de violence sexuelle sur les enfants
37:02par an
37:03des viols très très nombreux
37:06qu'est-ce qu'on condamne ?
37:08Et dans l'église
37:10j'appartenais à la CIAS
37:12c'est à dire
37:14à la commission qui a établi
37:16le nombre de victimes
37:17140 000 victimes depuis les années 50
37:19combien de punitions là-dedans ?
37:22Donc il faut partir de cet échec
37:24collectif de la justice punitive.
37:27Gilles
37:28toujours pour bien comprendre
37:29de quoi il s'agit
37:30je crois que ce qui est intéressant
37:31c'est que c'est un livre
37:32à la fois d'un théoricien
37:33et d'un praticien
37:34et que vous placez
37:36du point de vue des victimes
37:38mais de manière très concrète
37:39c'est-à-dire de leurs expériences
37:40et de leurs attentes
37:42peut-être toujours
37:44vraiment pour bien comprendre
37:45c'est quoi les modalités
37:47de la justice restaurative ?
37:49Comment ça se passe ?
37:50C'est quoi cette réunion-séparation ?
37:52J'utilise cette formule là
37:55que vous utilisez
37:56page 133
37:57donc comment ça se passe
37:58et quelle est son ambition ?
38:00Vous avez dit
38:01une des modalités
38:02qui est de retrouver la parole
38:04il y en a une autre
38:05que je trouve très intéressante
38:06que je voudrais que vous explicitiez
38:07qui est se projeter à nouveau
38:09dans le temps.
38:10Vous dites l'ambition
38:12c'est de substituer
38:13à l'objectif
38:14d'une culpabilité prouvée
38:16l'horizon d'une innocence retrouvée.
38:19Qu'est-ce que ça veut dire ?
38:21Vous posez beaucoup de questions
38:23en trois minutes.
38:24Comment est-ce qu'on fait ?
38:26D'abord partir de la parole
38:28d'une certaine écoute
38:29ce qu'on appelle l'écoute et croire
38:30c'est-à-dire une écoute
38:32pas seulement bienveillante
38:34mais une écoute
38:35qui ne va pas s'arrêter
38:37chercher à vérifier
38:38ce que font tous les juges
38:39et c'est leur métier.
38:40Donc une parole, une audition
38:42une forme d'écoute
38:43une rencontre
38:44et une rencontre
38:45qui n'est pas la rencontre
38:46avec son agresseur
38:48qui est un peu un mythe
38:50c'est la rencontre
38:51avec l'institution
38:53qui a organisé
38:54couvert
38:55permis
38:56fermé les yeux
38:57sur ce crime
38:58et une rencontre
38:59qui se fait sur une
39:00comme une réprobation
39:01de ce qui s'est passé.
39:02Et je suis frappé
39:03j'ai beaucoup lu
39:04Jean Améry
39:05qui est un auteur
39:06qui m'a énormément inspiré
39:08et lui dit
39:10qu'après la torture
39:11quand il est arrêté
39:13à Anvers
39:14il dit ce que j'aurais voulu
39:15c'est retrouver mon agresseur
39:16pour qu'on se retrouve ensemble
39:17dans une commune négation
39:18de ce qu'il m'avait fait.
39:20Et c'est ça
39:21ce que demandent les victimes.
39:23Donc une rencontre
39:24qui n'est pas du tout
39:25et je bannis tout
39:26vocabulaire religieux
39:27de la réconciliation
39:28du pardon
39:29un peu
39:30gnangnan
39:31et toxique
39:32dans le fond
39:33non
39:34le paradoxe
39:35c'est que
39:36il faut que la victime
39:37se retrouve
39:38j'allais dire
39:39rencontre son passé
39:40une fois pour toutes
39:41ce qui est douloureux
39:42pour elle
39:43qu'elle se retrouve
39:44pour se séparer
39:45pour se séparer
39:46ensuite
39:47et
39:48alors que le but
39:49de la justice pénale
39:50c'est de trouver
39:51un équilibre
39:52c'est
39:53la symbolique
39:54de la balance
39:55et un équilibre
39:56combien vaut
39:57un acte
39:58combien vaut un préjudice
39:59comment est-ce qu'on peut réparer
40:00là c'est irréparable
40:01une personne
40:03qui vient
40:04entre la soixantaine
40:05elle n'a pas pu se marier
40:07elle ne supporte plus
40:08elle ne peut plus toucher
40:09elle-même un corps
40:10c'est ça
40:11et donc
40:12elle n'a pas eu d'enfant
40:13et donc
40:14et bien
40:15c'est
40:16l'objectif de la justice
40:17c'est
40:18lui permettre de dépasser
40:19de surmonter
40:20ce qui s'est passé
40:21pour la relancer
40:22dans la vie
40:23et ce qu'on constate
40:24et on a fait constater
40:25parce qu'on a été
40:26audité
40:27expertisé
40:28par une
40:29psychologue absolument
40:30indépendante
40:31une sociologue pardon
40:32absolument indépendante
40:33et ce qu'on constate
40:34c'est que
40:35tout d'un coup
40:36si vous voulez
40:37l'action de la justice
40:38restaurative
40:39c'est de permettre
40:40de mettre à distance
40:41quelque chose
40:42un traumatisme
40:43qui avait envahi
40:44toute la vie
40:45et toute la personnalité
40:46d'où ce mot
40:47très puissant
40:48de réparation
40:49comme une maladie
40:50qui a gangréné
40:51la réparation
40:52juste un mot quand même
40:53vous parlez beaucoup d'inceste
40:54de crime, d'atrocité
40:55la justice
40:56restaurative
40:57ne s'applique pas
40:58à l'ensemble
40:59de tout ce qui est
41:00justiciable dans le pays
41:01ah non pas du tout
41:02pas du tout
41:03je n'ai pas répondu
41:04à Gilles Fickelsheil
41:05sur un mot
41:06très important
41:07et qui m'a
41:08voilà aussi
41:09le mot innocence
41:10dans le fond
41:11la justice
41:12elle fait deux choses
41:13elle fait deux choses
41:14elle établit
41:15une culpabilité
41:16tout en réaffirmant
41:17une innocence
41:18et elle le fait
41:19de plus en plus
41:20d'ailleurs depuis
41:21le 20ème siècle
41:22et la fin
41:23de la peine de mort
41:24c'est à dire
41:25qu'on voit
41:26ce mécanisme
41:27on voit cette dualité
41:28de la fonction
41:29de la justice
41:30se développer aujourd'hui
41:33pour les majeurs
41:34en matière d'addiction
41:35c'est ce qu'on appelle
41:36la juridiction
41:37résolutive de problème
41:39c'est ce que je faisais
41:40en tant que juge
41:41des enfants
41:42c'est à dire que
41:43des enfants
41:44qui ont des problèmes
41:45énormes
41:46et dans des familles
41:47extrêmement dysfonctionnelles
41:49à la fois
41:50on les protège
41:51et on les condamne
41:52quand il le faut
41:53à la fois
41:54et donc je crois
41:55que la justice
41:56c'est à la fois
41:57une affaire de culpabilité
41:58et une affaire d'innocence
41:59Natacha
42:00alors je vais partir
42:01d'une phrase
42:02que vous écrivez
42:03en partant
42:04de la victime
42:05la justice restaurative
42:06rompt
42:07avec une tradition
42:08millénaire
42:09au moins en Occident
42:10qui liait l'idée de justice
42:11à un surplomb
42:12à un principe de distribution
42:13à un équilibre recherché
42:14dans le cosmos
42:15à un commandement divin
42:16et aux lois de la cité
42:17c'est à dire
42:18à des règles
42:19autant qu'à un ordre
42:20j'ai l'impression
42:21qu'il y a
42:22dans ce processus
42:23de justice restaurative
42:24en fait
42:25un bouleversement
42:26absolu
42:27vous soulignez le fait
42:28que
42:29depuis Rome
42:31la justice
42:32c'est
42:33un souverain
42:34c'est
42:35le coupable
42:37que l'on va juger
42:38l'ordre souverain
42:39c'est
42:40soit le roi
42:41soit le juge
42:43qui représente
42:44la société
42:45le procureur
42:46voilà
42:47ça veut dire
42:48qu'en fait
42:49c'est une autre conception
42:50de l'humanité
42:51nous recevions
42:52la semaine dernière
42:53François Hartog
42:54sur un livre
42:55formidable
42:56sur ce que c'est
42:57qu'être un homme
42:58en fait
42:59vous prenez
43:00une vision
43:01différente
43:02de l'articulation
43:03entre l'individu
43:04et la société
43:05à travers la justice
43:06si je vous comprends bien
43:07Antoine Garapon
43:08tout à fait
43:09c'est-à-dire que
43:10ce qui caractérise
43:11le fait d'être torturé
43:13etc
43:15c'est une expérience éthique
43:17que ne suffit pas
43:18à exprimer
43:19la règle
43:20et la définition du mal
43:21comme la transgression
43:22d'une règle
43:23c'est autre chose
43:24c'est un exil du monde
43:26c'est une solitude morale
43:27extrêmement profonde
43:30et puis
43:31j'ai été frappé
43:32j'ai été frappé
43:33dans tous les secteurs
43:34dont on a parlé
43:35par ce fait que
43:37beaucoup d'agresseurs
43:39on ne sait pas exactement
43:40mais c'est probablement
43:41autour de la moitié
43:42sont d'anciennes victimes
43:43c'est un des enfants
43:44qui ont été violés eux-mêmes
43:45la Cour pénale internationale
43:47elle a réussi
43:48peu d'affaires
43:49il y en a une
43:50qu'elle a menée à son terme
43:52c'est Dominique Ongwen
43:54qui est un membre
43:55de l'armée du seigneur
43:56prof de Joseph Connick
43:57qui a fait des choses
43:58épouvantables
43:59épouvantables
44:00le problème c'est que
44:01Dominique Ongwen
44:02il a été rapté
44:04sur le chemin de l'école
44:05à l'âge de 7 ans
44:06ou 8 ans
44:07et qu'on lui a fait
44:08tout ça à lui
44:09donc en d'autres termes
44:11il y a
44:12cette énigme
44:14cette fascination terrible
44:16de la répétition
44:17de ces crimes
44:18et quand je vois
44:20je vois des délinquants
44:22et des gros braqueurs
44:23des gros délinquants
44:24je constate que
44:26ils ont eux-mêmes
44:28subi des violences
44:30terribles dans leur enfance
44:31on parlait du terrorisme
44:33c'est le cas des terroristes
44:34également
44:35donc j'ai voulu dans ce livre
44:37prendre la question
44:39de la justice
44:41de face
44:43sans chercher le faux-semblant
44:45de la règle
44:47dans le fond
44:49oui c'est ça
44:50le mal
44:51auquel nous sommes
44:52confrontés dans ces affaires-là
44:53qui ne sont pas toutes les affaires
44:54vous avez raison de le signaler
44:56on ne peut pas se satisfaire
44:58de dire
45:00c'est une transgression
45:01non c'est beaucoup plus
45:02qu'une transaction
45:03vous me dites
45:04vous nous dites donc
45:05qu'il faut réparer
45:06les victimes
45:07pour éviter parfois
45:08qu'elles ne deviennent
45:09à leur tour
45:10des coupables
45:11bien sûr
45:12c'est une des grandes
45:13c'est quelque chose
45:14que j'ai découvert en travaillant
45:15sur les victimes de vies sexuelles
45:16elles sont
45:17absolument
45:18hantées
45:19par le spectre
45:21de recommencer
45:22tel garçon
45:24qui réussit
45:25très bien ses études
45:26quand il sort
45:27de ses études
45:28il dit
45:29je veux devenir
45:30chauffeur routier
45:31international
45:32comme ça je parle le lundi matin
45:33et je rentre le vendredi soir
45:34bon
45:35sa femme ne comprend pas
45:36personne ne comprend
45:37à vrai dire
45:38ça dure des années
45:39et puis
45:40en fait
45:41il était
45:42absolument
45:43hanté
45:44par le fait
45:45de changer sa petite-fille
45:46d'avoir à lui
45:47à la toucher
45:48et à lui changer
45:49ses couches
45:50il ne le pouvait pas
45:51et il était
45:52dans l'incapacité
45:53de le dire à sa femme
45:54de le dire à tout le monde
45:55d'ailleurs
45:56il me l'a dit
45:57il nous l'a dit
45:5840 ans après
45:59et
46:00ah mais c'est pour ça que
46:01etc
46:02donc
46:03si vous voulez
46:04il faut partir
46:05partir de la victime
46:06c'est pas une expression
46:07c'est pas
46:08un slogan
46:09c'est pas du marketing
46:10non c'est pas
46:11il faut pas faire de la polémique
46:12autour de ça
46:13il faut regarder
46:14il faut
46:15regarder
46:16jusqu'au bout
46:17l'horreur
46:18de
46:19de la condition
46:20de
46:21des victimes en général
46:22et
46:23encore plus particulièrement
46:24de celle-ci
46:25Gilles
46:26s'agissant du
46:27du viol
46:28vous écrivez que c'est le
46:29le seul crime dont l'auteur
46:30se sent innocent
46:31et la victime coupable
46:32quand on regarde la manière
46:35dont s'est déroulé
46:36le procès de Mazan
46:37alors on est sur la
46:38non pas sur de la justice
46:39restaurative
46:40mais sur de la justice
46:41ordinaire
46:42est-ce que
46:43vous avez le
46:44le sentiment
46:45que
46:46ce procès
46:47peut-être une forme
46:48en tout cas
46:49pour les
46:50pour les victimes
46:51notamment Gisèle Pellicot
46:52une forme de justice
46:53restaurative ?
46:54Ben oui
46:55ce qui est très intéressant
46:56dans ce procès
46:57mais je pourrais dire une chose
46:58des procès de terrorisme
46:59c'est une évolution
47:00qui montre
47:01que ces deux modèles de justice
47:02ne sont pas incompatibles
47:03au contraire
47:04tout l'enjeu
47:05de la justice
47:06aujourd'hui
47:07c'est de les combiner
47:08c'est que
47:09la justice
47:10a fait son travail
47:12dans le viol de Mazan
47:13elle a
47:14servi aussi
47:15de scène
47:16d'une très grande
47:17explication collective
47:18voire mondiale
47:19ce qui est aussi
47:20une des fonctions
47:21de la justice
47:22et
47:23elle a permis
47:24de voir
47:25et on a vu
47:26qu'un quart
47:27au moins un quart
47:28des auteurs
47:29étaient des enfants
47:30qui avaient été victimes
47:31de violences sexuelles
47:32et en même temps
47:33elle a accordé
47:34une très grande place
47:35à la parole
47:36de la victime
47:37et grâce au courage
47:38de Gisèle Pellicot
47:39et moi je vais faire rapprochement
47:40avec ce qui s'est passé
47:41dans le
47:42on est au moment
47:43de la commémoration
47:44de
47:45de l'attentat
47:46de Charlie
47:47du massacre
47:48de Libère Cacher
47:49et bien
47:50ce qu'on voit
47:51c'est que
47:52on est capable
47:53dans la justice
47:54c'est nouveau
47:55de faire un procès
47:56qui va consacrer
47:57une très grande place
47:58à l'écoute des victimes
47:59alors vous savez
48:00dans le milieu judiciaire
48:01combien de collègues
48:02disent
48:03c'est de la thérapie judiciaire
48:04c'est pas vraiment notre
48:05notre job
48:06ben si
48:07et c'est
48:08à cette évolution
48:09de culture
48:10que
48:11que j'invite
48:12ou que j'aspire
48:13pour combiner
48:14cette dimension
48:15procédurale garantiste
48:16et punitive
48:17qui est bien sûr évidente
48:18vous me faites penser
48:19à un grand oncologue
48:20que je connais
48:21qui considère que
48:22c'est pas que de la chimie
48:23il faut aussi s'intéresser
48:24à l'esprit
48:25à ce qui se passe
48:26pour mieux guérir
48:27d'un cancer
48:28vraiment en vous écoutant
48:29je fais des parallèles
48:30avec ça
48:31Natacha
48:32oui mais justement
48:33je voulais prolonger
48:34cette question là
48:35parce qu'on voit très bien
48:36en vous lisant
48:37à quel point
48:38on entre dans
48:39l'intimité de l'individu
48:40donc dans ce qui est
48:41de l'ordre
48:42de la psychologie
48:43et je voulais savoir
48:44quelle était
48:45là aussi
48:46la façon
48:47de penser
48:48le rôle
48:49de la psychologie
48:50parfois
48:51de la psychanalyse
48:52est-ce que
48:53cette justice
48:54restaurative
48:55c'est aussi
48:56elle est nécessaire
48:57parce que
48:58ce travail
48:59de psychologie
49:00de psychanalyse
49:01n'a pas toujours lieu ?
49:02enfin vous voyez
49:03comment ça se joue ?
49:04Non seulement
49:05il n'a pas souvent lieu
49:06mais parfois
49:07il est même rejeté
49:08souvenez-vous de
49:09Manuel Balt
49:10expliquez,
49:11c'est justifié
49:12bien sûr
49:13on est loin
49:14loin de vous là
49:15alors c'est une excellente
49:16question
49:17parce que
49:18on assiste aujourd'hui
49:19à une politisation
49:20de l'intime
49:21c'est une très bonne chose
49:22nous sommes dans
49:23des sociétés
49:24qui se comprennent
49:25à partir de la sexualité
49:26ce qui est un paradoxe
49:27alors qu'auparavant
49:28elles se comprenaient
49:29plutôt à partir
49:30du sacré
49:31ou d'un idéal
49:32et donc je crois
49:33que la condition
49:34de victime
49:35ne peut pas être ramenée
49:36exclusivement
49:37à un psychotrauma
49:38et c'est un débat
49:39que j'ai d'ailleurs
49:40avec des psychologues
49:41non c'est un empêchement
49:42d'être
49:43il faut retrouver
49:44les catégories
49:45les catégories
49:46politiques
49:47entre nous
49:48sans le réduire
49:49ni à la psychologie
49:50ni à une question
49:51policière
49:52ce qui se passe
49:53quand un enfant
49:54est violé
49:55par son homonier
49:56dans un weekend scout
49:57c'est ce que
49:58j'appelle
49:59un empêchement d'être
50:00ce qui va
50:01l'empêcher
50:02de grandir
50:03de se développer
50:04et d'avoir
50:05une vie
50:06d'une vie normale
50:07alors il faut
50:08trouver
50:09la place
50:10de la justice
50:11de la politique
50:12entre
50:13la psychologie
50:14la procédure
50:15et
50:16le travail
50:17des spécialistes
50:18Et vous savez
50:19ce que disait
50:20Marceline Leuridan
50:21qui était
50:22déportée avec Simone Veil
50:23elle disait
50:24et ça répond vraiment
50:25à ce que vous dites
50:26on a toute sa vie
50:27l'âge de ces traumatismes
50:28Oui
50:29le traumatisme
50:30c'est un présent
50:31qui est plus présent
50:32que le présent
50:33c'est à dire
50:34c'est quelque chose
50:35qui vous obsède
50:36toute sa vie
50:37et c'est l'expérience
50:38qu'on fait tous ensemble
50:39à la commission
50:40et je crois
50:41qu'il faut inventer
50:42la justice
50:43la justice
50:44restaurative
50:45c'est une justice
50:46civique
50:47Gilles
50:48vous avez une vision
50:49très large
50:50de la justice
50:51du champ
50:52de la justice
50:53restaurative
50:54qui va au-delà
50:55du film
50:56de Jean-Henri
50:57c'est pas seulement
50:58pour les délits
50:59de la vie ordinaire
51:00c'est aussi
51:01pour ce que vous avez appelé
51:02les crimes massifs
51:03les incestes
51:04dans l'église
51:05mais d'une certaine
51:06manière
51:07masons
51:08mais aussi
51:09les crimes de masse
51:10vous distinguez
51:11les crimes massifs
51:12c'est une question
51:13qui est sur la dimension
51:14internationale
51:15et je voudrais
51:16vous interroger
51:17à la lumière
51:18de ce qui se passe
51:19en Syrie
51:20vous avez beaucoup
51:21travaillé
51:22sur ces questions-là
51:23à la lumière
51:24de ce que l'on savait
51:25de ce que l'on découvre
51:26le ministre des affaires étrangères
51:27était cette semaine
51:28dans le centre de torture
51:29de Sadnaya
51:30quel est le chemin
51:31pour avancer
51:32et quels sont
51:33les exemples
51:34qui peuvent
51:35guider
51:36vous écrivez
51:37page 127
51:38la réparation
51:39prend alors
51:40la forme
51:41d'une société
51:42politique
51:43retrouvée
51:44on refait
51:45de l'histoire
51:46ensemble
51:47et la victime
51:48devient acteur
51:49de la prévention
51:50oui parce que
51:51je prends l'exemple
51:52de la Syrie
51:53je suis en contact
51:54d'ailleurs avec
51:55des collègues
51:56syriens
51:57avec lesquels
51:58je militais
51:59avant que
52:00Bachar Al-Assad
52:01soit
52:02congédié
52:03et je crois
52:04qu'il faut
52:05faire des procès
52:06il faut faire
52:07des enquêtes
52:08et il faut
52:09qu'il y ait
52:10des enquêtes
52:11sur ce qu'a fait
52:12la justice
52:13des crimes
52:14contre l'humanité
52:15sur
52:16on compte
52:17on estime
52:18qu'il y a
52:19186 millions
52:20de morts
52:21de violences
52:22politiques
52:23au cours
52:24du 20ème siècle
52:25et qui ont été
52:26commis principalement
52:27par des propres armées
52:28sur les civils
52:29et les victimes
52:30combien de condamnations
52:31la justice pénale
52:32internationale
52:33a-t-elle
52:34produite
52:35le nombre
52:36est extrêmement
52:37faible
52:38et je crois
52:39qu'aujourd'hui
52:40il faut
52:41retrouver
52:42des formes
52:43de justice
52:44qui comprennent
52:45pourquoi
52:46des Syriens
52:47ont pu faire ça
52:48à d'autres Syriens
52:49pourquoi
52:50on va
52:51et comment
52:52à partir
52:53de cette vérité
52:54on va pouvoir
52:55on va pouvoir
52:56revivre ensemble
52:57vous savez
52:58en Afrique
52:59du Sud
53:00on a
53:01compris
53:02il y a eu
53:03les commissions
53:04vérité
53:05réconciliation
53:06on a compris
53:07autre chose
53:08c'est-à-dire
53:09si
53:10venez
53:11il n'y aura pas
53:12de punition
53:13vous n'avez pas
53:14de punition
53:15de peine de mort
53:16non
53:17pas de punition du tout
53:18mais il y aura
53:19une publicité
53:20une publication
53:21de ce que vous faites
53:22et bien les gens parlent
53:23et c'est comme ça
53:24qu'on apprend des choses
53:25qu'on n'aurait jamais
53:26pu connaître autrement
53:27le procès
53:28c'est un instrument
53:29pour punir
53:30justement
53:31le plus justement
53:32possible
53:33mais c'est pas
53:34toute la justice
53:35et il faut
53:36et
53:37le fait de ne pas
53:38accuser
53:39mais d'inviter
53:40à une rencontre
53:41à une rencontre publique
53:42et bien c'est une
53:43manière aussi
53:44de connaître
53:45et de comprendre
53:46des tas de choses
53:47moi je rêverais
53:48que
53:49toutes
53:50les policiers
53:51qui ont
53:52les gardiens
53:53qui ont participé
53:54à Sednaya
53:55à ces horreurs
53:56absolument
53:57abjectes
53:58puissent
53:59raconter
54:00spontanément
54:01ce qu'on leur a
54:02demandé de faire
54:03ce qu'ils ont fait
54:04ce qui est un peu
54:05d'ailleurs
54:06avec l'affaire César
54:07Antoine Garapon
54:08est pris
54:09de justice
54:10et que vous priez
54:11titre de votre émission
54:12Esprit de Justice
54:13le mercredi à 20h
54:14sur France Culture
54:15merci beaucoup
54:16je crois qu'on est
54:17tous les trois
54:18très très heureux
54:19de vous avoir reçu
54:20dans ce grand moment
54:21je crois aussi
54:22d'humanité
54:23pour commencer
54:24cette année 2025
54:25merci à Gilles
54:26merci à Natacha
54:27je rappelle le titre
54:28de votre livre
54:29Antoine Garapon
54:30pour une autre
54:31justice
54:32aux presses universitaires
54:33de France
54:34merci à l'équipe
54:35du grand face-à-face
54:36Mathilde Clatt
54:37pour la préparation
54:38de l'émission
54:39Mathilde Merrier
54:40pour la réalisation
54:41et aujourd'hui
54:42c'est Philippe Duclos
54:43qui était à la technique
54:44d'une émission
54:45à laquelle vous pouvez
54:46vous abonner en podcast
54:47sur l'appli Radio France