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00:00Europe 1 Soir, 19h21, Pierre de Villeneuve.
00:04Avec à mes côtés Jules Torres, bonsoir, journaliste politique au JDD, bonsoir Jean-Michel Salvatore,
00:09bonsoir Pierre, chroniqueur politique, bonsoir à vous Yann Elgand,
00:14bonsoir, et merci d'être avec nous, vous êtes professeur d'économie à HEC
00:17et vous êtes co-auteur de cette note qui est intitulée
00:21« La fièvre parlementaire, ce monde où l'on cache colère, polarisation et politique ».
00:26TikTok à l'Assemblée nationale, c'est publié par le CEPREMAP,
00:31le Centre pour la Recherche Économique et ses Applications.
00:34Alors concrètement, vous vous êtes penché sur ce monde assez étonnant
00:41que sont les députés dans l'arène parlementaire qui ont dû s'adapter
00:45et qui sont très différents des députés sous Charles de Gaulle et sous François Mitterrand.
00:51Pourquoi ? Parce que d'un côté il y a les réseaux sociaux
00:53et donc c'est une forme de politique spectacle,
00:57mais qui dit spectacle dit également émotion.
01:00Tout à fait, donc c'est une étude jointe avec Thomas Renaud et Hugo Subtil
01:05et nous avons étudié grâce à l'intelligence artificielle
01:10deux millions de discours entre 2007 et 2024.
01:14Il y a plein de graphiques d'ailleurs.
01:15Voilà, soit vraiment le passage entre l'ancien monde et le nouveau monde.
01:19Et on a trois grands enseignements dans cette étude.
01:23La première, c'est que la rhétorique émotionnelle a explosé surtout depuis 2017
01:29et encore plus en 2022.
01:32Et dans cette rhétorique émotionnelle domine surtout la colère.
01:36Et quand je parle de rhétorique émotionnelle,
01:37c'est une rhétorique qui fait appel aux émotions,
01:40au détriment de débats fondés sur des faits, sur des arguments, sur de la raison.
01:46Et ça, il y a un côté vraiment saisissant dans cet os.
01:49Les débats sont moins chiants, entre guillemets, mais ils sont plus fake.
01:52C'est-à-dire que cette colère...
01:54Vous dites d'ailleurs que LFI et RN sont deux colères qui s'affrontent,
01:58mais les évolutions sont opposées.
02:00C'est-à-dire qu'on mime.
02:02C'est une sorte d'acteur studio.
02:04Et évidemment, le fond disparaît comme avant.
02:07On avait effectivement des débats sur le fond qui n'existent plus.
02:11Oui, tout à fait.
02:11Donc, ce qui est saisissant, c'est effectivement la place de la colère,
02:15surtout du côté des bandes LFI et du RN.
02:1775% des émotions sont dominées par la colère.
02:21Les évolutions sont disjointes.
02:23Le RN est dans une stratégie, en particulier depuis le 22,
02:27beaucoup plus de normalisation, ce qu'on appelle la stratégie de la cravate,
02:32alors que LFI continue dans une progression assez vertigineuse,
02:36ce qui est fidèle à l'esprit de conflictualisation assumée
02:39par Jean-Luc Mélenchon en lien avec Chantal Mouffe.
02:44Alors après, la question que vous posez,
02:47est-ce que cette colère est légitime ?
02:49Elle est juste là pour traduire une colère des Français ?
02:52C'est un constat que je fais, parce qu'avec Jules Torres qui est là aussi,
02:56et quelques autres journalistes politiques,
02:58on constate quand même qu'il y a quand même moins de fond et plus de...
03:03Vous rigolez, mais c'est le cas.
03:06Il y a quand même moins de fond et il y a plus de...
03:08Voilà, on essaie de se mettre en scène.
03:10Il n'y a qu'à voir d'ailleurs...
03:12C'est une baisse du niveau global.
03:13Non, mais il n'y a qu'à voir le nombre de députés
03:16quand on regarde des séances au Parlement,
03:18ou quand on y va justement,
03:20les nombres qui se filment,
03:22ou qui sont sur leur téléphone portable,
03:24et qui ne sont absolument pas en train de suivre
03:26la déclaration de politique générale,
03:28qui sont en train de regarder combien de followers
03:30ils ont sur leur compte Instagram.
03:32C'est vraiment...
03:34C'est le but de cette étude,
03:36c'est d'objectiver ce que beaucoup de personnes ressentent.
03:39Lorsque vous êtes un peu au perchoir,
03:41et vous voyez, vous n'entendez même plus ce qui se dit dans un certain domaine,
03:45essayez d'objectiver,
03:47et de traduire cela vraiment en données.
03:49Et effectivement,
03:51il y a un côté un peu
03:53catch et réseaux sociaux,
03:56c'est un peu le grand enseignement de cette étude,
03:59c'est dire que les codes des réseaux sociaux
04:02ont pénétré l'Assemblée.
04:05Qu'il y ait des débats contradictoires,
04:08ça a toujours été le cas,
04:10que l'Assemblée ait un côté spectaculaire,
04:12ça a été le cas lors de la Troisième République,
04:14de la Quatrième, de la Cinquième République.
04:16Sauf qu'auparavant, les députés
04:18parlaient aux autres députés, ou alors parlaient aux journalistes.
04:20Et face aux journalistes, aux journalistes d'Europe 1 par exemple,
04:23il fallait quand même prouver qu'on était un bon député,
04:25on avait bossé son dossier,
04:27on était basé sur des chiffres.
04:29Là maintenant, à partir de l'analyse de la durée des discours,
04:33ou du fait qu'effectivement on trouve
04:35dans les comptes rendus que des députés
04:37recommencent plusieurs fois une même prise,
04:40disent plusieurs fois la même chose,
04:42mais à des amendements différents,
04:43et lorsque d'autres députés leur disent
04:45mais ce n'est pas possible,
04:46ils se retournent en disant
04:47mais ma première prise était mauvaise.
04:48Donc on voit bien que là,
04:50le théâtre est toujours là,
04:52mais c'est le public qui a changé.
04:55Le public maintenant,
04:57c'est celui des followers sur les réseaux sociaux,
04:59avec tous les effets pervers des réseaux sociaux
05:01sur la polarisation des discours.
05:03Jean-Michel Salvatore,
05:04qui se souvient de la Quatrième République.
05:06Je ne te raterai pas Pierre.
05:10Non mais moi je trouve que
05:12c'est l'arrivée de la télévision
05:14qui a changé les choses au Parlement,
05:17parce que même lorsqu'il n'y avait pas encore les réseaux sociaux,
05:19lorsqu'il y avait les questions au gouvernement
05:22qui étaient télévisées,
05:23on voyait qu'il y avait un véritable biais
05:25et qu'il y avait énormément de députés
05:27qui ne venaient jamais en séance,
05:29mais qui venaient toujours
05:30lorsqu'il y avait des questions au gouvernement
05:32et qui essayaient toujours de poser leurs questions
05:34pour que dans leur circonscription
05:36ou dans leur parti,
05:38on les remarque
05:39et ils fassent la démonstration de leur utilité.
05:41Et donc moi je me pose une question
05:43qui est peut-être un petit peu anachronique,
05:45mais qui est de dire,
05:46mais au fond,
05:47est-ce qu'on ne pourrait pas interdire
05:49les caméras et les images
05:51dans les hémicycles,
05:53de même qu'on le fait dans les tribunaux
05:55d'une certaine façon,
05:56parce que ça trouble la sérénité
05:58des débats ?
05:59Est-ce que ce n'est pas une solution ça ?
06:01Après tout,
06:03on interdit bien les portables dans les lycées.
06:06Alors,
06:07nous on est dans le diagnostic,
06:09vous vous apportez les solutions.
06:11Ça, ça veut dire que ce n'est pas un bon moment
06:13à cette question.
06:14C'est une belle réponse de Ben !
06:16Sur l'émotion !
06:18Non, mais en revanche,
06:19je veux bien apporter quelques éléments de réponse.
06:21Tout d'abord, vous avez tout à fait raison,
06:23oui, bien sûr,
06:24depuis que c'est filmé,
06:25vous avez une mentée en émotion
06:27et on le constate,
06:28c'est un peu l'intérêt de cette étude,
06:30c'est de remonter quand même jusqu'à 2007.
06:32On peut remonter,
06:33même depuis le début de la Ve République
06:35et on voit bien que quand vous êtes dans l'opposition,
06:37en particulier,
06:38vous montez un peu en passion.
06:40En revanche,
06:41nous, on constate vraiment,
06:43avec cette nouvelle génération
06:44et surtout depuis 2017-2022,
06:46une explosion de cette émotion,
06:48même lorsque vous n'êtes pas dans l'émotion,
06:50comme si les passions étaient un peu contagieuses.
06:53Mais à l'époque de Jaurès,
06:54Clémenceau,
06:55est-ce qu'il n'y avait pas ça également ?
06:57Oui.
06:58Il y avait quand même des morceaux de bravoure !
07:00Il y avait des morceaux de bravoure,
07:02mais ces morceaux de bravoure étaient quand même...
07:04Vous deviez montrer votre maîtrise des dossiers.
07:07C'était fondé sur des faits,
07:09sur des arguments,
07:10sur de la rationalité.
07:11Et c'est ça, selon nous,
07:12qui a changé.
07:13Donc on ne remet pas en cause
07:15le fait que ça a toujours été un peu
07:17une assemblée spectacle
07:19et une assemblée qui pouvait être violente
07:21quand même auparavant.
07:23Mais en revanche,
07:24l'intrusion vraiment des codes sociaux
07:26introduit plusieurs biais.
07:29Vous avez un biais sur le raccourcissement
07:31de la prise de parole.
07:32Vous êtes très loin des grands discours de tribun.
07:34Maintenant, vous êtes sur des formats vidéo.
07:38Vous êtes aussi sur des attaques
07:41des autres députés
07:42plutôt que de développer vos propres idées.
07:44On montre quand même que
07:45maintenant la moitié des interventions
07:47sont des interruptions.
07:48Et comme dans tout bon spectacle,
07:50vous avez en plus à chaque fois
07:51des applaudissements, des huées.
07:52Et ça, ça a aussi explosé au cours de la période.
07:54Vous avez un graphique
07:55qui est très intéressant dans votre page.
07:57C'est le nombre moyen de mots.
07:59Alors ça, c'est assassin
08:01parce qu'il y a effectivement
08:02le graphique de la droite, de la gauche,
08:04du centre, de LFI et du RN.
08:07Et alors, le nombre moyen de mots le plus nul,
08:11c'est celui de la droite.
08:13C'est-à-dire qu'on est à un tout petit peu
08:15plus de 200 en 2007.
08:17C'est assez constant.
08:18Et puis ça chute lamentablement
08:20jusqu'en 2024.
08:22On est à peine au-dessus de 150.
08:24Tandis que LFI,
08:27du coup, on est au-dessus de 250.
08:30On arrive à 300.
08:32Le RN, il y a aussi une espèce de courbe,
08:34une montée en 2021.
08:36Après, c'est aussi, j'imagine,
08:38au nombre de discours.
08:40C'est parce que LFI a gagné
08:42dernièrement aux élections de 2022
08:45et qu'ils ont été beaucoup plus nombreux dans l'hémicycle.
08:47Tandis que la droite, c'était quasiment pas.
08:50Oui, il y a plusieurs façons
08:51à interpréter ce graphique.
08:53Il y a une question un peu du nombre de députés.
08:55Il y a aussi des interruptions.
08:57Effectivement, lorsque vous êtes
08:59interrompu fréquemment,
09:01c'est beaucoup plus difficile de développer
09:03un argumentaire long.
09:05Mais nous, ça nous semble être
09:07aussi vraiment le témoignage
09:09du fait qu'il est, de toute façon,
09:11très difficile maintenant de développer
09:13un discours quand vous le voulez.
09:14Un exemple vraiment symptomatique,
09:16ça a été l'intervention de Dupond-Moretti.
09:18C'était son...
09:20Vous avez là, vraiment, le baron...
09:22Pas le baron, excusez-moi.
09:24Le maître des barons.
09:26Capable et qui commence...
09:28Et les questions fusent à droite,
09:30fusent à gauche, avant même
09:32qu'il prenne la parole.
09:33A la fin, il se tend vers Richard Ferrand
09:35en disant, mais que faire ?
09:36Et Richard Ferrand dit, il n'y a rien à faire,
09:38il faut juste souffrir en silence.
09:39Et il arrête son discours.
09:40Mais c'est parce que, avant,
09:42l'Assemblée nationale était un lieu
09:44où on avait des débats,
09:45où il fallait de la contradiction.
09:47Maintenant, ce ne sont que des
09:49joutes verbales et encore,
09:51c'est même plus que ça.
09:52Ce sont des ennemis
09:53qui se parlent par médias interposés,
09:55par hémicycles interposés,
09:57et qui n'écoutent même pas
09:59la réponse qu'on va leur apporter.
10:01Ils sont juste là pour faire
10:02leur séquence TikTok, en fin de compte.
10:04Vous avez tout à fait raison.
10:05Il y a ceux qui découpent aussi.
10:07Et c'est ce qu'on essaie vraiment de...
10:09Et c'est ce qu'on essaie vraiment
10:11de souligner en disant,
10:13au moment même où l'Assemblée
10:15devrait retrouver sa légitimité,
10:17son pouvoir, on est dans une situation
10:19de majorité relative.
10:21D'ailleurs, c'est pour ça qu'on dit que la proportionnelle
10:23ne serait pas nécessairement la solution,
10:25tant que vous avez un peu une fèvre des passions.
10:27À ce moment-là même,
10:29finalement, les députés ne s'en saisissent pas
10:31pour essayer de convaincre les autres.
10:33Ils considèrent les autres non plus
10:35comme des contradicteurs, mais comme des ennemis.
10:37Et c'est justement tous les effets pervers des effets sociaux
10:39d'avoir cette polarisation.
10:41Vous êtes donc trois
10:43à avoir travaillé là-dessus.
10:45Vous-même, prof à HEC,
10:47Thomas Renaud qui est prof à Paris 1,
10:49qui est prof à l'université de Zurich
10:51en Suisse.
10:53Est-ce que vous avez eu des réactions
10:55suite à la publication de cette note ?
10:57Alors,
10:59cette note a été publiée sur la page
11:01du CEPREMAP la nuit même
11:03où elle a été publiée.
11:05La page a eu un shutdown, a été attaquée.
11:07C'était une cyberattaque ?
11:09Je ne sais pas, on est en train de l'analyser,
11:11mais je pense que ça illustre...
11:13Attraqué ou victime de son succès ?
11:15Après, on a eu des réactions.
11:17On a essayé vraiment d'être équilibré
11:19dans cette note.
11:21Il y a eu une cyberattaque ? Vous avez été menacé ?
11:23Non, on n'a pas été menacé, mais force est de constater
11:25qu'on a dû réparer un site
11:27le lendemain.
11:29Mais en revanche,
11:31cette note a suscité
11:33beaucoup d'intérêt
11:35vraiment à tous les niveaux
11:37parce que
11:39d'une certaine façon, c'est une situation
11:41qui est vécue par beaucoup de personnes,
11:43par les journalistes,
11:45par les députés, par quiconque va à l'Assemblée.
11:47Mais en revanche,
11:49il manquait un peu d'objectivation
11:51et surtout de comprendre
11:53ce que cela voulait dire.
11:55Pour nous, ça veut dire un vrai changement
11:57civilisationnel. On est à l'heure
11:59de l'électeur émotionnel,
12:01beaucoup plus porté par ses émotions dans ses votes
12:03que par ses idéologies ou sa classe sociale.
12:05Et en fait,
12:07beaucoup de politiques surfent sur ses émotions.
12:09Merci beaucoup Yanel Gant
12:11d'avoir été avec nous.
12:13Tant qu'il est encore en ligne,
12:15il faut aller le voir
12:17parce qu'on apprend beaucoup de choses.
12:19Merci beaucoup d'avoir été avec nous.

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