L'art est aujourd'hui pris au piège d'un paradoxe insoutenable : plus une œuvre se monnaye à des sommets stratosphériques, plus elle risque de perdre ce qui en faisait sa vraie valeur. Comme le soulignait déjà Walter Benjamin, « l'aura » de l'art, cette dimension inaliénable liée à son unicitié et à son expérience intime, se dissout dès lors que l'œuvre entre dans le jeu des échanges marchands. L'artiste devient marchand, et l'esthétique, un produit de consommation. Une tendance exacerbée à l’heure de l’art conceptuel et des technologies numériques. [...]
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00:00L'art serait-il aujourd'hui pris au piège d'un paradoxe insoutenable ? Je m'explique.
00:16Plus une œuvre se monnaie à des prix stratosphériques, à des sommets, plus elle risque de perdre
00:25ce qui en faisait sa vraie valeur. Comme le soulignait déjà Walter Benjamin, l'aura
00:32de l'art, cette dimension inaliénable liée à son unicité et à son expérience intime,
00:38se dissout dès lors que l'œuvre entre dans le jeu des échanges marchands.
00:43L'artiste devient marchand et l'esthétique un produit de consommation, une tendance exacerbée
00:53à l'heure de l'art conceptuel et des technologies numériques.
00:56Marcel Duchamp, en exposant un urinoir comme œuvre d'art en 1917, entendait défier
01:05avec ce « ready-made » les conventions académiques.
01:08Cent ans plus tard, et même plus de cent ans plus tard, cet esprit de subversion semble
01:14avoir été retourné contre lui-même. Les records d'enchères battus chaque année
01:20chez Christie, Sotheby's, Philips ou Artcurial illustrent moins une reconnaissance artistique
01:26qu'un phénomène de spéculation financière. Comme l'expliquait déjà Pierre Bourdieu
01:33dans « Les règles de l'art », l'autonomie du choix artistique est constamment menacée
01:40par les pressions économiques et sociales. L'art est aujourd'hui sorti de l'artisanat
01:47et s'est transformé en industrie culturelle. Une industrie des grandes expositions et des
01:53grandes foires internationales, dominée par Art Basel et les maisons de vente internationale
01:59aux enchères, celles que nous avons déjà citées. Mais l'art aussi se dématérialise
02:05sous l'effet des technologies. Aujourd'hui, les NFT, les Non-Fungible Tokens, poussent
02:13cette logique à son paroxysme. L'œuvre n'existe plus que comme actif financier,
02:21désincarné de toute expérience sensorielle ou culturelle. En 2021, un NFT de l'artiste
02:29Beeple s'est vendu chez Christie's pour 69 millions de dollars. Un prix justifié
02:36non pas par sa valeur esthétique, mais par sa rareté artificielle.
02:42Face à cette marchandisation, certaines initiatives cherchent à redéfinir la place
02:49de l'art. Ainsi, le mouvement Art for Art's Sake promeut une création affranchie des
02:56logiques économiques. Mais peut-on vraiment échapper au marché ? Les musées dépendent
03:05eux-mêmes de plus en plus de sponsors et de donateurs, liés à des logiques financières.
03:11Alors, l'art est-il condamné à osciller entre sacralisation marchande et dévaluation
03:19culturelle ? Une chose est sûre, ce qui n'a pas de prix ne saurait être mesuré. Mais
03:28peut-être est-ce là la véritable liberté de l'art ? Comme le disait Oscar Wilde,
03:35« Un cynique connaît le prix de tout, mais la valeur de rien ». À l'heure de la financiarisation
03:44généralisée, comment évaluer la vraie valeur de ce qui, au fond, ne saurait pas avoir de prix ?