Xerfi Canal a reçu Michel Villette, professeur émérite de sociologie à Agro ParisTech, pour parler des clefs de succès pour les enteprises africaines.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Michel Vignette.
00:10Bonjour Jean-Philippe Demy.
00:11Professeur émérite de sociologie à AgroParisTech.
00:15AgroParisTech, là où il y a des étudiants qui prononcent des discours en disant qu'il
00:19faut se soucier un peu plus de l'avenir de la planète.
00:22Très engagé, école très engagée.
00:25Entreprises africaines, ouvrage que vous dirigez avec Mohamed Branine et Mohamed El-Bechir
00:32Waïd, édition Presse des Mines.
00:35Les entreprises africaines, 20 projets pour sortir du néocolonialisme et du sous-développement.
00:41C'est dit.
00:42C'est ce qu'il faudrait faire.
00:45Expliquez-nous un peu.
00:46Écoutez, je vais prendre un peu de recul.
00:50On a souvent parlé de Wall Street comme d'une jungle, en particulier au cinéma.
00:56On a souvent comparé les grands hommes d'affaires européens et américains à des loups, à
01:04des requins, voire à des crocodiles, dans le cas du Club BBA.
01:08À des prédateurs.
01:09Donc des prédateurs.
01:10Mais qu'en est-il des hommes d'affaires africains ? En quoi consiste exactement
01:14leur jungle à eux ? Et comment font-ils pour tenter d'y faire fortune ?
01:20Pour répondre à cette question, il faut faire ce que de bons auteurs ont appelé « l'écologie
01:26des populations d'entreprises ». Autrement dit, postuler que l'accumulation capitaliste
01:32se produit ou ne se produit pas selon les écosystèmes dans lesquels les entrepreneurs
01:37tentent leur chance.
01:38Ces écosystèmes d'entreprises sont connectés entre eux et hiérarchisés.
01:44Les écosystèmes dominants, New York, Londres, Paris, etc., disséminent ce qu'on pourrait
01:50appeler des « plantes invasives » qui étouffent les écosystèmes périphériques de Casablanca,
01:56de Douala ou de Dakar.
01:58Si tant que jeunes Africains cherchent à rejoindre l'Europe sur des pneumatiques pour
02:03avoir enfin une chance de trouver un travail rémunérateur, c'est bien que trop peu d'entreprises
02:09africaines parviennent à se développer, à proposer du travail aux jeunes et à répondre
02:13aux immenses besoins des populations locales.
02:16C'est un sujet politique majeur, on en entend partout, c'est dramatique.
02:22Deux questions se posent alors.
02:241.
02:25Quelles sont les clés du succès pour les entreprises africaines ?
02:282.
02:29Comment faire pour que ces entreprises se multiplient, croissent et prospèrent et viennent nourrir
02:35les écosystèmes économiques locaux ?
02:38Le problème de l'Afrique, c'est que lorsqu'on répond sérieusement à la première
02:44question, on explique pourquoi il n'y a pas de réponse à la seconde.
02:49Dans cette jungle économique africaine, quelques grands arbres parviennent à croître, mais
02:55en étouffant complètement le reste de la forêt.
02:58On observe bien quelques fortes et rapides accumulations de capital, mais le fameux effet
03:04de ruissellement ne se produit pas, c'est plutôt le contraire qu'on observe, on se
03:08trouve dans un cas extrême de ce que de nombreux auteurs ont décrit comme un capitalisme
03:14contre le marché.
03:15Grâce à un important financement de l'Union Européenne, puisque le sujet est d'actualité
03:22comme vous le dites, que je remercie au passage, toute une équipe de chercheurs en gestion,
03:27de sociologues, d'anthropologues et d'économistes ont tenté de répondre à la question « Quelles
03:31sont les clés du succès pour les entreprises africaines ? ».
03:33Nous avons fait des études de cas, beaucoup d'études de cas.
03:37Nous avons fait des enquêtes de terrain avec les gens du pays, avec les gens qui
03:41travaillent dans les entreprises et en utilisant toutes les sources d'informations disponibles.
03:45La consigne que j'avais donnée aux chercheurs était de n'étudier que des entreprises
03:51rentables et en forte croissance, détenues majoritairement par des Africains.
03:56En d'autres termes, nous cherchions à étudier des « success stories ». Mais l'expérience
04:03a montré que les « success stories » africaines, si l'on met à part l'industrie minière
04:08d'exportation et le pétrole, sont fragiles et éphémères.
04:12Le chapitre 3 du bouquin raconte mes échanges avec le directeur général d'une entreprise
04:19de travaux publics.
04:21Dans la banlieue déglinguée d'une métropole africaine, je vois des engins de travaux publics
04:28vieillissants, alignés les uns à côté des autres, à l'arrêt.
04:32Un siège social sur plusieurs étages est complètement vide, pas un seul employé.
04:38Des tables à dessin à l'abandon, et dans le bureau des comptables, de vieux classeurs
04:44poussiéreux qui traînent par terre.
04:46Il n'y a plus de travail.
04:48Que s'est-il passé ?
04:49À la fin de la période coloniale, le fondateur, formé à l'INSA de Lyon, débute sa carrière
04:59comme fonctionnaire du ministère de l'équipement de son pays.
05:02Grâce à des bonnes relations avec ses collègues et avec les gouvernants du moment, il obtient
05:06des contrats et loue puis rachète des engins de travaux publics à un patron français
05:11qui prend sa retraite.
05:12L'entreprise devient l'une des principales entreprises de travaux publics du pays.
05:19Tout va bien et son fils, formé lui aussi à l'INSA de Lyon, prend la succession.
05:23Et puis, le gouvernement change.
05:26Le jeune patron n'a plus les contacts ni avec les gouvernants ni avec les collègues
05:31de son père qui, eux aussi, sont partis à la retraite.
05:35Surtout, l'État, conseillé par des sociétés de conseil international, est incapable de
05:42financer les grands chantiers.
05:43Désormais, pour remporter les appels d'offres, il faut venir avec le financement.
05:49Ce que seuls des multinationales européennes, japonaises ou chinoises sont capables de faire.
05:55L'entreprise africaine dont nous parlons n'a plus qu'une solution, devenir sous-traitant
06:00des multinationales.
06:01Une entreprise européenne est mauvaise payeuse.
06:05L'expérience ruineuse se termine par un procès à Genève, impossible à gagner parce
06:10que trop coûteux.
06:11Seconde tentative de coopération, cette fois avec une entreprise chinoise.
06:16Expérience ruineuse à nouveau, impossible de faire le moindre bénéfice.
06:20Il ne reste plus à la famille du fondateur qu'à se réfugier sur ses terres agricoles
06:26et à exploiter une carrière de granulat.
06:29Retour à la case départ.
06:31Cet exemple que j'ai trouvé très émouvant, c'est pour ça que je vous le raconte, sert
06:36d'introduction à l'analyse des autres cas plus sophistiqués que vous pourrez découvrir
06:40dans le livre, dont je vous conseille évidemment la lecture.
06:43Concluons.
06:44Partout dans le monde, l'accumulation du capital joue des imperfections de marché
06:50et en particulier des protections politiques, on le sait.
06:53Et le cas que je viens d'évoquer ne déroge pas à cette règle.
06:57L'entreprise de BTP a d'abord prospéré grâce à la protection des autorités politiques
07:02et administratives et à l'occasion d'un changement de gouvernement, elle a périculté.
07:06En Afrique, l'accumulation du capital implique aussi de tisser de bonnes relations avec des
07:13partenaires des économies dominantes.
07:15C'est le second facteur de succès que nous avons trouvé dans notre enquête.
07:21Et évidemment, c'est un facteur de succès qui peut disparaître du jour au lendemain
07:25si le partenaire européen ou chinois se comporte en prédateur sans scrupule.
07:29Pour ce qui est de la grande success story de la multinationale panafricaine que tout
07:35le monde attend, je vous renvoie au chapitre 5 du bouquin.
07:39Vous verrez qu'on y brasse une grosse somme d'argent, mais qui reste dans quelques mains
07:46et qui finit investie dans une multinationale européenne dont le siège est au Luxembourg.
07:51Bref, il faudra attendre encore un peu pour écrire enfin le livre qui présentera une
07:59série de succès story africaines très convaincantes, et j'espère que notre livre explique bien
08:06pourquoi.
08:07Vous m'avez envoyé ce texte, vous m'avez dit « je vais venir sur le plateau présenter
08:13l'ouvrage, je vais donc le lire, cet ouvrage.
08:16Ah, vous me faites plaisir.
08:17Mais oui, évidemment que je vais le lire et qu'est-ce que j'apprécie vous inviter.
08:20Je vous recommande le chapitre 5 parce que c'est des opérations du haut de bilan et
08:27c'est chaud.
08:28C'est chaud.
08:29C'est chaud.
08:30Donc je vais aimer et je retiens le chapitre 3 aussi, bien sûr.
08:36Entreprise africaine, 20 projets pour sortir du néocolonialisme et du sous-développement
08:42sous la direction notamment de Michel Villette.
08:45Merci Michel.
08:46C'est aux éditions Presse des Mines.
08:48Merci Michel.