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interview expert médecin légiste

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Transcription
00:00Il y a des choses que j'arrive plus à manger, quoi.
00:01Prenez une viande maturée, ça coûte très cher ces machins-là en plus, hein.
00:04Prenez une viande maturée, elle n'est pas suffisamment cuite,
00:07je vous jure, ça goûte le cadavre.
00:09Alors, je m'appelle Philippe Boxo, j'ai 59 ans,
00:11et je suis médecin légiste depuis 33 ans.
00:13À la fin, moi, j'avais choisi d'être médecin généraliste,
00:16et finalement, je suis arrivé à la médecine légale.
00:18Donc, pourquoi médecin généraliste ?
00:19Bah parce que c'est un moyen de soigner tout le monde,
00:21sans distinction en fonction de l'organe, donc sans spécialité,
00:24et que c'était la profession qui allait le plus au contact des gens.
00:27Et voilà que je me trouve dans une profession
00:29qui est la plus éloignée du monde médical.
00:31Il s'agit d'aller à la recherche d'éléments
00:33qui permettent de déterminer s'il s'agit, sans parti pris,
00:37d'une mort naturelle, d'une mort suicidaire, d'un accident ou d'un homicide.
00:40En tout cas, c'est un jeu où, un peu comme dans Cluedo,
00:42on va à la recherche d'un indice pour trouver qui a tué,
00:45avec quel objet, dans quelle pièce.
00:47C'est un peu ça.
00:48Et c'est très, très amusant.
00:50La médecine légale, c'est pas que du mort.
00:51C'est, allez, grosso modo, 60-80% de vivants.
00:55C'est-à-dire des gens qui ont subi des agressions sexuelles,
00:57des agressions physiques ou autres,
00:58et qu'il s'agit d'examiner.
01:00Il y a une dame, à une de mes conférences,
01:02j'étais en train de causer, c'était le moment des questions,
01:04et elle m'a dit « Vous m'avez sauvé la vie, docteur. »
01:07« Je n'ai pas le souvenir de vous avoir soigné. »
01:09Je lui ai dit « Non, mais la police était persuadée que j'ai tué mon mari
01:12en le tapant sur la tête et en le poussant sur le radiateur.
01:15Et vous, vous avez démontré par l'autopsie
01:17qu'en fait, il n'était pas mort du coup sur le radiateur,
01:19mais qu'il était mort d'un problème cardiaque lié à son alcoolisme. »
01:22Et oui, madame, ça, c'est vrai, mais
01:23vous savez, je n'ai pas fait exprès de vous sauver.
01:25C'est juste parce que les faits étaient tels.
01:27Et puis, il y avait un homme à côté d'elle, c'était son nouveau compagnon.
01:30Je me suis tourné vers lui en public, je lui ai dit
01:32« Vous, méfiez-vous quand même des radiateurs, tout le monde arrive. »
01:34Donc, on a aussi un contact avec les vivants.
01:36Il ne faut pas croire que la médecine égale, c'est que du mort.
01:39Alors moi, je préfère évidemment le contact avec le mort,
01:40parce que ça m'amuse d'arriver à faire parler le mort une dernière fois.
01:45Les parties les plus fastidieuses de mon métier,
01:48pour moi en tout cas, sont au nombre de deux.
01:49La première, c'est le meurtre d'enfant.
01:51C'est absolument horrible, on ne s'y fait pas.
01:54Autopsie en enfant, c'est-à-dire autopsier un être qui est au début de sa vie,
01:58qui vient de tout perdre à cause peut-être d'une maladie, c'est possible,
02:01mais peut-être aussi à cause de l'intervention naturelle,
02:03ça, je vous assure, c'est difficile.
02:04Deuxième chose, c'est les odeurs de putréfaction.
02:06Alors ça, croyez-moi, c'est une odeur, c'est une catastrophe.
02:09Non seulement, vous les avez dans le nez,
02:11mais en plus, comme c'est des odeurs assez dures,
02:13vous les goûtez.
02:14Alors, il n'y a jamais eu le moindre mort qui m'ait traumatisé,
02:17qui m'ait fait faire des cauchemars,
02:19qui m'ait fait penser à lui de façon obsédante.
02:21Jamais, jamais, jamais, jamais.
02:23Ça, c'est un grand truc chez moi.
02:24J'arrive à complètement séparer les choses.
02:26Il y a mon job avec le mort d'un côté,
02:28c'est ma vie professionnelle, puis il y a ma vie privée.
02:30Et l'un et l'autre ne rentrent pas en connexion.
02:34Le recours des psychologues, objectivement, pourrait être utile,
02:37mais je n'en ai jamais besoin.
02:38Et pire que ça, je suis allé au Kosovo pour déterrer des charniers,
02:41on avait un psychologue avec nous,
02:43et c'est moi qui me suis occupé du psychologue.
02:44La mort ne me fait pas peur.
02:45La manière de mourir, oui.
02:46Ça, objectivement, je n'ai pas envie d'être torturé,
02:48je n'ai pas envie de brûler vif, je n'ai pas envie d'être noyé.
02:50Enfin, il y a des trucs dont je n'ai pas envie.
02:52Mais la mort, non.
02:52En plus, ça ne sert à rien.
02:54On va tous mourir.