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La remontée du chômage se confirme en France avec une forte hausse du nombre de demandeurs d'emploi au quatrième trimestre 2024, une hausse jamais vu depuis 10 ans. Le nombre de demandeurs d'emploi sans activité (catégorie A) inscrits à France Travail a augmenté de 3,9%. Les jeunes de moins de 25 ans sont les principaux concernés. Regardez l'analyse de Eric Heyer, docteur en économie, directeur du département Analyses et Prévisions de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 28 janvier 2025.

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Transcription
00:00Yves Calvi et Agnès Bonfillon, RTL Soir.
00:04Il est 18h43, bonsoir Eric Ayer, merci beaucoup de nous rejoindre.
00:08Vous êtes docteur en économie, vous dirigez le département analyse et prévision de l'OFCE,
00:12l'Observatoire français des conjonctures économiques.
00:14On n'avait pas vu ça depuis 10 ans, hors période Covid.
00:17Le chômage a augmenté de 3,9% au quatrième trimestre 2024.
00:22Comment expliquez-vous une telle hausse ?
00:24Alors d'abord, je me dois de préciser que ce n'est pas vraiment le chômage qui est mesuré,
00:28mais les demandeurs d'emploi en fin de mois.
00:30C'est assez important parce qu'ils tiennent beaucoup
00:33et que la vraie statistique du chômage va sortir le 11 février.
00:36Donc le quatrième trimestre, il faut encore un peu attendre
00:39et ce sera vraiment là où on pourra parler de chômage.
00:43Alors comment on peut expliquer quand même cette dégradation sur le marché du travail ?
00:49Je pense que pour comprendre la dégradation,
00:51il faut avoir en tête que le marché du travail s'était extrêmement bien comporté
00:55pendant toute la période crise sanitaire, crise énergétique.
00:58Même, on ne comprenait pas pourquoi finalement,
01:02on créait autant d'emplois au cours de cette période, compte tenu de l'activité.
01:05Et donc, on savait que la contrepartie de cela,
01:08c'était que la productivité du travail avait baissé.
01:11Et ça, la productivité du travail qui baisse, ce n'est pas normal.
01:14Et donc, il y a souvent des ajustements qui arrivent
01:17parce que quelqu'un doit payer cette perte de productivité.
01:20Donc, qui l'a payé jusqu'à présent ?
01:22C'était les finances publiques.
01:24Les finances publiques payaient de l'apprentissage,
01:27payaient des aides aux entreprises,
01:29donc avaient enrichi la croissance en emploi.
01:31Et les salariés qui avaient accepté des salaires
01:34qui étaient plus faibles que les prix.
01:36Et donc, il y avait une perte de pouvoir d'achat du salarié.
01:39Aujourd'hui, les deux disent non,
01:42on ne veut plus payer cette perte de productivité.
01:45C'est-à-dire que les finances publiques doivent se rétablir,
01:47les aides à l'apprentissage baissent,
01:49les aides aux entreprises baissent
01:51et les salariés réclament une hausse de leur salaire
01:55plus élevée que les prix.
01:57Et donc maintenant, la perte de productivité,
01:59c'est aux entreprises à la supporter.
02:02Et elles, les entreprises, nous disent non.
02:05Là, qu'est-ce qu'on va faire ?
02:07On va ajuster l'emploi à une activité qui est faible.
02:12Et donc, c'est ça les licenciements économiques
02:14que l'on observe.
02:15C'est des gains de productivité.
02:17Mais quand vous n'avez pas d'activité,
02:19ça fait malheureusement des destructions d'emploi et du chômage.
02:23Plus de 3 millions de personnes sans aucune activité
02:25sont actuellement inscrites à France Travail,
02:28ce qu'on appelle la catégorie A.
02:29C'est inquiétant ?
02:31Oui, c'est tout de même inquiétant
02:33parce que même si ce n'est pas la mesure du chômage au sens du BIT,
02:37il y a quand même une corrélation assez forte entre les deux.
02:40Et donc, il est tout de même probable,
02:43très fortement probable,
02:44que le 11 février,
02:46le chiffre du chômage soit en hausse.
02:49Alors pourquoi c'est quand même gênant ?
02:51C'est parce que globalement,
02:52ce n'est que le début du retournement.
02:54C'est-à-dire que là,
02:56le marché du travail s'était bien maintenu.
02:59Là maintenant,
03:00les perspectives ne sont pas bonnes,
03:01à la fois en termes de carnet de commandes
03:03et l'incertitude politique est encore là.
03:05Et ça, ce sont les chiffres du quatrième trimestre.
03:07On sait qu'au premier trimestre,
03:09ça ne va pas être bon non plus
03:10parce qu'on a déjà quelques retours.
03:15Et donc, le chômage va malheureusement repartir à la hausse.
03:19Et ce qui est un peu ennuyeux,
03:21c'est qu'on ne voit pas la fin de l'ajustement d'ici la fin de l'année.
03:26Donc, il y a une forte probabilité,
03:28en tout cas, c'est notre scénario,
03:29que le chômage continue à augmenter
03:31tout au long de l'année 2025.
03:35Bon, on est d'accord avec la Banque de France.
03:37La Banque de France s'est allée un peu plus loin en 2026
03:40et prévoit que ça pourrait aller mieux.
03:43Ce n'est pas mon sentiment.
03:44Cette hausse touche particulièrement les jeunes français,
03:47les moins de 25 ans,
03:48plus 8,5% sur le trimestre, plus 7% sur un an.
03:52Ce sont les chiffres de l'ADARES,
03:53la direction des statistiques du ministère du Travail.
03:56Pourquoi la jeunesse ?
03:57Et est-ce que ça touche aussi ou même les multidisplômés ?
04:00Alors, il faut quand même faire attention
04:02avec le taux de chômage des jeunes
04:04ou les chiffres des jeunes
04:05parce qu'il y a très peu de jeunes au chômage.
04:08Donc, dès que ça augmente un peu,
04:10le pourcentage...
04:11Ça prend de l'ampleur.
04:12Ça prend de l'ampleur.
04:13Mais c'est vrai que les jeunes sont souvent les premiers touchés
04:16lorsqu'il y a un ajustement du marché du travail.
04:19Pourquoi ?
04:20Parce que s'ils étaient au travail,
04:22c'est souvent les derniers arrivés
04:24qui sont les premiers à partir.
04:26C'est-à-dire qu'ils sont dans un contrat
04:27qui est relativement court
04:29et ça coûte moins cher pour les entreprises
04:31soit d'arrêter le contrat,
04:33soit même de les licencier.
04:35Donc, ça, c'est la première raison.
04:36Et la deuxième raison,
04:37c'est que la politique de l'emploi,
04:39et notamment l'apprentissage,
04:40commence à marquer le pas.
04:42Puisque c'était les jeunes qui ont bénéficié,
04:44on voit tout de suite l'arrêt
04:46d'une politique de l'emploi.
04:48Donc, c'est souvent le cas
04:50que les jeunes soient les premiers touchés
04:53au moment d'un retournement.
04:55Éric Ayère, peut-on dire que les entreprises
04:57sont inquiètes, ou en tout cas,
04:58ne se projettent pas facilement dans l'avenir ?
05:01Ah oui, ça, on peut même l'affirmer.
05:04Alors, on l'affirme
05:05parce qu'on a des enquêtes qui nous l'indiquent.
05:07C'est-à-dire que l'incertitude économique
05:10a fortement augmenté depuis la crise ukrainienne.
05:18Mais en France,
05:20il y a un fait marquant
05:22depuis la dissolution de l'Assemblée nationale,
05:25et ça n'est pas retombé.
05:27Nous, on évalue ce supplément d'incertitude
05:31à 0,4 point d'activité en moins en 2025.
05:36Ce n'est pas rien.
05:38Ensuite, dans les enquêtes auprès de la Banque de France
05:41ou auprès de l'INSEE,
05:42elles indiquent très clairement
05:44qu'elles n'ont aucune visibilité.
05:47Donc, ça se traduit par
05:49qu'elles arrêtent d'investir
05:51et mettent des perspectives d'emploi extrêmement faibles.
05:54C'est la combinaison
05:58entre une conjoncture mauvaise et une incertitude
06:01qui fait que les perspectives d'emploi
06:03sont fortement dégradées.
06:04Cette remontée du chômage
06:05que vous venez de nous décrire en France,
06:07va-t-elle durer ?
06:08J'ai cru comprendre que oui
06:09dans votre intervention de début d'interview.
06:12Et si oui, avec quelles conséquences concrètes ?
06:14Quels sont les secteurs les plus touchés ?
06:16Les métiers ?
06:18Ça devrait malheureusement continuer à augmenter
06:22puisque l'ajustement de l'emploi
06:24est vraiment loin d'être terminé
06:26et les perspectives économiques
06:28ne sont pas bonnes.
06:30Et puisque par ailleurs,
06:32ça aussi c'est important,
06:33la population active continue à augmenter
06:35avec la montée en charge
06:37de la réforme des retraites.
06:38Donc, des destructions d'emploi
06:40plus une population active qui augmente,
06:42le chômage ne peut qu'augmenter.
06:44Dans quels secteurs ?
06:46On voit qu'aujourd'hui,
06:48les secteurs de la construction,
06:50bien entendu,
06:51mais aussi les secteurs industriels
06:53vont être très fortement marqués.
06:55Un tout petit peu moins les services,
06:57mais c'est les deux principaux secteurs
06:59qui vont connaître un ajustement fort
07:01de leur emploi,
07:02c'est la construction et l'industrie.
07:04Et nos voisins alors ?
07:06Quel est le chômage chez eux ?
07:08Quelle est la situation ?
07:10Alors, la bonne tenue du marché du travail
07:12depuis la crise sanitaire
07:14et le fait que le chômage est baissé en France,
07:16on l'observait aussi dans les autres pays,
07:18et notamment dans les autres pays européens.
07:20Donc, ce n'était pas une singularité française.
07:22La singularité française,
07:24c'est que chez nous,
07:26c'est quand même plus dur de faire baisser le chômage
07:28qu'en Allemagne, notamment,
07:30qu'en Italie,
07:31parce qu'on a une population active
07:32qui est plus dynamique.
07:34Dit autrement, voyez, la population active
07:36diminue en Allemagne
07:38ou diminue aussi en Italie.
07:40Et donc, même si vous ne créez pas beaucoup d'emplois,
07:42le chômage
07:44baisse beaucoup plus facilement.
07:46Donc, nous, on a cette difficulté,
07:48parce qu'on a tout de même un taux de natalité,
07:50même s'il en baisse supérieur à tout le monde,
07:52on a une population active et une démographie
07:54qui est plus dynamique.
07:56Et donc ça, ça pouvait expliquer pourquoi
07:58on avait des performances qui n'étaient pas meilleures
08:00que les autres. Là, ce que l'on voit, c'est que
08:02en Allemagne, notamment,
08:04et en France,
08:06c'est les deux grands pays qui vont connaître
08:08un ajustement le plus important sur l'emploi,
08:10avec des conséquences plus fortes
08:12sur le chômage en France qu'en Allemagne,
08:14en raison d'une démographie plus dynamique.
08:16Merci beaucoup Eric Ayère, docteur en économie
08:18et directeur du département analyse
08:20et prévision de l'OFCE, l'Observatoire
08:22français des conjonctures économiques.
08:24Dans un instant, un homme hyper qualifié,
08:26bien entendu, un intérimaire de l'humour,
08:28un vacataire du rire, Marc-Antoine Lebray.

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