Dans son édito du 03/02/2025, Paul Sugy revient sur la nouvelle pièce de théâtre d'Eric Dupond-Moretti.
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00:00Oui et Romain, c'est vrai qu'on vit cette époque curieuse où jamais la nécessité
00:03d'écrire soi-même ses propres mémoires n'apparut si urgente et l'exercice en particulier
00:07des fonctions politiques suprêmes semble brûler ceux qui en sont démis d'en raconter
00:11immédiatement chaque détail.
00:12On fait la plupart du temps des livres, c'est ce qu'ont fait par exemple Elisabeth Borne
00:16ou Jean-Michel Blanquer, bon on va pas se mentir c'est rarement des succès de librairie
00:19mais enfin Éric Dupond-Moretti lui a voulu faire cela sur les planches au théâtre
00:23de Marigny et parce que comme avocat, après tout, il est d'abord un homme de théâtre
00:27et finalement pourquoi pas ?
00:28Ceux qui ont vu son premier seul en scène, celui dans lequel il racontait les coulisses
00:32du métier d'avocat, m'en avait dit le plus grand bien, je suis donc allé pousser
00:35par la curiosité, écouter pour sa première L'Ancien Garde des Sceaux me raconter les
00:39coulisses du métier de ministre.
00:41Et le théâtre, à vrai dire, était d'abord dans la salle, forcément, la première d'Éric
00:46Dupond-Moretti, une partie du gouvernement s'est pressée pour assister à la représentation,
00:49on y avait aussi tout ce que Paris compte d'officiels, de journalistes et je ne vous
00:53parle même pas des collaborateurs de cabinet ministériel qui remplissaient à eux seuls
00:56presque toute la salle.
00:58Elisabeth Borne a été très bonne publique, Marc-Olivier Fogel s'est levé pour une
01:02standing ovation, il faut dire qu'Éric Dupond-Moretti a dit du mal de Sinus pendant
01:05pratiquement toute la représentation, vous pensez bien, ça a dû lui plaire.
01:09Mais sur scène, c'était moins du théâtre, c'était surtout un long et pénible exercice
01:14de justification politique qui n'avait pas, hélas, l'éloquence ou l'inspiration
01:18qu'on connaissait jadis à Éric Dupond-Moretti.
01:21Définitivement, Éric Dupond-Moretti n'est plus un homme de théâtre, c'est bel et
01:24bien devenu un homme politique.
01:25Le but de cette pièce de théâtre, c'était surtout de régler ses comptes.
01:29Oui, évidemment, avec ses adversaires politiques, bien sûr, avec quelques ministres
01:32aussi. Jean-Michel Blanquer en prend pour son grade, Gérald Darmanin un peu aussi,
01:36qui lui sert un peu de miroir repoussant.
01:39C'est-à-dire que Gérald Darmanin est le professionnel de la politique qu'Éric Dupond-Moretti
01:42justement se défend d'être devenu.
01:44Puis les magistrats, bien sûr, qui lui ont fait la vie dure, c'est vrai, en tant que
01:47ministre, en prennent pour leur grade.
01:49François Mollins notamment, elles ont ri qu'il siffle.
01:51Quant aux journalistes, je ne vous en parle même pas, je n'étais pas venu pour rien.
01:55Il y a quand même quelques scènes assez fortes et il faut lui rendre justice et qui
01:58nous font penser qu'on n'est pas venu tout à fait pour rien, comme cette scène où
02:02Éric Dupond-Moretti raconte, par exemple, la perquisition qui a eu lieu dans ses
02:05bureaux, c'est-à-dire à la chancellerie Place Vendôme, par des magistrats entourés
02:09d'une vingtaine de policiers qui se filmaient comme s'ils étaient en direct sur
02:13TikTok dans le bureau du ministre.
02:15Humiliation suprême au terme d'une procédure dont la possibilité même
02:19laissait songer. Et puis qu'ils finissent par faire ouvrir, c'est assez drôle, à la
02:23disqueuse, un coffre-fort dont Éric Dupond-Moretti avait égaré les clés et qui
02:26était vide.
02:29Pour le reste, la mise en scène était d'une pauvreté abyssale.
02:31Le comédien lisait son prompteur.
02:33Les phrases n'ont plus l'envol ou la force sentencieuse qu'on connaissait jadis
02:36Éric Dupond-Moretti. Et même les quelques plaisanteries sur le jargon de
02:40l'administration ou sur les anciens ministres qui s'assaient à l'arrière d'une
02:43voiture et qui se rendent compte qu'elle ne démarre pas toute seule sont un peu
02:46éculées. On a l'impression de les avoir entendues dix fois.
02:49Berthold Brecht dit qu'un théâtre où on ne rit pas, c'est un théâtre
02:53dont on doit rire. Et c'est vrai que l'ancien ministre était un peu risible.
02:57C'était simplement une occasion de faire le bilan de sa politique, en réalité.
03:01Oui, avec un souci presque d'exhaustivité au moment de raconter sur scène
03:05toutes les réformes qu'il a conduites en tant que ministre.
03:08On se croirait presque à un discours politique, alors qu'au début de la pièce,
03:12justement, Éric Dupond-Moretti écarte le pupitre pour nous dire ce soir, on
03:15parlera pas de politique. C'est raté.
03:17Quelques réflexions aussi, alors parfois un peu philosophiques, sur la
03:20dévalorisation de la vie politique.
03:22C'est de la faute de tout le monde, de nous, les journalistes, bien sûr, des
03:25juges, des autres politiques, etc.
03:27Et jamais de la sienne. Pourtant, en montant ainsi pour faire le comédien sur
03:32les planches d'un théâtre, on se demande si Éric Dupond-Moretti ne participe pas
03:35lui aussi à cette dévaluation de la vie politique qu'il pourfend pourtant dans
03:39sa pièce.
03:40Bref, vous ne conseillez pas d'aller voir la pièce,
03:44sauf si on est fan d'Éric Dupond-Moretti.
03:46Si on est fan, évidemment, les fans ne seront pas déçus.
03:49Si on aime un petit peu se faire raconter la vie politique, cette espèce de
03:52frisson de l'entre-soi parisien où on est entre nous et on se dit tout,
03:57alors qu'en réalité, on ne dit pas grand chose.
03:59Éric Dupond-Moretti dit du bien des puissants et dit du mal de ses ennemis.
04:02C'était un petit peu attendu.
04:03En vous écoutant, j'étais en train de me dire une fois qu'il a rempli la salle
04:06avec les journalistes, les ministres, les copains, ça va être compliqué de la
04:10remplir avec des vrais spectateurs.
04:13La salle était néanmoins pleine, on ne sait pas si d'autres ministres à sa
04:15place l'auraient remplie de la sorte.