Des éducateurs de la prévention spécialisée ont prévu de manifester ce jeudi à Lille pour dénoncer les économies budgétaires annoncées par le Département du Nord. Lionel Emery, directeur général de l’association Formation, Culture, Prévention, répond aux questions d'ici Nord.
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00:00Bonjour Lionel Emery, vous êtes le directeur général d'une association, l'association
00:04Formation Culture Prévention, FCP, vous employez dans la métropole lilloise à la fois des
00:08éducateurs de rue et des éducateurs qui interviennent en collège, quels sont les
00:12rôles de ces éducateurs ?
00:13Alors le travail d'un éducateur spécialisé c'est vraiment un travail de prévention,
00:19donc généraliste, donc la spécificité c'est qu'ils interviennent sans mandat, c'est-à-dire
00:25qu'il n'y a pas une décision d'un juge ou une mesure éducative, c'est une démarche
00:32volontariste, c'est-à-dire l'idée c'est vraiment d'aller au contact des jeunes là
00:35où ils se trouvent, donc ça peut être dans les quartiers comme ça peut être dans les
00:37collèges, dans des centres sportifs, voilà c'est donc connaître un réseau ou le réseau
00:44où potentiellement les jeunes vivent.
00:46Des jeunes qui ont entre 11 et 25 ans, comment vous décidez justement les jeunes auprès
00:53desquels vous allez intervenir ? Parce que vous avez conscience qu'ils ont des difficultés
00:56au préalable ?
00:57Alors le choix c'est à la fois un choix politique, c'est-à-dire c'est une commande
01:03publique du département qui a demandé depuis quelques années à travailler vraiment en
01:07prévention précoce, on va dire donc cibler les collégiens, les fins d'école primaire
01:13et débuts de collège, puisque c'est là où beaucoup de choses se jouent et plus on
01:17intervient tôt, plus on évite du décrochage scolaire, des situations dangereuses pour
01:25les jeunes.
01:26Et puis après c'est aussi les jeunes qui nous sollicitent, c'est-à-dire que ça va
01:30dans les deux sens, l'éducateur va au contact des jeunes, il est identifié sur les quartiers,
01:35dans les collèges, et après l'idée c'est aussi que les jeunes viennent nous solliciter
01:39quand il y a un problème, quand ils ont une question, quand ça ne va pas bien dans la
01:41famille, quand ça ne va pas bien au niveau de l'école.
01:43Vous avez cité le décrochage scolaire, il y a également des difficultés économiques,
01:46parfois de délinquance, combien d'enfants est-ce que vous accompagnez, combien de jeunes,
01:50puisqu'il y a également des majeurs, combien de jeunes vous accompagnez à l'échelle
01:53de la métropole ?
01:54Alors, le FFP sur l'ensemble des services accompagne plus de 1500 jeunes et adultes,
02:00sur la partie prévention spécialisée pure, on est à peu près aux alentours de 600 jeunes
02:03par an.
02:04Si je vous pose cette question, c'est qu'il y a des économies budgétaires qui se préparent,
02:08on en parlait, 3 millions d'euros à l'échelle du département, qu'est-ce que cela aura comme
02:12conséquence sur votre association si ces coupes sont validées, des suppressions de
02:17postes, forcément des missions que vous ne pourrez pas remplir ?
02:19Alors, c'est très simple pour le FFP, puisque les baisses envisagées pour notre association
02:25se montent à 550 000 euros, ça correspond à 11 postes d'éducateurs, plus des postes
02:32administratifs, des postes d'encadrement, fonctions de support bien sûr, mais 11 postes
02:36d'éducateurs, c'est exactement le nombre d'éducateurs dans les quartiers que le FFP a.
02:42Parce que vous avez 6 postes d'éducateurs en collège et 11 postes d'éducateurs entre
02:46guillemets de rue qui font contact des jeunes dans les quartiers, c'est-à-dire que cette
02:48mission-là disparaîtrait ?
02:49Il n'y aura plus que les éducateurs en collège, ce qui constitue une perte de sens puisque
02:55l'idée aussi c'est que ces éducateurs qui sont en milieu scolaire travaillent avec leurs
02:59collègues qui eux sont dans la rue, dans les quartiers, pour pouvoir justement faire
03:03le lien entre le monde scolaire et le quotidien de ces jeunes, leur famille, et donc là on
03:09va perdre une grande partie du travail.
03:11Ici Nord 7h47, nous sommes en direct avec Lionel Emery, directeur général de l'association
03:16Formation Culture Prévention.
03:17Lionel Emery, est-ce que vous diriez qu'on sacrifie aujourd'hui ces postes d'éducateurs
03:22de rue ? Je donne la position de Christian Poiret, président du conseil départemental
03:26qui a redit hier, il était auditionné à l'Assemblée Nationale par une commission
03:30d'enquête, pour lui c'est l'État le responsable, l'État qui n'accorde pas suffisamment de
03:33moyens au département pour gérer l'aide sociale à l'enfance dans son ensemble, la
03:37prévention spécialisée est une branche de l'ASE, pour vous le responsable, c'est une
03:42volonté du conseil départemental ou c'est l'État qui n'accorde pas suffisamment de
03:45moyens aujourd'hui ?
03:46Je dirais que c'est un peu tout le monde, la difficulté c'est que la prévention spécialisée
03:52est une dépense obligatoire, mais c'est une dépense pour laquelle il n'y a pas d'obligation
03:57de financement, c'est un peu subtil, c'est-à-dire que la prévention spécialisée c'est dans
04:02l'aide sociale à l'enfance, mais à la différence par exemple du RSA ou de l'APA, le département
04:08n'est pas obligé de financer à hauteur de ce que ça coûte, il est libre des moyens
04:11qu'il doit mettre à disposition.
04:12Donc de ce fait, quand on doit faire des réductions budgétaires, c'est une variable d'ajustement
04:17assez facile, mais on va dire c'est ce qui se passe au niveau de la culture, c'est ce
04:22qui se passe au niveau des financements autour du sport, c'est-à-dire que quand c'est pas
04:26obligatoire, c'est là où on fait les économies.
04:28Quel est le risque pour ces jeunes que vous accompagnez aujourd'hui, des éducateurs encore
04:33une fois, je le dis entre guillemets de rugue, les jeunes auprès desquels vous allez dans
04:37les quartiers, puisque vous intervenez à l'échelle de la métropole, plusieurs villes,
04:42Marc-en-Barreul, le quartier de Bois-Blanc-à-Lille, Lambert-Sarres, Watigny, ces jeunes aujourd'hui
04:47qui n'ont plus d'éducateurs, ça veut dire quoi pour eux ? Ça veut dire un suivi qui
04:49était assuré ces dernières années qui n'existera plus ?
04:52Alors, premièrement, on est bien en prévention.
04:58Le discours du président, c'est de dire « moi j'ai des jeunes à placer, il y a des mesures
05:03qui ont été prises, je n'ai pas les moyens de trouver des places d'hébergement pour
05:06ces jeunes ».
05:07C'est une autre problématique de l'aide sociale à l'enfance placée des enfants.
05:09Qui est mise en avant, et qu'on peut comprendre, le Nord est fortement touché, il y a une
05:15pénurie de financements de places, et il a besoin de les financer, mais notre boulot
05:20c'est d'éviter qu'il y ait des jeunes qui soient placés.
05:22Le travail de prévention, c'est d'être en amont, et le risque, c'est, si on va vraiment
05:28à l'extrême, c'est de dire « ces jeunes qu'on ne va pas accompagner, qu'on ne va
05:33pas rencontrer au moment où les situations sont en train de devenir difficiles, ça va
05:40s'enquister, ça va peut-être se détériorer, et au bout du bout c'est peut-être des jeunes
05:44pour lesquels il va devoir avoir des mesures qui coûtent beaucoup plus cher que ce que
05:47coûte un éducateur.
05:48Un éducateur spécialisé, par jeune, par jour, c'est à peu près 7 euros.
05:52Une place de jeunes placée, en institution, ça va aussi entre 300 euros à 600 euros
05:57par jour.
05:58Donc le ratio nous interroge.
06:00Oui, la prévention c'est quelque chose qui est difficile des fois à comprendre, parce
06:06qu'on ne voit pas trop ce que font ces éducateurs dans la rue, qui se baladent, qui vont contacter
06:10des jeunes, ça a l'air très très cool, mais je rappelle que ce sont des professionnels
06:13diplômés et que ça ne se fait pas comme ça.
06:16Le aller vert, et d'ailleurs on vient souvent nous solliciter, parce qu'on a justement
06:19cette expertise de la capacité à pouvoir rentrer en contact avec des publics, mais
06:27taper sur la prévention spécialisée, c'est prendre le risque que des situations se détériorent
06:31quelques années après.
06:32Le président du conseil départemental, Christian Poiret, a proposé que les communes compensent
06:37les 3 millions d'euros d'économie budgétaire.
06:39Vous y croyez ? Vous pensez que ça va marcher ?
06:41Alors déjà, je n'y crois pas trop, parce que les communes sur lesquelles nous intervenons,
06:46même s'ils reconnaissent les qualités du travail que l'on mène, ont eux-mêmes beaucoup
06:49de mal à boucler leur budget et se disent, nous on ne voit pas trop comment on va pouvoir
06:53vous financer, et surtout à hauteur de ce que demande le département.
06:55Et deuxièmement, ça nous pose un problème éthique, c'est qu'en tant que travailleurs
07:01sociaux, encadrés dans le cadre de l'action sociale et des familles, donc on est bien
07:05dans l'aide sociale à l'enfance, ce qui n'est pas une compétence des villes, et
07:11on a beaucoup de craintes que les villes nous demandent plutôt d'intervenir en termes
07:14de prévention de la tranquillité publique, ou prévention de la délinquance, voilà,
07:19c'est quand même des tendances naturelles, par exemple d'un maire qui voit sur sa commune
07:23des jeunes qui sont en train de faire des conneries, et nous demander de dire, ces jeunes-là
07:27vous les connaissez, qui c'est, ils habitent tous et qui est leur famille ? Jusqu'à présent
07:31on est protégé, comme tout travailleur social, on a un secret professionnel, une confidentialité,
07:39est-ce que ça sera encore le cas si on est financé directement par une commune ? Et
07:44les communes, les élus, ça bouge, ça peut être très confortable à un moment avec
07:49un élu qui échangeait ensuite aux prochaines élections, et puis voilà, on a une autre
07:53élection, un autre élu passe, et ça peut être pas la même chose.
07:57C'est pour défendre ce point de vue en tout cas qu'une manifestation est organisée à
08:00partir de 14h cet après-midi à Lille, au départ de la place de la République, merci
08:04beaucoup Lionel Emery d'être venu nous expliquer votre travail aujourd'hui, directeur général
08:08de l'association formation culture prévention qui agit donc dans la métropole Lille-Oise.
08:12Bonne journée.
08:13Merci.