Il aurait pu rester accordeur de piano, mais il s'est lancé en politique, jusqu'à devenir député, une première pour un aveugle sous la 5ème République. José Beaurain siège au sein du groupe Rassemblement national à l'Assemblée.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Mon invité aurait pu rester accordeur de piano,
00:02mais il s'est lancé en politique
00:04jusqu'à devenir député,
00:05une première pour un aveugle sous la Vème République.
00:08Il siège au groupe Rassemblement National, à l'Assemblée.
00:12Musique intrigante
00:14...
00:24Bonjour, Joséborin.
00:26Bonjour, merci de votre invitation.
00:28Le 7 juin 2024, en plein débat sur la loi fin de vie,
00:31vous avez pris la parole dans l'hémicycle
00:33pour parler de vous, de votre histoire personnelle,
00:36plus précisément du moment où vous êtes passé
00:39du stade de malvoyant à celui d'aveugle.
00:42On va réécouter un extrait de votre prise de parole ce jour-là.
00:46Cet homme, en 2008, atteint d'une maladie,
00:50d'une pathologie, en fait, dégénérative,
00:52se retrouve privé de la vue en quelques jours,
00:56se retrouve plongé dans le noir
00:58de manière complète et définitive.
01:01Cette pathologie n'est pas mortelle, bien sûr,
01:04mais cette cécité violente
01:07le plonge dans une profonde dépression.
01:11En juin 2008, fin juin 2008,
01:14cet homme tente de mettre fin à ses jours.
01:18Dieu merci ne parvient pas.
01:20Je précise que l'aide à mourir prévue dans le cadre de cette loi
01:24ne se serait pas appliquée à votre cas,
01:26ce que vous avez dit vous-même
01:28lors de cette prise de parole dans l'hémicycle.
01:31Pourquoi avez-vous choisi de raconter votre histoire ce jour-là ?
01:34Parce qu'en fait,
01:37cette loi sur la fin de vie dont nous étions en train de parler
01:40en hémicycle, l'aide à mourir, la fin de vie de manière générale,
01:44pouvait, à mon avis, apporter,
01:48si elle a été votée,
01:50pouvait apporter, peut-être,
01:52ce qu'on peut aujourd'hui qualifier de dérive.
01:55Comme je l'ai précisé ce jour-là,
01:57comme je l'avais précisé, effectivement,
02:00qui sait quel sera l'état d'esprit
02:02ou, en tout cas, ce que pourrait devenir
02:05ce type de loi dans 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans, 30 ans.
02:09Et je tenais à mettre l'accent sur le fait
02:12qu'aujourd'hui, quand tout va bien dans votre vie,
02:15c'est le genre de choses auxquelles vous ne pensez pas.
02:18Quand vous êtes devenu aveugle en 2008,
02:20vous étiez accordeur de piano.
02:22Absolument.
02:23C'est votre handicap qui a guidé votre orientation professionnelle ?
02:27Alors, indirectement, oui,
02:30puisque j'ai été scolarisé au départ.
02:32J'ai toujours aimé le piano, j'ai toujours pratiqué le piano.
02:36Depuis tout petit, il était impossible pour moi
02:38de passer devant un clavier sans poser les mains dessus.
02:41Donc c'est tout naturellement, bien sûr,
02:44et sans aucune contrainte,
02:47que je me suis orienté vers un métier
02:49qui touchait à cet instrument,
02:51mais, effectivement, ma scolarité à Lille,
02:55en milieu spécialisé,
02:57donc dans une école spécialisée pour déficience visuelle,
03:00qui proposait ce type de formation à l'époque,
03:02forcément, m'a afflué mon choix professionnel.
03:07Donc, dans votre vie, pendant longtemps,
03:09il y a eu la musique, le piano.
03:11Et alors, au moment où vous êtes tombé dans cette dépression
03:14que vous avez décrite lors de cette prise de parole,
03:17c'est le sport qui vous a aidé à remonter la pente,
03:20et plus précisément, le culturisme.
03:22Pourquoi vous êtes-vous tourné vers ce sport-là, en particulier ?
03:26Je précise qu'on vous voit lors de compétitions de culturisme.
03:30Indiscutablement.
03:32Le sport...
03:34Le sport, tout d'abord, je le pratiquais déjà depuis toujours,
03:38depuis longtemps,
03:39et c'est vrai que lors de cette perte de vision,
03:43j'ai été dans une période de compétition
03:46où, effectivement, j'étais extrêmement présent à la salle de sport,
03:50où j'avais ce monde, en fait, du culturisme,
03:53un petit monde à part, où tout le monde se connaît,
03:56où tout le monde connaît les difficultés et la pratique de ce sport,
04:00les contraintes, que ce soit alimentaires, etc.,
04:03qui sont liées à la pratique de ce sport.
04:06Et c'est vrai que j'ai découvert, j'ai eu la chance de découvrir,
04:09à la perte de ma vue,
04:12une fraternité, une camaraderie
04:15qui m'a été vraiment plus qu'utile.
04:19Le bon venu.
04:21C'est ça, ce que ce sport vous a apporté,
04:25c'est la camaraderie ?
04:26Ou est-ce qu'il y avait l'idée aussi de se prouver à soi-même
04:30qu'on reste capable de faire des choses exceptionnelles ?
04:33Vous êtes allé assez loin dans les compétitions.
04:36Oui, et c'est vrai qu'effectivement,
04:38c'est un sport qui demande énormément de contraintes,
04:41en dehors de l'entraînement,
04:42il ne s'agit pas que de lever de la fonte.
04:44L'un des aspects les plus difficiles dans ce sport,
04:47c'est l'alimentation, la diététique.
04:50Et effectivement, j'ai trouvé, à travers le culturisme,
04:54une façon, un dépassement de soi-même,
04:57des challenges qu'on peut se fixer à soi-même
05:00qui apportent beaucoup.
05:02Vous avez été vice-champion de France ?
05:04Oui.
05:05Et vous continuez à pratiquer ?
05:08Malheureusement, non,
05:09parce que le culturisme et la politique,
05:12c'est difficilement compatible.
05:14Pour une histoire de temps.
05:16Et la politique, comment est-elle entrée dans votre vie ?
05:19La politique est entrée dans ma vie, en fait, en 2014.
05:23Je me suis tout d'abord intéressé à la politique locale,
05:28puisque j'habite une commune de 12 000 habitants,
05:31et dans cette commune, en fait, s'est montée une liste
05:34aux municipales, pour la première fois,
05:36Front National, en 2014,
05:38et j'ai intégré cette liste totalement par hasard.
05:41Votre choix s'est tout de suite porté sur le Rassemblement national ?
05:46Disons que j'avais des visions, déjà,
05:49une vision assez précise
05:52de ce que j'attendais, en fait, du monde politique,
05:55que ce soit en matière de sécurité, de pouvoir d'achat.
05:58C'est présenté comme une évidence
06:00le fait que le Rassemblement national,
06:02qui était encore le Front national à l'époque,
06:05était le parti qui semblait s'approcher le plus
06:08de ce que j'attendais du monde politique.
06:10Vous êtes devenu conseiller municipal de votre ville,
06:13Chauny, dans l'Aisne,
06:15et puis, en 2022, l'ERN vous a investi aux législatives.
06:18Est-ce que se lancer comme ça, dans une campagne législative,
06:22puis assumer un mandat de député en étant aveugle,
06:24est-ce que vous vous êtes posé la question, à ce moment-là ?
06:28Est-ce que vous avez hésité à y aller ?
06:30Je me suis posé la question bien avant,
06:32puisque le Rassemblement national m'avait déjà fait l'honneur
06:36de m'investir, déjà, pour une première municipale,
06:39en 2020,
06:40puis pour une élection départementale, en 2021,
06:43et, donc, à la suite, en 2022, pour des législatives.
06:47Pour vous, ça ne changeait rien ?
06:49Pour moi, ça ne changeait rien. Les gens autour de moi,
06:51par contre, se posaient beaucoup plus ce genre de questions
06:55que moi. Ca me semblait une évidence
06:57qu'un non-voyant n'avait pas particulièrement de frein
07:00à pratiquer, ou en tout cas, à exercer un mandat politique.
07:03Vous avez donc remporté cette élection.
07:05Comment est-ce qu'elle s'est déroulée,
07:07cette campagne ? Est-ce que votre cécité
07:10a compliqué les choses ?
07:11Personne ne savait que j'étais non-voyant.
07:14Vous avez fait une campagne comme n'importe quel candidat ?
07:17Vous avez tenu des meetings ?
07:18Des réunions publiques. Les gens qui me rencontraient
07:22dans les réunions publiques, eux, s'en sont aperçus.
07:24Les gens qui me connaissaient et qui étaient dans mon entourage,
07:28eux, bien sûr, le savaient, mais une circonscription, c'est grand,
07:32et dans les 100 000 ou 150 000 personnes
07:34que représente une circonscription,
07:36une grande partie des électeurs ne savaient pas,
07:39n'avaient pas connaissance de ma cécité.
07:41L'Assemblée nationale n'avait jamais accueilli
07:44de députés aveugles sous la Ve République.
07:46Comment s'est passé votre arrivée ?
07:48Quelles ont été les principales difficultés
07:50auxquelles vous avez été confronté ?
07:52Curieusement, je n'ai pas fait face à des difficultés.
07:55J'ai eu la chance, quand je suis arrivé en 2022,
07:58de rencontrer, d'avoir la bonne surprise,
08:00bien sûr, au niveau des espaces.
08:02Les espaces sont énormes pour un non-voyant.
08:05Il y a plusieurs bâtiments disséminés dans le quartier.
08:08Pour un non-voyant, c'est grand comme le monde.
08:12Effectivement, 100 000 m2 de bureau, c'est gigantesque,
08:16mais j'ai eu cette chance, cette bonne surprise,
08:20de découvrir et de rencontrer un personnel
08:22de l'Assemblée absolument charmant.
08:24Tout a été mis en oeuvre, en fait,
08:26pour m'aider, pour me faciliter la vie,
08:29et toutes les questions ont été posées dès le départ,
08:32de ce qui pouvait être fait, de ce qui pouvait être adapté,
08:35de choses particulières.
08:36Quand les députés prennent la parole dans l'hémicycle,
08:39ils s'appuient sur des notes, voire ils écrivent
08:42entièrement leur discours.
08:44Je regardais une question au gouvernement que vous avez posée.
08:47On vous voit, pendant la question, déchiffrer, en direct,
08:51votre propre prise de parole en braille.
08:53C'est compliqué, j'imagine ?
08:55C'est très compliqué, puisque le braille, en fait, se lit...
08:58Il se lit de telle manière
09:00qu'il se lit de deux mains.
09:02Moi, je ne lis que d'une main.
09:05Et c'est vrai que la position, par exemple, debout,
09:09ne facilite pas du tout la lecture et la pratique du braille.
09:12C'est vrai.
09:14Et aujourd'hui, j'ai réussi à lire, en fait,
09:17sur matériel, grâce à mon matériel informatique,
09:19de manière plus aisée, c'est vrai,
09:22et je lis et je relis maintes et maintes fois, en fait,
09:26mes notes, afin de les avoir déjà en tête,
09:29on va dire, à 80 %.
09:30Vous apprenez une grande partie de vos interventions
09:33avant de les faire.
09:35La question du bruit dans l'hémicycle
09:37est devenue un vrai sujet pour tous les députés,
09:40au point qu'on a fini par installer des capteurs de décibels
09:43dans l'hémicycle.
09:45J'imagine que ça doit être encore plus compliqué et pénible
09:48pour vous, quand c'est la cacophonie.
09:50Je ne vous cache pas que, effectivement,
09:53le brouhaha dans l'Assemblée nationale,
09:55c'est insupportable.
09:56On ne s'en rend pas compte quand on est spectateur,
09:59puisque les micros prennent éventuellement,
10:02essentiellement, la voix de celui qui parle,
10:04mais c'est vrai que, quand on est présent
10:07et quand on est plus de 200, 300, 400,
10:10quand on est très nombreux, honnêtement,
10:12les tumultes à l'Assemblée nationale
10:15sont effectivement très, très compliquées
10:18à supporter quand on est loin.
10:20Moi, ça me déstabilise, en fait.
10:22Être dans le bruit, ça me déstabilise totalement.
10:25Dès votre élection, vous avez expliqué vouloir,
10:28je cite, ouvrir les yeux des gens sur le handicap.
10:30Qu'est-ce que vous entendez par là ?
10:33En fait, ce que j'entends par là,
10:35c'est que, quand j'ai été élu,
10:36vous me posiez la question de savoir
10:38s'il était possible pour un non-voyant
10:41d'exercer un mandat.
10:42Pour moi, ça me semblait une évidence.
10:44Il y a des non-voyants qui sont professeurs,
10:47des non-voyants qui sont avocats,
10:49des professeurs qui peuvent exercer quasiment toutes...
10:52Quasiment, je veux dire, toutes sortes de métiers,
10:55aujourd'hui.
10:56Simplement, j'ai eu des questionnements curieux
10:58des gens qui me posaient la question
11:00lors de ma première élection municipale.
11:03Comment pensez-vous être maire, puisque vous ne voyez pas ?
11:06Comment pensez-vous être conseiller départemental
11:09en étant aveugle ?
11:10J'ai envie de dire, la question me surprenait beaucoup.
11:13Ouvrir les yeux sur le handicap, c'est être la preuve par l'exemple
11:17que vous êtes quelqu'un comme tout le monde.
11:19C'est ça, l'idée ?
11:20Comme tout le monde, non, bien sûr que non,
11:23puisqu'il n'est pas question de nier l'handicap,
11:26ce qui sera toujours un handicap, quoi qu'il en soit.
11:28Mais, effectivement, le plus gros problème
11:31que peuvent rencontrer les personnes en situation de handicap,
11:34que ce soit non-voyant ou autre,
11:36je pense que le plus gros problème que peuvent rencontrer
11:39les gens en situation de handicap, c'est la méconnaissance.
11:43Votre collègue Sébastien Payetavy, quand il a été élu,
11:46je précise qu'il est en fauteuil roulant,
11:48il a expliqué qu'il ne voulait pas devenir
11:51le député spécialiste des questions de handicap.
11:54Vous, vous vous êtes beaucoup investi
11:56sur les questions de handicap.
11:58Vous comprenez sa réticence à lui ?
12:00Alors, je la comprends tout à fait.
12:02Moi, j'estime que j'ai cette spécificité
12:04et indiscutablement,
12:06quand je pense être le mieux placé,
12:09en toute humilité,
12:11je pense être le mieux placé au sein de cet hémicycle
12:14avec mes collègues pour parler de ce que ressentent réellement
12:17les gens en situation de handicap.
12:19On va conclure l'émission avec notre quiz habituel.
12:22Je vais vous proposer des phrases que vous allez devoir compléter.
12:25La salle de sport de l'Assemblée.
12:28Je n'ai malheureusement pas le temps d'y aller.
12:30Vous y êtes jamais allé ?
12:32J'y suis allé une fois.
12:33Elle est plutôt assez bien achalandée,
12:36mais malheureusement, le temps, voilà, le temps.
12:39Jouer dans les pianobars de Lille m'a appris à...
12:43Vous avez eu une...
12:44Oui, j'ai eu une... Voilà, j'ai eu aussi...
12:46Une carrière de pianiste, un peu.
12:48Une vie de pianiste, de pianobar.
12:50Ecoutez, ça a été une très belle période
12:53et cette période m'a permis de rencontrer énormément de gens.
12:57Enfin, j'aurais réussi mon mandat si...
13:00Si l'ensemble des gens n'aient plus la sensation
13:04qu'avoir un handicap est un frein à l'exercice d'un mandat.
13:07Ce sera le mot de la fin.
13:08Merci, José Borin.
13:09Merci à vous. Merci de votre accueil.