Alors que s'ouvre le procès de Mehdi Nemmouche, jugé pour avoir séquestré et torturé des journalistes français, cette question : comment défendre l'indéfendable ? Regardez Maître Emmanuelle Franck, avocate pénaliste, qui publie "Comment pouvez-vous les défendre ." aux éditions de l'Observatoire.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 17 février 2025.
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00:00RTL Matins, avec Amandine Bégaud et Thomas Otho.
00:05Il est 8h16, l'interview d'Amandine Bégaud.
00:07Peut-on défendre l'indéfendable, y compris ceux que l'on considère comme des monstres ?
00:11Vaste question qu'on s'est tous posé un jour ou l'autre.
00:13Alors pour en parler ce matin, vous avez choisi Amandine de recevoir l'avocate de Cédric Jubilar, Maître Emmanuel Franck,
00:18parce qu'elle publie ce livre dont le titre claque comme un réquisitoire,
00:22Comment pouvez-vous les défendre ? Bonjour et bienvenue à vous.
00:25Bonjour, bonjour maître et bienvenue.
00:27Ce livre est publié aux éditions de l'Observatoire.
00:29Il sort mercredi.
00:31Les monstres, écrivez-vous, n'existent pas.
00:33Les indéfendables non plus.
00:36Médine Emouch, l'auteur de l'attentat contre le musée juif de Bruxelles,
00:39qui est jugé à partir d'aujourd'hui à Paris pour avoir séquestré et torturé quatre journalistes français en Syrie.
00:44Vous auriez pu le défendre ?
00:45Oui, bien sûr, j'aurais pu le défendre parce que défendre un criminel, ça n'est jamais défendre le crime.
00:51Ce n'est jamais excuser le crime, c'est parfois l'expliquer.
00:54En tous les cas, ce n'est jamais le justifier.
00:56Et surtout, défendre le criminel, ce n'est jamais être contre les victimes.
01:01Tout le monde le reconnaîtra, et c'est la loi d'ailleurs.
01:04Effectivement, tout le monde a droit à un avocat.
01:06Tout le monde a droit à une défense.
01:08Quand vous dites, en revanche, les monstres n'existent pas, vous êtes vraiment sûr qu'ils n'existent pas.
01:12Médine Emouch, par exemple, ça n'est pas un monstre.
01:15L'homme que vous évoquez dans votre livre, qui a violé plusieurs femmes et mis l'une de ses victimes à la poubelle.
01:21Là aussi, ce n'est pas un monstre.
01:23Je crois qu'il faut partir d'un postulat.
01:24En tout cas, c'est le postulat qui est le mien, et je crois que c'est un postulat réel.
01:28Il faut partir du postulat que le crime n'existe pas dans le règne animal.
01:32Le crime est désespérément humain.
01:34Parce que le crime va être impulsé par des sentiments, par de la colère, par de la jalousie, par un parcours de vie.
01:42Et donc, à partir de là, il n'y a pas plus humain que le crime.
01:44Et prétendre le contraire, et prétendre que des criminels sont des monstres qui ne nous ressemblent pas,
01:50c'est méconnaître profondément l'origine du crime.
01:53Mais ça veut dire que chaque crime s'explique, d'après vous ?
01:55Chaque crime trouve une explication.
01:58Qui n'est encore une fois jamais une excuse, jamais une justification, mais chaque crime peut être expliqué.
02:03Et il est vrai que quand on dit que l'avocat plaide l'enfance difficile, l'enfance malheureuse de quelqu'un,
02:09c'est toujours un peu réducteur.
02:10Mais c'est aussi une façon de dire que c'est le parcours d'un individu qui va formater sa structure.
02:17Cette structure est en interaction ensuite avec le contexte.
02:21Mais vous comprenez, Maître, que ça puisse choquer tous ceux qui nous écoutent ce matin ?
02:26On a évoqué, et j'allais dire hélas, chaque semaine on a des choses horribles dont on parle ici.
02:33On évoquait la semaine dernière ici même, le meurtre d'Elias, 14 ans, tué pour un téléphone portable en plein Paris.
02:40On avait ses avocats en face de nous, la détresse immense des parents.
02:44Ce ne sont pas des monstres là non plus. C'est difficile à entendre ça.
02:47Je crois que c'est difficile à entendre parce qu'il y a un problème de positionnement.
02:52Quand je défends des criminels, je ne suis jamais contre les victimes.
02:56Quand je défends des criminels, je suis toujours respectueuse des victimes.
03:00Il n'est jamais question de venir vous expliquer que le crime est quelque chose de bien,
03:04que le crime est excusable, que le crime est justifiable.
03:08Il est question de défendre un homme et d'essayer d'expliquer.
03:11Et c'est très important dans une démocratie parce que figurez-vous que juger c'est comprendre.
03:16Si la justice n'était pas telle qu'elle est dans une société démocratique,
03:19on n'aurait pas besoin d'avoir des procès, on mettrait des peines automatiques.
03:24À tel fait particulier, il y aurait une peine automatique ou alors on déciderait de punir sur la place publique les individus.
03:31Donc dès lors qu'on est dans une société démocratique et c'est heureux,
03:34on doit partir du principe qu'un individu doit être défendu,
03:39c'est-à-dire qu'on doit essayer d'expliquer le crime.
03:41L'expliquer, encore une fois, ce n'est jamais l'excuser.
03:44Maître Franck, vous racontez dans ce livre que vous vouliez être psychiatre au départ.
03:47Est-ce que défendre un criminel, ce n'est pas un peu jouer les psychiatres justement ?
03:52Alors il y a un peu de cet aspect-là, mais je dirais qu'on n'a pas besoin d'être psychologue ou psychiatre
03:56pour s'intéresser aux choses humaines et à ce que l'on appelait avant les humanités.
04:00Alors si s'intéresser aux choses humaines et à la genèse du passage à l'acte, c'est être psychologue, pourquoi pas.
04:06Mais évidemment il y a un aspect qui est éminemment psychiatrique
04:10parce qu'on doit essayer à un moment donné de se mettre dans la tête de la personne que l'on défend
04:15et essayer de comprendre parfois malgré lui comment il a pu en arriver là.
04:19Quand je dis malgré lui, c'est-à-dire souvent le criminel n'a pas véritablement conscience
04:23des éléments, des enjeux qui ont pu l'amener à un passage à l'acte.
04:27Se mettre dans la tête d'un criminel, jamais vous ne vous êtes dit non mais là je ne peux pas, c'est trop ?
04:32Non, parce qu'en fait c'est d'essayer de comprendre quels sont les ressorts,
04:36quelle est l'histoire qui à un moment donné va conduire un homme à se comporter de façon inhumaine
04:42alors même qu'il est justement désespérément humain.
04:44Vous dites tous les hommes que je défends savent que telle ou telle chose est interdite,
04:49il faut juste comprendre le point de bascule.
04:52Vous êtes en charge d'un certain nombre de dossiers médiatisés, l'affaire Jubilar je le disais
04:57puisque vous êtes l'une des avocates de Cédric Jubilar qui,
04:59on le rappelle, sera jugée aux assises pour le meurtre de sa femme en septembre prochain.
05:04Ce sont des faits qu'il a toujours niés.
05:06Défendre un accusé, vous l'expliquez dans le livre, c'est parfois l'amener à expliquer son geste,
05:11à faire des aveux.
05:12Avec Cédric Jubilar, la question ne se pose pas.
05:14La question ne se pose pas dans la mesure où il est innocent.
05:17Donc à partir de là, c'est un homme qui clame son innocence.
05:20Et vous êtes convaincu, maître, de son innocence, vraiment ?
05:23J'en suis convaincu et si je n'en étais pas convaincu, de toute façon le dossier pénal permet
05:28d'asseoir cette conviction dans la mesure où depuis le début, nous le disons,
05:31il n'y a absolument rien dans ce dossier qui...
05:33Vous pourriez nous dire ça alors même qu'à vous, il vous dirait, j'imagine,
05:37je vous pose la question, il vous dirait, oui j'ai tué ma femme mais on ne va pas prendre cette défense-là.
05:42Ce serait possible que vous nous disiez, non, il n'a pas tué sa femme,
05:46alors qu'il vous aurait dit le contraire ou pas ?
05:49Ça, écoutez, ça rentre dans le secret professionnel, c'est très compliqué de répondre.
05:52Ce serait possible, en l'occurrence, ce n'est pas le cas.
05:55Il y a pourtant un certain nombre d'éléments qui la câblent dans ce dossier,
06:01on ne va pas reprendre.
06:03La dispute violente quelques heures avant la disparition, cette voiture qui change de place,
06:08le contexte aussi, Delphine Jubilard, visiblement, voulait le quitter, il ne le supportait pas.
06:13Ça ne suffit pas, ça ?
06:14Alors, simplement, si on reprend ces points-là, en réalité, vous évoquez des points
06:17qui sont éminemment contestables dans la mesure où il n'y a pas eu de dispute violente avant
06:21et où il n'est pas établi que le véhicule ait changé de sens.
06:23Le problème, la difficulté, c'est que c'est un dossier dans lequel la justice a fait ce qu'elle fait de pire,
06:28c'est-à-dire fabriquer un coupable, c'est-à-dire essayer d'agréger des éléments
06:32autour d'une conviction gendarmesque, je dirais,
06:35et donc on est dans les cas, malheureusement, où la justice n'apprend pas de ses erreurs passées.
06:40On a fabriqué un coupable avec Cédric Jubilard ?
06:42Tout à fait.
06:43Il faut rappeler pour nos auditeurs que dans cette affaire, il n'y a pas d'aveu, pas de corps,
06:47pas de scène de crime, pas de témoin, pas de scène de crime, donc c'est vrai que c'est un mystère.
06:50On a une conviction initiale des gendarmes qui, quelques heures après la disparition,
06:54vont acquérir la certitude que c'est forcément le mari.
06:56Nous sommes en plein procès d'aval à l'époque, on est à trois semaines de la fin du procès d'aval,
07:01et donc nous avons des gendarmes qui vont immédiatement se focaliser sur Cédric Jubilard,
07:05on le voit en procédure d'ailleurs, puisque ça va se traduire par un certain nombre d'actes particuliers.
07:10Il y a d'autres pistes qui ont été explorées.
07:11Mais vous alors, c'est quoi votre conviction à vous ?
07:13Moi, ma conviction, c'est que Delphine Jubilard, ce soir-là, comme une semaine auparavant, est sortie,
07:18puisqu'elle était habituée à vivre la nuit,
07:21dans la mesure où elle travaillait de nuit, et là, elle était en congé,
07:24ma conviction, c'est qu'elle est sortie et qu'il lui est arrivé quelque chose à l'extérieur de la maison.
07:28Malheureusement, comme les gendarmes n'ont pas cherché cette hypothèse-là,
07:31et très mal, en tout cas, ils se sont focalisés sur le mari,
07:34on est bien en peine d'avoir des éléments, un commencement de preuves en ce sens,
07:39mais c'est ma conviction profonde, en tout cas,
07:41tous les éléments qui ont été portés à notre connaissance concernant Cédric Jubilard
07:45ne tiennent pas la route, sont sujets à critique,
07:48et ce sont des éléments à charge qui parfois se contredisent même entre eux.
07:51Ce sont des éléments que vous plaiderez, bien sûr, au mois de septembre prochain,
07:54et on suivra bien sûr ce procès.
07:57Vous regrettez, vous l'évoquez dans le livre, la médiatisation de cette affaire,
08:00et d'autres, d'ailleurs, la médiatisation des faits divers, écrivez-vous,
08:03transforme de manière nette le fonctionnement de la justice et de mon métier.
08:08Ça veut dire quoi ? Que les médias ne devraient pas parler de certaines affaires ?
08:11Non, pas du tout. Moi, je respecte énormément, d'ailleurs, le droit à l'information,
08:15donc pas du tout.
08:16Simplement, il y a une façon de présenter des faits divers,
08:20et c'est vrai que très souvent, alors c'est le cas pour Cédric Jubilard,
08:23c'est le cas également dans des affaires, notamment, de MeToo,
08:26où on présente déjà, j'ai l'impression qu'il y a déjà un tribunal,
08:30vous avez parfois certains médias qui vont déjà présenter la personne comme étant coupable,
08:35à grand renfort, parfois, d'expertise sur les plateaux,
08:38vous avez des experts qui n'ont expertisé personne,
08:41et qui viennent vous faire le profil psychologique de la personne qui est accusée,
08:44et donc, nous, en termes de défense, on n'est pas sur ce temps-là,
08:48parce que le temps judiciaire est beaucoup plus long que le temps médiatique.
08:50Chacun, auditeur, téléspectateur, devient juré, en quelque sorte, juge,
08:55et ça, c'est dangereux pour notre démocratie ?
08:56Alors, moi, je trouve ça dangereux parce que, voyez-vous,
08:58si on reprend l'exemple de l'affaire Jubilard, qui sera jugée en septembre,
09:02nous avons des auditeurs et des lecteurs, depuis 4 ans, qui sont des futurs jurés.
09:07Et je ne sais pas ce qu'ils retiennent de cette affaire,
09:09ils ne devraient pas en retenir grand-chose, parce qu'en réalité,
09:12ils ne connaissent pas le dossier.
09:14Vous évoquiez tout à l'heure la dispute violente, quelques heures avant la disparition,
09:18en réalité, ça, c'est une erreur.
09:20Alors, je ne vous le reproche pas...
09:21Il y a des témoins, leur petit garçon, des gens autour, des voisins...
09:25Le petit garçon a été entendu 3 fois, et les 2 premières fois,
09:28il ne dit pas ça, et les voisins sont à 150 mètres, enfin, on peut en discuter.
09:32Mais, effectivement, le fait que, par exemple, vous évoquiez cet élément-là,
09:35qui, en réalité, s'avère éminemment discutable,
09:37démontre, s'il en était besoin, que beaucoup de choses se jouent avant le procès,
09:41et c'est ça qui est dérangeant.
09:43En tout cas, il va falloir qu'on remonte un peu, je dirais, la défense,
09:46pour qu'on arrive à un statut neutre avant le démarrage du procès.
09:50Vous pensez avoir l'argument, Massu, qui fera qu'il sera innocenté ?
09:54J'ai un ou deux arguments, Massu, effectivement.
09:57Merci beaucoup, Maître Emmanuel Franck, d'être venu nous voir ce matin.
10:01Comment pouvez-vous les défendre ?
10:02Votre livre sort mercredi, c'est publié aux éditions de l'Observatoire.
10:05On peut prolonger 30 secondes, si vous voulez, les 2 éléments Massu, allez-y.
10:08Sentez-vous à l'aise.
10:09Je les réserve.
10:10Merci beaucoup à vous, Maître Emmanuel Franck.
10:12Comment pouvez-vous les défendre, aux éditions de l'Observatoire ?
10:14Ramandine le disait, défendre un criminel, ce n'est jamais le justifié,
10:17jamais être contre les victimes, mais n'oublions pas que...