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Eric Dupont-Moretti s'était saisi du dossier, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin veulent le voir évolué : le statut de repenti est toujours aussi flou en France. "En l'état actuel des textes et au regard de mon expérience, il faudrait être fou pour collaborer", explique l'avocate Clarisse Serre. Avocate pénaliste, elle publie "L'avocate et le repenti" aux éditions Sonatine.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 27 janvier 2025.

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Transcription
00:00RTL Matin
00:03Avec Amandine Bégaud et Thomas Soto.
00:05Il est 8h17, le Sénat va examiner demain une proposition de loi visant à sortir la France du narcotrafic.
00:11Parmi les mesures phares, le renforcement du statut de repenti.
00:14Alors ce matin, Amandine, vous avez choisi d'inviter Clarisse Serre.
00:17Ça fait 30 ans qu'elle est avocate pénaliste et elle publie l'Avocate et le repenti aux éditions Sonatine.
00:22Bonjour et bienvenue à vous.
00:24Bonjour Clarisse Serre.
00:26Ce statut de repenti, on en parle régulièrement.
00:29Les Français en ont entendu parler, il existe en France, mais il est, dites-vous, totalement bancal
00:34et vous écrivez même en lettage de déconseil à quiconque de parler. Pourquoi ?
00:38Oui, parce que c'est un statut qui a été prévu très tardivement dans la loi française en 2004.
00:43Il a fallu attendre 10 ans pour qu'il y ait le décret d'application, donc vous l'avez compris, 2014.
00:47Celui que j'ai pu défendre est rentré dans le programme en 2018, donc juste 4 ans après.
00:52Et puis le constat que j'ai pu faire de cette expérience pendant 5 ans, c'est un échec total.
00:57Un dysfonctionnement, notamment policier, qui fait que je déconseille effectivement à toute personne
01:02qui souhaiterait parler, en l'état actuel, en tous les cas de la loi, de le faire.
01:06Parce que le statut aujourd'hui ne les protège pas suffisamment, dites-vous.
01:10Vous en avez fait l'expérience très concrète, justement, avec l'un de vos clients
01:13et c'est ce que vous racontez dans ce livre, qui est écrit, je le dis, comme un polar, sincèrement,
01:18mais on découvre toutes les coulisses, justement, de ce statut.
01:24Expliquez-nous, peut-être d'abord, sans dévoiler son identité, car vous ne la dévoilez pas dans le livre,
01:28qui est ce client ?
01:30J'ai envie de dire que c'est un peu Monsieur Tout-le-Monde, qui un jour a fait la rencontre
01:35d'une personne qui a déjà eu un maille à partir avec la justice, qui est sortie de prison.
01:40Ils vont lier une amitié très très forte, au point que celui que je vais défendre va rentrer dans l'intimité de cet homme,
01:45va recevoir beaucoup de confidences, va également participer à certains actes délictueux.
01:50Et puis un beau jour, en décembre 2017, on va venir les chercher en garde à vue,
01:54et cette petite précision, c'est que le principal a été averti par quelqu'un de la police,
01:59qu'on allait venir, ce qu'on appelle dans le jargon, les lever, et donc ils savent qu'ils vont être levés,
02:03et celui que je vais défendre va se retrouver en garde à vue en décembre 2017,
02:07et c'est là qu'il va devoir faire un choix pour lui. Est-ce qu'il décide de parler pour éviter la prison,
02:11ou est-ce qu'il se tait ?
02:13Il va décider de parler, il balance le parrain d'un gang criminel Corse,
02:18l'autre, comme vous l'appelez dans le livre, et comment ça se passe ?
02:23Il parle, et on s'aperçoit qu'il faut le protéger.
02:27C'est malheureusement plus compliqué que ça, parce que je pense que le système n'était pas en tous les cas,
02:32il ne l'est toujours pas actuellement adapté, il décide de parler,
02:35mais dans le cas d'une autre procédure pour celle à laquelle il est placé en garde à vue,
02:39là les choses doivent se faire très très vite, sa déposition normalement devrait être protégée de tous services,
02:45en tous les cas de tout contact avec l'extérieur.
02:47On va malheureusement se rendre compte qu'elle va être rappelée dans un article de presse.
02:52Donc son nom se retrouve dans la presse ?
02:54Son nom n'est pas mis, mais il y a suffisamment d'éléments pour l'identifier,
02:57ce qui fait qu'il est dans une espèce de sas, c'est-à-dire qu'entre le moment où il fait ses déclarations en décembre,
03:02et au moment où il va être exfiltré en mars 2018,
03:05son dossier est examiné pour savoir s'il peut rentrer dans ce programme de protection,
03:10et puis avec deux incidents qui vont se passer, notamment une diffusion dans la presse,
03:14les choses vont s'accélérer, il va être exfiltré pour rentrer dans ce programme de protection.
03:17Entrer dans ce programme de protection, ça veut dire qu'on lui donne une nouvelle identité, une légende comme on dit,
03:23même chose pour son épouse et pour ses enfants, et il bénéficie aussi d'une protection.
03:28Oui, alors en fait c'est encore une fois plus compliqué que ça,
03:30parce qu'il rentre dans ce programme de protection,
03:32qui est un programme régi par les services de police qu'on appelle le SIAT,
03:36et ça relève de l'autorité administrative,
03:39et puis parallèlement à ça, pour qu'il ait une identité d'emprunt,
03:42il faut saisir le président du tribunal judiciaire,
03:45puisque ça relève de l'état des personnes et c'est lui qui a la compétence,
03:48le président va effectivement décider, au vu du dossier, de lui octroyer un nom d'emprunt.
03:52Il lui rend une ordonnance, mais ce n'est pas lui qui choisit le nom d'emprunt,
03:57c'est-à-dire que même dans le document judiciaire, le nom d'emprunt ne figure pas.
04:01Donc en fait on le voit, c'est déjà une machine hyper compliquée.
04:04La première préconisation que vous faites, ce serait de simplifier.
04:08Au-delà de ça, un jour, votre client va découvrir qu'on lui retire son nom.
04:13Comme ça, du jour au lendemain, parce qu'il devient ingérable.
04:15Alors il devient, semble-t-il, on ne le saura jamais,
04:18c'est-à-dire à l'heure où je prends la parole en 2025,
04:20je n'ai jamais eu les raisons officielles,
04:22j'ai des vagues éléments qui nous ont été communiquées,
04:24parce qu'en l'état actuel, quand on rentre dans le programme,
04:27on signe un contrat, la personne signe un contrat,
04:29elle n'en a pas de copie, elle n'est pas assistée d'un avocat,
04:33elle ne sait pas les tenants et aboutissants,
04:35et je pense que si le mien avait su tout ça,
04:37peut-être que les choses se seraient passées différemment.
04:39Et puis, un jour, par un article de presse et un autre relayé par un média,
04:44on va savoir que la commission a décidé de lui retirer son nom d'emprunt.
04:49Alors même qu'il est en danger.
04:51Alors même qu'il est en danger, et surtout, il décide de l'exclure du programme,
04:54et ils veulent décider de lui retirer son nom d'emprunt,
04:56et c'est là qu'il va y avoir une nouvelle étape dans ce qu'on a vécu tous les deux,
04:58c'est qu'il va y avoir une bataille judiciaire qui va rentrer,
05:01puisque, heureusement pour lui, l'identité d'emprunt est gérée par les juges judiciaires,
05:05et c'est eux qui vont décider si, oui ou non, il faut retirer ou pas ce nom d'emprunt.
05:09Avec, pardon, je précise, c'est la seule chose qui lui restait,
05:12puisque la protection qu'il avait, contrairement à ce qu'on peut penser,
05:15il n'avait pas H24, mais il l'avait pour certains nombres de déplacements,
05:18et là on lui dit, vous n'aurez plus aucune mesure de sécurité,
05:21vous n'aurez plus aucune protection,
05:23et en fait, la seule chose qui lui restait, c'était ce nom d'emprunt.
05:26Donc l'enjeu était vraiment phénoménal et primordial pour lui,
05:29et sa famille, et ses enfants, de garder ce nom d'emprunt.
05:32Cet homme, il a été mêlé à des affaires graves, très largement médiatisées,
05:35il a parlé beaucoup sur ces affaires, je cite juste deux affaires,
05:39le double assassinat à l'aéroport de Bastia en 2017,
05:41l'évasion de la prison de Réau, l'évasion spectaculaire de Redouane Faïd,
05:44il a donné plein d'éléments, et le jour où on lui enlève cette nouvelle identité,
05:51en fait, il peut se faire tuer à tout moment,
05:53vous vous racontez que vous le rencontrez toujours, il a un gilet pare-balles...
05:56Alors, on ne lui retire pas son identité d'emprunt, justement,
06:00on l'a exclu du programme, le service et la CNPR ont fait une démarche,
06:04ont entrepris des démarches judiciaires pour lui retirer son nom d'emprunt,
06:08et heureusement, après plusieurs décisions judiciaires,
06:11donc une décision unique, je tiens à le dire, et inédite de la Cour de cassation,
06:15eh bien, il a pu conserver cette identité d'emprunt,
06:17c'est la seule chose qui lui reste, c'est ce que j'appelle son bouclier,
06:20parce que sinon, il serait très facilement identifiable,
06:23je ne sais pas ce qui se serait passé, et je n'ose d'ailleurs l'imaginer.
06:26Autre dysfonctionnement lors du procès de l'évasion de la prison de Réau,
06:29il est parmi les accusés, mais caché derrière un paravent,
06:32pour que ni les accusés ni leur famille ne voient son visage, surtout pour le public,
06:36le problème, c'est qu'un jour, il apparaît sur les écrans géants qui diffusent le procès dans la salle.
06:40Ce jour-là, vous étiez dans la salle, vous avez eu très peur, vous avez bondi...
06:43Oui, j'étais dans la salle, et en fait, ce que je retiendrai de toute cette histoire,
06:47je retiendrai beaucoup de choses, mais c'est vraiment pour moi qui ai participé à des scénarios,
06:51eh bien, ce que j'aurais tenu, c'est que la réalité a dépassé la fiction,
06:55c'est-à-dire que je n'aurais jamais imaginé que quelque chose comme ça puisse se produire,
06:59je n'aurais jamais imaginé que quelqu'un qui décide de parler,
07:02on décide à la fois de l'exclure et on décide à la fois de lui retirer son nom,
07:06heureusement, on a gagné sur ce terrain-là,
07:08et je n'aurais jamais imaginé assister à un procès
07:12où au XXIe siècle, pour protéger quelqu'un, on lui met un paravent,
07:15et puis là encore, une fois de plus, un dysfonctionnement,
07:18je tiens à dire, il y a une enquête administrative, on n'a jamais eu le résultat,
07:22on ne sait toujours pas comment son visage est apparu sur l'écran,
07:25mais là encore, j'étais totalement saisie de ce qui s'est passé ce jour-là.
07:28La proposition de loi qui sera évoquée demain au Sénat,
07:32plaide pour une réforme de ce statut de repenti,
07:35c'est aussi ce que vous faites dans ce livre, en pointant du doigt tout ce qui ne va pas,
07:39est-ce que vous pensez vraiment que si un vrai statut de repenti existait aujourd'hui en France,
07:43ça permettrait de lutter contre le narcotrafic ?
07:45Je rappelle que vous connaissez parfaitement ces histoires,
07:47parce que vous avez été avocate dans plusieurs affaires de grand banditisme et de narcotrafic,
07:52enfin de trafic de drogue, en tout cas, ça serait efficace ou pas d'après vous ?
07:56Efficace, je pense que tout le monde le souhaite,
07:58mais les propositions qui sont faites aujourd'hui, à mon avis, sont beaucoup trop lourdes,
08:02et ne vont pas au bout du système, je pense qu'il faut vraiment révolutionner la pensée,
08:05de dire pourquoi les gens actuellement en prison ne parlent pas.
08:08Je vais vous donner un exemple très simple.
08:10Vous avez un jeune guetteur dans une cité du 93 qui est interpellé, placé en garde à vue,
08:15il va être envoyé en prison. Dans le cas où il est envoyé en prison,
08:18il va être envoyé en prison en Seine-Saint-Denis, à Villepinte.
08:21A Villepinte, on retrouve tous ceux du quartier.
08:23Il faut comprendre aussi pourquoi on ne parle pas, premièrement, pour les risques de représailles,
08:27et puis après, il y a ceux qui restent à l'extérieur, les familles qui restent à l'extérieur.
08:31Quand quelqu'un, même s'il ne balance pas et qu'il ne parle que pour lui de sa propre responsabilité,
08:36rien que ça, c'est souvent compris comme étant tu as balancé.
08:39Et donc je pense qu'au-delà, évidemment, il faut revoir ce statut du repenti,
08:43mais il faut aussi revoir la manière de penser, revoir pourquoi les gens,
08:47parfois, et c'est aussi ce que j'ai voulu écrire dans le livre,
08:50l'importance du secret professionnel, l'importance de se confier un avocat,
08:54l'importance que l'avocat puisse donner des conseils utiles.
08:57Tant qu'on ne s'attaquera pas à tout ça, on ne résoudra pas le problème.
08:59Non, parce que ça ne suffit pas en l'heure actuelle, il faut repenser tout ce qui se passe actuellement,
09:03et notamment la manière de penser à l'extérieur, la manière de protéger,
09:06et la manière d'avoir envie d'aider, de parler.
09:09Et puis même, on le voit, on le fait le constat tous les jours,
09:12j'en parlais encore avec mes confrères la semaine dernière,
09:14quand on voit des gens qui parlent dans les dossiers, même sans être repentis,
09:17la plupart du temps, la justice ne tient pas compte à la hauteur de ce qu'ils ont dit.
09:21L'avocate et le repenti s'est signé Clarisse Serres.
09:24Merci beaucoup d'être venue nous voir.
09:26Publié chez Sonatine, le livre est sorti la semaine dernière.

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