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À Calais, Brigitte Lips recharge les téléphones des exilés dans son garage. Dans ce premier épisode de notre nouveau format Légendes Locales, Brigitte, aka Mamie Charge, raconte son engagement de 20 ans auprès des migrants.

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Transcription
00:00Chaque matin, Brigitte ouvre la porte de son garage aux migrants pour qu'ils puissent
00:14y recharger leurs téléphones.
00:16Les gens disent tellement de choses des migrants parce qu'ils ne les connaissent pas.
00:23Chaque année, les gars viennent et maman aide.
00:26Cette femme est très agréable avec nous.
00:29Si c'était mes enfants qui demandaient un verre d'eau et qu'on leur refusait,
00:34ici je les regarde comme des humains.
00:36Je suis heureuse de me mettre au service de ces gens-là.
00:54Alors ici, on est dans le garage que mon mari a perdu depuis 15 ans.
00:59Ici, j'ai des bonnets.
01:01Dans les boîtes ici, il y a tout ce qui est produit d'hygiène.
01:05Les serviettes éponges sont propres, sont douces, sont lavées.
01:08Les gens m'ont apporté des vêtements.
01:10Je trouvais que c'était bien de les mettre sur des cintres.
01:13Donc quand ils arrivent, ils se servent de ce qu'ils ont besoin.
01:17Bonjour, ça va ?
01:19On m'appelle Mamie Charge parce que je charge les téléphones.
01:23Je suis en retraite, mais c'est comme si je travaillais encore.
01:26Il faut vraiment qu'à 8h du matin, la porte s'ouvre, jusque 9h.
01:32J'ouvre à nouveau de 11h30 à 12h15.
01:36Et le soir, j'ouvre de 5h à 6h.
01:38C'est du lundi au vendredi.
01:40Le samedi et le dimanche, c'est fermé.
01:43Pourquoi es-tu venu ici ?
01:44J'ai des chargements, des vêtements, des chaussures.
01:49Tous les jours, tu viens, Mamie t'aide.
01:52Dupeu lui laissait le matin, et elle le garde, même pendant plusieurs jours.
01:59Je sais pas comment elle fait.
02:02Elle se souvient de nous, elle a vraiment une bonne mémoire.
02:05Allez, on va mettre du pain au chocolat.
02:08Ma retraite actuelle, elle est de 930 euros.
02:11J'ai des plans pour avoir les choses moins chères.
02:14Les bouteilles d'eau, je les vends.
02:17A Auchan, ils les reprennent 2 centimes.
02:20Et je leur dis que quand le sac, il est plein, plein, plein,
02:24ça fait deux baguettes.
02:25Je connais mes prix par cœur.
02:35Alors comment c'est venu l'aide auprès des migrants ?
02:38Il y a une vingtaine d'années, des érythréens ont sonné.
02:41Ça devait être un dimanche, pour avoir de l'eau.
02:45Bon, je donnais un verre d'eau.
02:47Puis il y en a eu un deuxième, et un troisième,
02:50où j'ai dit, oh, oh, oh, pourquoi ici ?
02:52Pourquoi chez moi ?
02:54Et ils m'ont dit, tu es la seule à avoir dit oui,
02:57pour nous donner de l'eau, du robinet.
03:00Après, il y a eu certains qui avaient des petits Nokia.
03:04Mais au fil du temps, il y a eu de plus en plus de monde qui se sont présentés.
03:09On n'avait pas le droit de les faire rentrer chez nous.
03:12Donc c'est moi qui allais, au niveau de ma boîte aux lettres,
03:15récupérer ce qu'ils voulaient bien me confier, téléphone ou batterie.
03:20Camp de fortune, la jungle de Calais se transforme au fil des jours
03:24en véritable ville.
03:26Depuis sa création en avril, le camp ne cesse de s'agrandir,
03:30avec des constructions de plus en plus solides.
03:34Comme celle d'Alpha, cette maison, ce Mauritanien la construit lui-même.
03:38Plusieurs pièces, un jardin et même un poulailler.
03:43En 2016, le gouvernement a décidé de démanteler cette jungle.
03:48Il y a d'autres jungles qui se sont installées partout à Calais.
03:58Tout cet espace-là, pendant un moment, c'était des jungles.
04:02Tout a été démantelé, les arbres ont été coupés.
04:05Le maire de Calais a décidé de mettre des rochers tellement collés les uns aux autres
04:11qu'il est impossible de mettre une tente entre deux.
04:14Ce sont les premiers qui ont été mis.
04:17On voit déjà, ils commencent à verdir.
04:20Partout où on peut se cacher, se protéger du froid,
04:25il y a des grilles et des barbelés.
04:28Celui qui a vendu les grillages, il a fait une bonne affaire.
04:36Ça va ?
04:42Ça va ? Bonjour.
04:49Ils sont chassés, mais oui.
04:51Les CRS ne veulent pas qu'ils soient agglutinés, par exemple à 3-4.
04:56Il faut qu'ils marchent, qu'ils bougent.
04:59On ne veut pas les voir.
05:01Il y a eu des arrêtés où ils n'avaient pas le droit de prendre certaines rues.
05:04Mais c'est du n'importe quoi.
05:13Ils viennent à Calais pour la bonne raison, qu'ils veulent passer en Angleterre.
05:17Ils ne veulent pas rester en France.
05:20D'abord, on leur dit qu'on peut travailler sans papiers.
05:23Vous voulez aller en Angleterre ? Vous êtes fous aussi.
05:27Et vous ? Fous.
05:29Vous voulez aller en Angleterre ? Fous, fous.
05:32Mais ce n'est pas la même mer.
05:35En Méditerranée, c'est comme ça.
05:38Mais ici, c'est...
05:40Non, quand le temps est bon, les gens sont là.
05:43Oui, mais le temps n'est pas bon.
05:46Quand ?
05:48Quand ? Ce n'est pas aujourd'hui.
05:50Pour les passages, c'est très rare, mais alors très rare qu'ils me disent « c'est pour cette nuit ».
05:57Vendredi soir, on en a vu repartir avec des grands sacs poubelles.
06:01Et dedans, on voyait bien que c'était des gilets de sauvetage.
06:04Et avec mon mari, on se dit « mais ils sont fous ».
06:07L'eau est à 7, 8 degrés, peut-être même moins.
06:10Parce que pour entrer dans le bateau, ils doivent se mettre à l'eau jusque-là.
06:14Et après, c'est au moins 5 à 6 heures de traversée.
06:17Comment on peut tenir alors qu'il y a des températures négatives ?
06:22Cet hélicoptère est allé secourir une dizaine d'exilés.
06:25Tombés à la mer ce matin, au large d'Ardeleau.
06:28Il y a eu un naufrage en mer le 27 octobre.
06:32Ils ont retrouvé trois corps, trois personnes inanimées.
06:36Dans ce bateau, il y avait toute mon équipe éthiopienne.
06:39Et quand ils sont revenus le lendemain, ils m'ont dit « maman, il y en a au moins 10 qui sont morts ».
06:46Et alors, ils ont été vraiment traumatisés.
06:50Je me suis dit « ils ne vont plus reprendre le bateau ».
06:53« Bah si, si, si, si, ils ont repris le bateau ».
06:56Quand ils sont soit arrivés, soit sur le point d'arriver,
07:01qui sont dans le bateau des gardes-côtes, ils m'envoient un message.
07:05« Oui alors maman, je voulais juste vous rapertir que nous sommes sur le point d'entrer au Royaume-Uni.
07:11Parce que nous étions dans notre petit bateau et le grand bateau du Royaume-Uni est venu nous récupérer.
07:16Vu la façon dont vous m'avez traité, vous êtes la première personne à qui je peux quand même vous informer.
07:22Et puis ma maman, voilà. Donc vraiment, merci beaucoup. Merci pour tout. »
07:26Ça me fait chaud au cœur. En plus, quand il dit d'abord « il m'appelle maman »,
07:30alors que je ne le connaissais que depuis 2-3 mois.
07:43Quand je vais à la messe le dimanche et que j'entends l'évangile du jour,
07:46je me dis « waouh, mais ça je l'ai vécu cette semaine ».
07:50C'est l'Esprit Saint qui me pousse à agir.
07:55« T'es chrétienne toi ? » Je dis « oui ».
07:58« Pourquoi t'aides les musulmans ? Ton Dieu et mon Dieu, c'est le même Dieu. »
08:03Ils m'ont dit « oui ».
08:05Et il n'y a plus d'autre question.
08:07Quand on me demande, j'ai eu un tapis.
08:09Et la fois dernière, ils voulaient un carton pour faire la prière.
08:14J'ai déroulé le tapis. Waouh ! Le tapis de prière maintenant.
08:18Moi, ça me rend heureuse et je suis contente de leur avoir fait plaisir.
08:26Il y a des moments, j'irai à genoux à côté d'eux pour prier.
08:30Parce que ça me pousse.
08:32Parce que ce sont des humains et qu'ils ne sont pas regardés en tant qu'humains.
08:36Ici, je les regarde comme des humains, comme des gens comme moi.
08:40Parce que je reste persuadée qu'on est les justes d'aujourd'hui.
08:44Ceux qui regardent ce qui n'est pas regardable.

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