L'ancien ambassadeur de France en Russie, Pierre Lévy, était l'invité de BFMTV ce lundi 10 mars dans "Tout le monde veut savoir". Il s'est exprimé sur la guerre en Ukraine et la menace sécuritaire qu'elle implique pour les pays européens.
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00:00Et là encore, ça éclaire la question que pose Ulysse, votre connaissance fine de la Russie, et je voudrais là encore que vous expliquez à ceux qui nous regardent ce soir ce que veut dire être ambassadeur de France en Russie à Moscou dans un moment aussi aigu qu'au moment où la Russie envahit l'Ukraine.
00:16Qu'est-ce que vous avez vécu ? Est-ce que vous avez été harcelé par les autorités russes ? Il y a ce chiffre qui m'a frappé, vous avez été convoqué par les autorités entre 15 et 20 fois. Est-ce que vous vous êtes senti en danger ?
00:30J'ai éprouvé des sentiments très partagés en fait. D'abord c'est un très beau poste, c'était un honneur de servir la France à Moscou. Sentiments partagés parce que d'un côté c'est la guerre, une guerre inutile.
00:45Moi je pense qu'ils pouvaient atteindre certains de leurs objectifs sans en arriver là, une guerre qui se déroule pas exactement comme prévu par le Kremlin, des coopérations qui se sont arrêtées.
00:56C'est un pays que j'aime beaucoup, j'ai beaucoup d'amis russes. Donc d'un côté énorme tristesse devant ce gâchis et de l'autre côté une très grande satisfaction, je dois l'avouer même parfois du plaisir parce que je faisais mon métier dans des circonstances extrêmes.
01:14Paix ou guerre entre les nations, j'ai toujours considéré que quand on est diplomate la paix est mon métier. Alors tout ça est un immense échec de la diplomatie en général.
01:23Vous étiez en danger ou pas ? Quand on a vu ces images de ces convocations des autorités russes, 15 à 20 fois c'est quasiment une forme de harcèlement.
01:33Oui c'est une forme de harcèlement et dans la plupart des cas la convocation n'était pas justifiée, c'était une mise en scène avec la presse à l'arrivée, le communiqué déjà écrit.
01:46C'était extrêmement désagréable mais extrêmement désagréable parce qu'on n'avait pas de dialogue, pas de vrai dialogue sur la substance pour trouver des solutions et les offrir à nos autorités.
01:57Quand j'ai été harcelé et comme mes collaborateurs d'ailleurs, c'était pas le russe de base, la population, j'ai pas senti de mouvements d'hostilité mais tout ça a été organisé par les services.
02:09Les services secrets russes qui font des appels malveillants, on vous suivait dans la rue ?
02:15C'est même plus la peine de suivre quelqu'un dans la rue avec des systèmes de caméras et puis des portables mais j'avais des collaborateurs aussi qui étaient harcelés.
02:27C'est une ambiance très très lourde.
02:29Et qu'est-ce qui s'est-il passé le jour de l'invasion, en fait la nuit de l'invasion ? Comment vous l'avez appris et comment vous avez réagi avec votre équipe à Moscou ?
02:37Alors il se trouve que nous étions bien sûr, nous étions en alerte depuis longtemps et vous vous souvenez sans doute de la séquence d'une dizaine de jours précédents.
02:48Il y a eu des afflux de réfugiés qui ont quitté le Donbass. On avait le sentiment que tout ça était totalement mis en scène.
02:54Il y a eu le 22 février la reconnaissance des deux républiques et puis la veille une intervention de Peskov, le porte-parole du Kremlin, à 23 heures.
03:08Ça sentait très mauvais, moi je l'avais dit à mes troupes.
03:12Et puis il se trouve tout simplement que je dormais et un gendarme est arrivé dans ma chambre, m'a secoué, il m'a dit, Elisabeth Behrens qui était ma conseillère de presse et de communication,
03:26qui suivait ça de très près comme toute l'équipe, réduite parce que nous avions eu beaucoup d'expulsions, vous savez ce qu'on appelle les PNG, j'avais perdu plus de 40 personnes.
03:35Et à ce moment-là, j'ai embrayé, j'ai regardé les chaînes d'information françaises et russes.
03:43Et puis je me suis branché sur ma machine, la messagerie, la messagerie cryptée et j'ai vu les messages de mon collègue à Kiev.
03:55Il nous disait, nous sommes bombardés. Après on a embrayé.
04:00Est-ce que vous pensez, monsieur l'ambassadeur, que Poutine n'a pas renoncé à contrôler l'Ukraine et à déloger Zelensky de son poste de président à Kiev ?
04:09Certainement pas, je suis absolument convaincu et c'était d'ailleurs le discours que me tenaient tous mes interlocuteurs russes.
04:15Les objectifs n'ont pas changé, les objectifs initiaux n'ont pas changé.
04:19Alors je leur demandais, mais concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ? Ah, les objectifs n'ont pas changé.
04:23Je pense qu'il a ce projet qui peut ensuite se traduire de différentes façons.
04:28Ça peut être un gouvernement fantoche à Kiev ou bien l'ultra-droite, des nationalistes, mais en tous les cas, l'Ukraine, pour lui, j'entre pas dans un débat historique,
04:42pour lui c'est une part de la Russie, c'est trop proche, c'est un pays, c'est inacceptable pour lui de lâcher prise.