Sébastien Lecornu, ministre des Armées, s'exprime sur la guerre en Ukraine lors d'une conférence de presse avec quatre de ses homologues européens.
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00— Bonsoir à toutes et à tous. Messieurs les ministres, heureux de vous accueillir ici, une nouvelle fois, à Paris.
00:08Je salue l'ensemble de la presse ici mobilisée pour cette conférence de presse, pour vous rendre compte des travaux
00:14de ce 3e sommet des ministres de la Défense, des 5 grandes puissances, des 5 plus grandes puissances militaires
00:22du continent européen. Réunion qui s'est tenue ici même, dans ce magnifique lieu du Val-de-Grâce à Paris,
00:30en présence des équipes de l'OTAN, du GIE. Et je tiens à saluer la présence du commissaire en charge de la Défense
00:36de la Commission européenne, cher Andrius, dans un moment, vous le savez, particulier, dans lequel, au fond,
00:45on pourrait se satisfaire de cette resynchronisation entre Washington et Kiev. Nouvelle venue d'Arabie saoudite
00:54hier au soir, sur lequel je sais que d'autres y reviendront ici, à mes côtés. Nos efforts ont pu payer pour essayer
01:03de resynchroniser la position des deux capitales qui font que, désormais, la balle est évidemment dans le camp de la Russie.
01:10Et c'est, au fond, la vraie négociation qui va débuter prochainement pour nous permettre d'avoir un cessez-le-feu et commencer
01:19à détailler, discuter les véritables paramètres de ce que pourrait être une paix durable. Tout cela nous a donc amenés,
01:29cet après-midi, à nous concentrer, au fond, sur deux chapitres. Le premier, c'est évidemment la question des garanties de sécurité
01:37que l'on peut donner à l'Ukraine. Nous sommes tous soucieux d'apprendre du passé et de l'histoire. On ne veut, au fond,
01:47ni à Yalta, c'est-à-dire une répartition de zones d'influence au cœur de l'Europe entre certaines grandes puissances,
01:55ni Budapest, c'est-à-dire des engagements à renoncer à la force et à l'impérialisme. On connaît la suite.
02:03Ni non plus Minsk-1 ou Minsk-2, c'est-à-dire des cessez-le-feu négociés sans garantie profonde de sécurité et que le moment
02:12que nous vivons depuis 3 ans nous amène inévitablement à nous poser les bonnes questions, puisque derrière l'Ukraine,
02:19c'est évidemment la question du continent européen dans son ensemble qui est posée. Et donc c'est de cela que nous avons traité
02:25cet après-midi en lien notamment avec une visio sécurisée avec Kiev. Nous avons rendu compte avec le secrétaire d'État à la défense
02:34de Sa Majesté John Healy, nos deux chefs d'État-major que je salue, l'amiral Haddakin, chef d'État-major des Forces armées de Grande-Bretagne,
02:42le général d'armée Thierry Burckhardt, chef d'État-major des armées françaises, de la première réunion hier qui s'est tenue avec l'ensemble
02:49des chefs d'État-major des pays volontaires pour réfléchir à ce que peuvent être ces garanties de sécurité. Et il y a évidemment un consensus
02:58très large qui se dessine, qui se concrétise dans ce sommet des ministres de la Défense. C'est que la première des garanties de sécurité
03:05pour l'Ukraine, c'est évidemment l'armée ukrainienne elle-même, c'est-à-dire ses capacités, son armement, son équipement, sa formation,
03:14son format. Et on le voit ici ou là dans la guerre informationnelle qui peut être menée par la Russie, le mot « démilitarisation » émerge.
03:23Il n'en est rien. Au contraire, la véritable garantie de sécurité dans la durée seront plutôt les capacités que nous allons pouvoir donner
03:30à l'armée ukrainienne, ce qui pose donc la question de l'aide à l'Ukraine dans l'immédiat, au moment où l'aide américaine, évidemment, reprend.
03:38C'est la question de la mobilisation des avoirs gelés russes. C'est la question d'accentuer un certain nombre d'efforts sur des segments critiques.
03:45Mais je crois que mes collègues y reviendront. Mais c'est aussi de se poser la question sur son format de demain avec différents piliers
03:53qui sont en train d'être discutés et sur lesquels nous allons pouvoir aller de l'avant. Pour apprendre du passé, nos chefs d'État-major
04:01ont aussi commencé à élaborer des hypothèses pour pouvoir, dans un temps court ou moyen, les proposer à leurs différents pouvoirs politiques,
04:11responsables politiques, pour réfléchir au fond à ce que pourrait être cette architecture de sécurité pour consacrer une paix et un cessez-le-feu,
04:20en tout cas, qui serait durable. Le secrétaire d'État à la Défense britannique y reviendra. Mais à ce stade, une quinzaine de pays se montrent intéressés
04:29pour poursuivre ce processus, y réfléchir. Il est complexe. Je l'ai dit à de nombreuses reprises devant la presse française. Il est trop caricaturé
04:37et simplifié à la seule question de la présence de troupes sur le sol ukrainien. Derrière, il y a d'autres sujets qui doivent être traités en urgence.
04:44On les a évoqués. La question de la mer Noire, la sécurité en mer Noire, la sécurité des centrales nucléaires présentes en Ukraine.
04:53Autant de sujets qui vont devoir faire l'objet d'un débat, d'une discussion militaire approfondie sous la aulette des deux chefs d'État-major britanniques et français,
05:03et sur lequel, ensuite, nous allons pouvoir commencer à réfléchir à la répartition des rôles de chacun. Mais vous le comprenez bien, l'objectif de tout cela,
05:10évidemment, c'est de permettre de s'inscrire dans des garanties de sécurité qui se font à moyen et long terme, mais qui s'appuient d'abord sur les capacités de défense de l'Ukraine.
05:20Nous aurons l'occasion, cher John Elie, d'ici 15 jours de réunir l'ensemble des ministres de la Défense, qui correspondent en miroir à la réunion des chefs d'État-major
05:33qui a eu lieu hier, pour élever évidemment les discussions au niveau politique, comme nous l'avons fait cet après-midi. Pourquoi 15 jours ?
05:41Puisqu'on le voit bien que si la Russie accepte le cessez-le-feu, ce qui n'est pas encore le cas, il faut nous poser la question sur ces 30 jours,
05:48de les utiliser évidemment convenablement pour paramétrer justement cette architecture de sécurité dans la durée.
05:54Ensuite, il a été question de notre propre réarmement. Au fond, ce qui n'est pas nouveau, c'est la menace russe. Ce qui l'est davantage, c'est le caractère imprévisible, peut-être,
06:05de l'allié américain. En tout cas, nous nous sommes accordés à dire, pour être le plus ancien des ministres de la Défense de cette tribune,
06:13que le pivot américain de l'Europe vers la Chine, lui, n'est pas une surprise pour vos interlocuteurs ici ce soir. Et que d'ailleurs, même l'administration démocrate
06:22avait commencé à éveiller les oreilles européennes à cette question, et donc de demander aux pays européens de davantage prendre à leur compte
06:32la sécurité du continent européen. Alors, on parle beaucoup d'argent dans les médias, mais nous nous sommes aussi assurés cet après-midi
06:42de ne pas parler que d'argent et de regarder au fond quelles étaient les quelques urgences pour notre autonomie et pour notre défense. Pour la France, en tout cas,
06:51quelques urgences sont à traiter. Ce sont des urgences sur lesquelles nous souhaitons les traiter avec les différents pays voisins, et en tout cas, à minima,
07:00avec ce format ici rassemblé. Le premier, c'est évidemment la défense solaire. C'est un des éléments importants du retour d'expérience, non seulement de la guerre en Ukraine,
07:09mais aussi de ce qui se passe au Proche et au Moyen-Orient. Cela vaut pour le haut du spectre jusqu'à la lutte anti-drone. Cela vaut pour les menaces étatiques
07:18comme pour les différentes menaces terroristes. Et donc on le voit bien là qu'on doit complètement repenser une partie de l'architecture de défense solaire
07:27du territoire européen. Des initiatives capacitaires sont sur la table. Elles sont parfois complexes, mais on le sait, elles sont trop longues.
07:34Et le rythme est beaucoup trop lent. Et donc là aussi, nous avons discuté de la manière dont nous pouvons accélérer les différentes initiatives.
07:42La deuxième, M. le commissaire Kubilus, elle vous concerne aussi. C'est évidemment la question du spatial, sur lequel le risque de voir l'Europe décrocher
07:50dans les temps à venir est un risque immense. Or, la question spatiale est un des éléments clés de l'identité même du projet européen depuis maintenant
07:59de nombreuses décennies. C'est l'ancien maire de Vernon qui le dit. En tout cas, on le voit bien, la dépendance à Starlink, la question des constellations
08:08qui sont déjà posées sur la table, comme Iris carré, mais qui sont au fond dans un délai qui peut apparaître comme étant trop lointain.
08:16Et donc là, les 5 ministres de la Défense, enfin les 4 ministres de la Défense de l'UE, mais avec le cousinage britannique, ont aussi fait cette expression
08:24de besoin d'avancer rapidement sur la question spatiale. Et c'est là, pour le coup, où la Commission européenne, dans le respect des traités,
08:32a une compétence évidente. Et puis enfin, des autres questions liées aux munitions, liées à ce qu'on appelle aussi à l'alerte avancée.
08:40L'alerte avancée, c'est la capacité souveraine pour les pays de constater un départ de missiles venus de Russie ou d'Iran, qui sont des sujets redoutables
08:51sur le terrain technologique, du reste aussi sur le terrain budgétaire, et sur lesquels la France fait des propositions, en lien notamment avec nos amis allemands,
09:00puisque la compréhension de cette menace dans la durée 5, 10, 20 ans, tant dans son approche satellitaire que dans son approche radar, est un des sujets sur lesquels nous devons avancer.
09:09Pour conclure et être le porte-parole fidèle de nos discussions, notre feuille de route doit aussi embarquer les questions industrielles.
09:18Guido Crozetto, le ministre italien, et le ministre polonais y sont revenus assez longuement, avec des initiatives nouvelles que nous souhaitons pousser
09:28et voir mis à l'ordre du jour de nos agendas européens. La question de la sous-traitance des industries de défense. Aujourd'hui, si notre économie de défense
09:38est parfois trop lente dans la production, c'est qu'on a des goulets d'étranglement avec les différents sous-traitants de la supply chain.
09:46On doit se poser la question d'avoir des plans de contingence croisés. Guido y reviendra. Une forme, au fond, de backup, de résilience.
09:54À cela s'ajoute évidemment un agenda de relocalisation. Malheureusement, ces 20 dernières années, période de dividende de la paix, ont vu un certain nombre
10:02de fonctions industrielles clés partir et quitter le continent européen. Et donc, évidemment, on a aussi un agenda de relocalisation qui, si on le prend isolément
10:12par pays, peut coûter très cher. Or, si on le fait à plusieurs, peut avoir quelques vertus de mutualisation dans le respect de la souveraineté de chacun.
10:20C'est un enjeu aussi pour les entreprises que nous possédons déjà en commun. Papa n'a pas cité Airbus. Nous sommes quelques-uns ici à partager l'entreprise
10:29qui produit des missiles qui s'appelle MBDA. Autant de sujets. En plus, la question se pose de l'accès à un certain nombre de matières rares,
10:38plus les questions d'interopérabilité, la multiplication du nombre d'équipements sur l'UE, en tout cas en Europe, qui ne rend pas forcément la coordination
10:47de nos armées si évidente. Pardon, mais c'est un des grands reculs depuis la fin de la guerre froide. C'est impensable dans les années 70 et dans les années 80
10:57de ne pas avoir des systèmes d'armes qui soient beaucoup plus compatibles entre eux. L'aide à l'Ukraine, malheureusement, a montré qu'on avait beaucoup perdu,
11:04de ce point de vue, en termes de culture. Et donc des choix sont à faire. On a commencé à les faire, sans oublier évidemment le chantier,
11:11M. le commissaire européen, de la simplification. Nous appelons de nos voeux que l'industrie de défense ne soit plus traitée comme une industrie
11:19comme les autres. La situation est particulièrement critique pour la sécurité des Européens. La menace russe est là. Des incertitudes pèsent évidemment
11:28dans notre modèle transatlantique, pour le dire de manière diplomatique. Et donc il est clair que la Commission européenne a son rôle à jouer
11:35comme élément de simplificateur. Je ne peux pas ne pas citer la directive CRSD sur laquelle nous sommes tous accordés à dire qu'elle devait trouver
11:43un champ d'application peut-être différencié pour les industries de défense. Je ne veux pas être plus long. Je laisse la parole à mes collègues.
11:50C'est un sommet assez unique. Le format est récent. Une première réunion à Berlin, une deuxième réunion à Varsovie. Cette troisième réunion a lieu à Paris.
11:59La prochaine a lieu en Italie, puis la suivante en Grande-Bretagne. C'est véritablement un format qui aura de l'avenir, parce que c'est un format qui respecte
12:08la souveraineté de chaque pays. Nous venons avec le mandat qui a été confié par nos dirigeants, par nos parlements, qui nous permet de bien nous coordonner
12:16et avec l'OTAN et avec l'Union européenne, qui nous permet au fond de dégager des marges de manœuvre très concrètes pour permettre d'accélérer
12:25nos efforts de réarmement pour notre protection et pour notre défense. Et donc nous serons amenés à nous revoir très bientôt.