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"Pourquoi on est plus ému par un dauphin échoué sur une plage que par la mort d'une sardine ?"
BRUT PHILO — Derrière cette question qui parait bête, on retrouve la notion de spécisme : la considération qu'il y aurait une hiérarchisation entre les espèces animales. Domination des humains par rapport aux animaux, préférence pour certains animaux par rapport à d'autres… Explication par Sarah Zanaz, dont les recherches se concentrent sur la question du spécisme.

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Animaux
Transcription
00:00Il y a deux formes de spécisme, le spécisme qui met les humains au-dessus et tous les autres animaux en bas
00:04et le spécisme qui fait des différences, par exemple, entre les dauphins et les truites, entre les pandas et les rats.
00:11Pourquoi on est plus ému par un dauphin échoué sur une plage que par la mort d'une sardine ?
00:17C'est une bonne question, il y a plusieurs critères qui rentrent en jeu dans cette question-là.
00:21D'abord, il y a l'apparence, je pense qu'on ne peut pas nier qu'on trouve les dauphins globalement plus beaux que les sardines.
00:27Il y a l'imaginaire collectif, le symbole auquel ça fait référence.
00:32Le dauphin, on a appris depuis tout petit que c'était des animaux très intelligents, notamment, et très amicaux avec les humains,
00:40ce qui n'est pas forcément le cas de la sardine.
00:44Et donc, l'apparence, le symbole qu'on s'en fait et l'intérêt aussi.
00:48Je pense que l'intérêt des humains a aussi une influence dans la manière dont on va considérer ces animaux.
00:56Ce que je veux dire par là, c'est que les sardines, on les mange, on en fait des boîtes de conserve,
01:02ça se vend très bien, ce n'est pas très cher.
01:04On aurait plus de mal à faire ça avec des dauphins, ils sont déjà moins nombreux,
01:08ils sont en plus protégés pour certaines espèces, sous-espèces des dauphins,
01:12parce qu'ils sont en voie d'extinction, etc.
01:14Les gens font des différences entre les dauphins individuellement et les sardines,
01:18mais c'est parce qu'on a été conditionné d'une certaine manière à faire ces différences-là entre ces animaux.
01:23– Est-ce que la philosophie s'intéresse à cette question qui a l'air a priori bateau,
01:28la différence entre les dauphins et les sardines ?
01:31Est-ce qu'il y a des philosophes qui se sont posées cette question ?
01:33– Les philosophes se sont posées à la question du spécisme.
01:35– C'est quoi le spécisme ?
01:37Le spécisme, pour le définir très simplement, c'est la discrimination arbitraire fondée sur l'espèce,
01:42sur l'appartenance d'espèce.
01:44Ce mot-là, il a été créé dans les années 1970 par un psychologue qui s'appelle Richard Ryder,
01:50puis il a été popularisé par un philosophe australien qui s'appelle Peter Singer en 1975
01:55avec un livre qui s'appelle La libération animale.
01:57Et en fait, le spécisme, il a été créé, c'est un néologisme créé pour faire une analogie
02:04avec d'autres phénomènes qu'on connaît beaucoup mieux, comme le racisme ou le sexisme.
02:09Donc le racisme, c'est faire une discrimination arbitraire fondée sur l'appartenance ethnique.
02:14Le sexisme, c'est faire une discrimination arbitraire fondée sur le genre ou le sexe.
02:19Et en revanche, le spécisme, c'est faire une discrimination arbitraire fondée sur l'espèce,
02:23l'appartenance d'espèce.
02:24En philosophie, on a souvent défini le terme comme étant un phénomène purement individuel,
02:29c'est-à-dire des individus, vous et moi, qui sommes spécistes, qui avons des biais spécistes.
02:34En étudiant ce problème, je me suis plutôt rendu compte que c'était peut-être plus intéressant
02:40de comprendre le spécisme comme un système qui dépasse les individus.
02:46Je pense que si on est spéciste aujourd'hui, pour la plupart d'entre nous,
02:52c'est parce qu'on vit dans un système qui nous permet d'être spéciste.
02:56Donc quand je dis système, je veux dire qu'il y a toute une économie
02:59qui est fondée sur la discrimination des autres animaux.
03:03Donc on fait beaucoup de business avec l'exploitation animale,
03:07notamment dans la manière dont on les élève pour les manger,
03:09mais il y a aussi l'expérimentation animale qui rapporte beaucoup d'argent.
03:12Il y a l'industrie textile, il y a le divertissement.
03:15Bref, il y a évidemment l'élevage, la pêche, etc.
03:19Donc c'est sûr qu'il y a toute une économie qui est fondée sur l'exploitation des animaux.
03:24Et évidemment, il y a aussi la culture, ce qui rentre dans ce tout un peu de système.
03:30On a été biberonnés depuis qu'on est tout petits, tous autant que nous sommes,
03:35par des idées reçues sur les animaux, par l'idée selon laquelle on en a besoin pour vivre,
03:40pour pouvoir, on a besoin de s'en nourrir, l'idée selon laquelle ils sont moins intelligents que nous,
03:46ils ne ressentent peut-être pas la même douleur que nous, ils ne la ressentent pas de la même manière.
03:51On a toute une histoire de la philosophie qui remonte à vraiment très longtemps.
03:56Et les philosophes, on se rend compte quand on les étudie sur la question animale,
04:00qu'ils ont plus souvent, quand ils se sont intéressés aux animaux,
04:03c'était plutôt pour mieux définir les humains,
04:06donc définir les animaux en fonction de ce qui leur manque par rapport aux humains.
04:11Donc ça, ça veut dire par exemple Aristote qui disait que seuls les humains sont rationnels,
04:16ou Kant qui disait que seuls les humains ont une autonomie.
04:19Donc toute cette histoire de la philosophie, elle a vraiment permis d'asseoir une espèce de domination des humains par rapport aux animaux,
04:27mais aussi d'asseoir une certaine domination, en tout cas une certaine préférence,
04:31pour certains animaux par rapport à d'autres.
04:33De tout temps, c'est ce qui a dominé.
04:34Maintenant, il y a toujours eu des penseurs un petit peu qui ont résisté à ça.
04:38Je pense notamment à Pythagore, qu'on connaît pour le théorème de Pythagore,
04:42mais qui en fait était un fervent défenseur des animaux,
04:45puisqu'il considérait qu'on les faisait souffrir pour rien.
04:48Bon, il avait une théorie un petit peu bizarre sur le fait que quand on mourait,
04:51on ne savait pas en quoi on allait se réincarner,
04:54et que donc notre âme pouvait se retrouver dans le corps d'un animal
04:58qui donc pourrait être mené à souffrir,
05:02et ce serait en fait nous.
05:04Donc, c'est pour ça qu'il ne faut pas torturer les animaux,
05:06parce que ça pourrait être notre mère qui est décédée,
05:09notre père qui est décédé,
05:10qui pourrait se retrouver dans cet animal qu'on est en train de torturer.
05:13Donc, c'est une théorie un petit peu,
05:15bon, c'est très spirituel.
05:16– Il faut remettre dans l'époque, évidemment.
05:17– Il faut remettre dans l'époque, évidemment.
05:18– Dans quelle mesure l'anthropomorphisme joue dans notre conception de l'animal ?
05:22– Alors, pour définir très simplement,
05:25l'anthropomorphisme, c'est conférer des capacités proprement humaines
05:30à des animaux non humains.
05:33Donc, par exemple, quand on parle des reines, de la reine des abeilles,
05:39quand on explique que les abeilles ont une reine et un système un peu comme ça,
05:43on leur prête un système monarchique qui est proprement humain.
05:48A priori, les abeilles n'ont pas…
05:50Il y a peut-être une hiérarchie,
05:51mais appeler la reine des abeilles une reine,
05:54c'est lui prêter quelque chose de proprement humain,
05:56donc un système politique proprement humain.
05:58Tout ça, c'est probablement de l'anthropomorphisme.
06:00Mais je trouve qu'il n'est pas…
06:03En fait, à travers…
06:04Quand on s'est intéressé aux animaux et à leurs capacités,
06:07on a plutôt eu tendance à ne pas leur prêter des capacités conjugées humaines
06:12plutôt qu'à leur conférer des capacités humaines qu'ils n'avaient pas.
06:15On leur a plutôt retiré des capacités qu'on a voulu nous juger
06:19comme étant proprement humaines, mais qu'ils ne le sont pas,
06:21qu'ils avaient aussi en tant qu'animaux, que l'inverse.
06:24Donc, par exemple, ça c'est ce qu'un éthologue qui s'appelle Franz Deval
06:29appelle l'anthropo déni,
06:31pour faire le contraste avec l'anthropomorphisme.
06:34C'est justement cette tendance qu'on a eue à travers l'histoire des sciences
06:36et à travers l'histoire de la philosophie
06:37à nier certaines capacités aux animaux,
06:41dont la capacité à ressentir des émotions et des sensations.
06:44– Mais est-ce que vous niez, vous,
06:46que l'être humain est plus intelligent que tous les animaux ?
06:49– Non, pas du tout.
06:50Je ne nie pas que l'être humain est plus intelligent.
06:53Je pense qu'en moyenne, un être humain est plus intelligent
06:55qu'un animal autre qu'humain.
06:58Par contre, ce que je pense, c'est que cette supériorité d'intelligence
07:03ne justifie pas qu'on les traite moins bien qu'on traite les humains.
07:08Quand on parle de spécisme,
07:09on n'est pas nécessairement en train de dire qu'il est injuste.
07:12C'est un concept, on peut dire que c'est un concept neutre.
07:15Je ne dirais pas qu'il est par définition injuste.
07:18Par contre, il faut ouvrir un débat à ce sujet-là
07:22et se poser la question collectivement.
07:25Le spécisme existe, je pense qu'on peut difficilement le nier,
07:28parce qu'on le voit, comme je disais,
07:29l'expérimentation animale, l'élevage,
07:32le fait de faire des différences entre différents animaux sauvages
07:37ou même domestiques, l'industrie textile, etc.
07:41Toute l'exploitation qu'on fait des animaux,
07:42le spécisme existe, ce serait difficile de le nier.
07:45Maintenant, est-ce qu'il est moral ?
07:47Est-ce qu'il est moralement acceptable ?
07:49Ou est-ce qu'au contraire, il faudrait le condamner, le critiquer ?
07:52Donc ça, c'est tout un travail qui est propre aux philosophes
07:55et qui est en train d'être mené de manière très intéressante
07:59depuis quelques décennies.

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