• l’année dernière
Nicolas Quénel, journaliste d'investigation, publie un condensé de quatre ans d'enquêtes, dans lequel il dévoile les coulisses de la machine à propagande russe. Faux-médias, petits soldats de la désinformation et parcours d'espion, il nous raconte les méthodes brutes du Kremlin.

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00:00 jeune fille n'était pas une jeune fille comme les autres puisqu'il se trouve que
00:02 c'était une espionne russe.
00:03 Je suis journaliste indépendant et j'ai travaillé pendant 4 ans sur la guerre de
00:10 l'ombre entre la Russie et la France et le résultat de cette enquête, c'est un livre
00:14 qui paraît le 8 novembre qui s'appelle "Allô Paris, ici Moscou".
00:17 Dans ce livre, j'ai découvert plein de choses.
00:19 Généralement, quand on parle de la guerre de l'information entre Paris et Moscou ou
00:23 la guerre de l'information ou les opérations d'influence avec la Russie, on parle toujours
00:27 des fermatrolles.
00:28 Moi, j'ai enquêté sur tout ce qu'il y avait autour des fermatrolles et c'est un
00:32 résultat que l'on n'imagine même pas quand on commence à enquêter.
00:35 J'ai découvert qu'il y avait non seulement des fermatrolles évidemment, mais c'est aussi
00:39 le recrutement d'agents d'influence, c'est aussi l'utilisation d'idiots utiles, c'est
00:43 la création de faux et à la fin, j'ai aussi trouvé, en enquêtant sur une opération
00:47 d'influence, une vraie espionne russe en France.
00:49 C'est à partir du Covid que le sujet a commencé à rentrer dans le débat public.
00:53 Depuis, ça ne s'est pas arrêté et surtout depuis le début de la guerre en Ukraine où
00:56 là, aujourd'hui, c'est devenu difficile de passer une journée sans entendre parler
01:00 justement de cette guerre de l'information qu'il y a entre la Russie et la France notamment.
01:03 La guerre de l'information, c'est une guerre cachée qui fait des millions de victimes
01:07 à travers le monde alors qu'il n'y a pas un seul coup de feu qui est tiré.
01:09 Pourtant, vous, moi, vos parents, vos enfants sont tous victimes à un moment de cette guerre
01:14 de l'information.
01:15 Pendant le Covid, j'ai assisté à des Russes, à des entreprises russes qui approchaient
01:24 des Youtubers très connus en France, qui ont des millions d'abonnés et qui leur ont
01:27 proposé des sommes d'argent qui sont absolument délirantes.
01:30 On parle de plusieurs dizaines de milliers d'euros pour leur demander de faire de la
01:32 désinformation, notamment sur les vaccins de Pfizer, pour leur dire que le vaccin de
01:35 Pfizer était extrêmement dangereux et qu'il valait y préférer le vaccin russe qui, lui,
01:40 n'était pas autorisé en Europe.
01:41 Ce même Youtuber a été approché un an plus tard par une autre entreprise russe qui
01:44 lui a proposé le même deal, mais cette fois pour faire de la désinformation sur le début
01:48 de la guerre en Ukraine.
01:49 Sur les influenceurs, il y a une difficulté en plus pour Youtube typiquement, puisqu'on
01:52 parle des Youtubers, c'est l'impossibilité pour Youtube et aussi pour les plateformes
01:56 de vérifier, d'être dans la vie privée, dans les accords commerciaux qui sont conclus
02:00 entre, typiquement, des entreprises ou des Etats et les Youtubers.
02:03 Donc là, pour le coup, Youtube n'a aucun levier d'action.
02:06 Il ne peut pas savoir que telle vidéo ou telle vidéo a fait l'objet d'une rémunération
02:11 si ce n'est pas indiqué.
02:12 On a énormément de chance aujourd'hui, ces opérations qui visent des Youtubers n'ont
02:15 pas abouti, mais par contre, si elles avaient abouti, là, ça aurait été des millions
02:20 de personnes qui auraient pu être touchées directement par la propagande russe.
02:23 Et c'est un très bon calcul pour eux.
02:24 Au-delà des Youtubers, j'ai aussi travaillé sur des constellations, des milliers de faux
02:33 sites internet qui sont faits par des Russes et qui se présentent comme étant des sites
02:37 d'information absolument indépendants, mais qui sont évidemment tous sauf indépendants
02:40 et qui sont juste là pour diffuser le narratif de Moscou.
02:44 C'est des milliers de sites que tu as à travers le web qui sont généralement republiés
02:48 sur les réseaux sociaux, qui sont diffusés sur les réseaux sociaux et qui ont pour but
02:52 de désinformer les gens sur x ou y sujet.
02:54 Il y a notamment un site qui a été identifié comme faisant partie d'une opération du renseignement
02:59 militaire russe qui avait essayé de faire croire aux gens que le Covid était dû à
03:03 un exercice de l'OTAN et aux Américains et que c'était les Américains qui venaient
03:06 infecter les Français à travers des soldats qui étaient déployés à travers l'Europe.
03:10 Non, et les Russes avaient créé une fausse entreprise avec des faux profils, des faux
03:13 employés sur les réseaux sociaux.
03:14 Le problème, c'est qu'ils sont généralement toujours un petit peu négligents parce que,
03:18 heureusement, ou heureusement d'ailleurs pour nous, ils payent très mal les gens qui
03:21 mènent ces opérations et ils avaient créé des faux comptes sur LinkedIn avec des gens
03:24 qui prétendaient être britanniques mais qui avaient mis toutes leurs compétences sur
03:28 LinkedIn en cyrillique, en alphabet cyrillique.
03:30 Du coup, c'était quand même assez bizarre de voir un Anglais pur souche mettre ses compétences
03:33 en cyrillique.
03:34 La manœuvre devenait un petit peu évidente.
03:36 Derrière cette fausse entreprise, il y avait une vraie entreprise russe cette fois et j'ai
03:40 enquêté justement sur ses employés.
03:42 Et ce qui est très intéressant, c'est de voir que ses employés, ils sont comme vous
03:45 et moi, ils ont les mêmes passions, ils ont les mêmes réseaux sociaux que nous, ils
03:49 publient les mêmes photos.
03:51 Tout ce que vous voulez, c'est une jeunesse qui est extrêmement occidentalisée quelque
03:54 part pour des Russes, qui partage toutes les valeurs de l'Occident en privé mais dont
03:59 le métier est de désinformer justement les mêmes sociétés qui les font rêver et qui
04:03 les inspirent sur les réseaux sociaux.
04:04 Et c'est ça qui était assez intéressant, c'est qu'au final, pour eux, la vérité,
04:08 c'est un commerce comme un autre.
04:09 J'ai travaillé aussi sur une autre opération qui était plutôt intéressante.
04:16 Pour le coup, on a infiltré une chaîne de propagande russe sur Telegram où on s'est
04:21 fait passer pour des volontaires avec un collègue qui s'appelle Romain Mielkarek.
04:23 Pendant plusieurs mois, on est devenus nous-mêmes des vrais petits propagandistes au service
04:27 de la Sainte-Mère-Russie.
04:28 Non, et ça a été l'entretien d'embauche le plus simple de ma vie vu qu'avec Google
04:32 Trad, j'ai réussi à faire croire que je parlais russe.
04:34 Donc en fait, c'est bien parce qu'ils ne sont pas très regardants sur les personnes
04:37 qu'ils embauchent manifestement.
04:38 Il y avait une vraie organisation, ils embauchaient des Français qui avaient tous un profil un
04:42 petit peu complotiste, des profils assez similaires généralement.
04:46 Et ils nous faisaient produire de la propagande russe, traduire de la propagande russe pour
04:51 la diffuser sur Telegram et ils essayaient de s'exporter sur les autres réseaux sociaux.
04:54 Et parfois, ils sont allés assez loin.
04:57 Ils assumaient tout à fait la confrontation, le fait qu'on était dans une vraie guerre
05:01 de l'information parce qu'ils nous envoyaient des consignes de sécurité typiquement pour
05:04 s'assurer qu'on ne soit pas identifiables.
05:06 Manque de bol, nous, on était déjà dans le canal, donc trop tard.
05:09 Mais ils nous envoyaient des consignes qui étaient absolument hallucinantes.
05:12 Pour éviter de se faire repérer par les services de renseignement et la police française,
05:15 ils proposaient d'aller payer des SDF en France, de leur offrir une bouteille de vin
05:19 pour aller acheter des cartes SIM dans un bar de tabac, ce qui est complètement ridicule
05:22 et ce qui n'aurait évidemment de toute façon jamais marché.
05:25 Mais typiquement, c'est le genre de choses qu'ils proposaient et ils assumaient directement
05:28 cette confrontation avec Afrance.
05:30 C'est vraiment des volontaires, personne n'était payé et c'est des gens tout à
05:33 fait normaux, c'est-à-dire c'est vraiment votre voisin de palier, c'est vraiment votre
05:36 mère parfois.
05:37 Il y a un cas qui est assez terrible dont on parle, d'une dame qui était obligée
05:40 de se cacher dans sa cuisine pour pas que ses filles la voient en train de faire de
05:43 la propagande russe, c'est-à-dire que les réunions de famille doivent être un peu
05:46 compliquées quand même.
05:47 Mais voilà, c'est autant de gens sur lesquels ils arrivent à mettre le grappin et à utiliser,
05:52 à se servir de ces idiots utiles pour diffuser de la propagande russe en France.
05:56 L'Afrique, c'est un autre terrain de bataille pour le coup, pour les Russes.
06:02 On est vraiment dans la confrontation des puissances dans le domaine informationnel
06:07 en Afrique et ça s'est beaucoup fait sur les réseaux sociaux et avec des coups bas
06:10 où vraiment, enfin concrètement, tous les coups étaient permis.
06:13 Tous les coups sont permis dans cette guerre de l'information entre la Russie et la
06:16 France.
06:17 Là pour le coup, j'ai été confronté assez directement aux opérations d'influence
06:20 de la galaxie d'Evgeny Prigojine qui est la personne qui était derrière les mercenaires
06:24 de Wagner.
06:25 En Afrique, dans plusieurs territoires, je pense notamment à la Centrafrique, là pour
06:28 le coup, les Russes payaient directement des médias, payaient des journalistes, créaient
06:32 des faux médias parfois, faisaient des caricatures pour caricaturer l'action de la France en
06:38 Afrique, notamment l'engagement militaire français Barkhane au Mali.
06:42 Et ça a été une guerre de l'information pour le coup qui a duré pendant des années
06:46 entre la Russie et la France.
06:47 Et fondamentalement, la France aussi est part active dans cette guerre de l'information
06:52 et j'en parle aussi dans Allo Paris, ici Moscou, qui a fait la France pour se défendre
06:56 mais aussi pour attaquer la Russie sur le terrain informationnel.
06:59 À un moment, j'ai travaillé sur une opération d'influence du FSB, qui est le service de
07:06 renseignement intérieur russe, à Moscou.
07:08 Et c'était une opération qui consistait à faire venir des chercheurs français, les
07:11 faire venir à Moscou pour leur proposer de passer quelques jours, un petit peu de
07:15 bon temps et faire quelques cycles de conférences.
07:17 Et en fait, il se trouve que j'en connaissais un dans le lot, une personne que je connaissais
07:20 bien.
07:21 Du coup, je prends contact avec lui et je lui dis "mais qu'est-ce que tu foutais avec
07:24 le FSB à Moscou ?"
07:25 Et il me raconte une histoire qui est tout à fait particulière, me disant qu'il a
07:28 été approché par quelqu'un qui s'est présenté comme un membre des services de
07:31 renseignement russe et qui voulait lui présenter sa petite amie, qui avait une grande chance,
07:36 c'est qu'elle avait été acceptée à Sciences Po l'année prochaine.
07:38 Et du coup, il voulait lui proposer d'aller lui présenter des chercheurs, des gens dans
07:42 le milieu de la défense, etc.
07:44 Sauf qu'en fait, évidemment, cette jeune fille n'était pas une jeune fille comme
07:46 les autres, puisqu'il se trouve que c'était une espionne russe.
07:49 Alors cette jeune femme, qui doit avoir 25 ans aujourd'hui, elle a un profil qui est
07:53 assez intéressant.
07:54 Déjà, elle a été acceptée à Sciences Po, ce qui n'est pas tout à fait normal
07:57 quand on connaît son nom de famille, parce que son nom de famille c'est Alexandra Fokina.
08:01 Sauf qu'on fait très vite la connexion avec quelqu'un d'autre, qui n'est jamais
08:04 que son père, qui est Yevgeny Fokin, qui est un ancien haut placé, entre guillemets,
08:10 du renseignement russe, et qui est au cœur du plus gros scandale de corruption au sein
08:14 du FBI qui secoue le FBI encore aujourd'hui, qui est le scandale McGonigal, où le chef
08:18 du contre-espionnage à New York a été, quelque part, corrompu par des russes.
08:24 Au cœur de cette opération, c'est le père de Alexandra.
08:27 C'est assez intéressant qu'elle ait été acceptée à Sciences Po, parce que normalement
08:30 il y aurait eu quand même des indices qui auraient pu nous faire dire que c'était
08:34 peut-être pas une bonne idée de l'accepter à Sciences Po, parce que son père n'est
08:37 jamais lui-même qu'un ancien du renseignement russe, et elle, elle s'est pointée à Sciences
08:41 Po en disant concrètement qu'elle travaillait sur le contre-terrorisme au Sahel, qui est
08:46 quand même un sujet pour les connaisseurs, on aurait eu des raisons de se méfier normalement
08:49 au regard de l'affrontement qu'il y a entre la Russie et la France, justement au
08:54 Sahel.
08:55 Non mais, et surtout ce qui est fou, c'est qu'après Sciences Po, elle a été recrutée
08:59 dans notamment une très grande boîte de sécurité privée française, et dans cette
09:04 boîte, tout le monde a été rassuré justement par la ligne Sciences Po dans son CV, qui
09:09 a permis d'endormir tous les recruteurs et tous ceux qui auraient dû enquêter,
09:13 justement sur son profil avant de l'accepter dans l'entreprise.
09:15 Selon l'entreprise, officiellement, ils s'en sont rendus compte très rapidement
09:19 après le recrutement, et justement ils l'ont un petit peu placardisé, c'est leur ligne
09:22 de défense, je ne suis pas sûr que ce soit forcément l'entière vérité.
09:26 Au bout d'un moment, quand on enquête sur ce genre de sujet, il faut être hyper précautionneux,
09:30 parce qu'on n'a pas envie de dire que quelqu'un est une espionne si ce n'en est pas une,
09:34 alors du coup moi j'ai essayé de confirmer ça comme j'ai pu, et puis la confirmation
09:38 est venue des Etats-Unis directement à travers une source, qui m'a confirmé le fait que
09:43 Alexandra Fokina faisait bien partie du SVR, c'est-à-dire le Service de renseignement
09:47 extérieur russe.
09:48 Alors aujourd'hui Alexandra n'est plus employée dans cette entreprise, étonnamment
09:51 ils se sont peut-être un petit peu rendu compte des choses, ce qui est étonnant c'est
09:54 qu'aujourd'hui elle est encore au Royaume-Uni, jusque-là elle n'a pas bougé.
09:57 Tout ça au final ça a rien de nouveau, déjà pendant la guerre froide, il y avait
10:04 des gens qui étaient recrutés pour devenir des agents d'influence, il y avait des IE
10:07 utiles sur lesquels on s'appuyait, il y avait des vrais espions évidemment qui venaient,
10:11 au final on avait beaucoup de culture dans tout ça, on savait comment gérer ces menaces-là
10:16 qui pèsent sur la France.
10:17 Le problème qu'on a c'est que la guerre froide s'est arrêtée, le 11 septembre
10:21 2001 est arrivé aux Etats-Unis, et la menace n'était plus le soviétique mais était
10:25 l'islamiste, était le djihadiste.
10:28 Donc le problème qu'on a eu c'est qu'on a perdu énormément de compétences qu'on
10:32 avait accumulées pendant la guerre froide, et aujourd'hui je pense qu'on est encore
10:35 dans une phase où les services de renseignement français, où la justice, où les autorités
10:39 françaises de manière générale, sont en train de se restructurer et de retrouver
10:43 les capacités qu'ils ont perdues à la fin de la guerre froide.
10:46 Et la France a toujours été quelque part un lieu privilégié pour les russes pour
10:50 mener des opérations d'influence, pour mener leur guerre de la formation.
10:53 Déjà à l'époque on était considéré, pendant la guerre froide, comme le ventre
10:56 mou de l'Europe, le ventre mou de l'OTAN, l'endroit où il fallait évidemment attaquer,
11:01 parce que la France était le maillon faible de la chaîne, et au final ça s'est pas
11:04 arrêté.
11:05 Et en mars et en novembre, on a appris qu'il y avait aujourd'hui en France quelques 4
11:09 000 espions et agents d'influence au service des puissances étrangères.
11:12 Pas que la Russie, on a la Turquie, les Américains, évidemment les Chinois, mais la Russie quand
11:18 même reste en tête pour tout ce qui est agents d'influence.
11:20 [Générique]

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