Philosophie par gros temps
« Proust apporte cette correction à Hegel : on trouve toujours plus « réaliste » que soi. Le lecteur moderne qu'évoque Hegel passera pour un réaliste résolu si on le compare, par exemple, à un moine bénédictin. Il pourra même s'exprimer en termes quasiment philosophiques : Je ne crois, dira-t-il, qu'aux choses positives, à ce qu'on peut toucher, à ce dont on peut faire quelque chose. Tout réaliste qu'il soit, ce lecteur fait pourtant figure d'idéaliste invétéré aux yeux d'un autre plus avancé encore dans le réalisme, qui attachera le plus grand indice de réalité à ce qui est effectivement présent et disponible à portée de main – le café au lait pour y tremper le croissant, le journal pour occuper l'esprit – et qui trouvera beaucoup moins pressente la réalité d'incidents lointains, actuellement invisibles et sans effet sensible sur ce qui se déroule ici et maintenant. Je ne crois, dirait une Mme Verdurin devenue soudain hégélienne après avoir suivi les premiers cours de Kojève, qu'à ce qui se montre réel pour moi, ici, maintenant : ce café, ce journal. » (Vincent Descombes, Philosophie par gros temps)
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😹
Amusant