• il y a 8 ans
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Vous revenez ce matin, à l’occasion de la mort d’Elie Wiesel, sur La nuit, le récit que l’écrivain a fait de sa déportation au camp d'Auschwitz, puis à Buchenwald, et dont il fut libéré le 11 avril 1945, à l'âge de 16 ans.

Oui, parce que, comme l’écrit Elie Wiesel en préface à la réédition de son livre, "si de ma vie je n'avais eu à écrire qu'un seul livre, ce serait celui-ci..." Et pour cause...

Et que retenez-vous d’un tel livre ?

Une scène, une horreur dont je ne veux penser que, sans résumer toutes les autres, elle les contient, d’une certaine manière...

Quelle scène ?

Le jeune Eliezer et son père viennent d’arriver à Buchenwald, ce qui n’est pas mal, après une année passée à Auschwitz. Seulement, c’est trop tard pour le père. Veule, craintif, misérable, "pareil à un enfant", le père est trop affaibli pour se réjouir de pouvoir s’allonger ou de prendre un bain chaud. Il bave du sang, il est dysentérique, et son visage a la couleur d’une feuille morte. En un mot, l’homme qui, jusque-là, protégeait son fils, devient à sa charge... Et l’enfant, qui redoutait plus que tout, jusque-là, de perdre son père, en vient à souhaiter sa mort. Quand il part à sa recherche, il espère ne pas le trouver. Bien que le jeune Eliezer soit hanté par l’image d’un fils qui, sous ses yeux, a battu son père à mort pour lui voler son morceau de pain, il ne peut pas s’empêcher d’espérer lui-même qu’un hasard le débarrassera de ce père livide et frissonnant, de ce fardeau qui gémit quand on le porte, et qui l’oblige, quotidiennement, à se dépouiller de son café ou de son pain.

Et que se passe-t-il, alors ? Son père meurt ?

Pire que ça. Son père disparaît. Son père est mangé par la nuit. Au matin du 29 janvier 1945 - alors que la veille son père avait été battu par deux prisonniers (un Français et un Polonais) qui lui reprochaient de n’avoir plus la force de déféquer ailleurs que dans son lit, et qu’il avait reçu, le soir-même, devant son fils, un coup de matraque parce qu’il réclamait de l’eau - le fils constate, au réveil, qu’à la place de son père gisait un autre malade. "On avait dû l’enlever avant l’aube, se dit l’enfant, pour le porter au crématoire. Il respirait peut-être encore... Il n’y eut pas de prière sur sa tombe. Pas de bougie allumée pour sa mémoire. Son dernier mot avait été mon nom. Eliezer... Un appel, et je n’avais pas répondu..."


Et pour avoir raconté ça, pour avoir raconté l’histoire d’un enfant si malheureux qu’il est soulagé de savoir que son père n’existe plus, pour avoir décrit un père qui s’estompe quand son propre fils voudrait qu’il disparaisse, pour avoir substitué à l’image, noble entre toutes, du guerrier qui fuit la ville avec son père sur ses épaules l’image si triste d’un enfant qui abandonne son père et ne pleure pas, pour être allé si loin dans la nuit, Elie Wiesel mérite d’être lu, relu et enseigné...

La morale de l’info ?

"Qui maudit son père et sa mère verra s’éteindre sa lampe au cœur des ténèbres." (un proverbe de la Bible)
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