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Augustin Trapenard accueille Sorj Chalandon, pour "L'Enragé", paru chez Grasset, un roman inspiré d’une histoire vraie, consacré à un centre d'éducation surveillé pour mineurs dans les années 1930. 
Il conte l’histoire incroyable et déchirante de l’évasion de 56 enfants d’une maison de redressement pour mineur de Belle-Île-en-Mer en août 1934. Tous seront ramenés dans leur prison par les habitants à qui les autorités ont promis une récompense de 20 francs pour chaque enfant attrapé. Tous sauf un, "la teigne" , dans la peau duquel se glisse Sorj Chalandon. Pour écrire cette histoire, l'auteur a lui même longé les murs de cette colonie pénitentiaire, une colonie dans laquelle on trouve encore les traces de ces enfants. Un récit saisissant qui nous plonge au coeur de la souffrance de ces orphelins, que les "braves gens" ne voulaient plus voir. Il se livre avec émotions sur cette douleur, cette colère qu’il ressent, lui qui aurait pu se retrouver aux côtés de ces enfants si son père avait mis ses menaces à exécution. 
Une histoire bouleversante qui nous montre aussi, que l'on peut s’en sortir grâce à la confiance d’un autre, et finalement, échapper à un destin qui semblait tracé.  

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Transcription
00:00 - Cette histoire, Soeur Chalandon, elle s'ouvre sur ce lieu qui est quand même incroyable,
00:03 cette maison de redressement pour enfants et adolescents de Bally-Lambert,
00:07 qui n'a fermé qu'en 1977.
00:09 Qu'est-ce qui l'incarne, ce lieu, pour vous ?
00:12 - La menace que mon père a fait peser sur moi toute mon enfance,
00:16 de 12 ans jusqu'à... parce que je me sauve, je me suis sauvé, jusqu'à 16 ans.
00:21 Et la menace était, si tu continues à renverser ton verre d'eau ou avoir une mauvaise note,
00:26 tu rends maison de correction en maison de redressement.
00:29 Donc moi, j'ai été élevé avec la maison de correction, la maison de redressement,
00:32 je ne sais pas exactement ce que c'est, mais j'ai été élevé comme ça,
00:35 c'est-à-dire élevé comme ça, ce qui veut dire que pendant la nuit,
00:38 il me faisait faire ma valise pour partir.
00:41 Et un jour, il a même fait mieux que ça, il m'a fait faire ma valise,
00:44 avec ma maman qui faisait ma valise, il m'a emmené, nous étions près de Lyon,
00:47 il m'a emmené autour de Lyon, dans la campagne, et là, il a vu un mur,
00:51 il roulait en voiture, dans la nuit totale, il voit un mur, il dit "tu descends",
00:55 il y avait une petite porte vermoulue, tu frappes et tu dis "Chalandon,
00:58 c'est pour la maison de redressement", et il part, je suis avec ma petite valise,
01:02 et je tape à cette porte qui n'était plus une porte, qui était évidemment,
01:05 c'était une ruine, et je dis "Chalandon, Chalandon, maison de redressement",
01:08 je vois les phares rouges qui partent, dizaines de minutes dans la nuit totale
01:12 pour un enfant de 12 ans, puis je vois les phares qui reviennent,
01:15 il dit "j'ai réfléchi, je te donne une deuxième chance".
01:18 Et ce jour-là, j'ai su que ce n'était pas vrai, parce que maman, ma mère,
01:22 avait fait la petite valise, et quand je lui ai dit "maman, tu oublies mon pyjama",
01:26 elle m'a dit "tu n'en auras pas besoin".
01:29 Dans mon enfance, ça a été le seul moment où elle a résisté à son bourreau,
01:35 nous étions tous les deux victimes de ce bourreau.
01:37 - Alors vous y êtes allé, vous avez longé les murs de cette colonie pénitentiaire
01:41 pour renforcer la vie d'un enfant. - Je l'ai mis dans les cellules.
01:42 - Qu'est-ce que vous avez ressenti ? Qu'est-ce qu'il y avait ?
01:45 - D'abord, ce qui est bouleversant pour moi, c'est que dès que j'étais sous cette menace
01:50 de colonie pénitentiaire, il disait "bisons de redressement", etc.,
01:54 la presse parlait de bagnes, des chars de cérémonie,
01:56 et le mot "bagne" était très très fort, des enfants qui travaillent gratuitement
01:59 sous les coups, sous la menace, sous le viol, et sous les auspices de la République française.
02:06 C'est un bagne, et moi je crois que je vais aller dans ce bagne-là.
02:10 Donc quand, pour la première fois, je vais voir ce que c'est,
02:14 alors évidemment c'est vide maintenant, mais dans les cellules, deux gamins de 77,
02:18 qui sont dans les mêmes cellules que leurs copains de 1880, les mêmes cellules,
02:23 c'est-à-dire qu'encore là, quand je suis allé au mois de juin à Béli,
02:27 le mur est toujours là, évidemment, les tessons de bouteilles pour empêcher
02:31 les garnements de passer le mur sont toujours là, évidemment,
02:34 et donc ce qui est bouleversant, c'est de penser que là-dedans,
02:37 des enfants ont souffert, des enfants sont morts, des enfants sont morts,
02:41 c'est-à-dire que c'est une colonie qui était divisée en deux,
02:43 colonie agricole, maritime.
02:44 - Et quels enfants, pour qu'on comprenne bien en fait ?
02:46 - Alors, quels enfants ?
02:47 - Qu'est-ce qu'il fallait faire pour se retrouver dans cette colonie ?
02:49 - Il fallait être, en fait, c'est une phrase que j'avais lue,
02:53 ces enfants qui n'ont jamais été confrontés à l'autre, au père, à la famille,
02:57 à quelqu'un qui aurait pu être le tuteur autour duquel l'enfant devient un petit-homme.
03:03 Ces enfants-là, en fait, c'était des petits orphelins,
03:07 des petits voleurs de poules, des petits voleurs de n'importe quoi,
03:10 c'est des vagabonds, vagabondage interdit, et il n'était pas question de les rééduquer,
03:15 il n'était pas question de les punir, ils n'avaient rien fait pour la plupart.
03:17 Il était question qu'on ne les voit plus,
03:19 que les braves gens soient dans des rues où ces enfants-là n'étaient plus là.
03:23 Il y avait plusieurs centres, Jean Genet était dans un centre pénitentiaire à Maitray,
03:28 d'autres enfants, partout il y avait des enfants qui étaient comme ça,
03:30 qui étaient mis au bord de la société, en fait, qui étaient cachés.
03:34 Ils ne s'étaient pas rééduqués, ils étaient cachés,
03:36 et qu'est-ce qui se passait à 21 ans, majorité de l'époque ?
03:38 Les gentils partaient mourir pour la France dans l'armée,
03:42 et les méchants partaient au bagne, l'antichambre du bagne,
03:45 Cayenne, Biribi, les Baddaf.
03:46 On entend, Serge Chabandon, votre colère, la dimension intime de cette écriture.
03:50 Oui, j'aurais pu.
03:52 C'est-à-dire que si mon père avait été au bout,
03:55 j'aurais pu me trouver dans l'un de ces centres,
03:58 et ces compagnons de douleur, ça se passe en 1934,
04:02 mais ce sont mes copains, ce sont mes potes.
04:05 Mais comment on apaise cette douleur-là, cette colère que vous avez en vous ?
04:07 On ne l'apaise pas, on la vit jusqu'au bout.

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