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Laurent Joly : historien et auteur du libre « dénoncer les juifs sous l’Occupation »

Philippe Le Guay : réalisateur du film documentaire « l’histoire d’Annette Zelman » sur France 2

Philippe Le Guay raconte la courte vie d’une étudiante juive sous l’Occupation, morte à Auschwitz après avoir été dénoncée par ses beaux-parents antisémites

En 1942, Annette Zelman a 20 ans. Elle croque la vie à pleines dents, étudie les beaux-arts, sort avec ses amis et tombe amoureuse de Jean, un écrivain en herbe. Elle est juive, lui non. Cet amour va la conduire à la mort. Les parents de Jean refusent qu’il l’épouse et la dénonce pour empêcher le mariage. Annette sera arrêtée puis déportée et ne reviendra jamais. Cette fiction est inspirée d’une histoire vraie, racontée par l’historien Laurent Joly dans son livre « Dénoncer les juifs sous l’Occupation ». Le réalisateur Philippe Le Guay a choisi Michèle Zelman, la sœur d’Annette âgée aujourd’hui de 94 ans, comme narratrice. Un hommage bouleversant. Laurent Joly et Philippe Le Guay sont les invités médias de Célyne Baÿt-Darcourt




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Transcription
00:00 Bonjour Céline Bidarco, vos invités médias sont à l'origine du téléfilm que diffuse
00:05 France 2 ce soir, à la veille de la journée internationale dédiée à la mémoire des
00:09 victimes de la Shoah.
00:10 C'est l'histoire d'Anette Zellmann, ou la courte vie d'une jeune française juive
00:14 morte en déportation à Auschwitz.
00:16 Bonjour Philippe Leguay, vous êtes le réalisateur de cette fiction poignante, adaptée d'un
00:21 de vos livres Laurent Jolie.
00:22 Bonjour à vous.
00:23 C'est une histoire vraie, celle d'Anette Zellmann.
00:26 Elle avait 20 ans en 1942, elle était étudiante au Beaux-Arts, elle adorait la vie, elle
00:30 sortait avec ses amis.
00:31 Un jour elle rencontre Jean, ils tombent amoureux, le problème c'est qu'elle est juive, pas
00:34 lui et sous l'occupation, leur histoire était finalement impossible.
00:39 Je vous laisse raconter peut-être la suite, Philippe Leguay, et notamment la raison pour
00:43 laquelle Anette est arrêtée par la Gestapo.
00:46 Vous en parlez très bien.
00:49 Anette est arrêtée parce que les parents, les parents Josion, qui sont des gens éclairés,
00:56 sont contrariés à l'idée que cette jeune juive rentre dans la famille.
01:03 Jean est fils unique et cherchant une issue à l'obstination de ces jeunes gens qui s'aiment
01:14 et qui ont envie de se marier, le père ne trouve rien de mieux que d'aller les dénoncer
01:19 à la Gestapo.
01:20 Sans penser forcément aux conséquences.
01:22 Voilà, il précise qu'il ne veut pas vraiment du mal à cette jeune fille mais il veut simplement
01:27 l'écarter du chemin de son fils.
01:29 Il se rend compte au fur et à mesure qu'elle est non seulement arrêtée, qu'elle ne sort
01:33 pas du dépôt, qu'elle est ensuite conduite dans une autre prison et qu'il y a une sorte
01:37 d'engrenage fatal qui se met en place.
01:39 Votre film montre bien à travers les parents de Jean incarnés par Laurent Lucas et Julie
01:44 Gaillet l'antisémitisme ordinaire de l'époque.
01:47 Voici un extrait, c'est un dialogue entre Jean et sa mère.
01:50 Maman, pourquoi t'aimes pas les Juifs ?
01:53 Quelle drôle de question.
01:55 Réponds-moi.
01:56 Mais enfin Jean, je sais.
02:00 Tu sais bien.
02:02 Parce que les Juifs, je sais pas, les Juifs sont différents.
02:09 Ils sont pas comme nous.
02:12 Tu seras jamais heureux avec une Juive.
02:16 Si je doutais d'Anette un seul instant, il me suffirait de t'écouter la calomnie et
02:21 pour retrouver aussitôt toute ma confiance en elle.
02:23 Voilà, on est dans une famille bourgeoise, cultivée.
02:27 C'est ça aussi qui peut paraître assez dingue, c'est que ce sont des gens instruits
02:33 et pourtant ils ont des préjugés sur les Juifs.
02:37 Peut-être parce que l'instruction, la culture ne nous attardait pas à penser n'importe
02:45 quoi.
02:46 Et on a bien vu, d'ailleurs, à commencer par le nazisme.
02:49 C'est un pays ultra civilisé qui adore Schubert et qui a mis en place la solution finale.
02:55 Donc la culture n'est pas forcément et parfois compatible malheureusement avec les préjugés
03:01 les plus terribles.
03:02 Laurent Joly, vous êtes historien.
03:04 Comment avez-vous eu connaissance du destin tragique d'Anette Zellmann ?
03:07 A qui vous avez consacré un récit littéraire ?
03:09 C'est une histoire qui a été évoquée comme ça de temps en temps dans les travaux
03:14 sur l'occupation, sur la persécution des Juifs.
03:16 Henri Amouroux en parle pour la première fois en 1962 dans un livre sur la vie quotidienne
03:21 des Français pendant la guerre.
03:22 Serge Klarsfeld dans le mémorial de la déportation des Juifs en 1978.
03:26 Il fait juste une petite note en disant voilà ce couple qui s'aimait, elle a été déportée
03:30 parce que son crime était d'aimer un non-juif.
03:33 Et quand j'ai travaillé sur la délation, j'ai commencé ce livre Dénoncer les Juifs
03:37 sous l'occupation il y a très longtemps.
03:39 On a fait un documentaire en 2012 et grâce à un professeur de médecine, le docteur
03:44 Nahoum, j'ai pu rencontrer la sœur d'Anette Zellmann.
03:47 Et Michel, Michel Kertz qui a 94 ans aujourd'hui, à l'époque m'a donné accès aux archives
03:54 privées et j'ai pu découvrir toutes les lettres qu'Anette avait écrites.
03:58 C'était des dizaines et des dizaines de lettres, il y en a 98, à sa famille et à
04:02 son fiancé entre septembre 1941 et juin 1942.
04:05 Donc c'était un matériau exceptionnel pour documenter la vie quotidienne d'une jeune
04:09 fille et les conséquences tragiques de la délation.
04:11 Et puis il y a plein d'archives administratives sur ce qui est arrivé à Anette Zellmann.
04:16 - Elle est morte très peu de temps après son arrivée à Auschwitz.
04:19 - Alors ça c'est un témoignage que j'ai trouvé très récemment qui a été publié
04:22 par Serge Klarsfeld.
04:23 Ça c'est extrêmement rare d'avoir sur ses premiers convois, elle est déportée
04:28 le 22 juin 1942 et il y a dans son convoi une dame qui l'a connue et qui a raconté
04:35 ce qui est arrivé à Anette à Auschwitz-Birkenau.
04:39 On suppose qu'elle est morte en août 1942, c'est-à-dire un peu moins de deux mois après
04:47 être arrivée à Birkenau.
04:49 - Vous avez cité sa soeur, c'était sa petite soeur.
04:53 Vous avez choisi, vous Philippe Le Gues dans votre téléfilm, un point de vue assez bouleversant,
04:59 c'est justement de faire raconter cette histoire par la soeur d'Anette et d'ailleurs la vraie,
05:03 on la voit à la fin.
05:04 - Oui, ce qui se dégage de Michel Zellmann, la soeur d'Anette, est d'une telle énergie
05:13 vitale, c'est une présence au monde d'aujourd'hui, puisqu'elle a traversé toutes ces décennies,
05:19 qui est tellement forte que son inscription dans le film avait pour moi à la fois la
05:25 valeur d'un témoignage, mais aussi une sorte de quelque chose d'exemplaire.
05:31 On a envie de lui ressembler, on a envie d'avoir ce même courage, cette même résilience,
05:37 en même temps cette même lucidité, parce qu'elle sait très bien ce qui s'est passé.
05:41 C'est vrai que sa présence à la fin amène quelque chose de très fort.
05:48 - Et on la voit face à la comédienne qui joue son rôle dans le film.
05:51 - Oui, c'est comme un passage de relais entre les générations, puisqu'au fond il y a deux
05:54 générations qui les séparent.
05:56 Du coup le film prend aussi une forme d'actualité et conduit à nous interroger sur l'antisémitisme
06:04 qui perdure encore aujourd'hui.
06:06 - Laurent Joly, pardon je vous coupe, c'est utile aujourd'hui encore, et même peut-être
06:11 plus que jamais, de faire des films, des fictions sur la Shoah, peut-être pour toucher les
06:15 jeunes générations, puisque les témoins de la Shoah disparaissent petit à petit.
06:18 - Absolument, puis aussi pour expliquer ce que c'est la vie quotidienne des Juifs pendant
06:22 la guerre, ce qui est souvent ignoré, on est surpris de voir qu'une jeune Juive est
06:28 comme ça, libre, en 1941, ne comprend pas qu'il y a un danger imminent qui plane.
06:33 Et ce film montre aussi ce basculement vers la solution finale où on va arrêter des
06:38 femmes et des enfants.
06:40 Vraiment ce tournant-là est arrêté en mai 1942, déporté en juin 1942.
06:44 La solution finale en France est vraiment appliquée à partir de juin 1942.
06:48 Donc c'est aussi un moment de basculement qu'on voit dans ce film.
06:51 Mais il faut mettre en garde contre tout retour en arrière.
06:54 Ce serait possible finalement.
06:56 On voit que l'antisémitisme est toujours présent en France et ailleurs d'ailleurs.
07:00 - Oui, il prend plusieurs visages.
07:05 Je me suis intéressé récemment au négationnisme, puisque j'ai fait un film qui s'appelait
07:10 "L'homme de la cave".
07:11 Et le négationnisme, ou sa version atténuée qui est le révisionnisme, est tout aussi
07:16 dangereux puisqu'au fond, Satan a minimisé, a relativisé un crime d'examination qui
07:25 est unique dans l'histoire de l'humanité.
07:27 - D'où l'importance, l'utilité de cette fiction.
07:30 Et je signale que le comédien qui interprète Jean Josion, Vassily Schneider, a été primé
07:35 au dernier festival de la fiction de La Rochelle.
07:38 Merci à tous les deux d'être venus nous voir ce matin.
07:40 - Et l'histoire de Ned Zelman, c'est donc ce soir 21h10 sur France 2.

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