• l’année dernière
Dans le service psychiatrie de l'hôpital de Niort, des patients viennent raconter ce qui les fait rire, pleurer ou guérir sur Radio Pinpon. Une autre façon de soigner pour l'infirmier Éric, une échappatoire pour les patients. Brut est allé passer une journée en studio.

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Transcription
00:00 Aujourd'hui, on va lire mes textes, si vous voulez bien.
00:04 Ça fait 40 ans que j'étais préparé, alors maintenant, c'est le point final.
00:08 Je dis ce que j'ai à dire.
00:11 J'avais 4 ans, j'ai commencé à écrire des poèmes.
00:14 M.
00:14 Madier Pascal, 60 ans, bipolaire, handicapé physique.
00:18 - T'es prêt ? - Oui.
00:20 - Vas-y.
00:22 - Oh, c'est quoi la vie ? Un instant de bonheur, une suite de malheurs.
00:26 Mais toujours, elle se confond avec nos sens.
00:29 Tous, nous sommes nés avec nos insouciances.
00:32 Mais moi, je me fous de tout ça.
00:34 Je vis avec mes espérances qui ressemblent le jour comme la nuit
00:39 au parcours de ma vie.
00:40 Une vie où se côtoie espoir.
00:42 Point de séparation.
00:45 Ici, on est dans le studio de radio Pimpon.
00:47 On est à l'hôpital de Nior, c'est un hôpital de secteur psychiatrique.
00:51 C'est un studio de radio d'enregistrement.
00:56 C'est aussi un lieu de soins.
00:59 C'est ici que les gens viennent construire leurs émissions,
01:03 viennent rire, pleurer,
01:07 lire ce qu'ils ont sur le cœur.
01:09 Les gens qui viennent ici viennent sur prescription médicale la plupart du temps,
01:12 mais pas qu'eux.
01:13 Parce que, je le répète, c'est considéré à juste titre comme un lieu de soins.
01:17 C'est une autre façon d'envisager le soin.
01:20 - Je sais que j'écrivais des poèmes, maintenant, j'ai li,
01:23 mais c'est pas pour ça que j'avancerais mieux dans la vie.
01:27 C'est juste pour...
01:29 Comment dire ? Ça m'apaise.
01:31 Ça m'apaise, c'est tout.
01:33 - Le but de Radio Pimpon, c'est d'étayer les gens,
01:36 et puis...
01:38 écrire son histoire comme ça,
01:40 sans l'adresser à quelqu'un,
01:43 ce serait dommage.
01:44 Et je trouve que, justement, cette idée de l'adresse,
01:47 qu'on s'adresse à quelqu'un,
01:49 c'est ce qui constitue la relation à l'autre.
01:53 - On sait qu'on a une maladie, on se soigne pour,
01:56 et tout le reste, c'est du bonus.
01:58 On n'est pas là grâce à nous-mêmes, on est là grâce aux autres.
02:01 Et puis je crois que...
02:03 Voilà, j'ai plus rien à dire.
02:06 C'est comme ça.
02:08 - L'art est la manière de clore une conversation.
02:11 (Rires)
02:13 (Cri de chien)
02:15 - Moi, je suis infirmier du secteur psychiatrique.
02:17 Mon rôle, c'est de soigner, ou je dirais plutôt prendre soin.
02:21 Et mon rôle spécifique, ici, je travaille à la cafétaria,
02:25 c'est une cafétaria associative, qui est aussi un lieu de soin,
02:28 où on propose tout un panel d'animation.
02:32 C'est un lieu social, un lieu de rencontre, un lieu protégé.
02:37 - On voit pas au glycine, ce matin, c'est normal ?
02:39 - Oui, rendez-vous.
02:41 - Avant d'être des malades psy, psychiques,
02:45 on est des vraies personnes.
02:46 Et ça, les gens, ils ont oublié.
02:48 Et il faut pas que ça soit tabou.
02:49 Il faut que ça soit parlé, au contraire.
02:51 Il faut que ça soit partagé.
02:53 Et nous, ici, c'est ce qu'on fait.
02:55 On le fait entre nous, mais on veut le faire avec vous aussi.
02:57 Moi, je suis schizophrène, stabilisée, je suis dys aussi,
03:01 j'ai dyslexie, tous les dys, à peu près.
03:06 Mais bon, voilà, c'est ça, la vie, il faut que...
03:09 Moi, je suis dans la vie.
03:11 - Là, on va enregistrer des sketchs Radio Paimpol,
03:16 avec les Brigades du Rire.
03:18 Les Brigades du Rire !
03:23 - Qu'est-ce qu'on fait ? On répète ? On enregistre ?
03:26 On fait les deux ? On répète un peu avant ?
03:28 - On répète un peu avant, parce que...
03:29 - On va devoir lire, déjà.
03:31 - Tu te rappelles de notre rencontre ?
03:33 - Ça, je me rappelle bien. Je peux pas obliger.
03:35 - Ah bon ? Tu peux développer ?
03:37 - 1,62 m, pour 70 kg, yeux marrons, aimant les chats,
03:41 et surtout bonne cuisinière.
03:42 - Ah oui, eh bien moi, du 1,80 m,
03:45 je n'ai vu que le petit mètre 60, sans compter le corps athlétique,
03:49 qui avait disparu pour 10 cm de bourrelet
03:53 à notre première rencontre.
03:54 Oui, merci, les rencontres d'Internet.
03:56 - C'est un endroit où on donne la parole à ceux qui l'ont pas assez souvent.
04:01 C'est un endroit où on s'autorise, où on existe,
04:05 où on est autre chose qu'une pathologie.
04:08 - Je suis là depuis 30 ans, ça fait beaucoup,
04:10 mais pour certaines maladies,
04:13 c'est nécessaire aussi d'avoir du soin long.
04:17 Et d'un seul coup, Eric, avec Radio Paimpol,
04:20 il arrive avec une bulle d'air,
04:22 et il va ouvrir des choses qu'on n'avait jamais ouvertes jusqu'alors,
04:26 et ça fait drôlement du bien.
04:27 J'ai une pathologie qui est un peu enfermante,
04:31 donc si j'écoute que cette pathologie,
04:33 je peux pas faire grand-chose,
04:35 mais grâce à la bienveillance ici,
04:40 j'oublie ma maladie et je vais au-delà.
04:42 J'ai dépassé mes limites, moi, depuis 4 ans.
04:44 Quand je me retrouve en face de ma psychologue,
04:46 ça fonctionne un peu moins bien,
04:47 parce que je n'aime pas ce rapport blouse blanche
04:51 en face de moi, derrière un bureau.
04:52 Moi, j'y arrive pas bien.
04:54 Ici, c'est pas du tout comme ça.
04:56 Eric, il met des belles chemises.
04:59 Mais on parle sérieusement, et des fois, on pleure,
05:02 et des fois, très souvent, on rit.
05:05 Et je trouve, d'arrêter de dramatiser la maladie,
05:08 ça permet d'aller mieux aussi.
05:10 -Quelle heure il est, là ?
05:11 -Ça change tout le temps. -Oui, c'est vrai.
05:14 -Presque 11h30.
05:15 -Vous êtes prêts ?
05:16 Les Brigades du Rire.
05:20 -Ah, bonjour, vous deux.
05:22 J'ai fait une bloquette de veau. Reste dîner avec nous.
05:24 Tu m'en diras des nouvelles.
05:26 -Tu connais ta sœur, quand elle fait sa cuisine ?
05:29 -Ah, pour sûr, je la connais, sa cuisine.
05:31 C'est pour ça que j'ai tout prévu.
05:33 Je me suis fait un de ces sandwiches.
05:35 Vous me fournirez la bière ?
05:36 -Oh, très bonne idée.
05:37 Un coup de roux, ça me détendrait.
05:39 -Ah, parce que t'es tendu de ta journée, toi ?
05:42 -Parfaitement.
05:43 -Ah oui, un testeur de bouée chez Decathlon, c'est épuisant.
05:48 -Ah ben, prends ma place pour voir.
05:50 -Pff...
05:51 Je me prénomme Luc.
05:53 Je fais partie des Brigades du Rire depuis 4 ans.
05:57 Ca fait du bien au coeur, parce qu'en se lançant en disant positive,
06:00 pour moi, ça colorie l'âme.
06:02 Un geste psychotique à tendance paranoïaque.
06:07 Je me fais mes propres films, en dehors des films télé.
06:12 Voilà, donc...
06:17 C'est tout ce que je peux dire sur ma maladie.
06:20 M'étendre, oui, mais m'étendre, non.
06:23 -Concevoir le soin de manière différente,
06:26 je trouve que ça met un peu d'espoir
06:28 dans des perspectives qui sont pas toujours très gaies.
06:33 Je parle du soin.
06:35 Pour les patients, pour beaucoup d'entre eux,
06:38 je vois une facilité d'expression qui se met en place
06:43 et un rapport de confiance.
06:45 -Beaucoup de choses vont changer en moi.
06:47 Y a pas de soucis là-dessus.
06:48 Mais y a encore à faire.
06:52 Quand je suis arrivé en psychiatrie,
06:54 c'était déjà parce que j'avais mal aux jambes.
06:56 J'avais besoin de la psychopathe, donc...
06:59 -Ha, ha, ha ! -Il m'excusera.
07:01 -Et l'humour !
07:02 -Depuis que je suis tout petit, ma mère écoutait la radio dans sa cuisine.
07:06 Y avait pas beaucoup de culture à la maison.
07:09 Mon père était gendarme, je vivais enfermé dans une gendarmerie,
07:13 et mon ouverture au monde, c'était la radio.
07:15 Maintenant, quand je crée chez moi, j'ai un casque sur les oreilles,
07:18 j'écoute l'histoire des gens.
07:21 Je trouve que la radio véhicule bien ça.
07:23 C'est ce qu'on essaie de faire à Radio Pimpon,
07:25 de raconter l'histoire des gens.
07:27 -Je m'appelle Cédric Suir et je suis schizophrène.
07:30 -Et reporter à Radio Pimpon. -Et reporter à Radio Pimpon.
07:36 Sur le terrain.
07:37 -Radio Pimpon, Radio Pimpon.
07:39 -Bonjour, Cédric.
07:41 -Bonjour, Éric.
07:43 Alors, t'as passé un week-end sportif ?
07:46 -Oui, ce qu'on peut dire sportif, mais c'était pas moi le sportif.
07:49 -Et toi, depuis ces 3 ans, Radio Pimpon t'a apporté quoi ?
07:53 -M'a apporté une ouverture.
07:56 Et...
07:59 T'as mis de s'exprimer autrement.
08:03 -Et j'imagine que pour toi, c'est important de se montrer différemment.
08:06 -Oui.
08:07 -C'est-à-dire qu'il y a la maladie, certes, mais y a pas que ça.
08:11 -Oui, y a pas que ça.
08:12 Entre autres, je suis une personne, quoi.
08:16 -"La psychiatrie, c'est ça.
08:18 C'est pour nous sauver, nous, les patients, avant tout,
08:22 peu importe la méthode ou le temps.
08:24 C'est pouvoir nous mettre dans de bonnes conditions et nous sauver.
08:28 Il ne faut pas oublier ça.
08:30 C'est qu'à la base, on cherche à mourir.
08:33 Plus on va sauver de patients et les stabiliser,
08:36 eh bien, c'est ça, votre vocation, votre première vocation,
08:40 vous, médecin et soignant.
08:43 Mais je suis inquiète.
08:45 J'ai mis 30 ans environ pour être un peu plus apaisée.
08:49 Des soignants qui m'ont donné envie de rester en vie et d'aimer la vie.
08:54 Il y a des super soignants, mais qui ont de moins en moins de moyens.
08:58 Infirmier, ça devrait pas être un métier de super héros.
09:02 Est-ce que demain, il y aura encore des soignants
09:05 qui donnent cette envie de vie si je rechute ?
09:08 J'y crois parce que dans mon parcours de vie, ils étaient là.
09:12 Je veux dire qu'à un moment donné,
09:13 on nous a demandé un jour de prendre un traitement.
09:16 On nous a demandé de nous soigner.
09:19 Et des fois, ça demande 10 ans, 20 ans, 30 ans.
09:21 Une fois qu'on va mieux,
09:23 c'est comme si on nous lâchait un petit peu en disant,
09:25 mais voilà, il n'y a plus de moyens, donc on ne vous soigne plus.
09:29 Donc c'est ça.
09:30 Moi, j'ai l'impression que j'ai compris, j'ai pris soin de moi.
09:35 Je comprends qu'il faut que je prenne soin de moi.
09:37 Je me suis...
09:38 Eh bien, je ne suis pas morte.
09:41 Et là, ça, c'est... Je pèse mes mots.
09:43 C'est vrai, c'est que normalement, je ne devrais plus être là maintenant.
09:45 Mais il y a quand même des infirmiers et des infirmières
09:48 qui m'ont donné envie de rester en vie.
09:50 J'aimerais susciter de l'espoir et de l'envie à faire ce métier.
09:53 Ce métier d'infirmier, qui est un super métier.
09:55 Bon, on voit que c'est compliqué en ce moment.
09:58 C'est très, très compliqué.
09:59 Mais c'est compliqué aussi parce qu'il y a de moins en moins de gens
10:02 qui se disposent à faire ce métier.
10:06 Mais moi aussi, je veux rester positif dans l'avenir en me disant
10:10 qu'on voit des jeunes encore venir sur l'hôpital.
10:16 Mais il n'y en a pas assez. Il n'y en a vraiment pas assez.
10:19 Donc voilà, c'est un petit plaidoyer pour valoriser le travail d'infirmier.
10:24 Qu'est-ce que je peux en dire, moi, de la folie ?
10:25 Raconter la folie du monde qui brûle,
10:27 raconter la folie des gens qui font la guerre,
10:29 la folie des gens qui empoisonnent la planète,
10:31 la folie de l'argent qui salit tout,
10:32 les massacres à la Kalachnikov dans les écoles,
10:35 de la folie des enfants qui meurent de faim quand quelqu'un se gave,
10:38 des animaux blessés massacrés par espèces entières,
10:40 la folie du racisme, de l'intolérance, de l'ostracisme,
10:43 de nos anciens qui se morfondent dans les mouroirs
10:45 de ma dernière suspension de la hache.
10:47 Merde, je crois bien que je suis en train de faire une petite rechute, moi.
10:49 Je vais reprendre un cachet et je vais me remettre au pieu.
10:51 [Générique]
10:53 [SILENCE]

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