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1312 raisons d'abolir la police. C'est le titre du livre coordonné par la professeure en justice criminelle, à l'université d'état de Californie de Chico, aux Etats-Unis, Gwenola Ricordeau. L'experte en criminologie est l'invitée du Média pour expliquer pourquoi « détester la police est une position politique ».

Peut-on détester la police ? Faut-il abolir la police ? Dans 1312 raisons d'abolir la police, publié aux éditions Lux, la spécialiste en justice criminelle, Gwenola Ricordeau, tente de répondre à ses questions. Elle compile les contributions d'auteurs abolitionnistes pénales qui prônent la fin de la police et analysent structurellement le rôle parasitaire des institutions répressives.
« Dans une société capitaliste, raciste et patriarcale, choisir le camp des opprimés, des exploités et des tyrannisées c'est compter la police parmi ses ennemis » écrit-elle d'emblée en introduction du livre. « Détester la police est une position politique » affirme-t-elle. Gwenola Ricordeau met en articulation les liens entre l'abolitionnisme pénal et la classe, la race, le genre et le handicap.
Ce débat autour de l'abolition de la police prend de l'ampleur en Amérique du Nord, depuis le mouvement black lives matter et la mort de George Floyd. En France, malgré les nombreux crimes policiers recensés ces dernières années, la discussion sur l'abolition de la police reste marginale.

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Transcription
00:00 Mais on s'autorise à penser dans les milieux autorisés.
00:05 Alors ça c'est un par un autre truc.
00:07 Les milieux autorisés, vous y êtes pauvre.
00:09 Dans une société capitaliste, raciste et patriarcale,
00:22 choisir le camp des opprimés, des exploités et des tyrannisés,
00:25 c'est compter la police parmi ses ennemis.
00:27 Cette phrase est l'une des premières qui ouvre cet ouvrage
00:30 "1312 raisons d'abolir la police".
00:33 Un livre qui regroupe de nombreuses contributions
00:35 pour mettre en débat les stratégies de leur abolition.
00:37 Un débat qui existe de manière très concrète en Amérique du Nord,
00:40 notamment depuis le mouvement Black Lives Matter
00:42 et la mort de George Floyd.
00:44 Mais qui démarre très timidement en France
00:46 alors que les crimes policiers sont tout autant une réalité.
00:49 On l'observe dans le quotidien, on l'observe dans les quartiers populaires,
00:52 on l'observe aussi dans les mouvements sociaux et écologistes.
00:55 On a beaucoup parlé au moment des Gilets jaunes
00:57 ou du mouvement contre la réforme des retraites,
00:59 mais c'est une réalité très ancienne et bien antérieure.
01:02 Le contexte étant toujours celui d'une société capitaliste,
01:04 raciste et patriarcale, pour reprendre les mots de ce livre,
01:07 une société d'extrême violence où la police a une part importante
01:10 de responsabilité avec des crimes qu'ils commettent,
01:12 qu'ils font sans cesse, l'actualité.
01:14 Il est important, notamment sur les plateaux des médias,
01:16 qu'on ait la discussion, la réflexion autour de l'abolition de la police.
01:20 Et pour avoir ce débat, le média reçoit sur son plateau
01:22 Gwénola Ricordeau.
01:24 Bonjour.
01:25 Gwénola Ricordeau, vous êtes professeur de criminologie
01:27 à la California State University de Chico.
01:29 Vous êtes militante abolitionniste pénale
01:32 et vous êtes la coordinatrice de ce livre
01:34 "1312 raisons d'abolir la police"
01:36 qui vient tout juste de sortir aux éditions Lux.
01:38 Vous l'affirmez d'emblée, au début de ce livre,
01:41 comme une position politique. Vous détestez la police.
01:44 Effectivement, j'affirme que détester la police,
01:46 ce n'est pas une question de goût personnel
01:48 ou d'une aversion personnelle,
01:50 mais il s'agit bien d'une position politique
01:52 dans le sens où je défends,
01:54 mais avec les abolitionnistes,
01:56 que la police est notre ennemi,
02:00 notre ennemi en bleu,
02:02 pour reprendre l'expression d'un abolitionniste connu
02:04 qui est Christian Williams,
02:06 et dire qu'on déteste la police,
02:08 c'est dire que, d'une part,
02:10 que ce n'est pas une institution aimable,
02:12 que ce n'est pas une institution qui peut être du côté
02:14 des luttes progressistes,
02:16 mais qu'il y a bien un antagonisme
02:18 et que, du coup, nous assumons cet antagonisme
02:21 et que nous considérons la police comme un ennemi.
02:25 Lorsqu'on s'attaque à l'État,
02:27 au système capitaliste, au patriarcat, au racisme,
02:31 on trouve forcément sur son chemin l'État
02:34 et son bras armé, c'est la police.
02:36 Et à ce titre-là, lorsqu'on se place du côté
02:39 des luttes progressistes,
02:41 on considère la police comme son ennemi.
02:43 Mais quand même, la police est censée jouer un rôle
02:45 dans la société par rapport à la criminalité,
02:47 mais vous, vous dites que la police
02:49 n'empêche pas la criminalité.
02:51 Oui, alors il y a un chercheur étatsunien,
02:54 David Bailey, très célèbre pour ses travaux
02:59 sur l'activité policière et ce que fait la police,
03:02 qui qualifie de "secret le mieux gardé
03:05 du monde moderne" que la police n'a aucun effet
03:08 sur la criminalité.
03:10 Alors c'est vrai que lorsqu'on dit de cette manière-là
03:12 que la police n'a pas d'effet sur la criminalité
03:14 ou du moins ce qu'on entend aujourd'hui
03:16 par la criminalité, la délinquance,
03:18 ça peut sembler une formule un petit peu choquante
03:20 ou brutale, pourtant il est largement connu
03:24 et tout un chacun peut s'accorder sur le fait
03:28 qu'il y a, si on veut expliquer la criminalité,
03:32 la délinquance et notamment ses augmentations
03:35 ou ses diminutions, il faut aller regarder
03:38 du côté de facteurs sociaux, qui sont par exemple
03:41 l'économie, la répartition des richesses,
03:43 des événements politiques, tels que les guerres, etc.
03:47 C'est-à-dire que la criminalité a d'abord des causes sociales.
03:49 Exactement, et que l'activité policière
03:52 a des effets extrêmement marginaux sur le niveau
03:56 de ce qu'on appelle la délinquance ou de la criminalité.
03:58 Mais il faut aller même au-delà,
04:00 quand on regarde ce que fait la police,
04:03 on peut dire non seulement qu'elle prévient très mal
04:06 le crime ou la délinquance de manière générale,
04:09 mais aussi en termes de résolution,
04:11 comment sont résolus les délits et les crimes,
04:15 on voit que l'activité de la police,
04:17 très loin de la propagande qui est celle
04:19 de la culture populaire dans laquelle on voit
04:21 des policiers qui essaient de résoudre des mystères,
04:23 en fait la réalité de l'activité policière
04:26 permet assez peu de résoudre des délits et des crimes.
04:29 Pourtant c'est bien ce qu'on nous propose,
04:32 en tout cas tous les discours qui légitiment
04:35 l'existence de la police, nous montrent une police
04:38 qui serait là pour nous protéger,
04:40 sans jamais d'ailleurs nous dire qui est ce "nous",
04:42 qui est protégé par la police.
04:45 Et donc il y a beaucoup eu de réflexions
04:48 sur ce à quoi sert la police,
04:50 et on peut définitivement dire que la police
04:53 ne sert pas à créer davantage de sécurité,
04:57 elle aurait même tendance à participer
04:59 à des formes de brutalisation de la société.
05:01 Par contre ce qu'elle fait, ce qu'elle fait très bien,
05:04 c'est maintenir l'ordre, l'ordre capitaliste,
05:07 raciste, patriarcal.
05:09 Mais plus que ça, vous dites, elle peut participer
05:11 à créer même des brutalités dans la société,
05:13 mais on peut lire, notamment certains auteurs,
05:16 écrire que plus encore la police crée le crime.
05:19 Oui, alors on peut dire évidemment cela
05:22 parce que ce qu'on entend aujourd'hui
05:24 par "crime, délinquance", ça s'appuie en fait
05:26 sur des catégories qui sont celles du droit pénal,
05:29 qui déterminent ce qui doit être puni
05:33 en termes de préjudice et de tort.
05:35 Ces catégories sont des catégories
05:37 qui sont celles du droit.
05:39 Et on peut de manière très artificielle
05:42 créer plus de crimes, plus de délits.
05:45 Je vais prendre un exemple très simple.
05:47 Mais si on criminalise par exemple
05:49 tout ce qui est autour des produits stupéfiants,
05:52 vous pouvez très bien simplement envoyer
05:54 plus de policiers sur des lieux tout à fait connus
05:57 de trafic, de deal, et du coup créer comme ça,
06:00 artificiellement, des délits et des crimes.
06:03 Il y a beaucoup d'exemples que l'on peut donner,
06:06 mais c'est en tout cas une façon de montrer
06:10 comment en fait ces catégories de sécurité,
06:12 d'insécurité et de police,
06:15 ce n'est pas des vases communiquants.
06:17 Et plus on aurait de police, plus on aurait de sécurité.
06:20 L'idéologie même de la sécurité,
06:23 pour reprendre les mots de Karl Marx,
06:26 comme catégorie suprême de la bourgeoisie,
06:29 il y a évidemment un côté extrêmement artificiel
06:33 parce qu'il y a quelques instants,
06:35 je posais la question "qui est protégé"
06:37 lorsqu'on dit "la police nous protège".
06:39 De la même manière, il faut poser la question
06:42 "la sécurité de qui en fait ?"
06:44 La sécurité de qui la police assure-t-elle ?
06:47 C'est-à-dire qu'il faut aussi penser la société
06:49 en termes de classe sociale ?
06:50 Bien évidemment, de rapport de classe,
06:52 mais aussi qui est la cible.
06:54 En fait, quelles sont les populations
06:56 ciblées par la police ?
06:57 Ça c'est quelque chose que l'on sait très largement.
07:00 Les populations les plus pauvres,
07:02 les populations non-blanches.
07:03 Mais lorsqu'on parle de qui est la cible de la police,
07:07 le revers de cette question-là,
07:10 c'est de dire en fait à qui elle profite.
07:12 Et à qui elle profite ?
07:13 Évidemment, elle profite aux populations blanches,
07:16 elle profite à la bourgeoisie.
07:18 D'ailleurs, vous écrivez aussi dans le livre
07:20 que l'insécurité et la police
07:22 sont deux faces d'une même pièce.
07:24 C'est-à-dire aussi que par nature,
07:25 la police est parasitaire.
07:27 Oui, on peut vraiment qualifier la police
07:30 d'institution parasitaire,
07:32 puisque sa fonction, enfin ce qu'elle est censée faire,
07:35 nous protéger, réduire le nombre de crimes et de délits,
07:38 en fait elle le fait extrêmement mal.
07:40 Par contre, elle coûte, elle coûte cher,
07:42 elle coûte cher,
07:43 et elle participe de forme de brutalité dans la société.
07:47 Vous dites que les policiers ne nous protègent pas,
07:50 mais on a quand même souvent l'idée
07:52 que la police est un service public.
07:54 Au contraire, vous parlez même de coût social de la police.
07:57 Oui, parce que c'est important de ne pas simplement dire
08:01 ce à quoi la police est censée être utile dans notre société,
08:06 mais bien d'analyser son coût.
08:08 Et son coût, il est, on peut dire, exorbitant,
08:11 parce qu'il n'y a pas simplement ce qu'elle est censée faire
08:14 et qu'elle fait finalement très mal,
08:16 mais aussi toutes les multiples manières
08:18 dont elle porte atteinte à la qualité de vie en société,
08:21 à la manière dont on peut décrire
08:24 les multiples formes de méfaits qu'on peut associer à la police.
08:27 Elle nie à la qualité de vie.
08:29 Elle nie à la qualité de vie,
08:30 parce que c'est une institution qui non seulement est violente,
08:34 et ça va bien au-delà de la seule question des meurtres policiers,
08:37 qui sont certes une vraie question,
08:40 mais c'est bien au-delà d'une institution violente.
08:44 Et puis c'est une institution qui maintient cet ordre inégalitaire,
08:47 qui est un ordre extrêmement violent,
08:50 qui est celui de l'exploitation, du patriarcat, du racisme.
08:54 – Mais est-ce qu'on parle là de tous les policiers ?
08:56 Parce qu'il y a des policiers qui sont des enquêteurs,
08:59 qui travaillent sur des sujets importants,
09:01 la brigade des mineurs, etc.
09:03 Est-ce qu'on est là quand même sur tous les policiers de l'institution entière,
09:06 ou on parle de quelques policiers ?
09:08 – Alors d'un point de vue abolitionniste,
09:11 l'idée ce n'est pas de dire il y a de bons et de mauvais policiers,
09:14 de la même manière que nous ne disons pas
09:16 qu'il y a une bonne et une mauvaise police.
09:18 Ce qui fait problème, c'est cette institution à part entière.
09:22 Et moi ça m'intéresse assez peu de rentrer dans ce genre de débat.
09:26 On peut très bien dire, oui il y a un policier,
09:29 il est allé chercher un chaton dans un arbre.
09:31 Enfin bon voilà, il y a de multiples exemples,
09:33 plus ou moins anecdotiques.
09:35 Mais en fait ce n'est pas à cela…
09:38 – Quelqu'un d'autre aurait pu aller chercher le chaton dans l'arbre.
09:41 – Oui et puis le débat à mon sens n'est pas celui-là.
09:43 Le débat est celui de la fonction de cette institution
09:46 et de l'ordre social auquel on s'attaque
09:48 lorsqu'on dit la police est notre ennemi.
09:50 – Alors forcément quand on voit 1312 raisons d'abolir la police,
09:54 alors déjà la première question qu'on a envie de poser c'est,
09:57 peut-on abolir la police ?
09:59 Et d'ailleurs pourquoi 1312 raisons ? On n'en a tant que ça ?
10:02 – Oui alors 1312 c'est un clin d'œil à un slogan abolitionniste,
10:08 mais pas que abolitionniste, qui est le slogan AKAB,
10:11 "All cops are bastards", donc tous les flics sont des bâtards.
10:15 Ce AKAB peut aussi se dire 1312 si on prend l'ordre des lettres dans l'alphabet.
10:21 Alors au-delà de l'usage du terme "bâtard" qui est évidemment éminemment sexiste,
10:26 on peut dire que ce slogan a l'avantage de justement ne pas tomber dans cette idée
10:32 qu'il y aurait de bons et de mauvais policiers,
10:34 mais de bien dire que finalement c'est tous les policiers,
10:38 toutes les personnes qui sont engagées dans cette institution
10:41 et qui contribuent à cet ordre social totalement inégalitaire
10:46 que l'on désigne comme la cible de l'abolition.
10:49 Après poser la question de "est-ce possible ?"
10:52 alors ça amène un certain nombre de réponses, à commencer par celle-ci,
10:56 c'est que pour l'essentiel chacun et chacune d'entre nous,
11:00 tous les jours, gérons des préjudices, des torts, des conflits sans faire appel à la police.
11:05 Et que pour l'essentiel, ce que aujourd'hui on appelle la délinquance,
11:10 la criminalité, n'est pas porté à la connaissance de la police
11:14 ni du système pénal dans son ensemble.
11:16 Et donc plutôt que de penser qu'abolir la police créerait un vide,
11:21 créerait une nouvelle page blanche,
11:24 il faut se dire qu'en fait il y a déjà de multiples formes de savoir,
11:28 de connaissances sur des manières de ne pas faire appel à la police.
11:32 Alors je ne suis pas en train de dire que lorsqu'on ne fait pas appel à la police,
11:35 on gère forcément bien ses préjudices, ses conflits,
11:40 mais en tout cas ce que je veux dire c'est que,
11:42 contrairement à ce qu'on voudrait parfois nous faire entendre
11:45 d'une police qui serait, qui tiendrait ensemble la société,
11:51 c'est à l'inverse que nous avons déjà de multiples façons de faire sans la police.
11:57 Mais quand même, parce que j'ai envie de développer ce sujet,
11:59 parce que forcément c'est un peu la question cruciale dans cette thématique,
12:04 on se demande comment la société peut se passer de la police,
12:07 par quoi on la remplacerait finalement,
12:09 parce que c'est ça ce que vous dites, vous dites qu'on peut gérer sans la police,
12:13 donc qui est ce qui, c'est nous, c'est collectivement, c'est comment ça se passe,
12:18 on les remplace par des travailleurs sociaux, on les remplace par des institutions,
12:23 comment on gère ce vide ?
12:26 Alors encore une fois, moi je ne pense pas que abolir la police, c'est créer du vide.
12:32 Pour un petit peu continuer sur cette idée-là,
12:34 à l'échelle de l'histoire de l'humanité,
12:36 beaucoup de sociétés humaines ont fonctionné à la fois sans État et sans police,
12:41 et donc n'ayons pas peur du vide.
12:43 Deuxième élément de réponse à votre question,
12:46 c'est que nous abolitionnistes sommes très vigilants à ce que la cible de l'abolitionnisme
12:53 soit bien la fonction qu'occupe la police.
12:56 Et il ne s'agit pas pour nous de remplacer les policiers par des travailleurs sociaux
13:00 ou en gros par la sphère du médico-social,
13:02 on pourrait même mettre dans cette large sphère les enseignants,
13:08 enfin tout un tas d'autres types de travailleurs.
13:12 Il ne s'agit pas en gros de remplacer les policiers par d'autres travailleurs.
13:16 Il ne s'agit pas non plus de remplacer ce qu'on entend aujourd'hui par police
13:20 par des dispositifs de contrôle et de surveillance
13:23 basés sur un certain nombre de nouvelles technologies.
13:26 C'est bien pourquoi je parle d'un abolitionnisme qui est foncièrement révolutionnaire
13:30 et qui ne pense pas d'abolir la police dans le système tel qu'on le connaît aujourd'hui,
13:35 qui pourrait éventuellement remplacer des policiers par d'autres types d'emplois,
13:42 mais bien de penser un changement de société.
13:45 On va revenir là-dessus, mais quand même,
13:47 parce qu'on voit aux États-Unis, il y a la campagne pour le définancement de la police.
13:53 Il s'agit de revendiquer justement le fait que les fonds qui vont à la police aillent ailleurs,
13:59 dans l'éducation, dans la santé, etc.
14:02 Ça, est-ce que ce ne serait pas aussi un moyen d'apporter ces revendications abolitionnistes en France ?
14:08 Alors la tactique du définancement de la police, c'est effectivement une des tactiques abolitionnistes.
14:15 C'est une tactique qui s'inscrit dans ce qu'on peut qualifier de guerre d'usure contre l'institution policière.
14:22 C'est une stratégie que l'on retrouve également dans les mouvements pour l'abolition de la prison.
14:28 Cette idée qu'on pourrait développer des réformes dites non réformistes,
14:33 des réformes dites abolitionnistes, pour effectivement, dans un premier temps,
14:38 affaiblir ces institutions, alors que ce soit la prison ou la police.
14:43 Mais quand on regarde sur le terrain des luttes,
14:45 et le bilan que l'on peut faire des mobilisations qu'il y a eu ces deux dernières années
14:50 pour le définancement de la police, on se rend compte que cela peut aussi susciter un certain nombre de critiques,
14:56 en tout cas, voir un certain nombre de limites à ce type de tactique.
15:00 Et notamment, parce que vous évoquez le fait que, évidemment, d'un point de vue abolitionniste,
15:04 il est nécessaire d'affaiblir la police, en tout cas, forcément, que les luttes abolitionnistes
15:11 doivent contribuer à l'affaiblissement de la police.
15:13 Lorsqu'on assume cette conflictualité avec l'institution policière,
15:17 c'est évident qu'il faut travailler à affaiblir la police.
15:19 Par contre, on note des effets de vastes communicants, des effets effectivement,
15:24 où il peut y avoir certes moins de policiers, mais une montée en puissance
15:29 d'autres types de dispositifs de surveillance et de contrôle.
15:32 Et c'est à mon sens, en tout cas, la perspective politique que je défends,
15:37 c'est à mon sens quelque chose auquel on doit faire attention.
15:40 – Parce qu'en France, quand on parle de la police,
15:44 on est quand même plutôt incapable de rompre avec le réformisme.
15:48 – Je ne crois pas que ce soit une spécificité française.
15:51 Il y a aussi aux États-Unis, même s'il y a des mouvements abolitionnistes,
15:56 évidemment, un espace médiatique, un espace politique qui d'abord est réformiste.
16:03 Mais c'est vrai que ce livre propose d'avoir une vision des débats, des discussions
16:09 portées par les mouvements et les luttes abolitionnistes.
16:14 Ce réformisme, qu'il soit aux États-Unis ou en France, il est extrêmement puissant
16:20 puisque, évidemment, il consiste à nourrir l'illusion qu'une meilleure police pourrait exister,
16:27 que la police serait réformable, et donc à suggérer de manière cyclique
16:33 un certain nombre de réformes qui sont généralement suivies d'effets très limités,
16:38 voire parfois des effets contre-productifs.
16:41 Et c'est maintenant bien connu, on a des cycles médiatico-politiques
16:45 avec des scandales qui éclatent, souvent autour de violences policières,
16:53 parfois de meurtres policiers, et puis des propositions de réformes.
16:57 Et puis on finit par avoir un retour à la normale.
16:59 Et c'est un cycle infini qui nous dit bien qu'on ne sort pas de cette logique réformiste.
17:07 On n'interroge finalement jamais la légitimité de l'institution policière.
17:11 Pour nous abolitionnistes, c'est important de sortir de ce cercle infernal
17:17 où jamais la question de la légitimité de la police et de ce que fait la police
17:21 dans cet ordre social foncièrement inégalitaire, quel est son rôle
17:27 et de quelle manière elle contribue à le perpétuer.
17:30 – Mais tout à l'heure vous avez parlé de réformes non réformistes, ça n'existe pas ?
17:36 – C'est une stratégie développée par certains abolitionnistes,
17:39 ça ne date pas de ces dernières années, c'est une stratégie que l'on retrouve
17:43 dans les mouvements abolitionnistes depuis les années 70.
17:46 Après il faut savoir que ce n'est pas la seule stratégie que les abolitionnistes développent.
17:51 Mais pour certains mouvements abolitionnistes, il y a cette idée qu'il est possible
17:55 de proposer des réformes qui participent à l'affaiblissement des institutions
18:00 auxquelles ils s'attaquent, que ce soit la prison ou la police,
18:04 avec cette idée qu'il est nécessaire d'affaiblir l'institution
18:08 si on veut penser son démantèlement.
18:12 Alors évidemment ça suscite des débats, mais ça permet de distinguer
18:17 certaines réformes qui sont parfois proposées dans l'espace public,
18:22 je pense par exemple aux caméras piétons, aux caméras embarquées par les policiers
18:27 qui sont souvent présentées comme des bonnes idées de réformes de la police.
18:32 Et si on suit ces réflexions autour de réformes réformistes
18:36 versus réformes non réformistes, voire réformes abolitionnistes,
18:40 on a un certain nombre d'abolitionnistes qui vont dire très clairement
18:44 que c'est typiquement un type de réforme qui contribue non pas à l'affaiblissement
18:48 de la police, mais à son renforcement, via une augmentation des budgets de la police.
18:53 Par exemple, les caméras embarquées, cette idée que les caméras embarquées
18:58 utilisées par les policiers permettraient de résoudre les violences policières,
19:03 on sait non seulement que c'est faux, mais on voit aussi que ce type de mesures
19:08 contribue à l'augmentation des budgets de la police et à instaurer de nouveaux standards
19:13 en matière de preuves contre les violences policières.
19:16 Et donc c'est un bon exemple de ce que j'appelle des fausses bonnes idées.
19:20 Et donc cette idée de faire des distinctions entre réformes réformistes
19:24 et réformes non réformistes, ça me permet en fait aussi de créer des alliances
19:29 au sein de mouvements progressistes pour au moins tracer une ligne entre des réformes
19:34 qui finalement contribueraient simplement à renforcer la légitimité de l'institution policière,
19:40 ou au contraire, des réformes qui, elles, d'une certaine façon,
19:45 permettraient d'avancer vers l'abolition.
19:47 Mais donc il peut y avoir, pour bien être clair, des réformes émancipatrices ?
19:51 Alors pour certains abolitionnistes, oui, ça fait partie de certaines stratégies abolitionnistes.
19:57 Ce n'est pas l'unique stratégie abolitionniste.
19:59 Pour certains abolitionnistes, il y a plutôt le choix de créer des espaces sans police
20:05 ou des espaces qui échappent aux institutions pénales.
20:08 Donc pour dire les choses rapidement, de développer des alternatives
20:12 avec cette idée qu'on pourrait, en développant des alternatives,
20:16 d'une certaine manière rendre la police obsolète,
20:19 comme on pourrait rendre la prison obsolète.
20:22 Tout ça fait l'objet de débats parmi les abolitionnistes.
20:26 Pour ma part, je pense que les stratégies peuvent se combiner.
20:29 Elles peuvent aussi être liées à des choix, à un moment donné,
20:33 dans des contextes politiques qui ont leur spécificité.
20:36 Et les mouvements abolitionnistes sont amenés à prendre des décisions en termes de stratégie.
20:41 Mais en tout cas, si on regarde ce qui se pense,
20:44 si on regarde de la manière dont les abolitionnistes luttent,
20:49 on peut effectivement voir qu'il y a ces outils de réflexion et ces outils stratégiques employés.
20:55 – Alors, je disais en introduction qu'il y a,
20:57 dans une société capitaliste, raciste et patriarcale,
21:00 le fait qu'on doit choisir un camp, celui des opprimés,
21:04 ou finalement celui de la police.
21:07 C'est ce que, en gros, vous dites dans l'introduction de votre livre.
21:10 Cela signifie qu'on ne peut pas, aujourd'hui, être un militant anticapitaliste,
21:15 antifasciste, antiraciste, féministe, sans être, pour l'abolition de la police.
21:20 C'est quelque chose, c'est une ligne de démarcation, en fait,
21:22 qui est à tracer aujourd'hui dans les milieux politiques.
21:25 – C'est effectivement ce que j'écris en conclusion de ce livre,
21:29 en appelant à défliquer les luttes progressistes.
21:32 C'est de cette manière-là que je l'exprime.
21:35 Je reviens notamment sur la question des rapports entre le féminisme et la police.
21:40 Et, à mon sens, il est important, effectivement,
21:43 de tracer des lignes de démarcation et de rompre avec cette idée
21:46 que la police pourrait être du côté des luttes progressistes,
21:49 que la police pourrait contribuer à l'avancée de causes progressistes.
21:54 Lorsque, de mon point de vue, on souhaite l'avancée de la cause des femmes,
21:59 lorsqu'on lutte, par exemple, contre les violences à caractère sexuel,
22:03 il y a, à mon sens, l'obligation de rompre avec l'idée
22:07 que la police pourrait être de notre côté,
22:10 qu'il faudrait lutter pour avoir un meilleur accueil dans les commissariats,
22:15 qu'il faudrait que les plaintes soient davantage prises,
22:18 de la même manière qu'on peut dire que la prison ne sera pas la solution au patriarcat,
22:24 la police ne sera pas non plus la solution au patriarcat.
22:27 Et pour moi, c'est se tromper de cible que de penser
22:30 qu'il nous suffirait d'une meilleure police pour résoudre nos préjudices,
22:34 pour résoudre nos conflits.
22:36 Et donc, il y a effectivement, pour moi, une ligne de démarcation à tracer,
22:39 y compris au sein des luttes qui se revendiquent du progrès social,
22:44 et de rompre avec cette idée qu'il pourrait y avoir une bonne police,
22:48 une police républicaine au service des plus faibles.
22:53 Tout ça est une vaste supercherie.
22:55 D'ailleurs, à ce sujet, quand vous parlez de la police,
23:00 vous parlez du patriarcat et du capitalisme,
23:03 mais vous parlez aussi du fait que, par définition,
23:06 la lutte contre la police est anti-impérialiste et internationaliste.
23:09 C'est-à-dire que, finalement, le lien entre police et racisme,
23:13 mais aussi colonialisme, en fait, il est fort.
23:16 Oui, alors, c'est une question qui me tient d'autant plus à cœur
23:19 que, vivant aux États-Unis, dans une colonie de peuplement,
23:23 j'ai tenu à ce qu'il y ait des voix des personnes autochtones
23:26 qui luttent contre la colonisation, qui luttent contre l'extractivisme.
23:30 Et si on prend au sérieux la question coloniale,
23:34 on est amené, bien naturellement, à se poser la question de la police,
23:38 à se poser aussi la question de la conflictualité avec la police,
23:41 puisque la question centrale, c'est celle de l'État.
23:45 Et c'est une question d'autant plus importante
23:48 qu'il y a parfois cette idée que la police
23:51 serait de plus en plus militarisée.
23:54 On parle d'une militarisation de la police.
23:56 Et c'est une critique qui est avancée dans le livre,
23:59 de dire qu'il faut arrêter avec ce type de critique
24:02 qui fait, finalement, pas vraiment avancer les analyses,
24:05 puisque, finalement, il y a, entre police et armée,
24:09 eu de multiples échanges au cours de l'histoire,
24:12 que leurs fonctions sont similaires,
24:15 et que, du coup, il n'y aurait pas une mauvaise police
24:18 qui ressemblerait davantage à l'armée.
24:20 Mais il y a bien un ennemi qui est l'État.
24:23 Alors, cette idée, elle n'est évidemment pas nouvelle.
24:26 On retrouve, par exemple, chez les Black Panthers,
24:29 cette analyse que la police est une force d'occupation du ghetto noir.
24:32 Et, du coup, c'est la base aussi aux solidarités internationalistes,
24:36 de dire que, finalement, combattre la police dans son propre pays
24:40 ou combattre les guerres impérialistes menées par nos pays,
24:44 finalement, c'est une même lutte.
24:46 Et c'est une évidence, en fait, d'un point de vue décolonial,
24:49 d'un point de vue internationaliste.
24:51 – Mais justement, par rapport à l'État,
24:53 on peut se dire que si la police est, finalement,
24:57 le bouclier de l'État, le bouclier du système capitaliste,
25:00 ils ne lâcheront jamais la police sans police.
25:03 L'État, le système capitaliste, ils s'effondrent,
25:06 ils se retrouvent, du coup, exposés aux colères sociales.
25:09 On peut se dire que, du coup, ça va être très compliqué.
25:12 – Ah ben, ça va être très compliqué.
25:14 La révolution, c'est compliqué.
25:16 Après, c'est bien pour ça que je parle d'un abolitionnisme foncièrement révolutionnaire.
25:22 – Pas d'abolitionnisme sans projet révolutionnaire, c'est une phrase.
25:25 – C'est exactement ce qui est défendu dans la conclusion.
25:28 On peut tout à fait imaginer une abolition de la police
25:31 ou une abolition de la prison, d'ailleurs,
25:33 qui serait faite par l'État pour un tas de raisons
25:36 qui ne seraient pas des raisons progressistes.
25:39 Par exemple, la montée en puissance de systèmes de surveillance
25:44 et de contrôle technologique permettrait d'abolir la police.
25:48 C'est bien sûr pas de cette abolition-là que l'on parle.
25:51 Nous, abolitionnistes, parlons d'un projet révolutionnaire
25:55 qui permettrait d'avoir une organisation sociale dans laquelle on n'a pas de police.
25:59 – Oui, parce que dans votre conclusion, vous dites même que
26:02 "pas d'abolition de la police sans abolition de la propriété privée
26:05 et du système de classe qui résulte du capitalisme et du patriarcat".
26:09 Donc, vous connectez vraiment tous ces aspects.
26:12 – Oui, pour moi, on ne peut pas détacher l'abolitionnisme
26:14 de ce projet révolutionnaire.
26:17 – Dernière chose, ce livre, il a déclenché, on a vu la fachosphère.
26:21 C'est compliqué aujourd'hui, publiquement, de parler d'abolition de la police.
26:26 C'est un peu un sujet invisibilisé.
26:28 – Alors, c'est vrai que dans l'espace francophone,
26:31 en tout cas en France, on parle peu d'abolition de la police.
26:36 Il y a pourtant quand même à la fois des luttes
26:39 qui, parfois sans même utiliser le terme d'abolitionnisme,
26:43 à mon sens, contribuent à faire avancer des idées radicales
26:47 et même l'idée d'abolir la police.
26:50 Il y a aussi un certain nombre de publications qui existent déjà en langue française.
26:53 Je pense à un livre paru chez Divergence, "Défaire la police".
26:57 Je pense au livre "Abolir la police", aux éditions Nietzsche.
27:00 Donc, ce n'est pas non plus une question totalement absente.
27:04 C'est vrai que jusqu'à présent, la question d'abolir la police
27:08 était plutôt confinée aux marges politiques.
27:11 Ça, c'est une évidence.
27:14 Après, effectivement, assumer publiquement cette conflictualité, cet antagonisme
27:21 et de dire que la police est notre ennemi,
27:24 pour nous qui sommes du côté des luttes progressistes,
27:27 forcément que ça déclenche des réactions.
27:29 C'est tout à fait naturel.
27:31 – Bon, pour conclure, vivre libre, c'est vivre sans la police.
27:35 Merci Gwénola Ricordo.
27:38 Je le rappelle, vous venez de publier "1312 raisons d'abolir la police"
27:42 aux éditions Luxe.
27:43 C'est la fin de cette interview.
27:45 Et pour ceux qui nous regardent, je le rappelle aussi,
27:47 ces entretiens sont également disponibles en podcast
27:49 sur toutes les plateformes d'écoute.
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27:54 Ça nous aide beaucoup.
27:56 Bonne journée et à très vite.
27:58 [Générique]
28:03 [Silence]

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