Une personne sur quatre est atteinte d’un trouble psychique à un moment de sa vie. Et la pandémie de Covid-19 a encore renforcé ces troubles. Pour briser le tabou, personnalités et anonymes se confient au micro de Yahoo dans "Tourments", le nouveau format de Yahoo.Victime d’anorexie mentale à l’adolescence, Anaïs Nighoghossian a réussi à se sortir de cette dangereuse spirale après avoir vécu de multiples traumatismes. Extrêmement vulnérable face au regard des autres, la jeune femme de 34 ans a accepté, pour Yahoo, de revenir sur cette douloureuse période, thème de son premier ouvrage "Dix-sept heures douze, place d’Italie", disponible aux éditions Jets d’encre. Elle a également expliqué la manière dont elle a repris confiance en elle grâce à une main tendue inespérée. L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire essentiellement féminin qui apparait le plus souvent à l’adolescence. Il entraîne une privation alimentaire stricte et volontaire pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Cette maladie touche 1 à 2% des 12-20 ans, soit environ 40 000 jeunes en France.
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00:00 Je m'appelle Anaïs Nigo-Gossian, j'ai 34 ans,
00:02 et j'ai entamé l'écriture de ce livre, 17h12 Place d'Italie, il y a deux ans.
00:07 J'ai souffert de troubles alimentaires pendant une quinzaine d'années,
00:10 et il était devenu plus que vital pour moi
00:14 d'expulser toute la colère et la souffrance que je portais depuis plusieurs années.
00:19 Le titre de mon livre, c'est 17h12 Place d'Italie.
00:22 C'est un terme assez symbolique
00:25 qui renvoie à un point de bascule dans mon parcours thérapeutique.
00:29 J'ai 30 ans, je sors de l'hôpital Saint-Anne,
00:32 où j'ai découvert un personnel soignant, extrêmement éclairé, bienveillant et empathique.
00:39 Et pour la première fois depuis 15 ans de mon parcours,
00:42 et ce que je pourrais appeler une forme de chemin de croix,
00:45 je sors de l'hôpital, je chancelle sur un poteau Place d'Italie,
00:49 je regarde ma montre, il est 17h12, je prends mon téléphone,
00:52 j'appelle ma mère et je lui dis "Maman, ma vie va changer".
00:55 Et pour la première fois, j'ai une conviction intime qu'une rémission est possible
01:00 et qu'une vie sans ces troubles, aussi invasifs soient-ils, deviendra possible.
01:06 Quand j'ai 14 ans, je fais mon entrée en classe de seconde dans un lycée assez élitiste.
01:12 Et c'est le moment où mon corps change,
01:16 où je vois apparaître des courbes, des hanches, une poitrine,
01:19 alors que jusqu'à maintenant j'avais été une gamine assez file de fer,
01:23 qui avait grandi très vite et qui était relativement maigre.
01:26 Donc j'avoue que je ne me retrouve pas dans ce corps que je ne connais pas encore.
01:30 Et dans le même temps, je suis assez, je deviens finalement la victime aussi,
01:35 peut-être consentante, mais du regard que les autres portent sur moi,
01:39 et a fortiori le regard des mecs, parce que je commence à avoir mes premiers flirts,
01:43 et je deviens extrêmement vulnérable à ce regard-là,
01:46 dès lors qu'il ne me renvoie pas une image que j'estime flatteuse.
01:51 Et c'est à ce moment-là où j'ai commencé à tout doucement dégringoler.
01:57 J'ai commencé à dégringoler en faisant un premier régime à l'âge de 14 ans.
02:02 J'avoue qu'à cette époque-là, je ne suis absolument pas renseignée sur la nutrition,
02:06 mais mes seules images, mes seules références,
02:09 ce sont les couvertures de Biba ou de Jeune et Joli,
02:13 avec des Nicole Richie absolument familiques à l'époque.
02:17 C'est le début de la télé-réalité, et ces nanas-là, en l'occurrence Nicole Richie,
02:21 supportent le mouvement pro-hannah qui exalte la maigreur chez les jeunes filles.
02:25 Donc je commence un peu à me documenter autour de cette tendance-là,
02:29 et j'y vois une forme presque d'éthique de vie, de mode de vie, de lifestyle,
02:37 dans lequel je peux peut-être trouver les réponses à cette estime de moi
02:42 qui s'avère un peu en piteux état à cette époque-là.
02:46 Sauf que mon corps se dégrade progressivement,
02:49 je perds beaucoup de poids dans un intervalle de temps très très réduit,
02:53 et c'est justement les symptômes d'une anorexie mentale.
02:56 C'est à ce moment-là que je suis diagnostiquée anorexique mentale.
03:00 Mon anorexie mentale se déclenche à l'âge de 14 ans,
03:03 et elle va s'aggraver et se poursuivre jusqu'à mes 17 ans,
03:07 qui correspond à l'âge de ma première hospitalisation dans une clinique privée à Lyon.
03:12 À 17 ans, je découvre ce qu'on appelle l'isolement thérapeutique,
03:17 qui en soit est ce que je qualifierais d'oxymore,
03:20 parce que l'isolement ne soigne pas.
03:23 C'est un traitement médical et psychiatrique punitif
03:27 qui revient à isoler complètement l'individu, le patient, de son environnement naturel.
03:33 Et je me retrouve isolée, j'allais dire presque séquestrée,
03:37 parce que c'est un environnement carcéral,
03:40 dans une petite chambre d'à peine 8-10 mètres carrés,
03:44 un salu brevetuste, sans salle de bain, sans toilette.
03:49 Les fenêtres ont des barreaux, la porte est condamnée,
03:53 et pendant 4 mois et demi, je n'ai pas le droit de sortir de cette chambre.
03:57 La claque est tellement forte que ma première réaction,
04:01 c'est avant tout de l'incompréhension.
04:03 C'est-à-dire, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ce type de traitement,
04:08 qui est éminemment punitif ?
04:10 J'avais déjà l'anorexie, en soi, c'est quelque chose de punitif
04:15 que vous exercez envers votre corps, votre personne.
04:18 C'est rajouter une surcouche, j'allais dire, de mauvais traitements,
04:22 et en soi, en termes d'estime de soi, c'est extrêmement dégradant et humiliant.
04:27 C'est-à-dire que vous êtes à la merci du personnel soignant pour aller aux toilettes,
04:31 pour qu'on vide le seau en plastique qui fait office de toilette dans votre chambre,
04:36 une fois par jour,
04:38 pour aller prendre une douche une fois tous les deux fois par semaine.
04:43 Donc en fait, vous êtes sale, crasseuse, isolée.
04:47 Votre pensée devient circulaire,
04:49 parce que vous n'avez pas d'autre terrain d'évasion.
04:54 On vous prive de tous vos effets personnels,
04:56 on trie vos livres, on confisque votre musique, votre iPod.
05:00 À l'époque, j'ai un iPod.
05:01 Donc il ne me reste aucun autre moyen d'expression,
05:05 si ce n'est un carnet, un carnet canson et deux feutres.
05:09 Et il n'y a pas non plus de paroles qui soignent,
05:12 d'accès à, j'allais dire, une psychologue,
05:16 ou alors très très ponctuellement,
05:19 et de façon assez superficielle.
05:23 Ça va durer 4 mois et demi dans ces conditions-là.
05:25 La spécificité de cette hospitalisation réside sur le contrat de poids
05:30 que vous signez avec l'institution.
05:32 C'est-à-dire, si vous prenez du poids,
05:35 on ouvre la porte de la chambre au bout de quelques semaines.
05:39 Si vous stagnez ou que vous perdez du poids,
05:41 elle reste fermée.
05:42 Si je prends du poids, au bout de deux mois,
05:45 j'ai le droit d'envoyer une ou deux lettres par semaine
05:48 à quelques-uns de mes proches.
05:50 Si je ne prends pas de poids, je n'ai plus le droit au courrier.
05:53 Donc c'est une forme de chantage qui est exercée sur les patientes.
05:57 Comment est-ce qu'on reprend du poids ?
05:59 J'allais dire, la renutrition, elle est à la fois violente,
06:03 radicale et artificielle.
06:06 Pourquoi ? Parce que, dans mon cas personnel,
06:08 moi, je ne me faisais pas vomir,
06:11 j'avais simplement cessé de m'alimenter.
06:13 Donc du jour au lendemain,
06:14 on vous apporte trois plateaux repas plus des collations,
06:18 donc cinq repas par jour,
06:20 et vous avez une aide-soignante, généralement,
06:22 qui vous assiste pendant le repas,
06:24 qui reste en face de vous
06:26 jusqu'à ce que vous terminiez votre assiette,
06:28 jusqu'à la dernière miette.
06:30 C'est entrée, plats, fromage, desserts, pain.
06:34 Quand vous ne vous êtes plus alimenté depuis des mois,
06:37 c'est beaucoup.
06:38 Donc ça, pour moi, c'est du gavage.
06:40 L'alimentation, la renutrition n'est pas progressive.
06:43 Et vous n'avez pas le choix.
06:45 Vous êtes forcés, contraints de finir.
06:47 À cette époque, je le rappelle, j'ai 17 ans,
06:49 j'ai été hospitalisée, contrainte et forcée.
06:52 Donc je suis encore dans la défiance vis-à-vis de l'institution,
06:57 et je résiste encore.
06:58 Je n'ai pas encore accepté le protocole thérapeutique.
07:01 Donc dès lors que l'infirmière ou l'aide-soignante
07:07 s'échappe quelques secondes de ma chambre,
07:10 j'essaie de trouver des feintes.
07:12 Je vais vider la soupe dans le lavabo
07:15 ou je vais cacher la bouffe.
07:17 Je trouve un peu des feintes parce que je résiste encore.
07:20 La seconde étape, c'est celle du renoncement,
07:23 où quelque part je rends les armes,
07:26 et parce que je suis tellement obsédée à l'idée de sortir
07:29 que j'accepte tout.
07:31 Là, il y a un deuxième paramètre qui entre en compte,
07:33 c'est le regard que porte le personnel soignant
07:36 sur vous en tant que malade.
07:38 Effectivement, vous êtes anorexique, boulimique, hyperphagique, certes,
07:42 mais vous vous êtes enfermé dans une identité stigmatisante
07:46 qu'on vous rappelle 4, 5 fois par jour, en tête à tête.
07:50 Vous êtes étiqueté, vous avez un numéro de chambre,
07:53 vous correspondez à un poids.
07:55 Je ne voudrais surtout pas m'égarer dans des comparaisons sensibles,
07:59 mais c'est presque concentrationnaire à certains égards.
08:02 Je suis un numéro qui est assigné à un traitement homogénéisé,
08:07 et il n'y a aucune prise en compte de votre individualité,
08:10 d'autant plus qu'on vous dénie toutes vos libertés
08:13 de mouvement, d'expression, de créer, voire même de respirer,
08:17 quand on est enfermé par 40 degrés en plein été,
08:20 dans une chambre avec des fenêtres condamnées.
08:23 Pendant ces 4 mois et demi,
08:25 je pense que le choc est tellement frontal
08:29 que je suis presque coupée de mes émotions.
08:32 Je n'arrive pas à pleurer.
08:37 Je n'arrive pas à exprimer de la tristesse.
08:42 Je suis anesthésiée.
08:44 D'autant plus anesthésiée que très vite,
08:47 je vais être sédatée.
08:49 Je n'avais jamais pris de psychotropes
08:51 pendant les 3 ans qui avaient précédé mon hospitalisation.
08:55 Du jour au lendemain, parce que ma pensée devient circulaire
08:58 et que je commence à contracter des tocs,
09:00 parce qu'être incarcérée, enfermée, rend fou.
09:03 Je pense qu'à d'autres échelles,
09:05 on a pu vivre ça pendant le confinement.
09:08 C'est à ce moment-là où on me prescrit
09:10 beaucoup d'anxiolithique, de somnifères,
09:14 ce qui fait que je suis complètement anesthésiée.
09:17 Je sors au bout de 4 mois et demi de cette institution
09:20 pour plusieurs raisons.
09:22 La première, c'est que j'ai repris 10 kg en 4 mois et demi,
09:26 de façon relativement artificielle,
09:29 parce que je suis inerte,
09:31 cloîtrée dans une chambre,
09:33 et je mange 5 fois par jour.
09:35 C'est assez facile de reprendre du poids.
09:37 J'ai retrouvé mes règles
09:39 alors que j'étais enaménorée depuis plusieurs mois.
09:42 Donc il y a des symptômes cliniques
09:45 qui confortent le psychiatre
09:48 dans le fait que j'ai rempli le contrat.
09:52 Sauf qu'à ma sortie, je suis à nouveau livrée à moi-même.
09:56 Je n'ai aucun accompagnement.
09:58 Je suis déscolarisée,
10:00 parce que j'ai dû différer d'un an
10:02 mon entrée en classe préparatoire
10:04 à cause de mon hospitalisation.
10:06 Je suis livrée à moi-même, déscolarisée.
10:08 Je n'ai aucun repère alimentaire.
10:11 Je ne sais pas, moi, me faire à manger toute seule.
10:14 Je ne sais pas quel est l'apport calorique qui me convient.
10:18 Donc, évidemment, je repère,
10:20 en l'espace de quelques mois,
10:22 tout le poids gagné à la clinique.
10:25 Donc je rechute.
10:27 Et la rechute, j'ai lu quelques statistiques.
10:30 Je ne veux pas divulguer des chiffres erronés,
10:33 mais dans 50% des cas, l'isolement thérapeutique s'accompagne d'une rechute.
10:36 Pourquoi ? Parce que ça correspond à une prise en charge
10:39 parfois utile, à un instant T,
10:42 mais qui, dans la durée, n'a aucune efficacité,
10:46 qui ne peut pas s'inscrire sur la durée.
10:49 Avec le recul, je pense que, à cette époque,
10:53 je n'étais sans doute pas prête à tendre la main
10:57 envers une institution un professionnel de santé éclairée
11:02 pour affronter à bras le corps les troubles psychiques,
11:06 en l'occurrence, troubles alimentaires, dont je souffrais.
11:09 J'étais encore dans une forme de rébellion,
11:12 de quête identitaire,
11:14 et je me suis installée dans cette identité
11:17 qui peut être assez stigmatisante pendant des années.
11:21 Mais je crois que je n'étais pas allée au bout de ce processus-là,
11:24 ce processus de destruction, par ailleurs.
11:27 Mais à 17 ans, je n'avais pas cette maturité-là.
11:30 Il y a une notion qui est assez intéressante dans mon parcours,
11:34 c'est qu'à 30 ans, j'ai un réveil, presque un point de bascule,
11:39 qui fait que je redoute pour ma santé et mon équilibre physique,
11:44 alors qu'à l'époque, je n'ai aucune conscience
11:48 des conséquences à moyen et long terme
11:51 que peut provoquer l'anorexie.
11:54 Et donc, cette errance-là, ou ce déni,
11:57 et ces troubles alimentaires vont durer pendant 13-14 ans,
12:02 jusqu'à la veille de mes 30 ans,
12:05 où finalement, j'ai comme un réveil, une prise de conscience,
12:09 et surtout, je me décide, je me dis,
12:12 je m'entends me le dire à cette époque.
12:15 On est une veille de 1er janvier,
12:18 je suis née un 4 janvier,
12:20 et on trinque avec mes parents.
12:22 Ma mère me dit "Qu'est-ce que je te souhaite pour cette nouvelle année ?"
12:26 Et ma réponse, c'est "J'ai envie d'arrêter de me mentir."
12:30 Et quelques mois après, j'entreprends mes premières démarches
12:34 auprès de Sainte-Anne, justement, pour...
12:38 pour guérir.
12:40 Sainte-Anne m'a ouvert les yeux, dans un premier temps,
12:43 sur ce qu'étaient les troubles alimentaires.
12:46 C'est-à-dire qu'à Sainte-Anne,
12:48 on considère les troubles alimentaires comme des addictions.
12:51 Et c'est vrai que j'avais eu d'autres comportements addictifs
12:54 au cours des années précédentes.
12:56 Parfois à la drogue, parfois à des relations toxiques.
13:00 Mais je n'avais...
13:02 Aucun diagnostic n'avait été posé sur ces habitudes
13:05 que j'avais contractées en parallèle de mes troubles alimentaires.
13:08 Donc Sainte-Anne a fait ce travail d'éducation,
13:11 dans un premier temps, d'éveil,
13:13 de prise de conscience de la complexité de cette maladie.
13:17 Sainte-Anne a eu une approche extrêmement individualisée
13:20 et personnalisée du soin,
13:22 c'est-à-dire qu'on fait du cas par cas.
13:24 Moi, à cette époque, je pense que j'étais en pleine ascension professionnelle
13:28 et je ne voulais pas à nouveau sacrifier une année de ma vie
13:31 en étant hospitalisée.
13:33 Donc on m'a proposé un programme quasiment sur mesure
13:36 qui me permettait de conjuguer à la fois ma vie professionnelle
13:39 et puis mon soin.
13:41 Et puis, la troisième chose, c'est qu'à Sainte-Anne,
13:45 j'ai eu la chance de tomber sur un psychiatre,
13:49 une psychiatre, le docteur Barbier,
13:51 qui m'a accompagnée et qui m'accompagne encore aujourd'hui
13:54 et qui, dès le premier jour, m'a encouragée et m'a fait confiance
13:58 et m'a permis de regagner l'estime de moi que j'avais perdue
14:02 à Saint-Vincent de Paule, à la clinique, pardon,
14:06 où j'avais été hospitalisée, à Lyon.
14:08 Aujourd'hui, quatre ans après,
14:10 je suis toujours une thérapie,
14:13 mais beaucoup plus ponctuelle avec mon psychiatre
14:16 à raison d'une consultation par mois.
14:18 Je prends depuis deux ans un petit traitement antidépresseur,
14:22 mais je voudrais peut-être déconstruire certaines idées taboues
14:26 ou un peu fausses autour des antidépresseurs.
14:28 Pour moi, c'est simplement un régulateur d'émotions
14:30 qui me permet de moins m'exposer,
14:33 de me protéger de mes émotions,
14:35 qui peuvent parfois s'exprimer de façon trop vive.
14:38 Donc, c'est, voilà, c'est une forme de cordon sanitaire
14:43 ou appelons-le comme on le veut.
14:46 Avec mon psychiatre, on ne parle plus de troubles alimentaires,
14:49 on ne parle plus d'anorexie.
14:51 Elle ne me pèse plus.
14:52 J'ai retrouvé un poids de forme, j'ai mes règles,
14:55 j'ai un corps qui est fécond.
14:57 Et avant, pendant de nombreuses années,
15:00 quand je... surtout au premier,
15:02 aux prémices de ma thérapie à Saint-Anne,
15:05 parce qu'il fallait faire preuve de beaucoup de discipline
15:08 dans le traitement,
15:10 et je pensais à l'anorexie le matin en me levant,
15:13 le soir en m'endormant,
15:15 et parce que j'avais une approche très scolaire du soin.
15:18 Il fallait absolument que cette fois-ci, ça marche.
15:20 Et aujourd'hui, quand je m'endors le soir,
15:23 je m'endors contre mon chien,
15:25 je pense au mec auquel je pense en ce moment,
15:29 je pense à des choses légères,
15:31 à ce que j'ai envie d'accomplir dans ma journée,
15:33 à mes projets professionnels,
15:36 et je ne dis pas que l'anorexie n'est plus qu'un mauvais souvenir.
15:39 Je pense que cette maladie,
15:43 c'est à la fois une injustice
15:46 comme une opportunité de se construire et de se trouver,
15:49 et je suis sur cette voie-là, je pense, aujourd'hui.
15:53 Mes failles seront toujours présentes,
15:55 et par ailleurs, je n'ai aucune volonté de les gommer,
15:58 de les annuler, de les lisser.
16:01 Moi, j'aime les gens qui ont des failles,
16:04 ce sont les gens qui m'attirent en général.
16:07 En revanche, j'ai aujourd'hui des outils, des moyens
16:11 pour ne pas rechuter, pour ne pas tomber dans l'abysse.
16:14 Je me tiens debout sur mes failles avec tous les outils
16:18 qu'on m'a mis à disposition et que je continue d'affûter
16:23 pour pouvoir me projeter dans une vie plus lumineuse, plus douce.
16:28 L'apprentissage que j'ai eu à Saint-Anne
16:31 m'a permis de, encore une fois,
16:34 regagner mon estime de moi, reconstruire mon estime de moi.
16:37 Et ça m'a donné une force pour continuer d'entreprendre
16:42 dans ma carrière, continuer d'aller relever d'autres défis,
16:46 d'assumer mon ambition aussi,
16:49 notamment, aujourd'hui, je suis responsable
16:52 de la communication d'une marque de luxe.
16:55 Je gère plusieurs équipes dans un environnement très exigeant
17:00 où il y a beaucoup d'émulation, mais aussi des valeurs
17:04 qui correspondent aux miennes, qui sont celles du mérite,
17:07 du travail, de la responsabilité individuelle.
17:10 Je pense que tout le travail thérapeutique
17:13 que j'ai entrepris depuis trois ans est venu nourrir ma confiance en moi,
17:16 avant tout, et sans cette confiance en moi, je pense que,
17:19 professionnellement, je ne pourrais pas être aussi épanouie
17:22 que je le suis aujourd'hui.
17:23 Dans dix ans, je me vois maman.
17:26 Je pense qu'après des années de doutes, d'incertitudes
17:32 sur ma fertilité, aujourd'hui, je sais que je pourrais donner la vie un jour
17:40 et je pense que ce sera ma plus grande victoire.
17:44 Et, par ailleurs, je me vois continuer d'enquêter, d'écrire,
17:49 d'aller sur les traces de ce passé, de mon identité,
17:53 et pourquoi pas, j'espère en tout cas que ça donnera lieu
17:57 à, pourquoi pas, un prochain écrit, un prochain ouvrage
18:00 qui, dans un certain sens, s'inscrira dans la continuité du premier.
18:05 Je n'ai pas envie d'être l'étendard de cette cause malheureuse
18:11 que sont les troubles alimentaires, mais néanmoins,
18:14 j'essaierai de me battre ou de faire connaître cette maladie
18:19 d'une manière ou d'une autre, surtout pour faire en sorte
18:24 que le parcours de soins soit clarifié et que toutes les jeunes femmes
18:29 et les jeunes hommes qui en souffrent aujourd'hui puissent avoir
18:32 un minimum d'éveil quant au relais qui existe,
18:38 parce qu'aujourd'hui, le parcours de soins est calamiteux.
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