Delphine Rouilleault, directrice générale de France Terre d'Asile, dont le principal objet est le soutien aux demandeurs d’asile et à la défense du droit d’asile en France, était mercredi 1er février l'invitée de la matinale de franceinfo. Elle répondait aux questions d'Aurélien Accart.
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00:00 l'autre chantier explosif du gouvernement en ce début d'année, le projet de loi sur l'immigration,
00:04 présenté aujourd'hui en Conseil des ministres. Un texte qui prévoit à la fois de faciliter les expulsions
00:10 et aussi un volet régularisation avec la mise en place d'un nouveau titre de séjour pour les métiers dits en tension.
00:16 Bonjour Delphine Rouillaud.
00:17 Bonjour.
00:17 Vous êtes directrice générale de France Terre d'Asile.
00:19 Ce projet d'immigration, ce projet d'immigration est-il utile, sachant que rien que dans la restauration,
00:24 il y a 350 000 postes à pourvoir et de grandes difficultés pour les employeurs à trouver de la main d'œuvre ?
00:29 Ce projet de loi, il nous inspire en fait plus d'inquiétude que de satisfaction.
00:32 Pour être très clair, vous le dites vous-même, il comporte un volet intégration par le travail qu'on aurait aimé pouvoir soutenir.
00:40 Et effectivement, on a un vrai sujet en France aujourd'hui de très nombreux travailleurs sans papier
00:45 qui sont en réalité exploités par des employeurs qu'il faudrait pouvoir régulariser.
00:50 Simplement, ce qu'on voit, c'est que ce sujet-là est déjà l'objet de marchandages assez insupportables et de renoncements programmés.
00:57 On voit le ministre de l'Intérieur déjà annoncer qu'il est prêt à reculer sur ce seul point qui aurait pourtant été
01:03 quelque part le volet positif d'un projet de loi qui par ailleurs...
01:06 - Et vous auriez pu le soutenir s'il était resté en l'état des propositions ?
01:09 - On aurait pu soutenir le... Enfin, on continue d'ailleurs à considérer qu'une disposition qui vise à faciliter la régularisation
01:16 de travailleurs sans papier qui sont présents en France depuis un certain temps, qui travaillent, dont les enfants sont scolarisés,
01:22 bien sûr que cette mesure-là, on pourrait la soutenir.
01:24 Ce qu'on ne veut pas, c'est voir à quel point... Enfin, ce qu'on ne veut pas, c'est voir le chantage qui est en train de se faire
01:29 sous nos yeux de la part d'une droite parlementaire qui a décidé d'en faire un cheval de bataille très symbolique et caricaturel.
01:36 - Pour l'instant, Gérald Darmanin n'a pas reculé sur ce titre de séjour pour les métiers en tension qui est présenté comme
01:43 la façon d'équilibrer ce texte. On est là sur le thème de l'immigration choisie. La France a-t-elle raison de s'engager
01:49 dans cette voie, comme le font d'ailleurs d'autres pays dans le monde ?
01:53 - Je pense que la France prend le problème par le mauvais bout. En réalité, notre système d'asile et d'immigration, il a un vrai enjeu
02:00 qui est celui d'améliorer les conditions d'accueil et d'intégration pour qu'on puisse faire société.
02:05 On a une société française aujourd'hui qui est traversée par des craintes et une forme, pour certaines personnes, d'hostilité ou d'inquiétude
02:11 vis-à-vis des populations étrangères. Et ce qu'on aimerait, c'est voir un projet de loi ambitieux qui permette d'éviter, par exemple,
02:18 que des personnes dorment à la rue. Vous savez, les images de campements que l'on voit avec ces migrants demandeurs d'asile qui dorment
02:24 sous des tentes, ça nourrit une représentation et un imaginaire qui n'est pas bon. Et donc nous, ce qu'on souhaiterait, c'est un projet de loi
02:30 qui dise très bien "on a su, avec les Ukrainiens, faire que personne ne dorme dehors. Demain, on va vous faire la démonstration qu'on peut faire
02:37 qu'aucun Afghan qui fuit l'Afghanistan à pied pendant un an pour rejoindre l'Europe ne dorme sous une tente à Paris".
02:43 - Comment vous expliquez d'ailleurs cette différence de traitement entre les Ukrainiens et les autres populations qui arrivent en France ?
02:48 - On ne cherche pas à l'expliquer, on la constate. Et en la constatant, on se dit qu'on a des leçons très positives à tirer de cet accueil des Ukrainiens.
02:55 Je vous donne un autre exemple, l'accès au marché du travail. Les personnes réfugiées de guerre d'Ukraine ont pu accéder au marché du travail sans autorisation de travail.
03:04 C'est un document administratif qui est en fait un frein très très fort pour les employeurs. Je pense que tous les petits patrons qui nous écoutent le savent très bien.
03:11 Recruter un étranger en France aujourd'hui, c'est une gageur. Si on arrivait à supprimer aussi les autorisations de travail pour les personnes étrangères et pour les demandeurs d'asile,
03:19 on ferait un progrès significatif.
03:21 - Alors le problème, vous l'avez évoqué, c'est que pour faire voter ce texte, le gouvernement a besoin des voix de la droite.
03:26 Gérald Darmanin ne se dit pas opposé désormais à l'idée de quotas sur cette immigration. Vous en pensez quoi ?
03:33 - On en pense que ça dénature complètement le projet initial. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on parle de régularisation,
03:39 on définit des critères qui sont en l'espèce déjà très restrictifs. Il faut quand même se dire que la loi telle qu'elle est présentée aujourd'hui,
03:46 elle n'est pas généreuse et en aucun cas elle ne va donner lieu à une régularisation massive comme la droite ou l'extrême droite peuvent le prétendre.
03:54 Si on crée des critères de régularisation mais qu'ensuite on crée des quotas, quelque part on crée un paradoxe.
04:00 Et on va se retrouver avec des personnes qui vont être quelque part mises en concurrence les unes avec les autres.
04:05 Pourquoi est-ce qu'on régulariserait un tel plutôt qu'un tel à partir du moment où on veut se fixer un nombre maximum ? Donc il y a un problème d'égalité.
04:12 - L'autre objectif affigé par ce projet de loi, c'est de faciliter les expulsions, en particulier pour les délinquants.
04:17 Il y a des faits divers qui ont marqué l'opinion ces dernières semaines, ces derniers mois. Le meurtre de la petite Lola notamment,
04:23 commis par une étrangère sous le coup d'une OQTF, obligation de quitter le territoire français.
04:30 Pour faciliter ces expulsions, le gouvernement veut diminuer les recours en justice.
04:33 Aujourd'hui, il y en a 12 possibles, Gérald Darmanin en veut seulement 4. C'est une bonne idée ?
04:37 - En fait, c'est pas tout à fait ça. C'est-à-dire que le passage de 12 à 4 recours, c'est une procédure de simplification des recours existants
04:44 qui n'est pas absurde et qui n'est pas du tout en l'espèce une diminution des droits.
04:48 C'est juste qu'on va avoir moins de possibilités de recours, mais les droits ne seront pas limités.
04:52 Par contre, ce qui ne va pas du tout, c'est que cette réduction du nombre de recours est assortie d'une réduction des délais de recours.
04:58 Et qu'en réalité, ce qu'on est en train de faire, c'est d'empêcher les personnes qui se retrouveraient sous le coup d'une obligation de quitter le territoire
05:05 de pouvoir la contester. Et quelque part, vous savez, la France est la championne d'Europe en matière de délivrance d'obligations de quitter le territoire.
05:12 Il y a un quart des obligations de quitter le territoire délivrées en Europe qui sont délivrées par la France.
05:16 Donc la France délivre des obligations de quitter le territoire qu'elle ne sait pas exécuter.
05:19 Et ce qu'on est en train de faire, c'est simplement augmenter, multiplier potentiellement le nombre de sans-papiers en France demain.
05:25 - Justement, comment on assure la sécurité ? Comment on suit ces migrants sous le coup d'une OQTF ?
05:30 Je pense par exemple au cas de l'assaillant de la gare du Nord qui est originaire de Libye, qui ne peut pas être renvoyé puisque c'est un pays en guerre.
05:36 Comment on fait ?
05:38 - Parce que l'enjeu n'est pas là. Il y a deux sujets. D'abord, il y a des personnes qui sont psychiquement extrêmement atteintes et fragilisées.
05:44 Et donc, il y a un vrai enjeu de prise en charge médicalisée des personnes.
05:47 Et puis après, il y a la question des personnes qui pourraient être délinquantes, véritablement délinquantes,
05:53 qui sont placées en rétention et qui pourraient être expulsées.
05:56 Mais vous avez raison de souligner un point. On a aussi une aberration dans notre système qui est qu'on délivre
06:01 des obligations de quitter le territoire à des gens qu'on ne peut pas expulser.
06:04 Donc en fait, qu'on laisse dans une précarité et une espèce d'incertitude administrative qui n'a pas de sens.
06:09 Aujourd'hui, il y a des Afghans qui sont sous le coup d'obligation de quitter le territoire,
06:12 qui ne seront jamais renvoyés, mais pour autant, qui n'ont pas de papiers, donc qui ne peuvent pas travailler, qui ne peuvent pas se loger.
06:17 Et quelque part, on les installe nous-mêmes dans une précarité administrative qui est dramatique.
06:22 Et c'est tout ça aussi qu'il faudrait sans doute aborder dans ce projet de loi Immigration.
06:25 Merci beaucoup Delphine Rouillaud, directrice générale de France Terre d'Asile, invitée ce matin du 5/7 de France Info.